11.1
Gaëlle avait pris un taxi pour se rendre sur le lieu dont monsieur Bardi lui avait donné l'adresse et, quand le chauffeur avait cherché à s'intéresse à ce qu'elle allait faire pendant ce week-end, elle n'avait pas trop su quoi lui répondre. Pourtant, elle ne faisait rien de mal ; elle aurait dû pouvoir en parler ouvertement. Mais si elle devait garder une forme de discrétion même envers les membres du groupe, que pouvait-elle dire à un inconnu ? Gaëlle lui avait juste répondu qu'elle allait passer le week-end avec des amis, ce qui, d'une certaine manière, était la vérité. Enfin, elle ne connaissait que monsieur Bardi mais, si les autres participants n'étaient pas encore ses amis, ils le deviendraient bientôt. Peut-être même que Gaëlle allait retrouver d'autres connaissances faites lors du séjour dans les bois. Le chauffeur de taxi avait senti que Gaëlle n'était pas d'humeur bavarde, et il n'avait pas posé d'autre question. En fait, Gaëlle se sentait plutôt d'humeur bavarde et elle aurait bien aimé discuter avec lui, si elle s'y était sentie autorisée.
Gaëlle avait envie de partager ce qu'elle vivait et, de manière plus générale, elle avait envie de connecter de manière plus spontanée avec les gens qu'elle rencontrait. Qui plus est, elle avait lu le premier des livres de monsieur Bardi, et la connexion aux autres, d'après ce qui y était écrit, occupait effectivement une part centrale de leur philosophie. Cependant, il était peu question dans ce livre de naturel, de spontanéité ou d'authenticité. En y réfléchissant, Gaëlle ne se souvenait pas avoir lu quoi que ce soit en rapport avec ces notions. Il était surtout question de se débarrasser des masques imposés par la société, et de toutes les autres choses qui nous attachaient et nous coupaient du vrai nous. Etait-il cependant expliqué de ce qui constituait ce vrai nous ou, de manière plus général, le véritable intérieur des gens ? Pas tellement, d'après les souvenirs de Gaëlle. Ce sujet était peut-être développé dans un autre des ouvrages, ou serait peut-être abordé, en filigrane, durant ce week-end.
Gaëlle avait découvert le programme en arrivant sur place car, avant ça, elle n'avait rien su du contenu du séjour. Elle n'avait connu que la veille au soir l'adresse du lieu et l'heure à laquelle elle devrait partir de chez elle. Il n'y avait même pas d'instructions sur ce qu'elle devait mettre dans sa valise, alors elle avait pris certaines choses sans être certaines qu'elles lui serviraient : un imperméable, un maillot de bain, des chaussures de randonnées. Au final, ils allaient rester enfermés dans une maison pendant les deux jours entiers, et tout cela ne lui servirait à rien. Il y avait bien quand même un jardin, mais pas d'escapades prévues au delà de ça. Il n'y aurait que des débats, avec un rythme d'alimentation similaire à celui du voyage : pas de grands repas, mais uniquement des petites collations à intervalles rapprochées.
Gaëlle avait cherché à savoir pourquoi les menus étaient conçus ainsi, et monsieur Bardi, soulignant que cela était expliqué dans l'un de ses ouvrages, avait évoquée l'idée de simplicité. Un repas, dans l'esprit des gens, c'était soit une festivité, soit une charge mentale. Composer un menu, le cuisiner ou exploiter d'autres êtres-humains pour le faire pour soi, y consacrer du temps et de l'argent, était-ce vraiment des choses qui nous rendaient heureux ? Si la convivialité d'un repas pouvait se montrer plaisante, est-ce que ça ne venait pas de la partie convivialité plutôt que de la nourriture ? Est-ce qu'on ne devait pas se concentrer sur la véritable saveur de la vie, plutôt que sur celle des aliments ? La saveur des aliments est une saveur des sens ; et donc une saveur de bas-étage. La véritable saveur de la vie, c'est celle qui vient des échanges, de la compréhension philosophique, de la transmission d'idées, ou du fait de se sentir grandir. Se concentrer sur l'alimentation, comme sur toute autre chose prosaïque et terre-à-terre, c'est perdre de vue ce qui est vraiment important. La nourriture était juste un carburant nécessaire pour maintenir le corps en état de fonctionnement, et il fallait la considérer comme tel.
Le renoncement allait d'ailleurs être l'une des grandes thématiques du week-end. Toutes les matinées lui seraient consacrées, quand les après-midi seraient, pour leur part, dédiées à la création. On ne pouvait pas renoncer pour renoncer ; ce serait terriblement déprimant. Il fallait comprendre la dynamique de transvasement : renoncer d'un côté pour créer autre chose d'un autre côté. Renoncer aux choses sans importance pour créer du sens et des instants signifiants. Voilà ce qu'ils allaient apprendre et mettre en œuvre, tous ensemble. L'idée plaisait plutôt bien à Gaëlle ; surtout dans sa partie créative.
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