A peine un soulagement arrivait, une nouvelle inquiétude semblait venir le remplacer. Miranda avait pu parler individuellement à chacun de ses salariés, et ce qu'elle avait entendu l'avait plutôt rassurée. Dans l'ensemble, ils semblaient véritablement et sincèrement se plaire chez Toivoiose. Ils étaient conscients et contents de la chance qu'elle leur offrait de se faire de l'expérience dans le métier, d'apprendre rapidement, et de contribuer à la création du cabinet. Bien sûr, il y avait la petite Charlotte qui craignait de ne pas être suffisamment dédiée à sa montée en compétence sur les sujets purement professionnels, mais c'était probablement juste un petit manque de confiance en elle qui la faisait douter. Miranda allait suivre ça de très près, mais elle n'était pas inquiète outre mesure. Bien sûr, il y avait aussi des petits points noirs (ou au moins gris) qui étaient soulevés par plusieurs personnes, telles que la crainte de ne pas être à la hauteur et le sentiment de ne pas forcément avoir assez de ressources pour tout faire au mieux, mais ce n'était rien de grave.

Miranda faisait pleinement confiance à ses salariés ; elle les voyait capables de tellement. Peut-être juste qu'eux n'étaient pas encore capables de se voir ainsi. Miranda était certaine d'avoir raison de croire en eux, mais elle pouvait aussi comprendre que ça puisse susciter un sentiment de pression pour certains. Ce sentiment de pression, c'est ce que Miranda avait pu sentir, en filigrane de plusieurs des discours. D'une certaine manière, même si personne d'autre que Charlotte ne semblait questionner l'envie de poursuivre le défi que représentait l'investissement chez Toivoiose, d'autres semblaient susceptible de ressentir une pareille crainte de ne pas se montrer au rendez-vous des exigences. De les entendre exprimer tout ça, ça avait surtout montré à Miranda à quel point ils étaient investis et avaient envie de faire du mieux possible. Ironiquement, les entendre exprimer leur manque de confiance, à elle, ça lui avait complètement redonné confiance.

Et puis, il y avait eu ce coup de fil de l'hôpital. Miranda avait dû quitter le bureau en précipitation, pour aller voir Gaëlle, qui, semble-t-il, avait été retrouvée inconsciente en pleine rue. Finalement, la situation avait été maîtrisée et Gaëlle allait bien ; au moins physiquement. Apparemment, elle s'était évanouie sans crier gare, et des passants avaient appelés les secours. D'après les médecins, la manière dont Gaëlle s'était sous-alimentée avait créé des carences, et les perfusions qu'ils avaient installées avait suffit à rectifier la situation. Cependant, si on ne voulait pas que ça se reproduise, il fallait comprendre ce qu'il arrivait à Gaëlle. Il fallait pouvoir la suivre s'il s'agissait d'autre chose que d'un déséquilibrage passager et accidentel.

Gaëlle s'était toujours trouvée jolie, et n'avait jamais eu de manque de confiance en elle ou quoi que ce soit qui aurait pu laisser craindre à Miranda qu'elle puisse souffrir d'anorexie ou d'un quelconque trouble alimentaire. Effectivement, Gaëlle ne souffrait pas d'anorexie. Quelque part, c'était dommage car, l'anorexie, au moins, on pouvait trouver des spécialistes pour tenter de la traiter. Ce qui semblait aller de travers chez Gaëlle, c'était beaucoup plus complexe à gérer pour Miranda, tout simplement car elle ne le comprenait pas. Miranda était là, face à un lit d'hôpital, et Gaëlle y reposait souriante, parlant comme si de rien n'était et comme si ce petit incident ne révélait aucun problème sous-jacent. Gaëlle expliquait qu'elle avait voulu changer son mode d'alimentation et faire preuve de plus de sobriété pour des raisons purement philosophiques et que, si elle s'était évanouie, c'était tout simplement car elle avait oublié de se poser la question de l'équilibre alimentaire. A l'entendre, c'était une simple étourderie.

Miranda comprenait, en filigrane, que les changements dans l'alimentation de Gaëlle n'étaient pas tout à fait de son propre fait, et qu'elle semblait avoir été influencée par son nouveau groupe d'amis aux vêtements jaunes et verts. Apparemment, ils avaient la lubie de manger en plusieurs petites collations plutôt qu'en repas complets mais, à entendre Gaëlle, aucun aliment n'était théoriquement exclu et elle pourrait totalement composer une alimentation équilibrée en continuant de suivre ce principe. Franchement, Miranda ne parvenait pas à comprendre en quoi ce genre de pratique farfelue pouvait être considéré comme de la philosophie, et elle ne parvenait pas non plus à savoir si ça devait être considéré comme dangereux. Gaëlle semblait parfaitement sensée et avait même déjà commencé, depuis son lit d'hôpital, à faire des recherches sur l'équilibre alimentaire, bien décidée à appliquer désormais tous les principes conseillés par les nutritionnistes. En plus, ces bizarreries ne semblaient pas relever d'une quelconque arnaque, car les aliments consommés par Gaëlle continuaient de venir de son supermarché habituel. Peut-être qu'il n'y avait pas vraiment lieu de s'inquiéter plus que ça.