Prologue
Londres, 1836,
« Vous êtes mariés ! siffla-t-elle entre ses dents, en lui lançant des regards courroucés. »
Le duc de Wayland leva les yeux au ciel. Elle n'était pas la seule à lui lancer cette information à la figure. Bien évidemment qu'il l'était, mais que faire d'autre que de rester sur ses positions ? Sa femme était introuvable, et le pire dans tout cela c'était qu'il ne connaissait rien d'elle !
« Vous êtes mariés et vous osez me faire la cour ? reprit la jeune fille aux cheveux bruns, auprès de laquelle il avait eu le coup de foudre. »
Trevor Maynfield, duc de Wayland, ne s'était jamais autorisé à croire à ce genre de sornettes. Cependant, lorsqu'il l'avait vue la première fois, à Green Park, Trevor avait été troublé non seulement par son visage joliment exposé, mais aussi sa grâce. La jeune femme admirait la beauté du paysage avec son extravagant chapeau, il se rappelait que celui-ci avait une couleur fantaisiste, qu'un amas de plumes le décorait sur le côté gauche et que sa tenue était pourtant contradictoire avec cette forme d'extravagance. Le duc avait donc pensé que ce n'avait été que le coup de foudre qu'il avait ressenti à ce moment-là. Une femme pure qu'il ne se serait jamais amusé à toucher.
Une femme correspondant à tout ce qu'il avait toujours recherché.
« Qu'en penserait votre femme, Votre Altesse ? La duchesse de Wayland serait ravie d'entendre ce que j'aurais à lui dire, finit-elle par lui déclarer en se saisissant du pot de fleurs, de la table du petit salon, jouxtant la fenêtre qui laissaient les lueurs de la lune les éclairer. »
Trevor resta un moment pensif, si jamais Clarissa Brighton était en contact avec sa femme, il aimerait, en toute franchise, lui demander s'il pouvait enfin la rencontrer en bonne et due forme pour régler cette légère méprise. Lorsque son père est mort, il y a deux ans de cela, le vieillard n'avait jamais eu le temps de lui mentionner qu'il était déjà marié juridiquement avec une femme. Ni même qu'elle se révélait être d'une origine étrangère ! Lors de la lecture de son testament, sa grand-mère et lui-même étaient restés abasourdis par la tournure des événements. La maison de campagne en Cornouailles appartenait à la jeune « Pandora F. », fille d'une certaine noble italienne, et étant, actuellement, introuvable. Il ne connaissait pas de Pandora à Londres, ce qui était fort étrange pour lui.
« Et bien ? Avez-vous finalement repris vos esprits Monseigneur ? demanda Clarissa, qui hésitait visiblement à lui lancer ce pot en porcelaine en pleine face.
— C'est un malentendu que je compte régler, répondit tout simplement le duc, ne voyant pas vraiment quelle autre réponse il pouvait être amené à lui apporter. »
La jeune fille cligna plusieurs fois des yeux, un malentendu ? Quel malentendu pouvait-il y avoir de toute façon ?
« Je vous prie de bien vouloir m'excuser pour ce comportement, il est peut-être juste que je vous laisse à présent », rajouta celui-ci en tournant vivement les talons, sans lui laisser le temps de lui répondre.
Clarissa suivit, de ses pupilles vertes, le duc de Wayland se retirer de la pièce sans demander son dû, elle resta un moment debout, les mains serrées autour du pot avant de le poser prudemment sur la table à ses côtés. Depuis le début de la saison, Trevor Maynfield n'avait cessé de lui demander sa main mais il semblait prendre à la légère le fait qu'il soit déjà marié ! Ou bien, avait-il tout simplement perdu la tête ?
Le Times, ainsi que le Sunday Times, ont bien décrété le fait que le plus grand libertin notoire de Londres, le fameux duc de Wayland, appartenait déjà à une demoiselle du nom de « Lady P. ». Et qu'il était alors impossible pour les mères de marier leurs débutantes cette saison-ci avec l'homme le plus fortuné d'Angleterre.
Elle s'assit lourdement sur la méridienne et poussa un long soupir, sachant qu'en étant la proie du duc, il lui serait bien difficile d'échapper à ses filets et encore plus à son charme dévastateur. Ses yeux bleus arrivaient, elle en était certaine, à ensorceler la plus stricte des gouvernantes, quant à son regard perçant, il pouvait faire tomber à ses pieds n'importe quelle reine des royaumes voisins. Ses cheveux bruns si sombres pourtant, à l'apparence si soyeuse, avait été rabattus en arrière sur son crâne. Quant au costume dont il s'était vêtu, il mettait parfaitement en valeur son corps musclé. Pour Clarissa, il était normal pour elle que les femmes tombent aussi aisément à ses pieds. Il suffisait que le duc fasse part de son éloquence à la gente féminine, pour que celle-ci en soit toute chamboulée. Cependant, ses femmes se ressemblaient toutes... Elle avait compris qu'il fallait lui opposer une certaine résistance pour qu'il s'intéresse à elle.
Son regard se posa sur la porte qu'il venait de passer il y a quelques minutes, puis elle le posa sur ses mains jointes, qui serraient les plis de sa robe en satin vert. La brunette réfléchit une bonne quinzaine de minutes sur la situation dans laquelle elle se trouvait. Puis, elle finit par prendre congé, ne voulant pas continuer à danser en compagnie d'hommes, qui se chercheraient querelles à la moindre pincette, afin d'avoir les faveurs d'une dame respectable.
Quant au duc de Wayland, il avait pris son attelage et était rentré dans son manoir directement après la brève discussion qu'il eut avec la jeune et charmante Clarissa Brighton. Il devait s'avouer vaincu, elle avait raison et dieu seul sait combien il détestait que les autres aient raison. Trevor devait à tout prix avoir une longue discussion avec sa soi-disant femme qui se nommait Pandora, mais Pandora comment ?
D'après le testament de son père, son épouse possédait sa maison de campagne et Lucky, un sang-pur qui valait quelques milliers de livres. Non seulement la chanceuse avait un toit, mais elle avait un animal qui serait sans doute d'un grand recours financier si jamais elle se retrouvait dans de grandes difficultés. Toutefois, d'après les lois de la société, tout ce qui revenait à l'épouse lui revenait de droit, sauf s'ils divorçaient.
« Une lettre vous est parvenue durant la soirée Votre Altesse. Une lettre du comte d'Hempton. »
Le duc ôta son gilet et déboutonna les trois premiers boutons de sa chemise avant de poser finalement le regard sur son majordome.
« Le comte d'Hempton ? demanda-t-il, en fronçant légèrement des sourcils.
—Oui milord. Donovan Fortune, le comte-...
—Je sais qui il est Emrick, je me demandais juste pourquoi il m'aurait fait parvenir une lettre si tard dans la journée. »
Le majordome ne lui répondit pas, il resta un moment silencieux lui tendant toujours la lettre de sa main gauche, en attendant que le duc ne la prenne. Bien qu'habituellement confronté à un vieil homme strict et aigri lorsqu'on parlait de majordome, Emrick était encore jeune et plein de vie, cependant il lui manquait souvent de bon sens. Une chose que le duc de Wayland aurait fait attention s'il n'avait pas eu une préoccupation nouvelle ses derniers temps. Et c'était bien évidement son mariage !
Après avoir poussé un petit soupir, légèrement frustré par la soirée qu'il venait de passer au bal, organisé par Lady Hamilton, il se saisit de l'enveloppe, d'où on pouvait percevoir le sceau de la famille Fortune, avant de se diriger dans sa bibliothèque à l'étage supérieur. Lorsqu'il gagna tout d'abord ses escaliers, il prit le temps de tourner puis de retourner la lettre dans sa main, se demandant ce que le comte lui aurait envoyé. Ils n'avaient jamais côtoyés les mêmes cercles. En effet, bien que le duc de Wayland ait un accès privilégié à certains cercles mondains dû à sa fortune ainsi que son titre, ou même à la réputation de sa famille, le comte d'Hempton était d'une autre trempe. Ils s'étaient déjà croisés plusieurs fois à de nombreux événements mais le comte s'était toujours montré distant avec les hommes du monde. Pourtant il s'était déjà intéressé particulièrement à lui, lorsqu'il fut plus jeune. Son père et lui avaient été de grands amis. Il avait même vu Donovan Fortune à l'enterrement de son père.
Et enfin, il pénétra dans sa bibliothèque, une pièce assez vaste comportant plusieurs armoires contenant de nombreux livres en tout genre, ainsi qu'un canapé assez ample en cuir, éclairé par les lueurs de la lune, passant à travers les larges fenêtres de la pièce. Juste devant le canapé, une table basse en bois avait été installée pour remplir le vide de la pièce, le duc avait même préféré qu'un tapis vienne s'ajouter aux décors de la salle. Il y était même placé dans un recoin de celle-ci, un petit bureau sur lequel un globe était posé et dont une chandelle avait été allumée juste à côté.
Les domestiques avaient l'habitude de voir leur maître faire les allers-venues dans la nuit entre sa chambre et la bibliothèque, mais ce n'était qu'à cause de ses maîtresses qu'il laissait reposer dans sa chambre. Le duc s'était plaint plusieurs fois de ne pouvoir trouver le sommeil aux côtés d'une femme, alors la bibliothèque était l'endroit dans lequel il préférait s'isoler ou même se reposer. Il avait donc ordonné à ce que sa bibliothèque soit toujours éclairée le soir.
S'approchant de la chandelle à trois-bras, il sortit du tiroir du bureau un petit couteau afin d'ouvrir plus aisément l'enveloppe. Une fois le tour joué, il sortit le fin papier encré et commença sa lecture avec un intérêt particulier.
« A l'adresse du duc de Wayland,
La formalité n'a jamais été quelque chose que je puisse respecter, mais il me fallait vous adresser cette lettre afin de vous informer d'une décision importante dont vous n'avez jamais eu connaissance. Ceci concernant mon grand ami, votre père. Et du choix de votre épouse. Comme vous pouvez le constater, vous n'avez eu la connaissance que de l'une de mes filles, Faith. Néanmoins l'aînée, n'ayant jamais fait son entrée dans le monde pour des raisons particulières, vous est inconnue. Et c'est bien en cette cause que je vous écris.
Pandora, ma fille, et l'ainée de la famille Fortune, est liée à vous par le mariage et je vous en serais reconnaissant si dès demain, dans en fin d'après-midi, vous pourriez venir en discuter en ma compagnie dans mon domaine.
Cordialement, signé le comte d'Hempton, D.F »
****
Après la relecture de la courtoise lettre de son actuel « beau-père », s'il croyait ce que le comte avait écrit, le duc de Wayland enfila sa chemise en soie avec désinvolture. Il s'attarda quelques minutes devant son miroir, non pour soigner son apparence mais pour avoir le plaisir d'admirer sa maîtresse étendue sur son lit. Elle l'observait avec convoitise et avec une certaine lueur de malice au fond de ses pupilles bleutées. Il aurait aimé profiter encore de sa présence dans ses appartements, cependant il avait à faire. Ne devait-il pas rencontrer le comte pour éclaircir cette énorme méprise ? Bien sûr, il avait tellement de questions à lui poser avant de régler ce problème. Il se chaussa rapidement, se saisit de ladite lettre et la plia afin de la glisser facilement dans la poche de son pantalon.
Soudainement, il sentit des mains baladeuses lui retirer sa chemise de l'intérieur de son pantalon. Trevor esquissa alors un sourire et, d'un geste brusque, il amena la jeune femme à la peau rosée devant lui afin de l'enfermer dans la cage humaine que formèrent ses bras. Il la plaqua doucement contre son armoire en bois où le miroir était placé à sa gauche dans un coin de la pièce, il y avait même un paravent juste à côté. Cette chambre n'était pas la sienne loin de là, elle avait appartenu à son père jusqu'à sa mort. Le manoir reprit vie il y a un an et demi, lorsque Trevor revint de son long séjour en France. On lui avait rapporté que son épouse séjournait aux alentours de Versailles, néanmoins il n'avait croisé aucune Pandora là-bas.
« Dois-tu vraiment y aller ? demanda celle-ci en jouant avec l'un des boutons de sa chemise.
— Le comte se sentirait offensé si je n'honorais pas sa demande.
— Est-ce réellement sa fille que tu as épousée ?
— Je n'ai épousé personne. Enfin d'aussi loin que je me souvienne, je ne me rappelle pas avoir ramené une femme devant l'autel. »
Elle lui sourit, amusée, c'était la première fois qu'elle voyait le duc de Wayland aussi contrarié. Il est vrai que savoir, du jour au lendemain, que vous êtes mariés à une personne dont vous ignoreriez l'existence, serait assez frustrant.
« Tu devrais attendre quelques heures avant de quitter le manoir. Tu ne feras qu'alimenter les rumeurs à notre sujet et en ce moment je ne tiens pas à apparaître dans la Une du Times. »
La jeune femme quitta immédiatement ses bras en l'entendant, les yeux bleus du duc la suivirent marcher jusqu'au lit à baldaquin, puis en la voyant commencer à remettre ses dessous, Trevor leva les yeux au ciel. Elle pensait qu'il n'assumait pas le fait qu'il l'ait prise en tant que maitresse pendant ses derniers mois, cependant Annabelle savait pertinemment que ce n'était que parce qu'il devait régler ce problème qui faisait fureur dans toute l'Angleterre.
Dans un soupir, il s'arrangea assez rapidement et sonna la cloche afin d'appeler un domestique. Ce fut Pauline qui apparut au pas de la porte. Une petite femme aux formes proportionnées, aux traits étonnamment fins et qui possédait de belles boucles blondes libérées par son bonnet. Le duc avait été surpris de savoir que ce petit bout de femme n'appartenait à aucun sang noble. A en voir par ses traits, la grâce qu'elle libérait dans chacun de ses gestes et enfin la nature de son langage, Pauline avait tout l'air d'une fille de bonne famille, bien éduquée et qui n'attendait que l'engagement pour mettre, justement, à profit son éducation.
« Vous avez appelés, Votre Grâce ?
— Demande à ce que l'attelage d'Annabelle soit prêt à la ramener chez elle. Il semblerait qu'elle veuille à présent partir.
— Bien Milord », répondit la domestique de sa douce voix.
Elle ignora le regard noir que lui lança la maîtresse de son maître et appliqua les ordres qu'il lui avait dictés.
Annabelle se sentit offensée par le revirement de la situation, le duc changeait vite d'humeurs ces temps-ci. Autrefois, si elle avait fait ce genre de caprices, il serait resté un peu plus longtemps pour lui tenir compagnie, là, il la renvoyait sans aucun scrupule.
« Bien, il semblerait que tu aies d'autres affaires plus importantes que moi. Ne t'étonne donc pas si tu ne me vois pas les prochains jours qui suivront.
— À bientôt, mon cœur, lui répondit-il affichant une mine radieuse, en sortant de la pièce.
— Faites votre possible pour que son attelage ne quitte le domaine qu'après une demi-heure, je ne souhaite pas figurer dans de nouveaux problèmes et je pense devenir assez vieux pour des duels », commanda Trevor en descendant rapidement les escaliers.
Il fouilla dans sa poche de pantalon et y sortit une montre, il était déjà en retard de dix minutes. Bien qu'il aurait pu arriver même une heure après, ça n'aurait rien changé, mais il avait d'autres choses faire. Trevor devait aller récupérer le testament chez sa grand-mère qui avait voulu l'examiner de plus près.
« Elle serait veuve depuis bien longtemps si son mari n'était pas aussi stupide », osa rajouter Emrick avec un sourire satisfaisant.
Cependant il suffit à Trevor de lui lancer un regard suffisant pour qu'il s'efface de son visage.
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