PARTIE VIII
La brume et la nuit submergeaient les charmilles de houx et d'immeubles. Leurs vagues pénétraient la ville dans un fracas silencieux, puis se déversaient langoureusement. Le long de chaque paroi, les flots d'une teinte encrée ondulaient autour de quelques filaments dorés, ils s'écoulaient contre ces îlots de topaze dans l'impassible océan du soir. Les rugissements marins roulaient sur le drap noir d'ivoire comme les lueurs colorées fendaient les campagnes avrillées.
Et dans cette cacophonie, Aurore demeurait sans voix. Il lui semblait entendre des murmures provenant du bout de monde, noyés dans les confins étoilés, par-delà l'ouragan nocturne. Oui, un appel résonnait à travers les nuées cristallines, s'élevait au-dessus de la nuit câline. Son nom vibrait, c'était à elle que la mer sidérale s'adressait. Aurore tressaillit, elle sentit son corps tout entier couler sous cet abîme lumineux qui la baignait constamment. La belle nébuleuse était naufragée du ciel, elle avait chaviré dans ses flots étincelants.
La jeune femme se leva d'un coup, comme envoûtée par les astres. Elle reprit peu à peu ses esprits, puis pivota vers le vieux saule. Ce dernier se languissait des constellations et divaguait dans le grand lac de l'espace. Cet arbre, c'était une planète en pleine circonvolution autour de ses étoiles chéries. Aurore ne pouvait être qu'attendrie devant de telles rêveries, elle admirait tant sa sagesse que sa passion, ses désirs comme ses grandes réflexions. Alors, elle le laissa enraciné là, les feuilles au vent et l'âme en orbite.
Un pas, puis deux, et elle s'aventura sur la rocaille aux reflets de quartz. La pluie avait cessé depuis un certain temps, mais ses larmes embrassaient encore les cicatrices du chemin sinueux. L'averse avait creusé entre les pierres pour mieux les étreindre, et la voûte d'ébène révélait leurs baisers humides et sombres. La sorgue s'immisçait brillamment dans cette flaque. Peut-être, les ténèbres flamboyaient-ils autant que la plus féerique des lumières ? Après tout, la nuit courait bien après les blancheurs du jour, et la clarté adorait le soir.
Aurore se présenta face à une allée dont la douce nitescence des lampadaires affriolait les songes. Devant elle se dressait deux rangées de feuillus, sur les berges du sentier cabossé. Un tronc cendré, des feuilles grenat, elle reconnut le sublime carmin des cerisiers.
« Belle soirée, n'est-ce pas ? clama Aurore d'un ton presque candide.
- Bien sûr, répondit l'un des cerisiers, amusé de cet abordage, la sorgue est toujours charmante !
- Même ennuagée ?
- Absolument, confia un autre végétal, que la nuit soit éclatante ou plongée dans l'obscurité, nous l'admirons chaque soir.
- Pareillement pour les jours ensoleillés, ajouta un baliveau, les matinées pluvieuses, ou tout comme chaque heure qui souffle dans nos ramages.
- Vois-tu, compléta le premier cerisier, nous contemplons la lueur. Ce soir ne paraît pas chatoyant, et pourtant... La lumière fleurit dans les prairies nocturnes. Regarde autour de toi, rien ne reste pénombre, tout se discerne, les éléments scintillent et dansent sous la lune.
- Si même les cieux assombris, continua Aurore, vous sont d'un éclat ravissant, si les profondeurs abyssales des ténèbres colorent votre existence, c'est le monde entier que vous admirez !
- Parce qu'il est beau, répliqua un nouvel arbre, il est merveilleux, il rayonne de partout ! Lorsque le soleil caresse les montagnes au loin, allonge-toi dans l'herbe ambrée, et laisse-toi emporter par la beauté céleste. La poudreuse vermeille du crépuscule, les traînées améthyste de la brume et des nouveaux empyrées lunaires, les flocons d'albâtre qui voltigent dans le turquoise olympien et les éclats d'or venant les embraser... Les mots ne suffisent pas pour décrire ces moments. Si la nature est une œuvre complète, le ciel est la toile de toutes les peintures astrales. »
Aurore sourit d'un air béat, elle ne pouvait pas vraiment donner tort au cerisier. L'aquarelle avait coulé jusque dans son cœur.
Un arbre prit la parole une seconde fois : « Ce monde, nous nous en abreuvons. Nous buvons son velours, nous vivons de ses baisers dorés. Ils sont l'essence-même de notre floraison.
- Quand vous êtes en flammes, s'égaya la belle Aurore, quand vos brasiers roses ornent le printemps.
- Nos fleurs sont de douces incendies, s'émut un autre végétal, mais nos pétales ne t'embaument pas du bon parfum du cerisier, ils sentent la lumière. »
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