18.3
Des fois, Léna en venait à se dire que Miranda n'était pas sur la même longueur d'ondes qu'elle. Léna avait pourtant le sentiment de la comprendre, mais elle avait aussi et surtout le sentiment que Miranda ne la comprenait pas en retour. Elle tentait de lui parler mais ne sortait jamais avec le sentiment d'avoir été vraiment entendue. C'était un échange qui ne servait à rien. Après l'entretien qu'elles venaient d'avoir, Miranda avait peut-être le sentiment de mieux comprendre maintenant ce que pensait Léna mais, en réalité, probablement qu'elle la comprenait encore moins qu'avant.
A part l'intégration de Kelly sur le projet formation, rien n'allait changer. Miranda allait continuer de formuler autant d'attentes implicites, et tous les facteurs d'insatisfaction existants allaient être conservés. En plus, la pauvre Kelly, à qui on n'avait rien demandé, allait se voir en charge de l'animation de toutes ces formations, et n'allait peut-être pas être contente d'avoir encore moins de temps à consacrer à ses autres sujets. Ça allait faire encore une attente de plus pour elle, et, cette fois, ce serait à Léna que Kelly le devrait.
D'ailleurs, Léna s'était empressée d'annoncer la nouvelle à Kelly. Elle avait bien envie de le lui dire en s'excusant et en lui expliquant ce qu'il s'était réellement passé mais, en même temps, elle gardait à l'esprit qu'en tant que Référente, elle gardait aussi la mission de préserver un état d'esprit positif et motivant. Léna était donc allée vers Kelly avec un grand sourire, lui expliquant qu'elle avait été identifiée pour une belle opportunité. Ça lui avait semblé sonner faux même si, pourtant, ce n'était pas faux du tout. C'était vrai que se serait une super opportunité pour Kelly. Léna avait expliqué à Kelly qu'elle trouvait qu'elle progressait vite, qu'elle avait toute confiance en elle pour assurer ce rôle, et que ce serait une occasion de consolider ses compétences. En disant ça, Léna s'était de nouveau entendue sonner juste. Elle pensait vraiment ce qu'elle disait. C'était les raisons pour lesquelles elle avait eu l'idée de proposer que ce soit Kelly qui anime les formations, et il fallait qu'elle assume cette idée.
Kelly avait l'air heureuse, et Léna en avait été soulagée. Kelly avait embrayé toute seule en disant qu'elle savait que c'était normalement Léna elle-même qui devait animer ces formations et que, si elle avait été identifiées comme capable de prendre ce rôle à sa place, c'était un immense honneur. Elle avait aussi ajouté un mot gentil en disant qu'elle voyait bien que Léna était très occupée, et que ça lui faisait très plaisir de pouvoir la décharger un peu en reprenant ce sujet. Comme Kelly avait fait ses propres hypothèses, Léna n'avait même pas eu besoin de se justifier. En même temps, les hypothèses de Kelly, d'une certaine manière, étaient tout à fait justes.
Léna s'était presque sentie mal à ce moment là. Elle voyait bien que Kelly sentait qu'elle progressait plus vite que d'autres et qu'elle s'en sentait fière. En général, c'était une chose que Léna tentait d'encourager plutôt que de décourager. Pourtant, d'une certaine manière, la veille, elle avait peut-être découragé ça. Elle avait surpris une conversation dans le bureau, où Yvan demandait un avis à Kelly sur une question métier, et où celle-ci lui répondait somme toute plutôt très bien. Léna s'était incrustée dans la conversation, ajoutant un point de précision et rappelant à Yvan qu'il pouvait aussi la solliciter directement s'il avait des questions. Pourquoi Léna avait-elle agit ainsi ? Avait elle craint que les informations transmises par Kelly soient incomplètes, ou avait-elle craint de perdre son statut de Référente ?
C'était ridicule, car Léna avait bien envie, tout en restant Référente, de pouvoir être appuyée. Dans l'idée que Léna avait de sa mission, rendre les nouveaux autonomes, c'était aussi les rendre capable de transmettre leurs connaissances à d'autres. Si Léna faisait confiance à Kelly pour transmettre ses connaissances à des étudiants en formation, il n'y avait aucune raison pour qu'elle ne lui fasse pas confiance pour les transmettre à ses collègues. Il ne fallait pas créer de rivalités en donnant à Kelly une reconnaissance officielle de ce niveau supérieur, mais si, sur certains sujets, ses collègues identifiaient spontanément qu'elle pouvait leur apporter un renfort, il n'y avait aucune raison de les décourager de lui poser des questions. En plus, ce jour-là, Yvan avait déjà interrompu Léna à cinq reprises pour lui demander ses conseils, et elle pouvait tout à fait comprendre qu'il n'ait pas osé la déranger une sixième fois et qu'il ait préféré poser sa question à quelqu'un d'autre.
Si Léna ne devait pas s'excuser pour le fait d'avoir proposé Kelly sur les sujets des formations, elle pouvait au moins lui présenter des excuses pour ça. Elle l'avait donc remerciée de souhaiter l'aider, et avait ajouté qu'elle lui faisait confiance pour beaucoup de choses, et qu'elle ne comprenait pas pourquoi elle avait eu cette réaction là, la veille, avec Yvan. Au début, Kelly n'avait pas semblé voir de quoi parlait Léna et, quand Léna lui avait expliqué, Kelly avait secoué la tête. Kelly avait dit que Léna n'avait pas à s'excuser, car l'ajout qu'elle avait fait à sa réponse était tout à fait pertinent et utile. Ça n'effaçait absolument pas la culpabilité de Léna. Léna savait que son ajout d'information complémentaire était pertinent, mais elle savait aussi qu'elle aurait pu ajouter à cette réponse vingt autres informations qui auraient été des précisions pertinentes. Elle savait aussi que Kelly aurait probablement pu en faire elle-même tout autant. La réponse donnée par Kelly était pleinement satisfaisante, et il n'y avait pas de raison de venir y fourrer son nez. Léna, craignant trop de perdre la face, n'avait pas pu lui dire ça. Elle avait quand même pu rappeler qu'elle considérait Kelly comme parfaitement légitime pour répondre aux questions de ses collègues. Elle avait même ajouté que d'ailleurs, elle leur faisait à tous confiance pour répondre aux questions auxquelles ils sentaient capables de répondre, et pour renvoyer vers elle les demandes s'ils avaient le moindre doute sur la réponse à donner.
Kelly avait remercié Léna, et elle lui avait demandé à quoi s'attendre pour l'entretien avec Miranda. Léna ne savait pas trop quoi répondre. Elle avait envie d'expliquer à Kelly que Miranda était parfois un peu maladroite, mais qu'il fallait garder à l'esprit que tout ce qu'elle faisait était parce qu'elle souhaitait sincèrement leur bien-être. Léna ne se sentait pas le droit de qualifier Miranda de maladroite ou de dire quoi que ce soit de potentiellement négatif à son sujet, donc elle n'avait exprimé que la deuxième partie de l'idée. Léna espérait quand même que Miranda n'allait pas demander aux nouveaux de rapporter les sentiments de leurs collègues, et que, si elle lui avait posé la question à elle, c'était uniquement en vertu de son statut de référente. Mais ça, elle l'avait gardé pour elle aussi.
Léna avait conseillé àKelly d'être sincère, lui expliquant que Miranda semblait juste vouloiridentifier les choses qui pouvaient être sources d'insatisfaction etsusceptibles d'être améliorées dans le fonctionnement du cabinet. Elle nesavait même pas trop si elle croyait à ce qu'elle venait de dire. Que Mirandacherche à identifier les facteurs d'insatisfaction, c'était certain. Qu'ellefasse cela dans une recherche sincère d'amélioration de tout ce qui pouvaitl'être, Léna en doutait un peu plus. Miranda, comme tout dirigeantd'entreprise, cherchait probablement à améliorer tout ce qui pouvait êtrefavorable au bien-être de ses salariés seulement dans certaines limites. Lalimite, c'était probablement celle de ne pouvoir envisager que ce qui nes'opposerait pas à sa vision de ce que le cabinet devait être, de ses objectifset du type de dynamique qu'elle avait envie qu'ils incarnent. C'était en unsens légitime, et c'est pour ça que ça rendait si difficile pour Léna depouvoir expliquer ce qu'elle ressentait comme un poids. Dire à un dirigeant quela vision qu'il a nous pèse, ce serait probablement outrepasser ses fonctions,ou signaler qu'on n'est peut-être pas tout à sa place dans l'entreprise. En mêmetemps, y a-t-il vraiment des salariés qui sont à cent pour cent alignés avecl'ensemble des aspects de la vision de leur dirigeant et de ce qu'elle impliqueau quotidien pour eux ?
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