23.2
En plus, le jour où Michel avait sorti son réquisitoire, Gaëlle était particulièrement joyeuse. Elle allait donner le lendemain sa première formation, et Michel avait presque réussi à lui plomber le moral. Heureusement, elle était partie avant qu'il ne parvienne totalement à le faire. Il fallait qu'elle reste loin des personnes toxiques, et Michel, quand il adoptait cette attitude condescendante et suspicieuse, en était assurément une. Gaëlle s'était retenue de lui balancer ça à la figure car, à tous les coups, il l'aurait aussi interprété comme un signe qu'elle faisait partie d'une secte. Elle avait juste dit qu'elle devait rentrer chez elle pour se préparer à sa journée du lendemain, et elle avait refusé de répondre à Michel quand il lui avait demandé ce qu'il y avait le lendemain.
Gaëlle avait posé un jour de congé de son boulot et avait acheté des billets de train pour partir, à 6 heures du matin, vers le lieu de la formation. C'était la première session réelle à laquelle elle participait, et c'était, pour cette première, en binôme avec madame Ouka que la formation serait animée. Gaëlle ne connaissait toujours pas son prénom, mais elle avait l'espoir de l'apprendre ce jour-là. Gaëlle elle-même s'était présentée aux participants par son nom de famille, et, pendant la formation, ils avaient été six managers à les écouter d'une oreille captivée. Elle avait appris par cœur les discours dont elle avait pris note lorsque madame Ouka leur avait fait les sessions blanches, et elle avait été capable de les recracher sans se tromper. C'était tellement facile, quand elle était elle-même si convaincue de tout ce qu'elle énonçait. Elle parlait avec passion, et elle sentait que ça faisait effet.
Ce qui inquiétait plus Gaëlle, c'était de répondre aux questions et commentaires des participants mais, heureusement, madame Ouka était là pour l'aider là dessus. Plus heureusement encore, aucun des managers n'était si casse-pieds que Michel, et personne n'avait vraiment cherché à les contredire. Le matin était lié à l'exorcisation de leurs difficultés, et ils avaient essentiellement parlé, racontant leurs problèmes du quotidien. Ils venaient de six entreprises différentes et, du coup, ils pouvaient parler librement. Parmi les difficultés que les managers rencontraient souvent, il y avait notamment le fait de devoir garder pour eux certaines informations sensibles, sans pouvoir se montrer transparents avec leurs salariés. Là dessus, c'était généralement des informations d'entreprise confidentielles, donc on ne pouvait pas leur demander de les énoncer à voix haute. A la place, ils les écrivaient sur des bouts de papiers et étaient invités à les jeter dans une urne après les avoir froissés en boule. Gaëlle avait demandé à madame Ouka ce qu'ils faisaient ensuite de l'urne, mais elle n'avait pas eu sa réponse. Madame Ouka s'était à ce moment là mise à parler d'autre chose, mais Gaëlle supposait qu'ils vidaient l'urne et broyaient les papiers.
Ces formations étaient vraiment menées dans une ambiance bon enfant, et carrément libératrices. Les managers semblaient heureux de parler de leur activité sans avoir besoin de jouer le rôle qu'ils étaient au quotidien forcés d'endosser face à leurs subalternes. Dans ces formations, ils se sentaient libres et ils ne se privaient pas pour le dire. C'était tellement plaisant pour Gaëlle de participer à ça, même si ça la rendait triste de penser qu'ils rechausseraient probablement, dès le lendemain, leur costume autoritaire. Ils étaient humains derrière ça, elle l'avait toujours su, mais elle ne pensait pas que la formation soit vraiment suffisante pour les motiver à rester humains au quotidien. Les managers, comme tout le monde, avaient tellement d'autres obligations et injonctions auxquelles se plier. C'était frustrant mais, si au moins l'un d'eux finissait par se questionner et prendre un jour une décision radicale, ça valait amplement le coup.
Au final, même s'ils leurs insufflaient de la philosophie, c'était avant tout les managers qui faisaient la formation. Il y avait beaucoup d'échanges, des jeux de rôles, des quizz et des activités en tous genres. Ils apprenaient à redevenir enfants, à se mettre à la place de leurs équipes, et à se remémorer leur humanité. Voilà ce qui comptait vraiment, même si plusieurs d'entre eux semblaient incapables de se retenir de répondre à leurs e-mails en parallèle. Les ordinateurs étaient interdits et, vers 15h00, madame Ouka s'était trouvée contrainte de confisquer les téléphones. Ces managers n'avaient aucun self contrôle, et l'une d'elle, qui semblait incapable de vivre sans connexion, avait alors quitté définitivement la salle en disant qu'elle ne pouvait pas poursuivre si c'était dans ses conditions. Ça avait heurté Gaëlle, qui n'arrivait pas à savoir si la dame avait été vexée de la confiscation (peut-être un peu infantilisante), si elle avait vraiment obligation d'assurer des échanges indispensables, ou si elle était juste trop accro à son téléphone. Dans tous les cas, Gaëlle trouvait ça triste de vivre dans un monde où les gens réagissent comme si on leur demandait de se séparer d'une part d'eux-mêmes, alors même qu'on est en train d'essayer de les reconnecter à eux-mêmes en les amputant de ces excroissances aliénantes que sont les téléphones.
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