29. Mauvais augure
Le doux chant d'un oiseau fut le premier à briser le silence engourdi de la nuit. Taches Fauves leva son regard fatigué vers lui, et l'observa un instant, avec un regard bien différent d'à son habitude. Il ne le vit pas comme une proie potentielle dont il était le prédateur, mais plutôt comme le vol d'une feuille morte, ou les remous d'une rivière ; la beauté de la nature. Noisette Givrée un peu plus loin semblait lutter contre le sommeil qui menaçait de la prendre, attendait avec impatience les premières lueurs du jour. Et puis, le Clan commença à s'agiter, l'on vit sortir des antres les premières moustaches, et Épine de Sapin vint leur annoncer que leur garde était terminée, et avec elle leur vœu de silence. Pourtant, ni le frère ni la sœur n'eurent le moindre mot à prononcer, à peine un merci qui préféra passer dans le regard qu'ils posèrent sur le doux et affectueux guerrier, avant de filer dans l'antre qui était désormais la leur, dans ce Camp qui n'avait jamais été autant à eux. Les deux enfants d'Étoile du Crépuscule ne tardèrent pas à s'endormir, épuisés mais heureux. Taches Fauves se fit la réflexion qu'il n'imaginait pas la nuit de veille tant attendue aussi éreintante, malgré tout le temps qu'il avait passer à l'imaginer. Taches Fauves. Il sombra dans le sommeil avec ce nouveau nom, le sien, accroché sur la langue, flottant dans son esprit, omniprésent, cherchant à se faire une place en lui. Son somme fut pourtant de courte durée, car il lui sembla qu'il ne s'était écoulé qu'une fraction de secondes lorsque le cri retentit. Noisette Givrée, elle, ne frémit pas d'une moustache. Le tout jeune guerrier se leva, et rejoignit la foule qui s'était rassemblée devant la tanière des apprentis, visiblement inquiète. Deux chats la fendirent, l'un dont la taille ne parvenait à écraser la prestance de l'autre. Poussière d'Étoile et Étoile de Neige.
« Qu'est-ce qu'il se passe par ici ? demanda la meneuse, un peu sèchement, pas vraiment agacée, plutôt inquiète.
– Quelqu'un a eu peur d'une araignée ? railla Pelage de Pierre depuis la clairière, visiblement énervé, lui, que sa journée débutât ainsi.
– Poussière d'Étoile, c'est Nuage de Mésange... Elle ne bouge plus... »
Nuage de Poussière, qui avait vainement tenté de la réveiller, avant de finalement appeler à l'aide, tremblait de tous ses membres, mort d'inquiétude. Sa sœur était la seule famille proche qui lui restait, il était pétri d'angoisse. Bien sûr, il avait toujours Plume d'Aurore, sa sœur d'une autre portée et d'un père différent, mais il n'avait jamais été proche ni d'elle ni de Pomme Cendrée. Alors il regarda Poussière d'Étoile, dans l'espoir que celui-ci lui dît de son habituelle voix pleine de confiance que tout allait bien aller, qu'il pouvait arranger ça... quoi que ça fût. Pourtant, le guérisseur n'en fit rien, et demanda à Pelage de Flocon et Tempête de Glace qui étaient les plus près de faire sortir tous les apprentis, et de ne laisser entrer personne, pas même un guerrier. Le couple s'exécuta donc, et il ne resta plus que la chef et son guérisseur, et ce que tous deux savaient être le cadavre de Nuage de Mésange.
« Poussière d'Étoile, est-ce que tu as une idée de ce qu'il lui est arrivé ?
– Pas la moindre. Et c'est bien ce qui m'inquiète... Elle ne présente aucune blessure, rien. C'est comme si elle s'était simplement endormie pour ne plus se réveiller. »
Étoile de Neige ferma les yeux un instant. Ça ne pouvait pas recommencer, pas maintenant, pas si tôt. Clan des Étoiles, pourquoi, pourquoi tant de morts ? Pourquoi ne puis-je pas les protéger ? Lorsqu'elle les rouvrit, elle constata que son fils la regardait avec la même impuissance que celle qu'elle ressentait. Elle allait devoir une nouvelle fois annoncer à son Clan qu'il avait perdu une des siens, à Nuage de Poussière la seule sœur qu'il lui restait, après que Petite Mousse les ait quittés bien des lunes auparavant. Une pensée se fraya un chemin, qu'elle n'avait jamais connue aussi forte ; elle ne voulait plus de cette responsabilité, elle ne voulait plus être chef, seulement une guerrière innocente qu'on guide dans les moments de troubles. Poussière d'Étoile sembla se douter de sa détresse, puisqu'il pressa son front contre le sien, avant de ressortir de la tanière, porteur à sa place de la terrible nouvelle qui venait de secouer son Clan. Une parmi tant d'autres, toujours aussi douloureuse pourtant. Toile d'Araignée au dehors demanda à Nuage de Poussière de bien vouloir le suivre, et le guida dans la forêt, visiblement désireux de l'aider à libérer sa peine et sa rage. Le Clan le laisse faire ; il savait trop bien ce que cela faisait de perdre une sœur, Flamme Ardente comme une douleur encore trop vive dans son cœur.
Le Clan fut bien obligé de se remettre en branle, prétextant que tout allait bien, quand eux-même se désolaient de la mort de la silencieuse mais pétillante Nuage de Mésange. Une question commune flottait néanmoins dans l'air : qu'avait-il bien pu se passer ? Un nom suivait, réponse hésitante mais assez persistante pourtant, sans que personne n'osât le prononcer à voix haute. Hérisson récupéra Nuage de Lion, Griffe de Hibou et Nuage de Neige, et tous quatre sortirent du Camp pour ce qui allait être le premier entraînement des deux nouveaux apprentis. Au programme, visite du territoire, et réponses aux probablement incessantes questions des deux chatons. Hérisson regarda le jeune matou devant lui qui bondissait aux côtés de sa sœur bien plus intéressée par toutes ces nouvelles odeurs que par l'animal à côté d'elle, le cœur gonflé de fierté. Lorsque la veille, juste à la suite des cérémonies de baptême de Taches Fauves et Noisette Givrée, Étoile de Neige l'avait nommé mentor de Nuage de Lion, il ne l'avait d'abord pas cru. Comme s'il avait mal entendu. Ce fut le coup d'épaule de Pelage de Nuit à ses côtés qui lui rendit ses esprits, et il était alors allé à la rencontre de son neveu, les pattes tremblantes de joie et d'appréhension. Il en oublia presque le drame d'un peu plus tôt, heureux comme il ne lui était pas permis d'être.
Toile d'Araignée pensait proposer à Nuage de Poussière l'opportunité de se défouler, courir peut-être, crier beaucoup, pleurer surtout, loin des autres, loin de tout ; il ne pensait pas devenir l'objet des confidences de son cadet. Il l'écouta cependant, sans laisser paraître un quelconque agacement ; peut-être parce qu'il ne l'était aucunement. Nuage de Poussière raconta ce qui pouvait lui passer par la tête qui éloignerait ses pensées de sa sœur, et Toile d'Araignée l'écouta. Nuage de Geai pour qui il se sentait développer des sentiments plus qu'amicaux et dont il ne savait que faire, les sombres rêves qui le hantaient depuis que le Clan de la Nuit les avait kidnappés, ses parents qui lui manquaient... Toile d'Araignée passa sa queue autour de lui, pas certain de comment il pourrait le rassurer. Cela sembla suffire pour un temps. Guerrier et apprenti restèrent là, longtemps, jusqu'à ce que Nuage de Poussière sentît de nouveau le chagrin le submerger, et proposa alors d'aller chasser. S'occuper pour se vider l'esprit, ne pas penser à Nuage de Mésange, ne pas repenser à Lune Noire et Patte Féroce qui lui manquaient atrocement, ne pas penser à Petite Mousse qu'il n'avait pas tant connu. Il pleurerait de nouveau ce soir, en attendant, il devait rester occupé pour les chasser de son esprit.
Plume d'Aurore souffrait, son ventre la brûlait, ses pattes peinaient à soutenir le poids de son corps, et sa vision se troublait de plus en plus. Elle avait sûrement mangé quelque chose qui avait contrarié son estomac, il lui fallait s'allonger, passer voir Poussière d'Étoile probablement ; elle voulait retrouver Griffe de Hibou. Comme une sensation étrange que si elle ne retrouvait pas son compagnon, quelque chose de terrible allait arriver. Griffe de Hibou. L'apprenti qu'il était à l'époque de son arrivée avait été affreux avec elle, plein de mépris, malgré les réprimandes d'Étoile de Brume, parce qu'elle était une chatte domestique et qu'elle n'avait rien à faire ici. Pomme Cendrée s'était beaucoup battue avec lui, d'abord chaton quand elle ne faisait aucunement le poids, puis apprentie farouche qui savait désormais rendre les coups. C'était ainsi que beaucoup les voyaient à cette époque, et que lui comme les autres les considéraient : l'espiègle Nuage de Pomme qui ne se laissait jamais marcher dessus, et la timide Nuage d'Aurore, bien plus en retrait. C'était lorsque Plume d'Aurore avait démontré qu'elle n'avait rien de timide, et qu'elle était parfaitement capable de se défendre par elle-même, mettant au sol un Griffe de Hibou en passe de devenir guerrier, que ce dernier avait reconsidéré ce qu'il pensait d'elle. Et avait alors commencé à lui tourner autour. Longtemps. Bien plus amical, désireux de prouver qu'il n'était pas qu'une souris sans cervelle, et qu'il avait eu tord de la sous-estimer. Ç'avait été long, avant que Plume d'Aurore ne lui rendît ses sentiments, un temps que le guerrier avait attendu sans protester, sans insister, et ils avaient été heureux ensuite, tous les deux. Terriblement heureux. Et ce matin-là, il devenait vital qu'elle le retrouvât, elle le sentait. Il était rentré, elle le savait, mais où était-il alors ? Enfin, son regard croisa celui qu'elle connaissait si bien, et dans lequel elle s'était tant plongée ; enfin, il était là, enfin, tout allait bien aller.
Devant un Clan horrifié, devant Griffe de Hibou qui ressentit une détresse comme il n'en avait pas connu depuis que Toile d'Araignée avait ramené le cadavre de Flamme Ardente, Plume d'Aurore s'effondra. Elle n'avait aucune plaie visible, aucune explication possible, pourtant ses flancs avaient cessé de se soulever, et elle, de vivre. Griffe de Hibou poussa un cri déchirant et se précipita sur sa compagne, douloureusement trop tard, une peine immense dans le cœur. Autour de lui, ne se trouvaient que des chats figés, horrifiés, sans réponses. Sinon une que Pelage de Pierre souleva :
« J'ai bien une hypothèse, mais elle ne va pas vous plaire : Clan de la Nuit.
– Pas de sang, pas de traces de combat, et surtout, comment auraient-ils fait pour venir sans que personne ne les voit ? objecta Pelage de Nuit à côté de lui.
– Du poison dans nos réserves. Ça ne laisse aucune trace ça.
– Et ils seraient passé quand ? Cette nuit, sous le nez de Taches Fauves et Noisette Givrée ?
– Pourquoi pas ? Tu ne remarques rien ? Pelage d'Hermine a tué Pomme Cendrée parce qu'elle était la fille de Lune Noire, une chatte domestique. Qui viennent de mourir ? Les deux autres filles de Lune Noire. Ça me paraît gros comme coïncidence. »
Il y eut un silence, que seule la peine de Griffe de Hibou entrecoupa. Ce qu'il disait avait du sens, un sens terrible et terrifiant. La monstruosité d'Étoile Tachetée n'avait donc aucune limite ? Poussière d'Étoile, lui, avait une autre théorie, qu'il tut cependant, car contrairement à son oncle, il ne voulait pas affoler les foules pour une simple hypothèse. Il fallait qu'il la vérifie, et le plus rapidement possible. Mais il ne pouvait pas s'éloigner du Camp, pas comme ça, alors qu'une telle tragédie s'abattait de nouveau sur eux. Il ne lui restait plus qu'à espérer pouvoir trouver les réponses à ses questions avant qu'il ne fût trop tard... Et entendre Pelage de Pierre tenter de convaincre sa sœur qu'il leur fallait attaquer le Clan de la Nuit avant qu'il ne continuât de les massacrer ne l'aidait guère à ne pas se sentir pressé par le temps. La voix ferme et résolue de sa mère résonna dans la clairière.
« Personne n'attaquera personne. Nous n'avons que des suppositions, et ne ne sommes pas certains d'avoir les alliés nécessaires pour avoir la supériorité numérique. Pelage de Flocon, Épine de Sapin, Tempête de Glace et Tornade Dorée, vous allez ratisser le territoire pour vérifier qu'aucune odeur de nos ennemis ne pourra s'y faire sentir, et surtout, pour ramener les chats éparpillés dans la forêt. Toile d'Araignée et Nuage de Poussière ne sont pas encore rentrés, de même que la patrouille de chasse. Quant aux autres, personne ne sort du Camp jusqu'à nouvel ordre, et personne ne prend de proies dans la réserve. Tant que nous n'aurons aucune certitude sur la cause de leurs morts, nous ne prendrons aucun risque. C'est clair pour tout le monde ? »
Les chats alentours acquiescèrent, et firent passer le mot. Un vent d'inquiétude soufflait sur le Camp, pas encore transformé en tempête de panique ; Étoile de Neige, son calme olympien, leur permettaient de ne pas s'éparpiller dans la peur et l'appréhension. Leur douleur chagrin, en revanche, pesait lourd sur leurs épaules et leurs cœurs endoloris. La meneuse blanche ne faisait pas exception, le cœur et les tripes serrées, noués par le sentiment trop connu d'avoir une nouvelle fois échoué à sa tâche, sa promesse faite au Clan des Étoiles de les protéger tous. Cette fois, pourtant, la tristesse et la culpabilité ne l'abattirent pas : il lui restait un Clan entier sur lequel elle devait veiller, qui avait besoin d'elle.
*
Tempête de Glace menait une patrouille vigilante, s'arrêtait à la moindre odeur suspecte ; sans qu'aucune d'elle ne fut jamais celle du Clan de la Nuit. Le Soleil continua sa longue course, sans qu'ils ne découvrissent jamais la preuve que leurs ennemis étaient entrés sur le territoire à un moment où un autre de la nuit ou du matin. Résignés, certains qu'ils n'étaient plus à blâmer, ou bien qu'ils étaient habilement parvenus à masquer leur odeur, la patrouille débuta son retour vers le Camp, ayant entre temps croisé celle de chasse de Cœur de Soleil qui leur promit de retrouver Toile d'Araignée et Nuage de Poussière avant de rentrer eux aussi. Tempête de Glace laissa son regard et ses pensées se tourner vers son compagnon qui marchait devant elle. La farouche guerrière n'était habituellement pas de ceux qui pensent régulièrement à la mort, et s'inquiète de celle de leur proches, pourtant, au cours des dernières lunes, elle s'était mise à redouter qu'on lui enlevât Pelage de Flocon, avec cette même brutalité qu'on leur avait pris bon nombre de leurs camarades. Elle qui jusqu'à encore récemment restait imperméable à la détresse des survivants, se prenait à sentir son cœur se serrer quand elle voyait le chagrin de Nuage de Poussière ou Griffe de Hibou. Et elle détestait ça, toute cette peine, et la sienne pour quelque chose qui n'était pas encore arrivé ; pourtant, elle savait bien au fond d'elle qu'une vie sans Pelage de Flocon n'aurait plus la même saveur, que le monde perdrait jusqu'à la moindre couleur, la moindre odeur, la moindre beauté, et qu'il lui tarderait de le rejoindre. Elle savait que le chat qu'elle aimait, en revanche, redoutait bien plus régulièrement cette éventualité, et elle ne l'avait jamais compris jusqu'à présent ; elle commençait tout juste à le faire, et elle n'était pas certaine d'aimer ça.
Derrière eux, Épine de Sapin poussa un cri, d'horreur ou d'épouvante, qui tira la belle guerrière de ses réflexions. Griffes sorties, babines retroussées, elle fit volte-face, prête à en découdre avec leurs ennemis. Pas d'ennemis. Seulement le corps de Tornade Dorée que les rapides emportaient. Pelage de Flocon fut plus prompt qu'elle a réagir, et il bondit dans l'eau en un rien de temps, nageant tant bien que mal vers son aînée qui flottait parmi les courants. Il finit par parvenir à agripper la peau de son cou, mais la rivière semblait déterminée à l'empêcher de rejoindre la rive, et il n'avait rien d'un bon nageur – il ne devait qu'à ses pattes puissantes de maintenir sa tête hors de l'eau. Un corps en mouvement s'approcha rapidement du sien, et avec l'aide de Tempête de Glace, venue à sa rescousse, et d'Épine de Sapin demeuré sur la terre ferme, il parvint à tirer la guerrière de là, et lui avec. Il gratifia sa compagne et son camarade d'un regard de reconnaissance, qui lui valut une pichenette sur l'oreille de la part de Tempête de Glace – ce qui équivalait à un « cervelle de renard, à quoi tu pensais exactement ? ». Tous trois se regardèrent alors, sans trop savoir quoi faire, avec la certitude que le corps inerte qu'ils avaient sorti du monstre de la rivière était un cadavre.
« Qu'est-ce qu'il s'est passé ? lâcha finalement Tempête de Glace, sous le choc.
– Je ne sais pas, je ne comprends pas... balbutia Épine de Sapin, tout aussi secoué. Elle marchait à mes côtés, et soudain elle s'est figée et elle a basculé dans l'eau. Je... je crois qu'elle est morte avant même d'avoir touché la surface.
– Mais comment tu expliques ça ? Elle avait l'air d'être en pleine forme !
– Je ne veux rien avancer, Pelage de Flocon, mais... ça m'a fait penser à la mort de Patte Féroce. Lui aussi s'est effondré sans explications. Et comme Plume d'Aurore tout à l'heure. Peut-être qu'on se focalise trop sur le Clan de la Nuit, alors que c'est une chose invisible et indétectable qui nous touche. Comme le Mal Bleu il y a plusieurs saisons. »
Ils se turent. L'hypothèse d'Épine de Sapin faisait sens, terriblement sens. Un frisson d'horreur, commun, parcouru leurs échines. Clan des Étoiles tout puissant, faites que ça ne soit pas ça. Tout, mais pas ça.
*
La patrouille rentra au Camp, transportant le cadavre de leur camarade, et découvrit qu'ils n'étaient pas les seuls porteurs d'une énième mauvaise nouvelle. Taches Fauves avait constaté que malgré toute l'agitation, sa sœur dormait toujours, et, afin de lui éviter que Pelage de Pierre ne vint le faire avec sa brusquerie caractéristique, il s'était chargé d'aller la réveiller. Avait constaté que, comme Nuage de Mésange un peu plus tôt, Noisette Givrée s'était endormie pour la dernière fois.
« Cette fois ça ne fait plus de doutes, cracha Pelage de Poussière, que tu le veuilles ou non sœurette. Ta fille a tué Pomme Cendrée, et ses nouveaux petits copains et elle sont venus achever le reste de la famille. Et au passage, ils en ont profité pour éliminer quelques traîtres. On sait très bien qu'Étoile Tachetée a promis la mort de Tornade Dorée et de la descendance d'Étoile du Crépuscule – c'est d'ailleurs un miracle qu'il ne l'ai pas fait plus tôt. Tu n'as plus le choix Étoile de Neige, il faut les attaquer avant qu'ils ne nous massacrent tous !
– Ne m'oblige pas à me répéter, personne ne va attaquer personne !
– Je suis désolé chef, mais il a raison sur ce point. Si Étoile Tachetée et sa bande de rigolo est responsable de la mort de ma compagne, je ne vais pas rester sans la venger.
– Griffe de Hibou, je comprends ta peine, mais...
– Mais quoi ? s'éleva la voix de Cœur de Soleil. On attend qu'ils nous massacrent tous jusqu'au dernier ? »
Un à un, les guerriers du Clan se joignirent à Pelage de Pierre, ce qui terrifia Étoile de Neige. Son Clan était donc tombé aussi bas, à considérer les idées de son frère comme bonnes ? Un vent de désespoir souffla sur elle. Bien sûr, elle rêvait elle aussi du jour où son ennemi rejoindrait leurs ancêtres, ou le Néant comme elle l'espérait. Mais elle ne pouvait pas partir en guerre contre un Clan entier, dont beaucoup ne faisaient que suivre ses ordres, ou s'être laissés endoctriner, simplement à cause d'un chef sanguinaire. Étoile Tachetée méritait de mourir, pas la plupart de ses guerriers. Mais pouvait-elle vraiment aller contre son Clan ?
Poussière d'Étoile, qui s'était éclipsé en douce du Camp lorsque sa mère avait interdit la moindre sortie, revint à cet instant. Il constata les deux corps d'un air triste, et son cœur se serra de plus belle. Pouvait-il réellement être porteur de la nouvelle avec laquelle il revenait, corbeau de mauvais augure, et transmettre à tous la peur qui lui rongeait efficacement le ventre ? Il n'eut pas vraiment le choix, les siens visiblement au bord du chaos, et sa mère débordée par cet excès de violence, de revanche, parce qu'il fallait un responsable, parce qu'il fallait comprendre l'incompréhensible.
« Le Clan de la Nuit n'y est pour rien. »
Sa voix, qu'il aurait voulue calme et posée, tremblait. Poussière d'Étoile redevint le chaton qu'il fut un jour, il y a ce qui lui semblait une éternité. Il aurait voulu se blottir contre sa mère, qu'elle lui promette que tout allait bien se passer, ou contre Feuille de Chêne, qu'elle le rassure, lui dise qu'elle allait prendre le relais, qu'il n'avait plus à s'inquiéter de rien. Mais il n'eut pas cette chance, il était le guérisseur, celui sur qui son Clan devait pouvoir compter, et personne en cet instant ne pouvait l'épauler.
« Tiens, le fils prodige défend sa mère, comme c'est étonnant, railla son oncle, méprisant. Tu nous expliques comment tu en es venu à cette conclusion, alors que tous les éléments poussent à penser le contraire ?
– Parce que je suis allé voir le Clan de l'Eau. Et puis le Clan du Mistral. Et ensuite le Clan du Silence. Avec à chaque fois l'espoir mourant que j'y trouvais une preuve que ma théorie était fausse. Rivière de Brume le craignait aussi, Écorce de Saule également, et Prêle des Champs était trop jeune pour l'avoir connu, mais lui, comme nous, comme tous, a constaté une hécatombe inexplicable. À moins que le Clan de la Nuit ait décidé de tuer des chats de chaque Clan, il semblerait que nous ayons à faire à une nouvelle vague de Mal Bleu. »
Il y eut un silence plombant, que même Pelage de Pierre ne chercha à briser. Que deux voix paniquées finirent par rompre, au même instant :
« Le Clan de l'Eau a eu des pertes ?
– Le Clan du Silence a eu des morts ? »
Poussière d'Étoile regarda Toile d'Araignée, regarda sa mère, et secoua doucement la tête, avant de confirmer oralement. Oui, il ne s'était pas rendu au Clan de la Nuit, pour des raisons évidentes, mais chacun des autres Clans avaient perdu plusieurs des leurs de la même manière : dans leur sommeil, ou bien brutalement, sans aucune marque extérieure, sans aucun signe avant-coureur. Mais non, ni Truffe de Jais ni Pluie Torrentielle n'en faisait partis. Pour l'instant.
« Mais vous savez comment empêcher d'autres morts, n'est-ce pas ? balbutia Nuage de Geai. Maintenant que vous savez ce que c'est, vous savez comment nous soigner, hein ?
– Je suis vraiment désolé, mais ni moi, ni aucun guérisseur, ni même le Clan des Étoiles, ne comprend d'où vient cette maladie, et comment l'empêcher. Je suis aussi impuissant que vous...
– Alors quoi ? On attend de perdre nos proches les uns après les autres, et que la vague s'éloigne ? cracha Pelage de Pierre, le cœur encore douloureux des pertes que la première épidémie lui avait fait subir.
– Je ne sais pas. Je n'en sais rien. Je suis tellement désolé...
– Alors à quoi tu sers, guérisseur inutil- »
Le hurlement de son oncle se tut dans sa gorge, avec un râle affreux. Son regard se ficha dans celui de sa sœur, terrifié, horrifié, et puis s'éteignit. Son corps, lentement, bascula, et s'effondra au sol dans un bruit sec. Étoile de Neige n'eut même pas la force de crier son nom.
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