15.3
La montée en compétence des nouveaux restait quand même une préoccupation aux yeux de Miranda, même si c'était loin de sembler sa priorité, et qu'elle préférait généralement parler de toutes les initiatives enthousiasmantes qui existaient à côté de ça. Miranda avait quand même demandé à Léna de concevoir un référentiel de compétences professionnelles pour Toivoiose, ce qui était à ses yeux le minimum compte-tenu de son rôle de référente. Léna n'avait pas eu à trop se casser la tête parce qu'en préparant son programme de formation et l'arrivée des nouveaux, elle avait en quelque sorte déjà anticipé ce travail. En revanche, quand elle regardait ce référentiel aujourd'hui, Léna réalisait à quel point chacun avait des progrès à faire. Elle avait eu l'espoir qu'ils montent en compétence plus vite, même si elle ne pouvait rien leur reprocher et blâmait en premier lieu tous ces projets annexes et sa propre incapacité à les avoie vu venir. Heureusement qu'aucune évaluation n'était prévue avant plusieurs mois car, s'il y en avait eu une aujourd'hui, ils auraient tous eu de mauvais résultats. Ça aurait été terriblement injuste, car tout le monde avait du potentiel et faisait des efforts. Ce n'était vraiment pas de leur faute.
Tout le monde avait beaucoup de potentiel et faisait beaucoup d'efforts, mais ce n'était pas assez. Ils devaient répartir leur énergie entre l'apprentissage, la mise en pratique, et tout ce que Miranda leur demandait à côté. Léna avait le sentiment de ne les accompagner que sur la moitié de leurs temps. Le reste, Miranda les lui prenait pour faire une multitude d'autres choses. Il y avait un groupe de travail pour améliorer leur site internet, une autre pour décrocher de nouveaux contrats auprès d'écoles, un pour identifier des partenariats avec des entreprises, et d'autre encore qui bossaient sur des trucs bidon.
Du point de vue de Léna, certaines des activités étaient bidon ; ou en tout cas pas prioritaires. Il y avait deux personnes qui consacraient du temps à revoir le dress code du cabinet, qui s'appellerait d'ailleurs maintenant code vestimentaire. Non mais, sérieusement, est-ce que c'était vraiment nécessaire ? Déjà que Noah avait dû, sur demande de Miranda, créer un dress code et que tous avaient dû s'y plier, est-ce que se pencher de nouveau sur ces questions de fanfreluches était vraiment une priorité ? Léna était dégoûtée parce que sa robe préférée, offerte par Lucien, ne serait plus autorisée au regard des nouvelles règles sur les palettes de coloris, qui stipulaient par exemple qu'une tenue ne doit pas contenir plus de quatre couleurs différentes. Certains mélanges de couleurs étaient aussi interdits, soi-disant parce qu'ils pouvaient évoquer des dans l'imaginaire collectif des références les faisait sortir du cadre professionnel. Des salariés avaient vraiment consacré du temps à anticiper tout ça et à identifier toutes les palettes de couleur à interdire. On marchait en plein délire !
En même temps, c'est vrai que l'ancien dress code n'avait pas tout à fait été respecté par les nouveaux, ce qui avait donné lieu à la mise à jour. Léna avait même été la première à les rappeler à l'ordre lorsqu'elle avait vu des écarts. Certains étaient venus avec des T-shirts à motifs et, connaissant les remarques auxquels Noah avait eu droit sur ce sujet, elle avait cherché à les protéger. Elle leur avait rappelé que ce n'était pas autorisé, et les avait renvoyés vers le fameux dress code qui avait été affiché sur le mur. Sauf que là, Millah avait dit que le dress code n'interdisait pas le t-shirt qu'elle portait ce jour-là et, sur le fond, elle n'avait pas tort. Il était écrit que les t-shirts ne pouvaient pas comprendre d'inscriptions, d'illustrations en rapport avec la pop-culture ou d'illustrations ou motifs pouvant être considérés comme enfantins. Dans cette phrase, rien ne disait que Millah ne pouvait pas venir avec cet imprimé fleuri qui n'était pas pour autant enfantin. Pourtant, Léna savait que Miranda n'allait pas trouver ça suffisamment professionnel à son goût et il faut dire que, quand elle l'avait alertée, elle avait plus pensé à ce que pourrait dire Miranda qu'à la phrase exacte qui avait pu être rédigée. Le dress code était un papier et un moyen d'officialiser mais, les vraies règles à respecter, c'était toujours celles qui pouvaient être dans la tête de Miranda.
Au final, ce stupide projet de mise à jour du dress code était de la faute de Léna. Elle aurait dû tenir sa langue et ne pas lui faire de remarque. Millah avait voulu savoir ce qu'il en était, expliquant qu'elle était une personne rationnelle et que, si son t-shirt n'était pas autorisé, il faudrait mieux préciser les règles pour le spécifier. Léna avait vraiment envie de parler d'autre chose que de ça, et elle avait incité Millah à poser directement la question à Miranda. Le pire, c'est que Miranda n'était même pas au cabinet ce jour-là et que, si Léna n'avait rien dit, le sujet serait passé à la trappe. A la place, Millah avait fait exprès de rapporter le fameux t-shirt dans son sac le lendemain, et avait posé la question à Miranda. Celle-ci avait confirmé que le motif en question ne lui semblait pas suffisamment professionnel, et avait félicité Millah pour son honnêteté, sa rigueur et tout le toutim. Elle lui avait proposé de s'entourer d'autres volontaires pour améliorer le dress code en ajoutant les précisions qu'ils jugeraient nécessaires. Les précisions à apporter allaient évidemment être rédigées à partir des arbitrages que Miranda pourrait leur procurer, et elle avait même félicité Millah sur les tableaux de valeur pour tout ça. Peut-être que c'était sympathique et valorisant, mais n'avaient-ils vraiment pas mieux à faire ? On créait des usines à gaz pour rien du tout, au lieu de se concentrer sur la montée en compétence qui était vraiment nécessaire, et qui aurait dû être prioritaire.
En plus, non contente de monopoliser l'équipe sur des sujets bidon, Miranda avait à moitié détruit le référentiel de compétences créé par Léna. Enfin, elle ne l'avait pas vraiment détruit, mais elle s'en était approprié la moitié, et elle y avait ajouté plein de choses hors-sujet aux yeux de Léna. Miranda avait expliqué qu'il fallait distinguer les compétences du métier et les autres compétences nécessaires pour faire partie du cabinet, tout en ayant un référentiel de compétence complet qui intégrait les deux aspects Miranda avait voulu évaluer elle-même certaines compétences, telle que la capacité à intégrer des informations nouvelles, expliquant que ça dépassait le seul cadre des entretiens et de l'analyse des profils. Léna avait expliqué que la compétence déployée dans ce cadre devait absolument faire l'objet d'une évaluation spécifique, justifiant son propos. Elle avait pris l'exemple de Kelly qui était irréprochable sur cet aspect de captation d'informations pendant les entretiens mais qui, pourtant, quand il était question de la vie du cabinet ou des autres projets internes, pouvait oublier ou mal comprendre certaines choses. Peut-être que c'était impacté par une dimension de motivation, ou peut-être juste que le contexte de l'entretien était plus propice à sa concentration, mais dans tous les cas, si Kelly était évaluée là dessus hors entretiens, ce serait terriblement injuste pour elle.
Du coup, Miranda et Léna avait abouti à un compromis. Certaines des compétences avaient été scindées en deux, avec une partie sur l'exercice dans le contexte d'accompagnement, et une partie sur la manifestation de la compétence en interne dans le cabinet. Comme ça, au moins, Léna pouvait évaluer toute seule les véritables compétences professionnelles des membres de l'équipe, pendant que Miranda s'amuserait à côté, en toute indépendance, à évaluer ce qu'il pourrait bien lui faire plaisir d'évaluer. Léna avait du mal à concevoir qu'on puisse vraiment mettre ces deux aspects au même plan. Pour elle, les compétences professionnelles restaient prioritaires et, à vrai dire, elle redoutait un peu l'évaluation dont elle ferait elle-même l'objet. Miranda lui avait dit qu'elle considérait Léna comme parfaitement compétente sur toutes les qualités professionnelles et qu'elle ne voyait aucun problème à ce qu'on lui attribue d'emblée les notes maximales sur tous les items de son propre référentiel. Léna pourrait s'en réjouir mais, d'une part elle n'était pas sûre de trouver ça juste et, d'autre part, elle comprenait que son évaluation allait essentiellement reposer sur tout le reste.
Tout le reste, c'est ce qui inquiétait Léna. Tout le reste, c'était le référentiel de Miranda et les critères qu'il lui prendrait la fantaisie d'y intégrer. A entendre les discours que faisait Miranda au collectif, Léna comprenait qu'elles avaient une vision assez différente des priorités. Léna mettait toute son énergie pour transmettre ses connaissances et accompagner les nouveaux, alors elle savait au moins que cet aspect serait valorisé. Mais, à côté de ça, il y avait probablement des choses qu'attendait Miranda et qu'elle ne faisait pas suffisamment, soit parce qu'elle n'en voyait pas l'importance, soit parce qu'elle n'en avait juste pas le temps ou l'énergie. Proposer des idées nouvelles, par exemple, c'était une chose que Léna avait complètement arrêté de faire. Déjà parce qu'elle n'avait pas assez de disponibilité d'esprit pour penser à des idées nouvelles et, ensuite, parce qu'elle avait le sentiment qu'ils avaient déjà bien suffisamment sur leurs plateaux. Léna savait très bien que, si des idées supplémentaires étaient proposées, elles allaient forcément être acceptées et devoir s'ajouter à leur liste infinie de projets en cours. La priorité de Léna, ça restait son rôle de référente. Tant pis si elle avait une mauvaise évaluation à cause de son investissement là dessus. Ce qui comptait pour elle, c'était que les nouveaux apprennent suffisamment pour se sentir bien, à l'aise dans leur métier, et suffisamment autonomes pour prendre progressivement de plus en plus de responsabilités. Il y avait peut-être une part d'intérêt là dedans mais, essentiellement, ça lui semblait avant tout être la condition nécessaire pour que Toivoiose puisse continuer à fonctionner, et pour que ses collègues et elle-même puissent avoir envie de continuer à s'investir dans cette entreprise.
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