3.3
Léna aurait préféré faire passer des entretiens toute la journée (de préférence de 9h à 18h, ou même plus tôt), mais, globalement, elle était satisfaite de ses journées. Le rythme était un peu intense mais, comme ce qu'elle faisait la passionnait, elle ne le vivait pas comme une contrainte. Tout ce qu'elle faisait était un plaisir, et ce qui n'était pas un plaisir (généralement, la partie commerciale et communication) était au moins quelque chose d'instructif qui la faisait grandir. Elle avait des journées bien remplies, et qui filaient à une vitesse éclair. Alors, dans ses conditions, évidemment, les journées ne lui semblaient pas trop longues.
Les journées ne lui semblaient pas trop longues, mais les soirées lui semblaient trop courtes ; et c'était là tout le problème. Elle n'avait presque plus l'occasion de voir Lucien. Heureusement qu'ils vivaient ensemble parce que, si ça n'avait pas été le cas, ils ne se verraient probablement que le week-end. Le temps que Léna rentre chez eux, il était souvent près de vingt-et-une heures et, même si Lucien avait préparé le dîner, il ne restait quasiment que le temps de le manger, de raconter sa journée, et d'aller se coucher. Enfin, il y avait aussi une série TV qu'ils tentaient de regarder, mais Léna n'arrivait pas à la suivre. Soit elle était fatiguée et s'endormait devant, soit elle laissait ses pensées dévier et se retrouvait à réfléchir aux gens qu'elle avait rencontrés dans la journée. Parfois, elle arrivait à se concentrer sur la série, mais, alors, elle était pommée à cause de ce qu'elle avait loupé les jours précédents. Au moins, elle était près de Lucien et, au fond, c'était ce qui comptait.
Là où ça devenait compliqué, c'est quand il y avait des histoires de factures et d'assurance à gérer. Léna aurait voulu attendre le week-end pour y penser mais, vu l'état du plafond au dessus de leur lit, ce n'était pas envisageable. Ils avaient pris en urgence un rendez-vous avec l'assurance, et Léna avait dû demander sa soirée à Miranda. Lucien s'était presque énervé, parce qu'il ne comprenait pas que Léna doive "demander sa soirée", alors qu'elle avait un emploi qui, officiellement du moins, n'impliquait pas de travailler pendant ses soirées. Pourquoi avait-elle besoin de demander à ne pas travailler sur des horaires qui étaient déjà en dehors de son temps de travail ? Léna pouvait concevoir que Lucien s'en offusque mais trouvait que s'énerver était peut-être disproportionné. Certes, elle avait peut-être utilisé une expression maladroite en parlant de "demander sa soirée" mais, en vérité, ce n'était pas ce dont il était question.
Encore une fois, Léna prenait ses rendez-vous d'accompagnement elle-même. Miranda ne l'avait pas obligée à prendre des rendez-vous après dix-huit heures. Léna faisait ce qu'elle voulait, parce que Miranda lui faisait confiance. Elle recevait des appels ou des e-mails de personnes à accompagner, et gardait la maîtrise complète sur son planning. Aujourd'hui, Miranda ne lui demandait même pas de comptes sur le nombre de rendez-vous ou quoi, justement parce qu'elle lui faisait confiance. Mais si Miranda faisait confiance à Léna, c'était aussi parce que Léna se montrait digne de confiance. Si elle n'était pas capable de proposer à quelqu'un un créneau suffisamment rapide et compatible avec ses possibilités, la personne se tournerait vers un autre cabinet. Enfin, Léna pouvait aussi demander à Miranda d'assurer le rendez-vous, mais Miranda avait aussi souvent déjà ses propres rendez-vous. Ce soir là, par chance, ce n'était pas le cas, et elle avait pu assurer elle-même le rendez-vous de Léna.
Léna ne voyait vraiment pas pourquoi Lucien en faisait toute une histoire. Peut-être qu'il avait mal pris son hésitation. C'est vrai qu'elle avait eu du mal à passer ce coup de fil à Miranda pour lui demander de reprendre son rendez-vous. Elle voyait bien que son agenda était libre, mais lui demander était difficile. Léna aurait aussi pu appeler la personne et déplacer le rendez-vous mais, à sa place, elle n'aurait pas aimé qu'on lui fasse ça ; surtout que le prochain créneau libre sur cet horaire n'était pas avant deux semaines. Alors, elle avait pris son courage à deux mains et demandé un coup de main à sa boss. Lucien ne pouvait-il pas comprendre qu'il puisse être compliqué et intimidant de demander de l'aide au directeur de son cabinet, quand bien-même celui-ci ne comporte que trois personnes ?
Miranda avait très bien réagi, comme si l'aider était une évidence, et qu'il fallait bien évidemment que Léna gère ses problèmes de plafond. Malgré ça, Léna se sentait coupable. Elle avait le sentiment de ne pas avoir été fiable, sur ce coup là. Il fallait presque faire un choix. Parce que, si elle avait été fiable pour Miranda en conservant son rendez-vous, c'était envers Lucien qu'elle n'aurait pas été fiable, le laissant gérer seul leurs galères d'appartement. Il faut dire que, dans une situation telle qu'un rendez-vous avec un assureur, Léna gérait beaucoup mieux que Lucien, alors le lâcher là dessus aurait vraiment été inadmissible. D'ailleurs, Léna ne l'avait pas vraiment envisagé sérieusement. Mais, oui, peut-être que, l'espace de quelques instants, elle avait hésité.
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