Chapitre V
Victoria regarda l'attelage de la marquise de Suffolk s'éloigner des mètres plus loin avant de se tourner complètement vers son majordome. Joseph était sorti pour la rejoindre lorsqu'il les avait vues revenir aussitôt dans l'après-midi.
Elles n'avaient visiblement pas tardées.
Pour être honnête, Sydney n'avait pris que les mensurations d'Eleanor avant de lui apprendre qu'il recevrait ce mois-ci de nouvelles étoffes qui iraient avec la saison. Au beau milieu de leur discussion, Victoria lui avait demandé en quoi sa dernière garde-robe avait de déplorables pour qu'elle en commande une toute nouvelle...D'après Len, ses robes étaient trop audacieuses pour qu'une femme telle qu'elle puisse les porter lorsqu'elle sera mariée. Lady Armstrong ne s'était pas empêchée de lui rire au nez, si ses robes étaient trop audacieuses, elle serait étonnée de voir la trentaine qui se cachait dans son armoire ! Ainsi, après quelques essayages pour convenir d'une base pour sa robe de mariée qui lui serait confectionnée par le meilleur couturier de Londres, Eleanor et elle avaient filé.
—Vous dites que Lord Mallory s'est présenté plutôt ?
Elle arqua l'un de ses sourcils tout en le fixant de ses beaux yeux bleus.
— Oui, ma Lady.
— Et qu'il a décidé de patienter dans le salon en compagnie d'Alexis et de grand-père en attendant mon retour ?
Joseph acquiesça pour confirmer ses dires.
Il ne l'avait pas rejoint aussitôt qu'il l'avait vu descendre du carrosse simplement pour jouer le rôle du valet de pied, non, son majordome s'était précipité en de grandes enjambées et affichant une mine inquiète en lui apprenant qu'un homme s'était invité dans leur domaine. Qui d'autre que ce vieux soldat retraité pourrait se permettre une telle chose ? Et dire qu'elle verrait les parents d'Alexander dans la même journée !
— Oh Joseph ! Qu'ai-je donc fait au bon Dieu pour qu'Il décide de me punir ainsi ?
— Ma Lady, si je puis me permettre d'inventer une excuse pour vous enlever cette épine du pied...Vous feriez mieux de prendre la porte de derrière, j'alerterais les domestiques de votre passage en cuisine.
En y décelant une lueur inquiète au fond des pupilles vertes du majordome, Victoria sentit son visage s'adoucir. Ses traits se détendirent petit à petit et un ravissant sourire lui fut offert en guise de remerciement.
— Si je ne l'affronte pas, il croira que j'ai été affectée par ce qu'il m'a fait. Merci Joseph, mais si tu pouvais simplement demander à Gideon de nous préparer du thé et quelques collations. Je me doute que les hommes de la maison aient pu penser à nourrir cet ours mal léché.
Lorsqu'elle le vit sourire, la jeune femme se mit à marcher en direction de la porte entrouverte qu'il avait laissée après son passage. Le majordome la devança de quelques pas dans le but de lui ouvrir entièrement la porte. Celle-ci, les plis de sa robe empoignés par ses mains gantées finirent par être soulevés lorsqu'elle escalada les quelques marches du perron.
— Suis-je suffisamment affreuse pour le faire fuir ? lui chuchota-t-elle en lui jetant un bref regard.
— En effet, vous êtes bien laide ma Lady.
Si cela avait été un autre invité que Kincardin Mallory, Victoria aurait pris soin de se changer en toute hâte et de changer sa coiffure. Au moins pour paraître moins dévergondée qu'à l'accoutumée. Seulement, il avait déjà une si piètre opinion d'elle que ce serait inutile d'essayer de la lui changer.
En attrapant l'une de ses mèches rebelles qu'elle plaça derrière son oreille gauche, la jeune femme s'approcha du salon. Joseph toujours sur ses talons. Celui-ci lui ouvrit la porte lorsqu'il la vit lisser ses vêtements.
— Quelle joie de vous recevoir Kinc-... !
Après avoir mis les pieds à l'intérieur de la pièce, ses talons martelant le sol dans un rythme soutenu et en se mouvant avec aisance entre les mobiliers comme le canapé en forme de corbeille qu'elle avait contourné, ou le fauteuil en cuir entre lequel elle s'était glissée, la jeune femme s'était brusquement tue. Ses yeux s'écarquillèrent par étonnement. Elle voyait un visage qu'elle n'aurait jamais pensé revoir de sitôt. En déglutissant, elle tourna sa tête à sa gauche puis à sa droite afin de croiser le regard d'Alexis ou bien de son grand-père. L'un était enfoncé dans le fauteuil, l'autre se tenait débout, derrière le canapé, un sourire pendu à ses lèvres.
— Vous vous attendiez à mon père, n'est-ce pas ?
Son cœur bondit violemment dans sa poitrine. Sa voix grave l'ébranla tellement qu'elle se sentit frissonner. Pourquoi n'avait-elle pas écouté Joseph ? Elle qui avait souhaité affronter Kincardin en lui déversant sa colère à l'aide de sa langue finement aiguisée...Voilà qu'Alexander Mallory, l'homme qu'elle désirait, qu'elle aimait, se tenait devant elle avec un air enchanté.
Victoria se racla d'abord la gorge.
— Eh bien, je ne m'attendais tout simplement pas à son fils.
Quelle voix ridicule ! Voilà qu'elle jouait la prude en prenant un ton des plus doux.
Elle n'osait le regarder, elle préférait plutôt laisser ses pupilles danser dans la pièce, passant d'un objet à un autre. Même ceux sur lesquels elle ne s'attardait jamais, comme ce vase en cristal sur la table basse, ou bien la tête d'un cerf empaillée au-dessus de la cheminée en pierre. Victoria commençait à leur donner leur minute de gloire.
— Je vous prie de m'excuser...J'ai causé votre déception, se prit-il à la taquiner.
Les yeux de la jeune femme se braquèrent soudainement sur son visage.
— Excuses refusées, répondit-il du tac-au-tac.
Il fut visiblement étonné, autant qu'elle d'ailleurs.
Une chaleur oppressante finit par la perturber alors que Victoria essayait de trouver un moyen de déguerpir sur le champ de cette pièce.
— Viki, nous devrions te laisser avec notre invité, suggéra son frère qui n'avait cessé de jubiler intérieurement en la voyant dans cet état.
Certes, il était plus inquiet que le vieillard qui avait les yeux fixés sur la silhouette du soldat, mais Victoria ni leur grand-père n'avaient pensé à un tout nouveau début à leur relation. Et si, par un heureux hasard, le destin les réunissait ?
— Ale-...
— Grand-père ? la coupa-t-il en glissant son regard sur le fauteuil.
Une toux sèche fut accompagnée d'un grognement. Visiblement, il n'appréciait pas l'idée de les laisser seuls dans la pièce. Cependant, son petit-fils avait mis en place de bonnes stratégies afin d'en venir à ses fins et les preuves qui en avaient découlé lui avait confié qu'il pouvait avoir confiance en ses actes.
En se mettant à marcher, il chancela soudainement. Le vieil homme exténué s'agrippa au dossier du canapé en corbeille pour se retenir de tomber, ses jambes étant devenues plus lourdes.
— Grand-père...souffla Victoria en passant ses bras sur ses larges épaules tombantes, effrayée.
— Je n'ai rien mon enfant. Un léger coup de fatigue, déclara-t-il d'une voix claire.
Elle échangea un bref regard avec Alexis qui, étonnement soit-il, avait perdu la couleur de son visage.
Ils ne parlaient jamais de l'état de santé de leur grand-père. Aussi fragile était-elle. Avant la mort de leur père, Trafford n'avait jamais été si las. Et elle n'était pas étonnée que ce soit entièrement de sa faute si ses nerfs lâchaient aussi souvent. Lorsque la nouvelle du mariage d'Alexander avait été dévoilée par le Times, Victoria avait pris conscience du mal qu'elle faisait à son entourage et des problèmes qu'elle leur causait. D'où cette soudaine envie de vivre de plus en plus recluse et d'errer dans le domaine en pleine journée tel un fantôme...Eleanor lui avait déjà reproché son oisiveté, chose qui ne lui ressemblait pas du tout.
— Laissez-moi vous accompagner jusqu'à vos appartements.
Des yeux s'écarquillèrent brusquement à l'entente de ses paroles. Les Armstrong se tournèrent en direction d'Alexander qui s'était proposé pour l'emmener dans sa chambre. Un silence s'ensuivit jusqu'à ce qu'Alexis finisse par lui sourire.
— Je n'aurais pas refusé puisque cela est si gentiment proposé, seulement, ma sœur et vous devriez discuter.
— Je vous remercie jeune homme, mais mon petit-fils a raison, rajouta leur grand-père.
Alexis s'avançant en direction de celui-ci, prit la place de Victoria pour le guider à l'extérieur de la pièce. Il marmotta qu'il n'était pas aux portes de la mort et qu'il n'était nécessaire qu'il le tienne, voilà que son égo de mâle parlait de nouveau, ce qui fit à la fois sourire la jeune femme dans la pièce et rire le soldat qui l'attendait pour reprendre leur conversation.
— Vous tenez à peine debout, et si je vous lâchais un peu pour voir combien de secondes vous tiendriez ainsi ?
— Satané gavroche, entendirent-ils jusqu'à ce que de nouveau, un silence ne les entoure.
Une fois que la porte se referma derrière ce duo comique, Victoria prit finalement place au milieu du canapé en corbeille.
— Je vous en prie, installez-vous.
Elle les remerciait silencieusement pour l'avoir détendu même si ce n'avait pas été le but placé. La jeune femme avait au moins réussi à se revêtir de son masque d'indifférence qu'elle voulait pourtant troquer avec celui de la froideur. Mais elle n'y gagnerait pas à l'être, n'est-ce pas... ?
Alexander se tint à sa gauche, s'asseyant au bord du fauteuil en cuir puis riva son regard électrisant sur son visage. Il la trouva fort emblématique. Son dos était droit, ses mains croisées furent délicatement posées sur sa jupe tandis que son visage exprimant un air sérieux s'était tourné vers lui. Une grâce émanait d'elle d'une telle vigueur qu'il s'en trouva presque attiré.
Il exigerait sûrement une explication aux rumeurs qui devaient être infondées sur sa personne. Victoria Armstrong n'avait rien d'une dévergondée. Ou bien, s'amusait-elle seulement à le montrer.
— Je voulais vous exprimer mes plus sincères excuses. Père a été discourtois avec vous et l'humiliation qu'il vous a fait subir ce jour-là est impardonnable.
— Je n'accepte pas vos excuses. Vous n'êtes pas en droit de prendre en charge ses responsabilités, bien que vous soyez son fils. Il est le seul à avoir commis cet affront et il sera le seul à s'en décharger devant moi.
Le soldat ouvrit sa bouche avant de la refermer bêtement. Il ne s'était pas attendu à une telle réponse. D'ailleurs, il avait simplement pensé qu'elle aurait été gênée des excuses qu'il lui aurait faites.
— Ne soyez pas surpris. Pensiez-vous qu'il vous suffisait de venir vous excuser à la place de votre Père pour que j'oublie tout de cette journée ?
A vrai dire, la gifle n'était qu'un prétexte. Ce qu'elle n'oubliera jamais était le sourire qu'il avait affiché. Cette lueur de joie qui l'avait exclu...Elle s'était sentie abandonnée par l'homme qu'elle avait jadis aimé. Et il ne s'en souvenait pas.
Victoria avait déjà réfléchi à la façon la plus judicieuse de lui révéler son passé. Lui conter les moments qu'ils avaient passé ensembles, l'amour qui les avait liés. Mais l'homme qu'il était aujourd'hui la prendrait pour une vieille fille désespérée et folle d'imaginer ce genre de choses. Car l'influence des Mallory dans la société en effrayait plus d'un. Et lorsqu'ils avaient décidé d'enterrer cette histoire, LEUR histoire, elle-même n'avait pas eu le droit d'en parler lorsque l'envie lui prenait.
— Aviez-vous entretenus une relation avec mon père ?
Le regard qu'elle posa sur lui le rendit honteux de ses mots.
— Je ne ferais jamais de mal à votre mère, Alexander. Elle a été...une si bonne amie...
La gorge nouée, Victoria s'obligea à baisser le regard au sol.
Elle reconnaissait qu'il avait changé, mais du temps où ils se connaissaient, il n'avait jamais eu de cesse de lui répéter que...
— L'on ne peut décrire une personne en se fondant sur une comédie.
Il cligna plusieurs fois des yeux, gêné. En se raclant la gorge, il reprit dans l'intention de se corriger :
— Je voulais simplement connaître quel passé vous liait, pardonnez-moi, j'aurais du être plus précis.
— Non, vous vouliez savoir si j'avais pu être l'une de ses maîtresses du temps où votre mère et lui ne semblaient guère en bons termes.
Alexander jugea bon de s'en tenir à un silence prolongé. Le temps que la jeune femme se décide à prendre la parole, car, pour être honnête, il ne savait pas comment reprendre cette discussion.
Lady Armstrong prit sur elle en posant son regard sur lui.
— Je me suis liée d'amitié avec votre mère, ce qui a déplu à votre père puisqu'au vu de ma réputation, il craignait que cela tâche la sienne. Je n'ai décidé de prendre mes distances avec elle que lorsque je me suis assurée qu'il ne voyait plus cette...femme.
— Comment l'avez-vous su ? demanda-t-il, troublé par cette annonce.
— Je l'ai surpris. Il sortait d'un bordel que je connaissais bien car une de mes connaissances est malheureusement tombée à l'intérieur.
— Et comment a-t-il réagi ?
Victoria scella ses lèvres. Comment lui dire qu'il lui avait ri au nez alors que ses paroles méprisantes avaient visé à lui présenter cette disgrâce ? Après tout, aux yeux de Kincardin, elle n'était pas mieux qu'une catin de bas-étages qui avait réduit son fils à un être infirme...Heureusement, avec le temps, il avait été révélé qu'Alexander Mallory était plus en forme que jadis.
— Il a eu honte. Ses yeux se sont immédiatement baissés lorsque nos regards se sont croisés et son visage torturé eut raison de mon jugement.
De ce qu'elle savait de l'homme qu'elle aimait, le soldat tenait en très grande estime son père. Il aimait ses parents et il n'était jamais suffisant pour lui d'en faire l'éloge auprès de jeunes gens de la société. Sa mère était pour lui, l'exemple même de la femme respectable et de l'anglaise admirable que les hommes voulaient. Tandis que son père restait un vaillant et courageux guerrier, un homme honorable et digne de confiance.
Et ses mensonges ne l'aideraient qu'à apaiser sa conscience.
Ou peut-être qu'elle imaginait toujours Alexander ainsi ? Mais après ces longues années, n'avait-il pas changé ?
— Merci.
Surprise, Victoria fronça légèrement des sourcils tout en le regardant. Pourquoi la remerciait-il ? À la suite de ce mot, Alexander se leva...au moment même où une domestique rentrait dans la pièce, une assiette de mets et un service à thé sur une table roulante.
— Ce ne sera pas nécessaire, je m'en vais, dit-il à l'adresse de Miranda. Je pense vous avoir fait assez perdre de temps.
Toujours sans prononcer une parole, la jeune femme le regardait s'en aller.
— ...Alex !
L'arrêt soudain de la table remplit la pièce d'un silence pesant. La servante aux cheveux bruns restait debout sans bouger, ses billes noisette sautant d'un visage à l'autre.
Sa maîtresse s'était levée en criant le nom de son amant. Tandis que le soldat s'était immobilisé, sa tête ayant bougé pour se retrouver à la regarder. Leurs regards s'étant finalement confondus.
—...Puis-je vous appeler Alex ?
New chapter, comme d'habitude n'hésitez pas à laisser un petit commentaire !
éwè, grosse période d'absences, plus d'inspi et mes études qui me la font perdre :S
J'espère que vous allez bien en tout cas x)
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