18.1
Léna trouvait particulièrement anxiogène le discours que Miranda avait tenu dans la matinée, et elle attendait de savoir à quelle sauce elle allait être mangée. C'était assez rare que Miranda, sans avoir prévenu en amont, demande à tous les rassembler dans la salle de réunion pour faire une annonce. C'était encore plus rare qu'elle fasse ça lorsqu'elle n'avait rien à annoncer. Elle avait fait un discours très énigmatique, mentionnant l'idée qu'elle aurait eu des échos laissant entendre que certains d'entre eux pourraient ne pas être pleinement épanoui au sein de l'entreprise. Léna s'était sentie visée, même si elle ne voyait pas du tout ce qui pourrait avoir été rapporté à Miranda la concernant. C'était vrai que Léna n'était pas pleinement épanouie. En même temps, elle avait aussi conscience du caractère délirant du discours de Miranda, partant du principe que personne n'était jamais totalement épanoui, et encore moins au sein d'une entreprise.
Apparemment, Miranda avait eu vent de potentielles insatisfactions sur l'organisation du travail, et elle avait décidé d'organiser des entretiens individuels pour que chacun puisse exprimer en toute transparence ce qu'il avait sur le cœur. Léna ne savait pas trop comment elle devait prendre ça. Elle pensait Miranda sincère dans ses intentions, mais, en même temps, sa demande lui semblait problématique. Léna ne se voyait pas du tout confier à Miranda tout ce qu'elle pouvait avoir sur le cœur, ou tout ce qu'elle pouvait avoir dans la tête. Si elle faisait ça, elle devrait parler de Lucien, et elle n'avait aucune envie de confier cette part de sa vie à Miranda. Ensuite, Léna n'était qu'une salariée et, à ce titre, elle ne pouvait pas se permettre de remettre en question les choix stratégiques et la vision de Miranda. Pour finir, Miranda était beaucoup trop sensible et risquait d'être vexée parce que Léna pourrait lui dire. Non, décidément, tout lui dire tel qu'elle le ressentait ne pouvait pas être vraiment ce que Miranda attendait d'elle.
C'était un piège et, en même temps, Léna avait envie d'accéder à la demande de Miranda et de l'aider à comprendre ce qu'il pouvait se passer dans le cabinet. Léna ignorait ce que Miranda avait bien pu avoir comme échos mais, dans tous les cas, il lui semblait souhaitable qu'elle finisse par réaliser que tout le monde ne vivait pas son quotidien chez Toivoiose comme un séjour au paradis. C'était juste normal et, en même temps, Léna comprenait aussi que Miranda puisse être déçue de cette réalité, et souhaiter que son cabinet soit vraiment une entreprise où les salariés se sentent bien. Léna pouvait croire qu'il existe des entreprises où les salariés se sentent bien, et elle pouvait même considérer que Toivoiose était une entreprise où elle se sentait bien. La différence qui existait et que Miranda devait apprendre à accepter, c'est que, même en pouvant dire qu'elle se sentait bien, Léna ne pouvait pas aller jusqu'à dire qu'elle y était pleinement épanouie ou qu'il n'y avait pas d'insatisfaction
C'est tout ça que Léna avait essayé d'expliquer à Miranda lors de son entretien, parlant du caractère potentiellement imparfait de tout job dans l'absolu, en espérant que ça la dispenserait de parler des insatisfactions concrètes qu'elle pouvait elle-même ressentir. Mais Miranda n'avait pas lâché le morceau, reposant la question de diverses façons. Léna avait fini par lui donner l'exemple des entretiens qui finissaient tard, mais l'exemple n'était plus valable aujourd'hui et Miranda avait voulu plus de concret. Léna avait reparlé du séminaire sur les jours de week-end, et avait aussi confiée sa crainte que refuser de participer aux évènements facultatifs du samedi ne l'isole du collectif ou n'induise un jugement. Miranda avait contesté, rappelant que c'était des évènements sur la base du volontariat, comme si le seul usage de ce mot effaçait la valeur des arguments de Léna.
Miranda avait continué d'insister et insister, et Léna avait fini par craquer. Elle ne voulait pourtant pas dire à Miranda qu'elle leur en demandait trop, car elle allait à la fois se sentir vexée et juger Léna. Elle risquait de penser que Léna voulait en faire le moins possible, alors que c'était on ne peut plus éloigné de la réalité. Léna ne voulait pas en faire le moins possible, mais elle avait quand même le sentiment que ce que Miranda souhaitait était trop. Ce sentiment était si fort que, sous l'insistance de Miranda, il avait fini par émerger malgré la volonté qu'avait Léna de le garder pour elle. Elle avait commencé à parler de son investissement dans la montée en compétence des nouveau et de sa frustration face au temps que ça demandait. Elle avait aussi parlé de l'impact que pouvait avoir le fait que les nouveaux soient parallèlement mobilisés sur d'autres activités. Miranda lui avait demandé de parler uniquement d'elle-même, et Léna avait expliqué qu'elle-même, ça l'impactait car leur montée en compétence était un objectif qu'elle s'était fixé. Miranda avait dit à Léna que ce n'était pas un objectif qui était attendu d'elle en ce sens, et que son rôle de Référente serait évalué sur les efforts et non sur les résultats. A ce moment, Léna avait craqué. Elle avait pleuré en expliquant qu'elle se souciait des résultats et qu'elle se souciait que les nouveaux montent vraiment en compétence. C'est à ça que Léna associait la valeur et la qualité de son travail, peu importe ce sur quoi la jugeait Miranda.
Léna, toujours en pleurant, avait expliqué qu'il était important pour elle de bien incarner son rôle, et elle avait ajouté que c'était très lourd de sentir qu'à côté de ça, il y avait tout plein d'autres choses que Miranda attendait d'elle. Elle avait parlé de tous ces projets dans lesquels elle s'investissait car elle était aujourd'hui la seule capable de les mener, et elle avait parlé du fait qu'elle craignait qu'on ne la pénalise car elle n'était pas en mesure, en plus de tout ça, de donner de nouvelles idées et de lancer de nouveaux projets, ou d'apprendre elle-même de nouvelles choses. Léna trouvait que c'était toujours plus. Ce qu'elle s'était retenue de dire, c'est que ces entretiens qui étaient en train d'être menés et l'envie de comprendre de Miranda, c'était encore des choses qui venaient s'ajouter à ce toujours plus et à sa liste infinie d'attentes et d'espoirs.
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