Miranda était soulagée de pouvoir maintenir l'afterwork mais, en même temps, elle était déçue car, même comme ça, ils ne pourraient pas être au complet. Léna ne pouvait pas être là, et Miranda avait vraiment du mal à imaginer le collectif sans elle. Léna était vraiment l'un des pivots centraux, dans l'esprit de Miranda. Léna et Noah étaient le lien qui permettaient de créer un pont entre elle et les nouveaux. Ils étaient assez proche de Miranda par l'année qu'ils venaient de vivre ensemble et, par leur âge, ils étaient naturellement plus accessibles pour les nouveaux. Ils étaient essentiels pour créer le pont de confiance qui permettrait à ceux nouvellement arrivés de considérer Miranda comme quelqu'un à qui ils pouvaient facilement parler.

L'afterwork devait aussi servir à ça mais, sans Léna, ce n'était pas la même chose. Apparemment, ses amis avaient organisé ce soir-là une fête pour célébrer ses fiançailles avec son petit-copain. Miranda comprenait que Léna ne puisse pas dire non à une soirée organisée spécifiquement pour elle mais, en même temps, ces fiançailles auraient aussi fait un parfait sujet non-professionnel pour leur afterwork. Ils auraient pu parler des mariages auxquels ils avaient respectivement assisté, discuter chiffons, décorations et animations. Ça aurait été un peu superficiel mais ça faisait aussi du bien d'avoir des conversations superficielles. Ça permettait de se détendre et de créer des liens sur des choses aussi vides d'enjeux que les goûts et les couleurs. Ça mettait tout le monde à l'aise.

Au fond d'elle, Miranda aurait aussi aimé parler du mariage de Léna d'une autre manière que celle purement superficielle, mais elle n'avait personne auprès de qui le faire. Ce n'était pas son rôle d'avoir un avis sur ce sujet, mais elle considérait quand même que Léna était bien trop jeune pour se marier. Qui plus est, de ce que Miranda avait compris, son petit-copain était un peu frustré de l'investissement que Léna avait dans son travail. Dans un tel contexte, comment ne pas faire l'hypothèse que le mariage puisse être un moyen de lui rappeler qu'elle était avant tout attaché à lui ? Miranda ne connaissait pas ce Lucien, mais elle avait parfois l'impression d'avoir une relation de rivalité avec lui, comme celle que pouvait avoir Peter Pan avec la mère de Wendy. En même temps, si Miranda avait l'impression qu'elle était la mère et que Lucien était le Peter Pan qui souhaitait lui voler sa Wendy, elle réalisait en même temps que Lucien pouvait très bien considérer la situation inverse. Peut-être qu'il avait le sentiment que Miranda lui avait volé sa Léna. C'était tellement bête ! C'était juste oublier que Léna était une personne indépendante et qu'elle faisait ses propres choix, incluant celui de s'investir à fond dans son travail si elle le souhaitait.

Mais Léna n'était pas là à l'afterwork, et Miranda ne pouvait de toute façon pas avoir des discussions de ce type avec ses salariés. Elle ne pouvait pas parler de leurs choix de vie, de l'investissement dans le travail ou de la misogynie ambiante. Peut-être qu'elle le pourrait un jour, elle l'espérait, mais, en attendant, il fallait débuter en tissant des liens sur des banalités. Miranda détestait ça. Ce n'était tellement pas naturel pour elle. Les jeunes lançaient des conversations sur des séries TV et, ne sachant pas de quoi ils parlaient, elle essayait de poser des questions en se montrant intéressée, même si en fait elle n'en avait strictement rien à faire. C'était pareil quand ils parlaient de musique ou de livre. Miranda avait tellement travaillé cette dernière année qu'elle était très peu au courant de ce qu'il se passait dans le monde culturel ; et elle n'allait quand même pas parler des actualités.

Heureusement, Noah semblait avoir trouvé l'échappatoire en lançant le sujet des activités ludiques qui pourraient faire l'objet d'un prochain événement d'équipe. D'une certaine manière, c'était un peu de la triche car ça pouvait être considéré comme du travail, mais tout le monde semblait apprécier la conversation. Miranda voulait organiser une nouvelle journée d'équipe le mois suivant, et les propositions fusaient. Il était question d'escape-games, de jeux de pistes en extérieur, ou encore de tournois sportifs. Christian avait même parlé de la possibilité de participer à des courses solidaires, ce qui avait semble-t-il été fortement apprécié dans son ancienne entreprise. Molly avait enchaîné en parlant d'activité bénévoles qui pouvaient être réalisés en appui d'associations, et tout le monde s'était engrainé. Ils en étaient arrivés à parler de plein de choses avec lesquelles les uns et les autres occupaient leurs week-end ; et à proposer même, en dehors du contexte d'une journée de séminaire, de se retrouver certains samedis pour partager des activités comme des visites de musées.

A vrai dire, Miranda était un peu dépassée par tout ça. Le groupe semblait pleinement l'inclure dans les discussions, comme elle l'avait voulu, mais, en même temps, elle se demandait s'il serait légitime de se joindre à eux s'ils faisaient des sorties le week-end. Ça sortait complètement du cadre professionnel et, en tant que directrice, ça créait un positionnement particulier. Pouvait-elle vraiment se positionner comme leur amie, ou était-elle déjà allée trop loin en organisant cet afterwork ? En même temps, que serait le collectif s'ils étaient eux, d'un côté, un groupe soudé et qu'elle était la seule à en être exclue ? Ça ne pourrait que créer une dynamique d'opposition face à la direction. Si les salariés discutaient entre eux sans que Miranda soit là pour rappeler certaines des informations dont ils pouvaient manquer, ils ne pouvaient que finir par identifier des points d'insatisfactions ou des choses qui ne leur sembleraient pas logique.

Tout cela était vraiment compliqué. Strictement rien n'était anodin quand on était à la tête d'un collectif. Il fallait penser à tout, anticiper les conséquences de tout, et trop souvent on se faisait dépasser. Que pouvait-faire Miranda ? Elle ne pouvait pas interdire à ses salariés de se réunir le week-end, et elle ne pouvait pas non plus passer ses week-end à sortir avec eux comme si elle était leur amie. Il fallait leur faire comprendre les choses, mais comment ? Miranda avait fait de son mieux. Elle avait rappelé que les week-end devaient aussi être faits pour se reposer, et qu'ils auraient bien assez de séminaires pour pouvoir organiser toutes les activités dont ils avaient eu l'idée. Elle avait proposé d'instaurer officiellement un samedi par mois qui serait l'occasion pour l'un d'entre eux de proposer une activité hors-travail, à laquelle tous seraient conviés sur la base du volontariat. Ça posait un cadre qui permettait à Miranda de participer et qui permettait en même temps de limiter l'étendue de ce type d'initiatives. Ça allait distinguer ces samedis spécifiques des autres samedis que les salariés pouvaient passer avec leurs amis, et limiter les tentations qu'ils pouvaient avoir d'occuper leurs autres samedis par des activités entre collègues.

Quant au séminaire officiel, qui n'aurait pas lieu sur un jour de week-end, après réflexion, il allait quand même falloir y incorporer des éléments en lien avec le travail, ou des éléments en lien avec Toivoiose et ses valeurs. Un jeu de piste semblait une excellente solution de mixer le ludique et le professionnel. Noah serait probablement à-même de créer quelque chose avec des énigmes basées sur le cabinet, et qui constitue en même temps un parcours à réaliser dans la ville. Il pourrait même y avoir un prix pour l'équipe gagnante, histoire de rassasier Christian et les autres membres de l'équipe qui pourraient avoir des besoins de compétition. Si certains avaient envie de se challenger et de se comparer les uns aux autres, autant qu'ils le fassent sur des sujets indépendants du travail. Ça leur permettrait de se libérer de ça, et de rester au jour le jour dans une vraie dynamique de coopération. Dans le jeu de piste, ils seraient deux ou trois équipes mais, dans la vie de tous les jours, ils consistaient tous une seule et même équipe.