15.2
Même Lucien semblait soutenir Miranda ! Il disait que c'était vraiment super tout ce que Toivoiose faisait pour le bien-être de ses salariés, et qu'il aurait aimé que sa patronne soit un peu plus comme Miranda. Lucien ne semblait pas voir le piège, alors même qu'il était au premier rang pour se rendre compte que tout ça les séparait l'un de l'autre. Il voyait juste le côté festif de tous ses évènements conviviaux, et s'était probablement aussi la seule chose que voyaient Miranda et tous les collègues. Après, c'est sûr que, si Lucien, avait eu lui-même ses propres afterworks avec ses collègues, les soirées sans Léna lui auraient semblé moins longues. D'ailleurs, s'ils n'étaient pas tous en horaires décalés les uns des autres, il aurait probablement proposé lui-même à certains collègues de passer ensembles leurs fin d'après-midi.
Lucien avait probablement raison de souligner que c'était pour leur bien que Miranda faisait tout ça, mais, pour Léna, le fait que Miranda ne voit pas le côté pernicieux de la chose restait un danger. Proposer des choses supplémentaires, ça part toujours d'une bonne intention, mais ça crée quand même des effets néfastes, surtout lorsque les gens n'ont pas envie de profiter de ce qu'on leur propose. Chaque jour, au boulot, Léna entendait le mot « volontaire », et, à chaque occurrence de ce terme, elle se sentait de plus en plus réfractaire. Dans son ancienne entreprise, ils étaient trente et, lorsque les managers demandaient un volontaire pour une tâche quelconque (la plupart du temps ingrate ou sans intérêt), il y en avait un ou deux seulement qui répondaient. Répondaient uniquement ceux qui n'avaient rien à faire et s'ennuyaient et, sur ce format-là, le volontariat, ça fonctionnait. Mais demander des volontaires dans une équipe de dix personnes où tout le monde est déjà débordé, ça devient une toute autre histoire. Les nouveaux étaient nouveaux et ils voulaient se faire bien voir, alors ils étaient toujours partants pour tout. Léna était censée être leur référente et montrer l'exemple, alors elle était bien obligée de se porter volontaire aussi, même si le cœur n'y était pas.
Même quand les tâches en question n'impliquaient pas d'y consacrer du temps en dehors du temps de travail, le cœur de Léna n'y était plus. Elle faisait les choses par obligation, parce qu'elle s'y sentait obligée et n'avait plus vraiment le sentiment d'avoir le choix. Le seul choix qu'elle pouvait avoir, ce serait celui de décevoir Miranda, et Léna n'avait pas envie de décevoir Miranda. Elle avait envie d'être fiable, de se montrer digne de son rôle de référente, et d'être un exemple positif pour chacun. Mais elle avait aussi envie d'avoir un peu plus l'esprit à ses fiançailles, d'avoir la marge de manœuvre pour faire ses propres choix, et juste de se sentir aux commandes de son existence. A la place, Léna se retrouvait à la tête d'initiatives qui n'avaient pas été les siennes, sans plus savoir comment tout cela était arrivé et comment elle s'était laissée embringuer.
Il y avait une intervention dans une école qu'ils préparaient bénévolement, pour présenter leur métier à des étudiants. Ça avait été une idée de Kelly, qui savait que son ancienne école recherchait des interventions de ce type, et Léna c'était retrouvée à chapeauter le projet. Il y avait Charlotte qui avait suivi le filon en remontant que son école à elle cherchait un prof sur le sujet et, on ne sait comment, Léna s'était retrouvée à préparer un cursus de formation qu'elle allait dispenser pendant une intervention qui allait la mobiliser une semaine à temps plein. En plus, Léna était anxieuse à l'idée de laisser pendant ce temps Toivoiose sans référent. Enfin, il y avait toujours Miranda qui pourrait jouer le rôle de référente, donc Léna n'était pas trop inquiète pour ça nous plus ; mais ça lui faisait beaucoup de choses auxquelles songer. Sa priorité, ça restait de former les nouveaux parce que, si elle les formait vite et bien, ils pourraient bientôt prendre à leur compte certaines de ces initiatives. Mais Léna avait toujours l'impression que ce qui était sa priorité à ses yeux ne l'était que pour elle, que Miranda voyait les choses autrement, et qu'elle devait sans cesse s'investir sur d'autres activités au détriment de cette priorité.
A chaque fois, c'était le même schéma. Quelqu'un lançait une idée. Miranda disait que c'était génial et demandait des volontaires. Tout le monde se portait volontaire. Miranda choisissait deux ou trois personnes, dont Léna faisait toujours partie, et elle héritait en prime d'un rôle de chapeautage vu qu'elle était, à date, la plus compétente et expérimentée. Le seul point positif de tout ça, c'est qu'il y avait tellement de choses nouvelles toutes les semaines, que Léna ne manquait finalement jamais d'inspiration pour alimenter les panneaux de valeurs. Tout le monde proposait des idées, tout le monde se portait volontaire, tout le monde faisait les choses bien, et c'était merveilleux. Mais tout le monde restait incapable d'en faire autant que ce que pouvait faire Léna, et ça restait son grand malheur, car, si elle aimait sincèrement aider les autres à grandir, elle était aussi tout à fait consciente de l'avantage que cela lui procurerait, lorsqu'ils devenaient assez autonomes pour la décharger de certaines responsabilités. En même temps, si Léna essayait de faire les gens monter en compétence plus vite qu'actuellement, elle allait les cramer. S'il n'y avait pas eu tous ces projets annexes et qu'ils avaient pu centrer l'ensemble de l'énergie sur la montée en compétence et sur les objectifs principaux, ça aurait été infiniment plus simple, mais ce n'était pas le monde dans lequel ils vivaient.
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