Gaëlle n'avait rien dit là dessus à sa sœur, mais il y avait aussi eu autre chose, le week-end précédent, qui la poussait à se méfier. Gaëlle avait suivi une formation de deux jours, dispensée par madame Ouka, qui approfondissait les méthodologies de formation et qui étendait aussi le cursus en leur apprenant comment animer des ateliers d'échanges de pratiques. A chaque fois, il y avait des urnes dans lesquelles les participants se libéraient de leurs secrets et, ce qui interrogeait Gaëlle, c'était que les papiers étaient conservés. Madame Ouka avait dit ça, l'air de rien, en leur expliquant de vider les urnes dans une enveloppe et d'en conserver le contenu pour le leur remettre ultérieurement. Personne n'avait réagit, comme si c'était parfaitement normal. Madame Ouka avait tenu des propos énigmatiques en disant que l'étude des papiers devait permettre d'identifier si de nouveaux sujets devraient être intégrés aux cursus de formation, et personne n'avait cherché à en savoir plus. Ça questionnait Gaëlle qu'on garde les secrets d'entreprise des gens pour les lire, et ça la questionnait encore plus que ça semble parfaitement acceptable à tout le monde. C'était ce genre de choses qui la poussaient à se méfier, tout comme l'histoire de Jenna.

Et puis, il y avait aussi eu la réaction de monsieur Bardi quand Gaëlle lui avait confié les choses qu'elle avait, trop longtemps, gardées pour elles. Monsieur Bardi était venu les saluer à la fin de cette formation et Gaëlle, avant qu'il ne parte, avait demandé à lui parler en aparté. Le poids du secret devenait trop lourd à porter, et elle avait besoin de lui dire qu'elle avait croisé Jenna, et aussi que ses proches à elle pensaient qu'il était un gourou. Gaëlle aurait pensé que monsieur Bardi rigolerait, qu'il lui dirait qu'elle avait le droit de croiser Jenna, et qu'il lui parlerait une nouvelle fois des préjugés que les gens pouvaient avoir envers les initiatives comme les leurs. A la place, il avait remercié Gaëlle de ce qu'elle lui rapportait, en insistant, à son sens un peu trop, sur l'importance qu'il y avait à venir lui parler chaque fois qu'elle entendait des choses comme ça.

Monsieur Bardi avait confirmé qu'il connaissait déjà le cas de Jenna, et il avait dit suspecter que celle-ci n'était pas vraiment rompu avec la fameuse Judith; comme Gaëlle l'avait elle-même pensée. Monsieur Bardi avait encouragé Gaëlle à garder contact avec Jenna et à l'alerter si jamais elle découvrait que cela était vrai, insistant sur l'influence toxique que pouvait avoir la Judith en question. Il avait ensuite conseillé à Gaëlle de se méfier de l'influence toxique que pouvaient avoir ses propres proches, nuançant néanmoins en expliquant que beaucoup de gens semblaient penser ça du groupe quand ils ne le connaissaient pas. Il avait affirmé que c'était à cause de toutes les véritables sectes qu'il y avait des amalgames, et encouragé Gaëlle à rassurer ses proches en leur parlant de tout ce que le groupe lui apportait, et en taisant tout ce qui pourrait leur sembler bizarre et susciter leur méfiance.

Gaëlle avait été déçue de cette discussion, car elle ne comprenait pas que monsieur Bardi lui demande d'espionner Jenna. Ce n'était pas directement ce qu'il avait dit, mais c'est comme ça qu'elle l'avait pris. Jusque là, il ne fallait pas créer de liens trop proches avec qui que ce soit au risque de susciter des déséquilibres mais, aujourd'hui, quand ça l'arrangeait, Gaëlle était invitée à appeler Jenna et à prendre des cafés avec elle toute les semaines. Comme si ce genre d'initiatives n'allait pas sembler suspect à Jeanna. C'est d'ailleurs ce que Gaëlle avait dit à monsieur Bardi, espérant par là échapper à cette corvée d'espionnage. Elle avait dit qu'elle ne se sentait pas de la contacter car, comme elles avaient parlé ensemble de cette règle sur les affinités sélectives, Jenna se méfierait forcément. Monsieur Bardi avait acquiescé, semblant accepter cette excuse en disant quand même à Gaëlle de prêter attention à ce qu'elle capterait si jamais elle recroisait Jenna par hasard.