Chapitre IX
Elle n'avait jamais vu son majordome aussi bien affublé qu'à ce jour. Alexis et elle faisaient tâche dans le décor où ils avaient été réunis, à l'exception de leur grand-père que Jared avait préféré laisser se reposer dans sa chambre. Victoria n'avait pas eu le temps ni l'envie d'aller se changer pour être plus présentable, elle mettrait un temps fou à choisir la tenue parfaite pour honorer cette soirée qui s'annonçait mal.
En jetant un regard à son frère, elle eut honte de le voir se tenir debout, un verre en main et la chemise à moitié ouverte.
— Alexis ! siffla-t-elle en regardant furtivement autour d'eux.
Jared n'était pas encore revenu, elle ne savait pas ce qu'il était allé chercher dans son bureau mais la jeune femme était certaine que ce n'était pas leurs cadeaux. En la voyant faire de grands gestes au beau milieu du salon, son frère leva les yeux au ciel et posa alors sa coupe sur le mobilier à proximité de lui. Concentré à boutonner sa chemise, il lui lança :
— Ma tenue ne nous sauvera pas, Viki.
— Mais elle conservera au moins le peu de dignité qu'il te reste pour cette soirée, Alexis, ajouta la voix grave de leur frère.
Celui-ci venait d'apparaître sur le seuil d'une des portes de la pièce.
En y entrant, Alexis s'aperçut qu'il tenait en ses mains des journaux. Il sentait déjà arriver les remarques du corsaire et comme Victoria, ils n'auront aucune chance de se défendre.
— Asseyez-vous, leur commanda-t-il d'une voix sévère.
Victoria ne se fit pas prier, elle se laissa tomber lourdement sur le siège en cuir derrière elle puis laissa Alexis les rejoindre. Il hésita à emporter avec lui sa coupe mais il lui suffit de croiser le regard de sa sœur pour l'en dissuader. Cet homme n'avait clairement aucuns bon sens ! avait-elle pensé en le voyant tendre sa main pour se saisir de son verre d'alcool.
Elle fit signe à Joseph de s'en emparer avant qu'il n'ait ensuite l'envie de noyer sa frustration à l'intérieur. Son majordome lui fit un signe de tête aussitôt qu'il comprit ce qu'il put y lire dans son regard. Puis Alexis se mit à maugréer des paroles incompréhensibles.
Soudain, Jared jeta sur la table basse, face à eux, ce qu'il avait tenu en main des minutes plutôt. Il réclama ainsi toute leur attention.
— J'aimerais des explications sur ces derniers événements.
Lorsque la jeune femme osa y jeter un œil, elle y lut le titre de la Une du Times sur laquelle elle apparaissait avec son frère. Juste ciel, il allait les pendre tous les deux !
— Eh bien...dit-elle à voix basse, légèrement effrayée par la réaction qu'il aurait peut-être. Je-...
Elle imaginait déjà le pire en lui expliquant qu'elle avait souhaité s'y rendre, seulement pour le voir. Qu'elle n'avait eu aucunes intentions de provoquer un scandale et que pourtant, c'était bien ce qu'il s'était passé.
— Kincardin s'est jeté sur notre sœur, voilà ce qu'il s'est passé.
Jared observa son frère qui soutenait son regard, puis il déplaça ses pupilles sur sa jeune sœur, guettant la moindre réaction. Elle roula des yeux et ouvrit la bouche sans même prononcer un mot. Victoria n'avait pas imaginé qu'il prendrait la parole. Et encore moins pour dire ça.
— Quelle en était la raison ?
— Tu le sais. Tout le monde le sait. Il ne supporte pas sa vue.
— Alexis...souffla Victoria, le priant d'arrêter du regard.
— Ce n'est pas parce qu'Alexander est venu s'excuser auprès de toi que son père se retiendra de t'humilier en public, Viki.
Le duc de Cambridge fronça irrémédiablement des sourcils.
— Alexander est venu s'excuser ?
— Oui, répondit-elle simplement.
Victoria savait pertinemment ce qu'il en pensait de cette histoire. Si son frère lui avait proposé de monter à bord de son bateau, ce n'était pas pour lui proposer de faire le tour du monde et de découvrir les cultures différentes des pays dans lesquels ils se rendront, il avait eu dans l'intention de lui faire oublier tout de son passé avec l'homme qu'elle aimait. Pour lui, il n'y avait plus aucune chance pour que sa sœur et Alexander aient la relation qu'ils avaient partagée à l'époque.
— Que s'est-il réellement passé Viki ? demanda finalement Jared en adoptant un ton moins autoritaire.
— Eh bien, j'ai su qu'Alexander était de retour à Londres...pour se marier. J'ai été troublée par cette annonce et je me suis invitée aux festivités. C'est tout.
— Et Kincardin l'a vu arriver et s'est montré insolent.
— J'ai aussi été grossière en m'invitant à cette fête, Alexis !
— Victoria ! Tu penses mériter cette humiliation ? s'exclama le cadet, consterné par les paroles de sa sœur.
Elle ne répondit pas. Ils savaient tous les deux que le père Mallory avait réagi de manière excessive.
— Mes chères, j'apprends en revenant que ma sœur a subit un affront, que mon frère a failli sauter à la gorge du coupable...Et que vous n'en faites qu'à votre tête !
Il marqua une pause pour reprendre d'une voix coléreuse :
— Vous êtes des adultes !
— C'était de ma faute, je suis désolée. Je n'aurais jamais du m'y rendre, je ne voulais pas créer ce scandale...
Lorsqu'elle surprit le regard de son frère ainé sur elle, Victoria en eut les larmes aux yeux. Il était déçu par son comportement et elle ne pouvait rien y faire. Elle était attirée par Alexander Mallory. Elle ne pensait qu'à lui à longueur de journées. Chacune de ses sorties était programmée pour avoir la chance de le rencontrer. De lui plaire une nouvelle fois. La guerre était perdue d'avance, n'est-ce pas ?
Elle sentait sa combativité s'en aller.
— Je vous prie de m'excuser, je vais me retirer.
Elle se sentait tellement honteuse. Jusqu'ici, elle n'avait jamais ressenti ce sentiment malgré les scandales qu'elle avait engendrés...Jared ne lui faisait que quelques remarques à ce sujet puisqu'il connaissait la raison derrière ce qu'elle créait.
En se levant de son siège, les yeux rivés au sol, Victoria contourna la table et se dirigea jusqu'à la sortie. Joseph l'avait accompagné afin de lui ouvrir la porte, spectateur de la scène et simple domestique, il ne pouvait se permettre d'ajouter sa propre opinion. Dès qu'elle quitta la pièce, la jeune femme entendit Alexis éclater :
— Aurais-je du la laisser ainsi ? Face à Kincardin et tous ces maudits nobles ?
— Tu n'aurais pas du réagir de cette manière, gronda la voix du corsaire qui n'effrayait plus son petit frère visiblement.
— Tu oses nous faire la morale alors que tu nous fais part de ton absence toute l'année. Tu aurais du la voir lorsqu'elle a découvert qu'Alexander allait se marier ! Ce n'est pas toi qui l'entends pleurer au fond du jardin, elle s'isole en pensant que nous ne la voyons pas grand-père et moi.
— C'était à toi de l'empêcher de prendre ses chevaux pour aller je-ne-sais-où vivre sa passion éphémère !
— Ah maintenant cet accident est de ma faute ? C'est de ma faute si notre chère sœur est tombée amoureuse aussi ?
— En mon absence, c'est à toi de t'occuper de ce domaine et de ta famille. Tu agis comme un enfant avec tes jeux au lieu de te comporter en homme.
— Si se comporter en homme Jared, c'est de refuser la main de notre sœur à un homme qui était prêt à tout abandonner pour elle, alors je refuse de me comporter de la même manière que toi.
Un silence accueillit ses paroles. Victoria fut abasourdie elle aussi, elle n'entendait que très rarement les disputes de ses frères car elle n'en était jamais au cœur, mais cette fois-ci, c'était différent. Alexis avait l'air menaçant et il était conscient des mots qu'il employait.
— Ma Lady...
Le majordome se trouvait dans une situation bien délicate à cet instant. La suite de la discussion pourrait bien l'étonner, ce qu'il ne souhaitait pas.
— Je sais Joseph, une Lady n'écoute pas aux portes.
Une fois ses paroles prononcées, la jeune femme s'était approchée de l'escalier. Hésitante au départ, elle finit par monter les marches puisque le silence prônait dans la pièce.
— Tu aurais pu leur donner les moyens de s'en sortir. Il voulait être médecin. Tout ce que tu as fait, c'est de les pousser à s'enfuir. Tu étais seulement effrayée de la perdre.
****
Le lendemain matin, les serviteurs du domaine des Armstrong n'eurent qu'une seule idée en tête, espionner le maître de la maisonnée alors qu'il faisait les allers-retours entre son bureau et sa chambre qui se situait au bout de couloir. Forcément, il serait donc amené à passer devant celle de sa petite sœur. Depuis qu'il s'était réveillé, Jared attendait impatiemment que celle-ci se lève et le rejoigne pour prendre leur petit-déjeuner. S'arrêtant devant sa porte, il hésitait à toquer, baissait son poing, parfois il le levait une nouvelle fois mais par la suite il l'abaissait avant de regagner son bureau.
Il avait croisé, une heure plutôt, Alexis qui s'était moqué de lui. Jusqu'ici, il n'avait pas encore saisi que leur sœur avait cessé de dormir dans sa chambre et qu'elle préférait son boudoir. Elle y était plus tranquille avec tous ces jouets.
Ce ne fut que lorsqu'il surprit le regard de sa sœur sur sa personne que Jared comprit que l'attente fut vaine. Elle se tenait à la rampe d'escalier, ses pupilles bleues le détaillant sans gêne, un air interrogateur collé sur son visage.
— As-tu aménagé ton boudoir ?
Il était surpris de ne l'avoir pas entendu monter.
— Depuis noël dernier, Jared, lui avait-elle répondu en cachant avec un certain mal le sourire moqueur qui menaçait d'étirer ses lèvres. Alors, elle enchaina : Que faisais-tu ?
Il se racla la gorge, gêné.
— Je voulais...te voir.
— Est-ce pour me sermonner une nouvelle fois ?
Elle arqua l'un de ses sourcils en attendant qu'il lui réponde. Une servante se retrouva en bas des escaliers, du linge plié entre ses bras et le visage tourné dans leur direction, visiblement elle venait de les interrompre. En lui lançant un regard, Jared lui ordonna silencieusement de continuer ses tâches domestiques sans faire attention à eux. La domestique monta les escaliers en prenant soin au passage de saluer ses employeurs une fois qu'elle fut à l'étage.
— Miranda, pourrais-tu me préparer une toilette pour cette après-midi ? Je pense me rendre au musée.
— Oui, milady.
Elle disparut ensuite dans l'une des pièces du domaine, les laissant seuls bien que quelques regards indiscrets n'étaient pas très loin.
— Tu comptes t'y rendre seule ? lui demanda son frère, simplement curieux.
— Ai-je besoin d'un chaperon ? À l'âge que j'ai...
— Puis-je t'y accompagner ?
Le duc ne put définir ce sentiment dans sa poitrine, mais en découvrant le ravissement de sa sœur à l'entente de ses paroles, il sentit une sensation chaleureuse dans son corps. Ce moment lui rappelait leur enfance, lorsque leur père absent s'en allait et qu'il lui laissait la charge d'entretenir le domaine et ses frères et sœurs. Il se souvenait encore des yeux pétillants de malice de Victoria à l'époque et de ses bêtises.
— Tu es sûr de vouloir passer l'après-midi avec moi ?
— Ai-je une raison de m'inquiéter ? Prévois-tu un autre scandale ?
Elle leva les mains en signe de reddition.
— Non, bien sur que non.
Victoria fut blessé qu'il puisse y penser, cependant, il avait de bonnes raisons d'y croire. Ces dernières années, elle n'avait fait aucuns efforts pour s'en dépêtrer. Elle laissait les choses se dérouler et bien que des justifications auraient pu sauver un tant soi peu sa réputation de vieille fille dévergondée, la jeune femme avait trouvé cela ennuyeux de simplement « essayer » de la sauver.
— Ou est grand-père ? demanda-t-elle finalement.
Car la raison pour laquelle elle n'avait pas quitté la maison en milieu de matinée était parce que le médecin devait passer l'ausculter.
— Dans sa chambre.
— Docteur Vanner est ici ?
Elle écarquilla des yeux, les domestiques étaient censées la prévenir de sa venue !
— Cela fait bien plus d'une heure qu'il est arrivé, Alexis ne te l'a pas dit ?
S'il avait vu son petit frère à l'étage c'était parce qu'il avait accompagné le médecin jusqu'à la chambre de leur grand-père et y était resté une bonne quinzaine de minute avant d'en ressortir. C'est pourquoi, ils s'étaient croisés.
Jared aperçut sa sœur fulminer de rage. Les poings sur ses hanches, elle laissa passer un filet de jurons, tourna sur elle-même et semblait sonder le hall d'entrée comme si Alexis allait apparaître d'une minute à l'autre pour recevoir ses insultes.
Il se mit à rire bien que la joie ne s'y faisait pas ressentir. Un sentiment de chagrin avait commencé à naître au fond de sa poitrine...Sa sœur était bien plus mature que dans ses souvenirs ou bien était-ce parce qu'il n'avait jamais pris le temps de passer du temps avec elle autrefois, lorsqu'il revenait de missions.
En parlant du loup, le médecin quitta la chambre en refermant doucement derrière lui. Docteur Vanner était un homme de petite taille, du moins, s'il se plaçait à côté de Jared il l'était. Des cheveux blonds tirés en arrière de son crâne laissaient entrevoir quelques cheveux grisonnants trahissant son vieil âge. Pourtant, son visage possédait un air juvénile. Victoria lui aurait donné dans la quarantaine tout au plus, ses yeux si profonds et noirs lui laissaient à penser que dans sa jeunesse, Vanner avait été très séduisant.
Alors qu'elle était en train de le regarder s'approcher d'eux, longeant le couloir, la jeune femme surprit une grimace sur le visage du docteur. Celui-ci roula des yeux, détaillant de la tête au pied la jeune femme qui ne s'était pas rendue compte que depuis son réveil elle n'avait pas changé de toilettes. C'est en chemise de nuit que Lady Armstrong se baladait dans son domaine, elle n'avait pas voulu troquer le confort à l'embarras. Ainsi à son approche, le rouge lui monta aux joues et sans comprendre, il baissa le regard et se tourna vers le corsaire.
— Que pouvez-vous nous dire de son état, docteur Vanner ?
Il jeta une œillade à la jeune femme, qui ne comprenait toujours pas la réaction du médecin à son encontre alors qu'il avait toujours eu l'habitude de lui faire un résumé de sa séance médicale.
— Votre grand-père ne se repose pas assez, et j'ai raison à penser que son moral est atteint par quelque chose dont il ne souhaite pas parler. Cela doit lui tarauder l'esprit.
— Une chose... ? demanda Jared, arquant un sourcil.
Victoria releva sa robe de nuit qui trainait au sol puis se précipita immédiatement dans les appartements de son grand-père. Elle devait en avoir le cœur net. Elle n'espérait pas qu'elle soit le problème dans ses pensées car cela l'atteindrait plus qu'elle ne pouvait l'imaginer, elle était en était certaine.
— Victoria ! s'écria son frère en s'excusant auprès du médecin avant de se lancer à sa poursuite.
En ouvrant brusquement la porte, ses yeux passants d'un mobilier à l'autre, ils s'arrêtèrent finalement sur un lit à baldaquin sur lequel le vieillard était en train de reposer.
— Il vient de s'assoupir...chuchota Jared en arrivant derrière elle.
Victoria demeura immobile pendant quelques minutes, l'observant longuement. Elle serra des dents puis tourna les talons. Laissant son grand-frère se perdre dans ses agissements, il n'avait pas compris sa réaction et elle était sûre qu'il essaierait de comprendre la raison pour laquelle elle avait agi ainsi.
Mais il était temps...De leur dire la vérité. Elle-même, n'y avait pas cru en la lisant. Néanmoins, la missive que Chrysanthem lui avait envoyée révélait une chose qu'elle aurait souhaité ne pas leur dire. Pourtant, elle avait surpris sans grand-père attarder son regard sur la dite lettre ouverte dans son boudoir. Ce jour-là, il n'avait pas osé lui dire quoique ce soit, ne sachant pas lui-même comment aborder le sujet.
New chapter ! J'espère qu'il vous a plu ! En attendant d'en savoir plus, je vous invite à découvrir la couverture de "Jeu de Dames" nouvellement intitulé " l'Épouse Scandaleuse" !
https://www.facebook.com/GlorianaEd/posts/1965211570245087
Merci pour tous vos commentaires et vos votes ! Je vous remercie également pour votre soutien, merci beaucoup !!! x)
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