22.1
En rentrant chez elle ce soir-là vers vingt-et-une heure, Miranda trouva sur le pas de sa porte Michel tranquillement posé en tailleur sur le sol, feuilletant les pages d'un livre tout en en surlignant des passages. Il avait l'air d'un fou, et, lorsqu'il commença à lui parler, il eut encore plus l'air d'un fou. Il n'avait pas oublié qu'il n'habitait plus là. Il n'avait pas oublié qu'il n'avait plus les clefs, et il n'avait pas oublié non plus que Miranda ne rentrait jamais avant vingt heures. Pourtant, ce jour-là à dix neuf heures, Michel était venu devant sa porte, passer deux heures à relire un livre qu'il avait déjà lu et qu'il semblait mépriser, attendant de pouvoir lui parler. A ce qu'il disait, il s'inquiétait pour Gaëlle, qui serait tombée sous l'emprise d'une secte.
Pendant deux secondes, Miranda s'était dit que Michel était fou, ou qu'il ne savait plus quoi inventer pour trouver une excuse afin de lui parler. La troisième seconde, Miranda s'était souvenue que Michel n'avait rien d'un fou et que Gaëlle était effectivement assez bizarre ces derniers temps. Elle eut envie de comprendre le raisonnement de Michel même si, à son niveau, elle pensait que parler de secte était aller un peu loin. Pour elle, Gaëlle s'était juste enfoncée dans une série de lubies bizarres influencées par de nouveaux amis un peu ésotériques. Mais Michel savait se montrer convainquant. Il semblait être venu en ayant préparé son argumentation tel le professeur qu'il était. Il avait cet ouvrage qui lui aurait été prêté par Gaëlle, et des phrases surlignées dont il semblait capable d'expliquer le caractère pernicieux. Il avait aussi une série de question sur Gaëlle, et Miranda était bien forcée de reconnaître que les réponses qu'elle apportait n'allaitent pas vraiment dans le bon sens.
Il y avait eu le séjour camping qui avait coûté les yeux de la tête. Ensuite, il y avait eu la venue de Gaëlle le soir où elle avait tenu des propos incohérents ; comme si elle essayait de partager ses croyances avec Miranda. Il y avait eu l'éloignement qui avait suivi, avec l'annulation de son anniversaire. Pour finir, il y avait les bizarreries alimentaires et l'évanouissement qui lui avait valu une hospitalisation. Sans oublier les bizarreries vestimentaires. Miranda ne savait pas grand chose d'autre et, en même temps, maintenant qu'elle mettait toutes ces choses bout à bout, elle se disait qu'elle aurait peut-être dû s'inquiéter plus tôt. Peut-être que c'était juste l'influence d'un groupe d'amis bizarres plutôt qu'une machination organisée mais, même si c'était le cas, peut-être fallait-il se préoccuper un peu plus de l'impact que ça pouvait avoir sur Gaëlle. Et puis, aucun groupe d'amis bizarres n'escroque de l'argent avec des séjours organisés. Miranda ne savait même pas dire s'il y avait eu d'autres séjours ou pas, tant sa sœur s'était éloignée d'elle.
Michel expliquait que ce fameux bouquin pouvait tout à fait passer pour un guide de développement personnel comme un autre mais que, ce qui l'avait alerté, c'était l'attitude défensive dont Gaëlle avait fait preuve lorsqu'il lui avait donné son avis dessus. Apparemment, elle n'avait pas du tout apprécié que son enthousiasme ne soit pas partagé, et Michel avait senti un attachement à ce livre qui sortait de l'ordinaire. Gaëlle avait quasiment fui alors qu'il s'agissait d'une conversation on ne peut plus normale pour Michel, et il avait ensuite éprouvé le besoin de relire le livre. Ensuite, il avait fait des recherches internet sur ce fameux monsieur Bardi, et il n'avait rien trouvé d'autre que ses livres. Il n'y avait pas de pages sur les réseaux sociaux, de conférences en ligne, ou quoi que ce soit d'autre qu'on puisse attendre d'un auteur de développement personnel ou même juste d'une personne lambda. En même temps, c'était compliqué de faire des recherches sans prénom (seule l'initiale M étant précisée sur la couverture des libres), et Michel ne savait pas s'il était ou non passé à côté de quelque chose. Pendant que Miranda lui parlait de l'organisation des séjours, il avait tenté une nouvelle recherche, mais n'avait trouvé aucune entreprise de ce type qui soit directement associée au nom de Mardi.
Miranda avait le sentiment que Michel accusait quand même ce monsieur Bardi sans réelles preuves. Elle considérait que l'organisation de séjours hors de prix, tout comme l'écriture de bouquins de développement personnel, étaient dans tous les cas des arnaques. Elle savait bien que Gaëlle s'était faite arnaquer, mais c'était des arnaques légales et Miranda ne voyait pas forcément plus loin. Tant que Gaëlle n'était pas à découvert et ne venait pas lui demander de lui prêter de l'argent pour financer ses lubies, y avait-il vraiment un problème ? C'était bête et simpliste de penser comme ça, mais Miranda n'avait pas vraiment eu le temps de chercher plus loin. Maintenant, il y avait Michel, là devant elle, qui lui parlait d'emprise mentale et d'impact sur la liberté de pensée de sa sœur. Ça semblait en même temps hallucinant et en même temps indéniable. Ça se voyait qu'il y avait une influence sur Gaëlle. Mais, en même temps, est-ce qu'on n'est pas tous toujours un peu influencé par des choses ou des gens ? Gaëlle avait complètement changé oui mais, si on y pensait, Miranda, elle aussi, avait complètement changé depuis qu'elle avait décidé de prendre un tournant dans sa vie. A partir de quel moment peut-on décréter que suivre une influence n'est plus un choix libre ?
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