Les ouvertures matinales n'étaient pas le seul moment où Miranda devait faire attention à son positionnement vis-à-vis du collectif nouvellement constitué. En fait, c'était probablement le moment où c'était le plus simple de faire attention, car Miranda était naturellement au centre de l'animation, et donc de l'attention. Dans les autres temps, c'était beaucoup moins évident. Léna remplissait parfaitement bien son rôle de Référente Intégration mais, pour tout dire, Miranda craignait un peu que les nouveaux n'aient tendance à oublier qu'en tant que directrice, Miranda restait leur référente principale. D'ailleurs, le lendemain, elle ferait probablement une ouverture matinale sur ce sujet. Il faudrait rappeler la différence entre leurs deux rôles. Léna était leur point de référence pour le contenu métier et la montée en compétence opérationnelle, mais Miranda restait référente pour l'intégration et les parcours au sein du cabinet. En fait, il fallait changer le titre de Léna. Elle ne devait pas être Référente Intégration, elle était plutôt Référente Compétences Métier. Ce serait annoncé lors de ce discours d'ouverture du lendemain.

Les discours, c'était bien, mais les gens étaient marqués par tout ce qu'ils vivaient plus encore que par ce qu'ils entendaient. Il fallait qu'ils voient Miranda pleinement présente et en maîtrise, à tout moment. Durant les formations de Léna, c'était très difficile, car Miranda ne maîtrisait pas suffisamment le contenu préparé par Léna. Enfin, elle maîtrisait le contenu, bien évidemment, d'un point de vue métier. Mais elle ne maîtrisait pas le séquençage et les éléments de transmission préparés par Léna. Léna lui avait envoyé tout les éléments en amont de la formation, et Miranda avait parcouru le plan et un échantillon de slides, pour conclure qu'elle pouvait s'arrêter là dans ses vérifications. Elle était directrice et, à ce titre et d'un point de vue temporel, elle ne pouvait pas vérifier les productions de tout le monde en détails. La technique de l'échantillonnage aléatoire lui semblait une bonne solution. Elle avait lu quelques slides et, si celles-ci lui semblant de bonne qualité, elle avait su qu'elle pouvait faire confiance à Léna et se concentrer sur autre chose.

En assistant à la formation, Miranda constatait qu'elle avait bien eu raison de faire confiance à Léna. Franchement, elle n'avait rien à ajouter à ce que la jeune fille disait. Les quelque fois où Miranda pensait à une précision à apporter, elle regardait les slides sur son ordinateur, et constatait que l'information en question avait déjà été prévue dans la suite du cursus. Du coup, pour montrer qu'elle était là et soucieuse de son équipe, Miranda avait posé des questions au groupe. Elle avait trouvé ça très convivial et plaisant, du moins le premier jour. Ensuite, Léna lui avait mis des bâtons dans les roues en réorganisant complètement sa formation. Elle était venue le matin du deuxième jour en expliquant à Miranda qu'elle avait décidé d'animer les formations en mode classe inversée. Les participants allaient prendre connaissance du contenu en amont, et Léna animerait les séances uniquement sous forme de débats et d'interrogations. Miranda en savait assez sur ce sujet pour comprendre que c'était une très bonne idée et qu'elle ne pouvait pas faire de reproches à Léna sur ce changement, mais elle était quand même frustrée.

Miranda était frustrée parce que, maintenant, elle ne voyait pas trop comment elle allait pouvoir participer aux formations. Pendant un moment, elle s'était même demandé si Léna avait fait exprès de changer sa façon d'animer pour l'écarter et garder pleinement le pouvoir qui lui avait été accordée sur ces moments. Miranda avait vite écarté cette idée, parce qu'elle voyait bien que Léna ne semblait pas en compétition avec elle. Dans tous les cas, ça aurait été complètement absurde de se sentir en compétition avec elle, au regard de leur différence de fonctions. Surtout, Miranda voyait bien, dans le discours de Léna, qu'elle avait pour intention de renforcer l'appropriation du contenu et la création de dynamiques collectives et d'interactions interpersonnelles. C'était tout à son honneur, et tout à fait ce que Miranda attendait d'elle. Du coup, Miranda ne pouvait rien faire. Enfin, elle aurait pu demander à Léna de co-animer avec elle les échanges et débats, mais ça aurait risqué d'être pris comme une remise en question de la confiance qu'elle lui avait accordée. Ou, pire, si Léna ne le prenait pas comme une forme de contrôle, ça signifierait qu'elle voyait ce qu'il en était vraiment. Miranda serait alors vue dans le rôle d'une pauvre directrice craignant de perdre son statut et faisant pitié, et elle n'avait aucunement envie d'être considérée ainsi par Léna ou par qui que ce soit.

C'était ridicule ! Il fallait que Miranda se reprenne. Si elle était vraiment à l'aise et légitime dans son rôle, dans ses fonctions et dans sa posture, elle n'avait pas besoin de se rappeler constamment à la présence de tous. Elle pouvait participer silencieusement, en se contenant d'observer et de noter les choses qui la questionnaient. Elle restait en support si besoin (même si Léna n'avait pas l'air d'en avoir besoin) et elle reprendrait un rôle d'animation lors des débrieffs de fin de journée. Ce n'était pas catastrophique. Et puis, au final, c'était probablement Miranda qui avait inspirée à Léna cette idée de modification du format d'animation, avec ses tours de table du premier jour. Ca signifiait que leurs forces et leurs apports étaient complémentaires, et c'était une très bonne chose. Même si les nouveaux arrivants ne seraient pas forcément capables de le voir, Miranda et Léna sauraient toutes les deux que Miranda avait joué son rôle dans le succès et l'efficacité que ces formations allaient indéniablement avoir.