7.1
Miranda se sentait terriblement seule. Non, c'était encore pire que ça : elle avait le sentiment que tout le monde était contre elle. Déjà, il y avait Gaëlle, qui semblait filer un très mauvais coton. Elle était venue lui rendre visite, sans prévenir, un soir de semaine à l'heure du dîner. Miranda était très contrariée, d'autant plus qu'elle n'avait rien à proposer à sa sœur pour manger. Ses placards et son frigo étaient désormais quasiment toujours vides, car elle avait compris qu'avec toutes les soirées qu'elle passait au travail et le caractère imprévisible de son planning, gérer des stocks et des dates de péremption était devenu au dessus de ses capacités. La plupart du temps, Miranda commandait pour se faire livrer à manger ; soit au bureau, soit à la maison. Mais là, il y avait Gaëlle qui s'incrustait, et, même si elle pouvait très bien commander deux repas au lieu d'un seul, Miranda trouvait ça malvenu.
Qui s'incrustait comme ça sans prévenir chez quelqu'un à vingt heures un soir de semaine ? Miranda aurait très bien pu être en train de travailler. Là, ce n'était pas le cas, car elle venait de s'apercevoir qu'elle était à cours de vêtements corrects, et qu'il était grand temps de faire son repassage. Mais Gaëlle était arrivée, alors la planche à repasser avait dû être rangée, et un repas commandé pour elles deux. Gaëlle avait eu le culot d'expliquer que venir sans prévenir avait été une démarche volontaire. Elle pensait que Miranda avait besoin de réinjecter dans sa vie une dose d'imprévu et de spontanéité, pour retrouver une forme de liberté. Non mais qu'est-ce qu'il ne fallait pas entendre ! Sa petite sœur qui venait prêcher la liberté, alors qu'elle était empêtrée dans un espèce d'uniforme vert et jaune. Où était la liberté quand on suivait, pour des choses aussi anodines que la façon de s'habiller, des instructions ou des normes émanant d'ailleurs ?
En effet, Gaëlle, répondant à l'étonnement de sa sœur sur sa tenue, avait confirmé qu'il ne s'agissait pas de mauvais goût vestimentaire, mais bien d'une sorte d'uniforme. Enfin, elle avait révoqué le terme d'uniforme, en expliquant qu'elle était totalement libre de s'habiller autrement si elle le souhaitait, et que, même si elle souhaitait respecter le code couleur jaune et vert, il y avait un nombre infini de modèles et d'habillages possibles. Apparemment, c'était une espèce de signe de reconnaissance propre au groupe d'énergumènes que Gaëlle était en train de rejoindre. Miranda avait bien senti que cette histoire de séjour au vert ne sentait pas bon. Maintenant qu'elle l'avait suivi, Gaëlle semblait faire toutes sortes de choses étranges pour s'intégrer dans son nouveau groupe d'amis.
Enfin, Miranda n'en savait pas grand chose en fait. A part frapper aux portes des gens sans prévenir et s'habiller n'importe comment, plus claquer son argent dans des séjours qui ne valent probablement pas plus de deux sous, Gaëlle ne semblait rien faire d'autre. Elle parlait toujours comme une personne à peu près saine d'esprit, même si ses propos intégraient toutes sortes de phrases étranges et de contradictions. Mais cette histoire de fringues avait vraiment choqué Miranda. Ce n'était pas un simple code couleur, mais un maillage spécifique impliquant des losanges avec une certaine proportion de jaune et de vert. Apparemment, il y avait un nombre infini de vêtements avec ce motif, de la mini-jupe à la doudoune en passant par le survêtement et la veste de costume. Bien évidemment, il fallait tous les acheter en donnant de l'argent à cet arnaqueur de monsieur Bardi. Le pire, c'est que Gaëlle avait eu le culot de dire que, même en se limitant à ce vestiaire aux losanges jaunes et verts, elle avait plus de liberté vestimentaire que Miranda et sa collection de tailleurs sans diversité. Ça n'avait vraiment strictement rien à voir. Même le dress code que Miranda avait mis en place pour formaliser les règles nécessaires d'une certaine élégance et d'un certain sérieux à refléter, dont elle n'avait pas osé parler à sa sœur, n'avait strictement rien à voir avec un dispositif d'extorsion pour vendre des fringues hideuses en faisant croire aux gens que ça leur permettrait de reconnaître leurs semblables, quoi que ça veuille dire.
Gaëlle débloquait complètement. Elle avait encore essayé de convaincre Miranda d'abandonner son boulot pendant des semaines entières afin de s'inscrire elle aussi dans l'un de ces séjours au vert, qui offraient soit disant une expérience révolutionnaire. Après, Gaëlle avait du sentir que sa sœur était sceptique et fermée à tout ce baratin, car elle avait arrêté d'essayer de la convaincre et avait complètement changé de sujet. Elle avait essayé de parler du départ de Michel, et de s'engager dans une sorte de psychanalyse bidon où elle faisait l'hypothèse que Miranda se noie dans le boulot pour éviter d'affronter sa souffrance. Ça, c'était vraiment n'importe quoi ! La preuve de la fausseté de cette hypothèse, c'est que l'investissement de Miranda dans son boulot avait nécessairement précédé le départ de Michel, vu qu'il en avait été la cause. Miranda n'avait vraiment aucune envie de parler de tout ça. Elle avait demandé à Gaëlle de rentrer chez elle en prétextant qu'elle était trop fatiguée pour penser à tout ça (ce qui était vrai, d'ailleurs), et, contre toute attente, Gaëlle avait accepté.
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