Chapitre 25 : Découverte du Rocher ?
La vue d'Hakan me frappe comme la foudre aurait pu le faire. Ses yeux lancent eux-mêmes des éclairs, d'ailleurs. J'écarquille grands les miens, mais reste silencieuse. Une chose positive me rassure pendant un instant. Victor est de retour. J'ai longtemps cru qu'il m'avait laissée me débrouiller seule. Bien que je n'ai aucune idée de qui il est, où il est, et même s'il existe ; ça me rassure d'avoir une présence près de moi qui peut m'aider.
Mais pour le moment, c'est Hakan qui capte toute mon attention. Les traits de son visage sont figés dans la colère et ses poings sont serrés. Je sens que je vais me prendre un de ces savons...
Il m'agrippe les bras, à l'endroit exact où Léo les tenait dix secondes avant. Je retiens une grimace de douleur. Léo a serré tellement fort que je dois avoir des bleus. Hakan ne semble pas avoir vu qu'il me faisait mal. Il commence sa remontrance d'une voix grave et rapide.
- Tu étais passée où ?! Je me suis fait un sang-d'encre ! Tu as été plus qu'irresponsable ! Tu ne te rends pas compte dans quel état tu m'as mis...
Oh que si je m'en rends compte... Et j'en suis désolée. Le souvenir de la poubelle qui vole d'un coup de pied et le meuble à roulettes traversant la pièce sont là pour en attester.
Je garde cependant le silence. Tout ce que je pourrais dire se retournerait contre moi, de toute façon. Je me tais, donc, et me contente de figer mon regard sur le bout de mes baskets noires.
- Comment as-tu fait pour rentrer ? Par où es-tu passée ? continue-t-il, furieux.
Je me mords instinctivement la lèvre inférieure. Je ne peux pas lui dire que Léo m'a aidée... Le petit garçon va sûrement se faire punir. Ce n'est surement pas le meilleur moyen de le remercier pour m'avoir évitée de faire une syncope dans les tunnels.
Je me mets à bredouiller des paroles inintelligibles, en continuant de fixer le sol. Hakan me relève doucement le menton, ses doigts chauds laissant une empreinte bouillante lorsqu'il les enlève.
Je garde les yeux baissés, incapable de croiser son regard. Je l'ai déçu, je le sens. Je me sens honteuse... J'aurais peut-être mieux fait de m'évanouir dans les tunnels, en fin de compte.
Je sens sur mes paupières le regard brûlant d'Hakan qui me fixe en silence. Une sensation familière me parcourt la tête, celle qui me donne l'impression de fondre ou de me liquéfier sur place. Une force invisible me force à relever les yeux et croiser les yeux rouges étincelants d'Hakan.
Ses yeux perdent petit à petit leur éclat rouge, et redeviennent bordeaux. Sa fureur laisse brusquement la place à une grande douceur dans son regard. Il écarte une mèche de cheveux blonds qui cachent mon visage et la coince derrière mon oreille. Mes yeux sont rivés aux siens, il m'est impossible de quitter ses iris pailletées d'or.
- Arrête, murmuré-je.
- Arrêter quoi ? chuchote-il.
- Arrête de contrôler mes mouvements avec ton pouvoir, clarifié-je en continuant de fixer ses yeux.
Il les ferme un instant et les rouvre deux secondes après. Je retrouve soudainement le contrôle de mes yeux.
- J'étais obligé de le faire, tu ne voulais pas me regarder.
- Je suis désolée... Je ne voulais pas te mettre dans tous tes états, commencé-je.
Je croise enfin son regard de mon plein grès. La douceur se lisant dans ses yeux se transforme en inquiétude.
- Tu vas bien ? Tu saignes, je sens ton sang.
Je lui lance un sourire exaspérée. Je lui tends ma main gauche coupée par la pierre noire. Il m'attrape délicatement le poignet et tourne ma paume vers son visage. Un filet de sang séché parcourt ma main en diagonale de mon index à mon poignet.
- Viens, je t'emmène à l'infirmerie. Adriel est en train de se faire guérir, dit-il de but en blanc.
Il commence à contourner la plaque de rocher derrière laquelle je me cachais.
- Tu ne m'en veux pas ? je m'enquis.
Il s'arrête et se retourne. Son regard noir me fige sur place.
- Ne refais plus jamais ça.
Le trajet jusqu'à l'infirmerie se passe dans un calme totalement flippant.
Trente secondes entièrement dédiées au silence. Même l'Antre par laquelle nous sommes obligés de passer est étrangement silencieuse.
Je crois avoir compris que suivre Léo était une très mauvaise idée. Déjà que je culpabilisais à cause d'Adriel, Je me sens affreusement coupable d'avoir mis Hakan dans cette fureur et cette inquiétude passagère.
Hakan pousse la porte rouge de l'infirmerie. Je découvre Adriel au même endroit que tout à l'heure, sur son lit, sauf qu'il se cambre désormais de douleur et est agité de soubresauts violents qui le font décoller du lit.
Romain et Sarah sont assis non loin de lui. L'inquiétude et la compassion se trouvent dans le regard de Sarah. Romain, au contraire, regarde Adriel avec une lassitude et un regard absent. Je me précipite vers Adriel pour l'aider ou lui parler, mais Hakan me retient par le bras.
- Qu'est-ce que tu fais ? m'insurgè-je. Il faut l'aider !
- Le produit est en train d'agir. Tu ne peux rien faire.
Je lève mes yeux plein d'anxiété vers Hakan. Il n'a pas l'air d'être inquiet alors que son frère se tord de douleur sous ses yeux.
- Ne t'inquiète pas Kami, me rassure Sarah. C'est le moyen le moins douloureux.
Ses yeux retournent sur le corps d'Adriel qui commence à ne plus bouger, épuisé. Ils gardent tout de même leur éclat teinté d'angoisse.
Mon visage se défigure par mon impuissance croissante. Adriel continue de souffrir, pourtant nous sommes tous là, à attendre que le remède fasse son effet. Ça me désespère.
- Qu'est-ce que tu t'es fait ?
Je sursaute en voyant que Romain fixe ma paume blessée avec une attention qui me déconcerte. Étant plus près de lui par rapport à tout à l'heure, je l'examine plus particulièrement. Des cheveux châtains clair, des yeux marron noisette, un visage ovale et arrogant.
- Je me suis coupée, je réponds après un silence.
- Comment ? insiste-t-il en se s'approchant de moi.
J'ai un léger mouvement de recul lorsque sa main froide prend mon poignet pour juger l'ampleur de la blessure.
- Avec de la roche, dis-je précipitamment en tirant sur mon bras pour qu'il me lâche.
Sa poigne reste de fer et ses yeux me toisent étrangement. Il continue cependant à m'interroger, les geignements d'Adriel en fond.
- Quel genre de roche ?
- Avec la roche du tunnel ! Lâche-moi, c'est rien, articulé-je, la colère commençant à monter.
Je ne le connais pas et il se permet de me harceler de questions sans importance ? Sans oublier qu'il m'a traitée d'abrutie quelques minutes auparavant. Pour qui se prend-t-il ?
- Je vais désinfecter.
Sans me lâcher, il me tire vers un petit meuble à tiroirs et sort des compresses et un flacon blanc. Il verse une bonne dose de produit sur le coton et s'apprête à l'appliquer sur ma légère blessure.
- Lâche-moi, répété-je. Je peux le faire toute seule.
Arrêtant de m'écouter, il pose sans ménagement la compresse sur ma coupure. Je serre les dents et ferme les yeux. Je les rouvre en déversant toute ma colère d'un regard à Romain. Celui-ci hausse les sourcils pendant une seconde ou deux, puis un petit sourire désabusé nait sur son visage.
- Une louve, dit-il de sa voix condescendante. Je comprends mieux ton comportement insouciant et immature.
Ma respiration se coupe. Je suis surprise qu'il reconnaisse aussi facilement les différents races animales des métamorphes. Mais ce n'est pas sur ce détail que je m'arrête. Mais plutôt sur ces deux insultes. Comment a-t-il osé ?
- Je te demande pardon ? grincé-je.
- Tu as très bien entendu. Et tu sais parfaitement ce que j'ai voulu dire.
Ses yeux noisette me toise sans ciller. Je jette un coup d'œil aux trois autres métamorphes. Adriel commence tout juste à régulariser son souffle tandis que Sarah et Hakan parlent à voix basse un peu plus loin.
- Écoute-moi bien, grogné-je. menaçante. Ta cervelle de moineau et toi vont arrêter de d'insulter les gens sans les connaître. Je ne t'ai rien fait, que je sache.
- Tu m'as fait perdre mon temps, répond-il en gardant ses yeux dans les miens. Et il est crucial que je ne le perde pas, en ce moment. Mais vu que tu es aussi une égoïste, tu ne sais pas ce qui se passe chez les métamorphes.
- Comment peux-tu juger quelqu'un sans avoir suffisamment de connaissances envers lui ? Tu ne peux que te tromper.
Il appuie fortement le carré de compresse sur ma paume, me faisant grincer les dents de douleur.
- Je ne me trompe jamais, affirme-t-il.
Je lui arrache la compresse des mains et la balance dans une poubelle non loin.
- La preuve que si, j'ajoute, mielleuse. Les métamorphes n'ont pas besoin de désinfecter une blessure lorsqu'elle est peu profonde. Elle guérit toute seule.
Je désigne ma paume qui commence enfin à cicatriser doucement mais sûrement. Romain plisse les yeux, l'amusement s'exprimant à travers ses iris marrons.
- Pas si insouciante que ça, le louveteau.
J'entends Sarah, dos à moi, m'appeler.
- Ne m'appelle pas comme ça, grondé-je en ignorant Sarah, la colère déformant mes traits.
- Kami ! répète-t-elle.
Les pas de Sarah s'approche de moi. Romain me regarde toujours, un plaisir malsain se lisant dans ses yeux.
- Ouh, j'ai peur.
Je le fusille du regard avant de reporter mon attention sur Sarah, qui arrive en trottinant à côté de moi.
- Viens, commence-t-elle, j'ai quelque chose à te montrer.
- Je dois y aller, intervient Romain, j'ai des tas de choses à faire, insiste-t-il en posant ses yeux sur moi. On m'a déjà assez retardé.
Il commence à partir, mais avant de franchir le seuil de la porte, il lance à Hakan :
- Reste avec ton frère le temps que je revienne.
Il disparait en tournant à droite. Mais il revient sur ses pas plusieurs secondes après. Seule sa tête est voyante, son corps dissimulé derrière le mur.
- Et, ajoute-t-il en riant, surveille ton Apprentie, elle va finir par tuer quelqu'un avec sa maladresse aussi bien physique que morale.
- C'est toi que je vais tuer ! hurlé-je, hors de moi.
Un rire moqueur s'éloigne dans le couloir de roche. Sarah et Hakan posent des yeux interrogateurs et surpris sur moi.
- Ce type me tape sur les nerfs... m'expliquè-je en soufflant.
- C'est souvent la première idée qu'on se fait de lui quand on le voit, dit Sarah en souriant. Allez viens, j'ai truc cool à te faire voir.
Elle se tourne vers Hakan, ce dernier s'asseyant sur un fauteuil gris près d'Adriel.
- À tout à l'heure, Hakan.
Il nous regarde tour à tour, un sourire naissant sur son visage pâle.
- Garde-la à l'œil, dit-il à Sarah en me désignant d'un signe de tête.
- Compte sur moi, finit-elle en riant.
Elle me prend par le bras et m'entraine vers la sortie. C'est bon, je ne suis pas une calamité à ce point-là !
Si, mais pas à plein-temps, déclare Victor.
Tiens, le revoilà, lui. Ça faisait longtemps.
Je regarde une dernière fois l'état d'Adriel. Blanc comme un linge, sa respiration est lente et régulière. Son visage est entièrement décontracté, la douleur oubliée. Il s'est endormi, la main d'Hakan s'étant glissée dans la sienne. Ce dernier regarde son frère avec une inquiétude non feinte.
Je me surprends à repenser au comportement d'Hakan, tout à l'heure, dans la chambre. Il ne s'était pas inquiété du sort d'Adriel, sûr que cela ne soit rien d'alarmant. Nous pensions tous les deux que ça n'allait pas s'aggraver. Nous avions eu tort. Je m'en veux encore d'avoir accaparé toute l'attention d'Hakan pour obtenir mes explications, alors que j'aurais dû lui dire de ramener Adriel. J'aurais dû lui dire qu'il n'allait pas bien.
Tu ne le savais pas. Tu ne l'avais pas vu. Ne te reproche pas des choses dont tu n'es pas coupable, murmure Victor dans un souffle.
J'ignore les raisonnements de Victor, et me contente de suivre Sarah. Je ne fais pas particulièrement attention au chemin que nous prenons, ni aux échelles que nous montons ; jusqu'à ce Sarah passe devant une porte jaune moutarde. Je fouille dans ma mémoire et reconnais enfin les alentours. La porte jaune est le bureau de Maya. C'était là que m'avait emmenée Hakan la première fois que je suis entrée dans le Rocher. C'est aussi dans cette pièce qu'il m'avait annoncé que j'étais un métamorphe.
Je fixe la porte avec une certaine insistance, essayant de me remémorer l'intérieur, le calme et la tranquillité que m'avait procuré ces murs. Je m'y sentais vraiment bien, là-bas.
En voyant que Sarah s'était arrêtée et m'attendait sans rien dire, je me secoue légèrement et essaie de m'intéresser au moment présent. Nous reprenons notre marche, la belle rousse m'entrainant au fond du couloir aménagé dans la roche.
- Tu vas me montrer quoi ? je demande, soudain attentive.
- Tu verras, me répond-elle avec amusement.
Elle bifurque brusquement à gauche et nous déboulons sur un autre couloir, plongé de le noir, me faisant m'arrêter. Je ne vois pas très bien sa longueur, il fait noir à partir de maintenant, mais je crois distinguer une forme dans le fond, à environ sept mètres. Mais j'ai du mal à comprendre. Je me souviens que lorsque j'étais devant le bureau de Maya, il n'y avait aucun endroit pour tourner. Il n'y avait qu'une seule porte dans ce couloir aménagé dans la roche jaunâtre. Celle de Maya. Le couloir était un cul-de-sac. J'étais sûre...
Sarah, ayant surement deviné mes pensées, intervient dans ma vaine tentative de raisonnement.
- Ne te préoccupe pas de ça, commence-t-elle, c'est fait exprès pour dissuader les personnes malveillantes de s'aventurer dans ce couloir.
Je la regarde, sans comprendre. Elle rit en voyant mon visage se décomposer.
- C'est une sorte de trompe-l'œil, si tu préfères ! finit-elle avec un éclat de rire.
Je souris doucement. C'est ingénieux. Si je tombe sur un couloir avec une seule porte, ça ne me donne pas envie d'aller jusqu'au bout du corridor.
- Mais malheureusement, ça ne fonctionne pas toujours... murmure Sarah dans un soupir.
Je réfléchis un instant. Et je réalise.
- Tu m'emmènes dans un endroit important ? Je suppose que si j'y vais, c'est que c'est un honneur, je me trompe ? lancé-je avec un soupçon d'ironie.
- Tu ne te trompes pas, affirme Sarah avec le plus grand des sérieux. Je te fais confiance, alors écoute-moi bien avant que nous continuions : Tu ne répètes à aucune personne l'emplacement où elle se trouve, et ce qu'on fait là-bas. Compris ?
Je hoche doucement la tête, soucieuse. Que veut-elle me faire voir qui suscite chez elle autant de prudence ?
Sarah se plonge dans l'obscurité du tunnel, sans m'attendre. Je me précipite à sa suite. Lorsque je la retrouve quelques secondes plus tard, elle se tient près d'un escalier en colimaçon, le visage souriant.
- Un escalier ? Ici ?! je m'exclame.
Le couloir où se trouve le bureau de Maya est déjà situé très haut par rapport aux autres cavités. Je sais que le Rocher est extensible en longueur, mais sa hauteur ne peut pas atteindre des sommets, non plus ! Enfin... je crois.
Après avoir monté les marches rapidement, nous arrivons devant un grand portail peint en blanc nacré.
- Et la voici, annonce Sarah.
- Pourquoi est-ce que tu parles toujours de cet endroit au féminin ? Tu l'as encore désigné comme tel, tout à l'heure.
Sarah pose sa main sur le battant en fer, et me lance un sourire mystérieux. Elle le pousse d'un coup, en disant d'une voix surexcitée :
- Parce que c'est un lieu magique. Voici la Verrière.
Une lumière blanche m'aveugle durant une dizaine de secondes. Je plaque mon bras sur mon visage, cachant mes yeux de ce surplus de clarté.
- Tu peux regarder maintenant, m'annonce Sarah. C'est normal que tu aies mal aux yeux, au début.
J'ose regarder ce "lieu magique", en plissant tout de même mes pauvres yeux. Mais j'arrête presque dans la seconde qui suit, émerveillée.
La pièce, longue sur une dizaine de mètres, ne contient que des meubles plus qu'étranges... Des grandes tables avec des cubes en verre, dessus. Je suis incapable de décrire le fonctionnement et l'utilité de ces machines. Il y a des tuyaux qui les relient, avec des sortes de filtres entre chaque plaque de verre.
Les murs sont en pierre, comme chaque endroit dans ce Rocher, sauf que cette fois-ci, ils sont peints en blanc. La pièce en soi n'est pas très grande, quatre ou cinq mètres carrés, tout au plus, un peu arrondie. Mais ce qui m'intrigue le plus, ce sont ces espèces de cubes en verre, une sorte de tissu rouge tapissant le fond.
Je me tourne vers Sarah, totalement perdue et perplexe. Mais je constate qu'elle, son regard n'est pas posé sur ces objets, mais levé au ciel. Je fais de même, ne comprenant pas son extase.
Il n'y a pas de plafond. Enfin théoriquement il y en a un, si on considère qu'une grande verrière peut faire office de plafond. Mais quelque chose me chiffonne : le vitrage est tellement propre et fin, que ça ne peut pas être du verre.
- Magnifique, n'est-ce pas ? s'enquit Sarah.
- Je suis d'accord, mais ça, dis-je en désignant les vitres du doigt, ce n'est pas du verre, on est d'accord ? finis-je avec scepticisme.
- Comment tu as deviné ? lance-t-elle avec un étonnement pur.
- Je ne sais pas, je...
Mais je m'arrête en voyant la verrière briller. Oui, briller. Comme si des millions de paillettes argentées ricochaient sur les vitres.
- Qu'est-ce que c'est, ça ? murmuré-je, ne pouvant détacher mon regard du spectacle se déroulant devant moi.
- C'est tellement beau... dit-elle avec admiration. Je viens ici dès que je le peux, profitant des premiers rayons de la Lune.
- C'est quoi cet endroit ?
Le lieu en question me procure en même temps deux sentiments contradictoires : l'angoisse et l'émerveillement.
Bien que les paillettes soient très jolies, les machines en dessous des baies vitrées sont légèrement flippantes.
- J'aime tellement venir ici, commence Sarah en ignorant ma question. Normalement, ce sont les Exploiteurs qui s'occupent de montrer ça à leur Apprenti, mais Hakan n'a pas vraiment le temps, en ce moment...
- Comment ça ? dis-je en oubliant momentanément les machines.
Sarah se gratte la nuque, gênée.
- Les Midas ont quelques problèmes depuis quelques semaines. Hakan est important pour la suite des évènements.
- Quels sont ces évènements ? insisté-je.
Sarah ferme les yeux pendant plusieurs secondes, semblant réfléchir.
- C'est compliqué... Je ne suis pas autorisée à t'en parler... Je suis désolée, ajoute-elle avec un sourire contrit.
- Ce n'est pas grave, soufflé-je... C'est juste que j'en ai un peu marre d'être tenue à l'écart... Je sais que je ne suis qu'une Apprentie, mais je suis censée apprendre des choses sur les tribus et les métamorphes, mais on m'explique rarement ce qu'il y a à savoir...
- Je suis vraiment désolée... Mais je pense que Hakan va avoir beaucoup de mal à t'enseigner quelque chose pendant les prochains jours...
- C'est bon à savoir...
- Mais ne t'inquiète pas, on est tous un peu stressé et sur nos gardes ces derniers temps, il faut nous laisser du temps... ça devrait aller mieux dans une semaine.
Je ne cherche même pas à lui poser des questions, elle ne me répondra pas. Super la vie d'Apprentie... Je devrais encore une fois attendre avant d'avoir droit à des réponses correctes et satisfaisantes.
Sans me laisser le temps de me lamenter sur mon sort, Sarah me prend soudainement par le bras, le regard encore figé sur les plaques de verre.
- Regarde, Kami...
Dans une grande incompréhension, je lève la tête. À peine ai-je eu le temps de faire ça qu'une douce lumière envahit les lieux.
D'abord un, puis deux, puis trois faisceaux de lumière blanchâtre traversent le plafond de verre. Les filets de lumière tombent chacun précisément au centre de chaque machine, laissant un cercle blanc sur les tapis rouges se trouvant à l'intérieur des cubes en verre.
Puis je remarque que d'autres rayons se sont entre-temps ajoutés. J'en compte rapidement sept. Je m'aperçois également qu'il n'y a que huit machines, correspondant à chaque lumière se déversant dans les gros cubes, ne laissant qu'un cube absent de lumière argenté.
C'est vraiment très beau... Mais aussi étrange. Le plafond de verre -qui n'est au passage pas réellement en verre- est entièrement lisse, sans aucune forme pour diviser les rayons en sept. Comme s'ils le faisaient d'eux-mêmes... Je deviens complètement folle à penser à des choses pareilles... Il doit bien y avoir une explication logique... Mais sur le moment, je n'en trouve pas. Sarah me tient toujours pas le bras, me tirant avec elle lorsqu'elle s'approche des machines.
- À quoi sert tout ça ? j'ose enfin demander.
- Tu ne l'as toujours pas compris ? commence-t-elle d'une voix douce. Tu es en train d'assister en direct à la fabrication de la Poudre de Lune.
Le souvenir de la poudre blanche que m'avait jetée Hakan à la figure me revient en mémoire. Elle m'a permis de voir le contenu de sa boite personnelle et a également permis à Hakan de faire réapparaître Léo, le soir de la Veillée.
Cette poudre doit servir à beaucoup de choses... Elle est surement plus qu'utile.
Comme si Sarah avait deviné mes pensées, elle me fait un récapitulatif de son utilisation :
- La Poudre de Lune est très utile, bien que pour la faire, il faut un certain nombre de matériaux, et beaucoup de temps pour la fabriquer en grande quantité. En ce moment, la Lune est en gibbeuse décroissante. Cela signifie qu'elle se vide -la pleine Lune étant passée de trois jours, en même temps que la Veillée- et donc elle produit moins que si la Lune était pleine. Plus la Lune est vide, moins il y a de rayons, donc moins de poudre. Tu comprends ?
Je me suis un peu perdue dans ses explications, mais ça ne doit pas être trop grave si je ne les retiens pas. Enfin, j'espère.
- À peu près, oui, lancé-je quand même.
- Bien. Il faut savoir que la Poudre de Lune n'est produite qu'en très petites quantités. Même lorsque la Lune est pleine, on ne produit qu'environ trente gramme de poudre... Ça ne fait que deux poignées...
- Je vois... murmuré-je, préoccupée. Et globalement, à quoi sert-elle ?
Sarah continue d'observer la future Poudre de Lune, la clarté de l'astre envahissant la pièce, donnant à ses cheveux roux des reflets argentés.
- Elle a de bons et de mauvais côtés, comme les êtres humains. La Poudre de Lune est la représentation terrestre de la vraie Lune -au moins de son caractère. Elle peut faire des tas de bonnes choses si on l'utilise à bon escient, mais il ne faut pas oublier qu'elle peut être rusée, insidieuse et surprenante. Il ne vaut mieux pas la laisser entre de mauvaises mains.
- Que veux-tu dire ?
Cette poudre me semble plus dangereuse qu'autre chose. Si je dois un jour en avoir recours, je me promets de l'utiliser prudemment.
- Je veux juste te faire comprendre que ce n'est pas un jouet, qu'il ne faut pas que tu t'en serves sans savoir ce que tu fais. Mais je pense que tu as dû t'en rendre compte toute seule quand je t'en ai parlé. Ton père s'en est beaucoup servi pour corrompre les métamorphes.
Je me crispe automatiquement. Mon père ? Pourquoi parle-t-elle de lui ? Pourquoi inclure ce monstre à notre conversation ?
- Tu es au courant pour mon père ? Comment ? je demande durement.
- Ça va, détends-toi, dit-elle avec un sourire rassurant. Tu as gardé le même nom de famille que lui... C'était marqué dans ton dossier. À ta place, j'éviterais de le crier sur les toits, certaines personnes pourraient s'en prendre à toi.
Je ne réponds pas. J'ai désiré pendant tellement longtemps rencontrer mon père... Ce matin où ma mère m'a annoncé que ça ne servait à rien de le chercher parce qu'il était mort... J'étais anéantie. Mais aujourd'hui, je regrette juste d'avoir gaspillé des semaines et des semaines de déprime. J'aurais largement préféré qu'il soit mort et garder une image neutre de lui, plutôt que vivant, meurtrier et psychopathe.
Sarah, voyant bien que je commençais à sombrer dans mes pensées farfelues, s'approche de moi et me prend dans ses bras. D'abord surprise, je reste les bras ballants, ayant peu l'habitude des câlins. Je lui rends son étreinte au bout de plusieurs secondes.
- Ne t'inquiète pas, tu auras le temps d'apprendre l'histoire des métamorphes dans peu de temps, me murmure-t-elle à l'oreille. Mais, maintenant que j'y pense, ta mère ne t'a jamais parlé de lui ?
Je m'apprêtais à répondre quand mon souffle se coupe. Ma mère. Elle va rentrer du travail. Si elle s'aperçoit que j'ai encore disparu, elle va surement appeler la police. Sans plaisanter. La fois où je suis rentrée de la Vellée à dix heures du matin, sans l'avoir prévenue, lui est restée en travers de la gorge. Sans compter que je suis punie.
Je me détache brusquement de Sarah, l'esprit embrumé.
- Il faut que je rentre chez moi au plus vite... Ma mère va péter un câble en voyant que je ne suis pas à la maison, m'exprimè-je rapidement.
- Je comprends, commence Sarah avec un sourire malicieux, viens, j'ai un moyen plus rapide pour le chemin du retour.
Je la regarde, surprise. Cette fille est incroyable. Je ne sais jamais sur quel pied danser avec elle. Son humeur est très changeante. Pas autant qu'Hakan, mais elle reste dans la course.
Elle se tourne vers la porte vers laquelle nous sommes entrées tout à l'heure, la passe, et se tourne vers le mur noir du côté gauche de la porte. Je ne l'avais pas remarqué tout à l'heure, -faute de lumière- mais le mur, naturellement de couleur jaunâtre à cause de la roche, est peint en noir seulement sur un rectangle vertical qui s'étend du sol jusqu'au plafond. Elle pose sa main dessus, à plat et au milieu, avant de taper dix fois sur la peinture noir charbon.
- Pourquoi dix fois ? je demande, désarçonnée de voir que tout fonctionne avec des tapements et des chiffres.
- Parce qu'il y a dix "étages" dans le Rocher. Il y a des niveaux de cavités qui regroupent les leçons, l'entrainement, les bibliothèques, les dortoirs... La Verrière est au dernière étage, le dixième. Enfin, on a fait en sorte d'aménager le Rocher pour faire des sortes de niveaux, pour mieux se retrouver, sans doute.
Là où Sarah a toqué, le rectangle de mur noir glisse sur le côté et grince en se logeant sur la roche colorée en une teinte un peu plus jaune dans ce couloir sombre.
J'ose risquer un œil dans l'encadré. Je ne vois rien. Juste le noir.
- Ne te penche pas, m'intime Sarah, elle arrive.
"Elle" ? Comment ça, "elle" arrive ?
Un gros tuyau en fer vient de sortir du noir, en contrebas. Il vient s'imbriquer dans le plafond de pierre.
Sarah me contourne et ferme le portail de la Verrière. Je ne peux m'empêcher d'espérer revenir dans cette superbe pièce. Même si les machines m'ont fait un peu peur au début, ce n'est plus le cas maintenant. Je suis même très curieuse de voir à l'oeuvre les tuyaux et les filtres qui servaient à relier les gros cubes.
Sarah repasse devant moi, pose une main sur la rampe, et me lance un sourire impatient et surexcité. On aurait dit une vraie gamine prête à ouvrir un cadeau. Cette comparaison me fait lentement sourire. Elle prend vite la parole, les yeux brillants :
- Vu qu'on est au dernière étage, il nous suffit de glisser jusqu'en bas sans s'arrêter. Tu es prête ?
- Attends, la stoppé-je, tandis qu'elle s'approchait de la barre. Tu veux dire qu'on va devoir descendre comme les pompiers ?
Sarah sourit, visiblement amusée. Elle hoche la tête.
- Tu as une idée un peu clichée des pompiers, tu sais ?
Sans me laisser le temps de répondre, elle enroule ses jambes d'un geste expert autour de la rampe, et disparait dans le trou noir.
J'attends un peu, le temps qu'elle soit suffisamment enfoncée pour y aller. Je souffle, légèrement paniquée. Puis, je me remémore soudainement les échelles qu'elle m'a fait monter à l'aller, les quelques minutes que ça nous a pris. Mais bizarrement, sur le moment, je l'avais suivie sans broncher.
À l'instar de Sarah, j'essaie de me placer vite autour de la barre. Sans succès. Ah, quand on a la grâce d'un éléphant...
J'arrive à me mettre bien au bout de quelques secondes, puis me laisse glisser jusqu'au bas. Je ne vois strictement rien, le noir prenant place partout. Je sais juste qu'il y a peu d'espace autour de moi, juste de quoi rester accrochée à la barre sans se prendre les genoux dans la roche.
Je descends tellement vite que je sens mes cheveux se dresser sur ma tête. Le trajet me semble durer trente secondes, ce qui est un record pour moi de me retrouver dans un espace aussi confiné autant de temps sans avoir une crise de panique.
Mes pieds claquent soudainement sur le sol terreux. Sarah m'attend, le sourire aux lèvres.
- C'était cool, hein ?
- Ça peut aller. Je ne suis pas une grande fan des trucs de ce genre.
Je me détache de la barre, et me lève, vacillante. C'est à ce moment que je me rends compte à quel point je suis fatiguée. Ma grasse matinée jusqu'à treize heures me semble bien loin, maintenant.
- Allez viens, je vais te raccompagner chez toi, s'enquit Sarah. Au moins, si ta mère te surprend en train de rentrer, tu pourras toujours lui faire croire que tu étais chez moi.
Un sourire éclatant envahit le visage de Sarah. Je commence à vraiment bien l'aimer, cette fille.
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Un chapitre à peu près à l'heure, pour une fois ! ;) Et vraiment très long... Le plus long que j'ai pour l'instant jamais fait !
Alors dites-moi ce que vous en avez pensé, parce que c'était très compliqué pour moi de le faire... (quand l'inspiration nous quitte :/)
Léo laisse Kami affronter ses problèmes. La remontrance d'Hakan vous a-t-elle paru sévère ?
Apparition d'un nouveau personnage ! Vos impressions sur Romain ? Son caractère ? XD
Adriel est en voie de guérison ! Il était temps, non ? :P
Sarah fait découvrir la Verrière à Kami et elle a déjà entendu parler de son père. Quand Kami va-t-elle enfin savoir le passé des métamorphes ? Que lui cache Sarah et les autres ?
N'hésitez pas à commenter et à voter !
❤️❤️❤️
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