Miranda avait besoin de réfléchir. Elle n'avait pas compris pourquoi Charlotte en arrivait tout de suite au souhait de vouloir partir, et elle avait moins encore aimé le sous-entendu qu'il y aurait peut-être dans l'équipe d'autres personnes partageant son avis. Charlotte avait dit que, si Miranda lui proposait de réguler ses activités, il faudrait peut-être, pour ne pas créer d'injustice, faire la même proposition à tout le monde. Miranda trouvait ça absurde. Charlotte avait été la seule à se plaindre, et chacun avait déjà la marge de manœuvre de réguler sa propre activité en choisissant quelles idées proposer ou non, et sur quel projet se porter volontaire ou non. Si la petite Charlotte n'avait pas été en mesure d'ajuster son investissement à ses souhaits d'équilibre des activités, Miranda voulait bien l'aider, mais il ne fallait pas non plus induire l'idée qu'il y avait sur le sujet une problématique collective.

Charlotte avait dit qu'elle avait le sentiment que d'autres collègues partageaient peut-être son opinion, mais elle avait été strictement incapable de le justifier. Miranda lui avait demandé de qui il était question et quels éléments lui permettaient de faire cette hypothèse, et Charlotte n'avait trouvé aucun événement concret à lui décrire. Elle avait parlé de sentiments diffus, de la motivation qu'elle sentait plus dans certains groupes de travail que dans d'autres, ou encore du fait que l'enthousiasme exprimé par ses collègues lui semblait toucher prioritairement aux sujets métier. Charlotte avait même eu le culot de dire que Léna semblait avoir plus de propos encourageants sur leurs progrès purement professionnels, et être moins propice de félicitations quand ils lui parlaient des autres projets auxquels ils contribuaient. C'était donc là tous les arguments de Charlotte ? Léna était Référente Compétences Métier ; bien évidemment qu'elle les encourageait prioritairement sur ces sujets-là, vu que c'est ce que Miranda lui avait demandé.

Charlotte se fourvoyait totalement, mais ses propos avaient quand même bien miné Miranda. L'idée que Charlotte puisse quitter l'équipe l'embêtait beaucoup mais, plus encore, le fait qu'elle n'ait rien vu venir la dérangeait profondément. Peut-être que Charlotte avait raison, et que d'autres membres de l'équipe avaient des insatisfactions qu'ils ne lui partageaient pas. En plus, la petite avait été incapable d'expliquer pourquoi elle ne lui avait rien dit avant. Elle avait baragouiné des choses comme quoi elle était insatisfaite sans en avoir conscience, ce qui était une contradiction dans les termes. On ne peut pas être insatisfaite sans se sentir insatisfaite, c'est absurde. Charlotte semblait dire qu'elle n'avait pas mis les mots et les concepts sur ce qu'elle ressentait jusqu'à cette semaine, sans expliquer ce qui lui avait permis d'en arriver à ce stade ou ce qui l'avait empêchée d'y arriver jusque là. Pour Miranda, ça n'avait pas de sens. La vérité, selon Miranda, c'était probablement que Charlotte avait ressenti ça depuis le début et que, trop intimidée par Miranda, elle n'avait pas trouvé le courage de le lui dire jusqu'ici.

Est-ce que d'autres personnes pouvaient partager un pareil sentiment ? Pourtant, Miranda faisait vraiment tout son possible pour les mettre en confiance et pour leur rappeler qu'ils pouvaient lui parler de n'importe quel sujet. Elle se rendait disponible dès qu'un membre de l'équipe la sollicitait, la plupart du temps le jour-même, même quand ça impliquait de complètement plier son calendrier. Ils étaient vraiment sa priorité, et elle était honnête dans sa démarche. Elle était profondément bienveillante et prête à tout entendre. Mais, ne pas savoir ce qu'ils pensaient vraiment et imaginer ce qu'il pouvait en être, ça la mettait dans un état pas possible. Elle voulait juste qu'ils soient heureux au travail, et elle s'investissait énormément pour leur bien-être. S'ils ne lui disaient pas ce qui n'allait pas, elle ne pouvait rien faire pour eux. Si Miranda avançait sur les mauvaises pistes et que tout le monde faisait semblant d'être satisfait de ce qu'elle proposait, le bien-être du collectif ne pourrait jamais vraiment exister.

Miranda se sentait si seule. Elle voulait croire que Charlotte était la seule à ne pas avoir joué la transparence mais, maintenant, elle se mettait à douter. Se connaissant elle-même, elle savait qu'elle allait se mettre à observer tout ce qu'elle pourrait considérer comme des signes, à en trouver partout, et à vivre dans cesse en état de doute. C'était magnifique ! Que pouvait-elle faire contre ça ? Elle pouvait prendre chacun en entretien et leur demander s'ils étaient satisfaits, mais seraient-ils vraiment honnêtes avec elle ? Ce serait au moins l'occasion de leur rappeler, les yeux dans les yeux, individuellement, qu'elle était là pour eux et qu'ils pouvaient lui faire confiance. Oui, elle allait faire ça. Mais, en attendant, il fallait qu'elle se change les idées.