Pelage d'Hermine frissonnait, sans savoir si c'était dû au froid nocturne ou une conséquence contradictoire de son esprit en surchauffe. La jeune guerrière avait cessé depuis bien longtemps de se demander comment elle avait pu laisser les choses prendre une telle ampleur, sans que cela ne l'empêchât pourtant de laisser les mêmes pensées tourner en boucle dans sa tête. Elle pouvait à peine expliquer comment tout avait commencé. Ou plutôt si ; elle s'était laissée convaincre. Alors que tous pensaient qu'elle entretenait une relation secrète avec Truffe de Jais, c'était le lieutenant puis le chef du Clan de la Nuit de qui elle acceptait les rendez-vous, chaque nuit, inlassablement. Il lui avait d'abord proposé de l'entraîner, lui promettant une puissance dont elle rêvait – et il n'avait pas menti. Et puis elle avait fini par lui jurer fidélité, par accepter qu'il devînt son maître, par obéir au moindre de ses ordres pour ne jamais le décevoir. Elle avait fini par l'aimer. Une chose qu'Étoile Tacheté désirait par dessus tout, peut-être même avant le pouvoir, était une descendance. Il ne voulait pas des enfants à chérir et élever, il voyait sa progéniture comme la promesse d'un guerrier parfait, loyal. Il l'aurait fait par amour pour sa premier compagne, mais elle était morte avant qu'ils n'eussent pu réaliser ce rêve de tous les deux. Alors, il avait forcé son apprentie, Plume de Chouette, dès qu'elle avait été nommée guerrière, à lui offrir ce qu'il voulait. Il n'avait pas été déçu, Nuage de Sang, Nuage de Griffe et Nuage de Tigre lui vouaient une adoration sans bornes, et promettaient d'être des guerriers dignes de lui. Pelage d'Hermine en revanche, n'avait eu besoin d'être ni intimidée ni menacée. Elle espérait seulement qu'il montrât pour ses fils le même intérêt que pour sa première portée.

Petite Fumée s'agita contre elle, probablement sujet à un rêve. Ne se réveilla pas. La jeune mère le regarda, et ses prunelles s'illuminèrent de tendresse. Elle ignorait si elle regrettait le chemin qu'elle avait décidé d'emprunter, ou si elle se sentait à sa place ici, dans ce qui était devenu au cours des deux dernières lunes son nouveau Clan – et où elle avait été bien accueillie, probablement plus par peur d'Étoile Tachetée que respect pour elle –, en revanche elle savait qu'elle ferait tout pour préserver les êtres précieux endormis contre son ventre. Elle comprenait désormais ce qui lui échappait autrefois. Pourquoi leur père n'avait pas hésité une seule seconde à se sacrifier pour qu'ils vissent le jour, ses frères et elle, la raison pour laquelle la mort de Petit Givre avait hanté sa mère jusqu'à la sienne, et pourquoi Pelage de Nuit avait été dévasté par celle de Petite Ardoise. Deux fois. Lorsqu'il avait découvert son corps miraculeusement en vie, et lorsque le chaton avait succombé pour de bon à ses blessures, Étoile Tachetée ayant refusé que Poussière d'Étoile continuât à s'occuper de lui.

Pelage d'Hermine n'avait jamais voulu tuer le chaton, sa mission était seulement d'éliminer un chat de son Clan à la simple demande du chef adverse, pour lui prouver sa loyauté sans failles. Elle ne regrettait pas la mort de Pomme Cendrée, elle avait fait ce qu'il fallait pour qu'Étoile Tachetée ne doutât plus d'elle, en revanche celle de Petite Ardoise lui restait en travers de la gorge. Mais il l'avait vue, et elle ne pouvait pas se permettre qu'il grillât sa couverture, c'était encore trop tôt. Ça n'avait pas d'importance maintenant, tout ça était derrière elle, elle était désormais la compagne d'Étoile Tachetée, elle était une des guerrières les plus puissantes et les plus craintes de la forêt, et elle ne regrettait rien. Si tout continuait de se dérouler comme elle le souhaitait, comme son chef le lui avait promis, elle remplacerait bientôt Éclair du Soir comme lieutenant, et elle dirigerait le Clan de la Nuit aux côtés du chat à qui elle avait tout donné. Comme par réflexe, son regard chercha la voute céleste qu'elle apercevait vaguement depuis la Pouponnière. Elle n'avait jamais voulu, en revanche, qu'Étoile Tachetée tuât sa mère. Elle savait qu'elle l'avait déçue, qu'elle n'était pas la fille qu'elle aurait voulu avoir, et qu'en plus d'avoir tourné le dos à son Clan, elle l'avait trahie elle. Bien qu'elle ne l'avouerait pour rien au monde, elle lui manquait. La perspective de ne plus la revoir lui faisait mal, elle se serait autrement parfaitement accommodé de ne plus vivre sous ses ordres. Soupir tristesse. Tout en veillant à ne pas réveiller ses fils, la parjure se leva et sortit de la tanière dans laquelle dormait également Feuille d'Automne et ses chatons. L'air frais se glissa entre les poils de son pelage presque entièrement blanc, et acheva de chasser ses pensées moroses.

Dehors, Aile de Corbeau et Gui Sauvage montaient une garde attentive. Le premier savait que la moindre erreur de sa part lui coûterait la vie, déjà parce qu'il avait été un guerrier de confiance d'Étoile du Crépuscule, et que son successeur ne l'appréciait pas à cause de cela, mais également parce qu'il avait permis à Tornade Dorée, sa sœur et compagne de leur défunt chef, de s'enfuir trouver refuge au Clan du Soleil avec ses deux chatons. Étoile Tachetée avait trop besoin de guerriers pour simplement le supprimer comme il en aurait envie, mais la menace pesait trop sur le chasseur pour qu'il n'en tint pas compte. Ce fut peut-être en sachant cela qu'il donna l'alerte lorsque débarquèrent les Clans de l'Eau et du Mistral, leurs chefs respectifs en tête et à leurs côtés... Étoile de Neige ! Pelage d'Hermine, elle, était restée figée. Non, c'était impossible, Étoile Tachetée lui avait certifiée qu'il s'était débarrassé d'elle pour de bon...

Ce dernier, une fois éveillé, fut plus prompt à réagir. En quelques ordres aboyés, ses guerriers étaient debout et prêt à se jeter dans la mêlée. Les siens, et ceux du Clan du Soleil, forcés de lui obéir par crainte de perdre les deux chatons survivants. Prévenu, le Clan du Silence arriva pour soutenir ceux qui les manipulaient grâce au même chantage. Dans le Camp, un concert de miaulements et de feulement s'élevait, et l'odeur acre du sang balaya la clairière. Les assaillants s'efforçaient de ne pas attaquer les guerriers d'Étoile de Neige, mais ceux-ci, forcés, les obligeaient à se défendre et les repousser. Toile d'Araignée croisa deux prunelles vertes qu'il connaissait par cœur, fut balayé par un vent de soulagement et de frayeur. Il ne pouvait affronter le chat qu'il aimait. Mais Éclair du Soir à côté de lui, aux prises avec une guerrière du Clan du Mistral, le menaça de le forcer à tuer lui-même un des chatons s'il n'attaquait pas immédiatement son ennemi. Pas qu'il sût ce qu'il représentait pour lui, simplement qu'il restait figé au lieu d'engager le combat. Brisé, le guerrier gris et blanc se ramassa, et bondit sur son amour. Griffes rentrées, il enchaînait les coups de pattes bien placés, que Truffe de Jais évitait pourtant sans grandes difficultés. Le mâle du Clan de l'Eau regarda son amant, ses côtes apparentes, ses pattes qui semblaient porter la masse de son corps avec la plus grande des difficultés, et les touffes de poils qui manquaient à son pelage. Une colère froide l'envahit alors, et il faucha les pattes de son adversaire pour le plaquer au sol. Avec un grondement sourd, il s'approcha de son oreille pour murmurer :

« Reste au sol, je t'ai terrassé tu ne peux plus bouger. N'ouvre pas les yeux avant que tout soit terminé. »

Ses crocs claquèrent juste au-dessus de sa gorge, et Toile d'Araignée cessa de bouger, cessa presque de respirer. Truffe de Jais se précipita à la recherche du premier membre du Clan de la Nuit sur qui il pourrait faire passer toute sa haine.

Le combat continua ainsi longtemps, le temps qu'une apprentie fît l'aller-retour jusqu'à la tanière qui leur servait de prison. Ensuite, la voix fluette de Nuage de Griffe trouva l'oreille de son chef.

« Père, les gardes sont assommés et les prisonniers ont disparu ! »

Cri de rage. Étoile Tachetée essayait de frayer son chemin parmi les combattants, à coups de griffes, à coup de crocs, dans un flanc, dans une épaule, à la recherche de son ennemie jurée. Celle qu'il ne pensait pas de retour si tôt. Celle qu'il aurait dû tuer encore et encore, il y avait deux lunes de cela, au lieu de jouer à « regarde-moi détruire ta vie ». Mais Étoile de Neige était introuvable. L'annonce eût pourtant l'effet escompté pour les assaillants, puisqu'un vent d'espoir traversa le Clan du Soleil, qui ne tarda pas à retourner sa veste et attaquer ceux qui les avaient maintenu prisonniers bien trop longtemps. Nuage de Plume, aidée par sa petite taille, se glissa dans la bataille, évitait un guerrier, passait sous un autre, cherchait les apprentis de son Clan. Les trois meneurs lui avaient confié la mission de les éloigner de la bataille pour qu'ils n'eussent pas besoin de garder un œil inquiet sur eux, et elle comptait la mener à bien.

Le Clan du Silence continua d'abord de se battre contre ceux qui n'étaient pas leurs ennemis. Ils visaient en priorité des guerriers du Clan du Soleil qui, affaibli par deux lunes de maltraitance et de malnutrition, ne faisaient pas bien le poids. Cœur de Soleil et Herbe Folle, ensemble jusque dans le désespoir, protégeaient Poussière d'Étoile du mieux qu'ils le pouvaient. Griffe Obscure était indéniablement le meilleur guerrier du nouveau Clan, tout en muscles et en puissance, et bien qu'il fût un combattant depuis beaucoup moins longtemps que les deux autres face à lui, ils ne firent pas le poids. Du tout. Le combat ne dura que quelques minutes, à peine, avant que tous deux ne se retrouvassent à terre sans plus pouvoir se relever, l'un l'épaule ouverte et l'autre assommée, un filet de sang s'écoulant de sa tempe. Le guérisseur se dressa vaillamment entre les deux blessés et leur ennemi, mais celui-ci se détourna et chercha une autre cible à neutraliser. Dans la confusion de la bataille, l'aîné de la fratrie en profita pour se glisser dans la tanière de Patte Cendrée qui ne chercha pas à l'arrêter, et récupéra son stock de toiles d'araignées. Dans leur état, son frère et sa compagne ne pouvaient pas risquer de perdre trop de sang.

Nuage de Plume avait fini par trouver Nuage de Geai, et tous deux allièrent leur vigilance pour mettre la patte sur le reste des apprentis. Nuage Fauve et Nuage de Noisette se défendaient, ensemble, face à ceux qui avaient été leurs camarades et qui les considéraient aujourd'hui comme des traîtres qu'il fallait éliminer. Un peu plus loin, Nuage de Poussière et Nuage de Mésange se protégeaient l'un l'autre, aussi vaillamment qu'ils le pouvaient. Les deux apprentis se dépêchèrent de leur venir en aide, et tous les six parvinrent à s'éloigner du champ de bataille.

« Allez vous mettre en sécurité dans votre Camp, leur ordonna Étoile d'Orage qui passait par là, affrontant deux ennemis à la fois.

– Hors de question, on a toujours pas trouvé Nuage de Sable ! protesta Nuage de Plume, la boule au ventre.

– Obéissez, si quelqu'un la trouve il l'enverra vers vous ! Maintenant déguerpissez ! »

Nuage de Geai et Nuage de Poussière ne furent pas trop de deux pour convaincre Nuage de Plume d'écouter le chef du Clan du Mistral, et l'apprentie finit par se résigner, le cœur serré. Étoile de Neige lui avait confié une responsabilité, elle ne pouvait pas risquer qu'un de ses jeunes camarades fût blessé parce qu'elle n'avait pas trouvé sa sœur adoptive assez vite. À contrecœur, elle détala donc en direction du territoire du Clan du Soleil.

Le cours de la bataille se renversa une nouvelle fois lorsque Pluie Torrentielle parvint à trouver Étoile Silencieuse. Soulagé et fou de rage, le nouveau meneur interpella alors ses guerriers qui se retournèrent contre leurs alliés forcés. À quatre Clan contre un – ou trois et demi si l'on considérait le Clan du Soleil comme des adversaires prêt à tout mais pas en état de combattre –, celui de la Nuit ne fit pas le poids longtemps. Bientôt, chacun de ses membres était maîtrisé par un ou plusieurs assaillants, bloqué au sol ou acculé contre une tanière sans possibilité de fuite. Il avait fallu l'alliance de Griffe de Faucon, Nuit Étoilée, Museau Blanc et Œil de Givre pour venir à bout d'Étoile Tachetée, qui, allongé sur le ventre, une patte ouverte de haut en bas et une autre étendue dans un angle anormal, continuait néanmoins de leur cracher dessus et de les menacer du regard.

Le soulagement de la victoire flottait dans l'air. Un chat fendit la foule, qui s'écarta sur son passage, le regard plein de respect. Il émanait de lui une aura d'une telle grandeur qu'il leur démangeait presque de s'incliner. Son pelage blanc était maculé de sang, le sien comme celui de ses ennemis, et les flammes de la rage qui brillait dans ses prunelles bleues les rendaient presque noires. Étoile de Neige se planta devant son ennemi déchu, celui qui l'avait cherchée toute la bataille sans jamais la trouver, celui qui avait fini par perdre de la patte d'autres.

« Ta soif de pouvoir est pathétique, Étoile Tachetée, et je vais te dire quelque chose qui va te paraître niais, mais c'est parce que tu es incapable de le comprendre que tu ne pourras jamais gagner. La peur ne mène jamais à rien, surtout pas à la victoire. La loyauté et l'amitié en revanche, ce sont les seules valeurs qui valent la peine qu'on se batte pour. Continue de nous mépriser, continue de nous manipuler, de nous faire te haïr, tu t'assures tout seul de ta perte.

– Tu-

– Je t'offre un dernier conseil. Fais profil bas. Reste très loin de nos frontières, fais-toi oublier. Parce que si tu te montres, je te promets qu'on ne va pas te louper. Tu crois que tu peux m'éloigner de mon Clan, tuer les miens, et t'en tirer sans difficultés ? Ne te trouve pas en travers de mon chemin pour les prochaines lunes, Étoile Tachetée, parce que je n'hésiterai pas à te tuer, encore et encore, jusqu'à ce que tu rejoignes le Néant, jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien de toi, pas même ta conscience, dussé-je me perdre en le faisant. »

Et sans un seul regard en arrière, sans écouter ses vociférations, elle fit demi-tour, écrasante d'autorité, et dans son regard redevenu clair, la rage avait été remplacée par une colère froide et une promesse de mort.

Étoile Silencieuse remercia brièvement les trois autres meneurs, et disparut rapidement, entraînant son Clan avec lui. Il ne voulait plus rien avoir à faire avec eux pour le plus longtemps possible. Étoile de Neige ne l'en blâma pas, mais fut soulagée qu'Étoile d'Orage et Étoile d'Écume ne fissent pas de même. Les deux Clans alliés, se répartirent en deux groupes : ceux chargés d'empêcher les guerriers vaincus de bouger une seule oreille, et ceux d'aider les membres du Clan du Soleil à se remettre sur leurs pattes. Truffe de Jais était du deuxième, enfouit son museau dans le cou d'un mâle gris et blanc qui n'avait pas osé se relever. Autour d'eux, on fit semblant de ne pas voir. Quelle importance ? Aucun d'eux n'avait failli à ses devoirs à cause de l'autre, aucun d'eux n'avait vu sa loyauté remise en question à cause de leur relation ; alors quelle importance ? Poussière d'Étoile, aidé par Patte Cendré qui se ferait le plaisir de rappeler par la suite à son meneur qui lui hurlait d'arrêter quels étaient ses devoirs de guérisseuse, s'attelait à panser brièvement les blessures de ses guerriers. Il fallait seulement que ça tînt le trajet, ensuite il pourrait s'occuper d'eux plus sérieusement. Coup d'œil rapide à leurs alliés aussi, au cas où ils eussent besoin des mêmes soins.

Étoile de Neige brûlait d'étreindre chacun des siens, et tous la regardaient avec incrédulité et soulagement. Personne n'osait aller vers l'autre ; ce n'était pas le bon moment. Et il y avait le choc de la bataille, le choc de savoir leur cauchemar terminé, et le choc de la revoir, bel et bien vivante quand ils la croyaient morte. La meneuse chercha alors le seul chat qu'il lui semblait normal qu'elle retrouvât : son lieutenant. Mais il y avait trop de monde dans la clairière, et la robe noire du guerrier n'apparaissait nul part. Ce fut Étoile d'Orage à ses côtés, qui veillait sur elle, qui le trouva. Étendu aux pieds d'une reine à la robe aussi blanche que son ancienne amante, si ce n'était sa queue entièrement noire et les quelques poils de la même couleur qui balayaient son pelage. Étoile de Neige le vit alors aussi. Se figea.

Non.

Ce fut un souffle, à peine un murmure. Un déchirement du cœur. Pas encore, pas un nouveau mort, pas lui. Les pattes chancelantes, elle se précipita vers Pelage de Nuit, Poussière d'Étoile à sa suite. Elle percuta violemment Pelage d'Hermine, l'envoya valser plus loin, sans un regard, sans un égard. Sa voix n'était que douleur et passa difficilement la barrière de sa gorge nouée quand elle murmura.

« Pelage de Nuit, c'est moi. Ne me laisse pas, pas toi. Je suis désolée de vous avoir abandonnés, c'est fini maintenant. S'il te plaît, ne me laisse pas à ton tour. »

Son fils constata d'abord la plaie béante de son ventre de laquelle la vie du guerrier noir s'écoulait, puis ses flancs qui se soulevaient avec difficulté. Pelage de Nuit n'avait pas dit son dernier mot, se battait pour ceux qu'il lui restait, alors même que tout l'incitait à lâcher prise, à partir, rejoindre sa compagne et son fils. Poussière d'Étoile referma de son mieux la blessure, mais il était désormais impératif qu'ils rentrassent au Camp pour qu'il pût s'occuper de lui. Étoile de Neige signala alors le départ, et les trois Clans sortirent de la clairière.

« Il a voulu me tuer, je n'ai fait que me protéger... » laissa échapper une voix derrière elle

La meneuse n'accorda cette fois non plus pas un seul regard à sa fille, le cœur trop lourd de chagrin et de regret. De colère aussi, toujours. À son tour, elle disparut dans les fourrés.

Au-dehors, l'attendaient les deux autres meneurs, et quelques guerriers ; le reste de leurs Clans étaient rentrés dans leurs Camps respectifs pour faire soigner leurs blessures et reprendre le cours de leur vie. Elle les remercia encore et encore, trop peut-être, pleine d'une gratitude soulagée. Longtemps, leurs Clans s'étaient fait la guerre pour un oui pour un non, et depuis quelques lunes, ils parvenaient à maintenir une forme d'harmonie qui lui convenait bien. Chacun restait sagement chez lui, et au besoin, savait montrer son soutien aux deux autres. Étoile de Neige espérait seulement voir venir le jour où le Clan de la Nuit renaîtrait de ses cendres et redeviendrait le Clan juste et généreux qu'il fut sous bien des meneurs. Il fallait prier pour que la marque d'Étoile Tachetée ne fût pas trop profonde, et ses successeurs dans son sillage.

« Étoile de Neige, avec ta permission nous aimerions achever de t'aider, Étoile d'Écume et moi. Nous aimerions mettre chacun à ta disposions deux guerriers et un apprenti avec pour mission de remplir votre réserve. Juste de quoi vous permettre de manger aujourd'hui, ton Clan a l'air d'en avoir besoin. Prenez le temps de souffler, de vous reposer, de panser vos plaies, de vous retrouver...

– C'est très généreux de votre part mais je ne peux pas accepter. Vous en avez déjà fait tellement pour nous, je ne veux pas vous être redevable plus que nous ne pouvons nous permettre de l'être.

– Tu ne nous devras rien, Étoile de Neige, ajouta de sa voix douce la meneuse du Clan de l'Eau. Tu es souvent celle qui offre, et ne demande rien en retour ; laisse-nous être ceux qui vous aidons cette fois. Toi plus que n'importe qui, prône l'entraide et la fin des querelles incessantes entre les Clans, alors laisse-nous à notre tour mettre une pierre à l'édifice de la paix entre nos trois Clans. S'il te plaît.

– Très bien, j'accepte alors. Merci, merci pour tout. »

Il en fut donc décidé ainsi. Nuit Étoilée s'était chargé de ramener son Clan dans leur territoire, mais il avait laissé à son meneur Nuage Pourpre, son apprenti, pour achever ce que lui avait commencé. Comme une boucle bien dessinée. À sa demande, étaient également restés Aurore Boréale et Cristaux de Givre, qui comptaient parmi leurs meilleurs chasseurs. Du Clan de l'Eau, s'était bien sûr porté volontaire Truffe de Jais, qui n'aurait pu repartir sans la certitude que Toile d'Araignée allait bien. Étoile d'Écume avait suggéré qu'il en profitât pour emmener avec lui Nuage Nocturne, son apprenti à qui cela ferait un entraînement, et Patte Blanche, qui avait accepté de bonne grâce. Étoile d'Orage les salua, remercia ses guerriers, leur promit un repos bien mérité à leur retour, et s'éloigna. Les deux meneuses partirent d'abord dans la même direction, Étoile de Neige avait deux chatons à récupérer qui devaient l'attendre impatiemment. La longue épreuve qu'ils avaient affronté était désormais terminée, mais pouvaient-ils espérer que les choses redevinssent comme avant ? Y avait-il seulement un retour à la normale possible ? Ses pensées s'attardèrent sur deux chats. Le premier avait laissé un trou béant dans son cœur, qu'elle doutait possible de refermer, et le deuxième achèverait de le réduire en poussière s'il partait lui aussi. Oubliant sa fille, ce fut en pensant à Pelage de Nuit qu'elle allongea sa foulée jusqu'à se mettre à courir. Récupérer Petit Lion et Petite Neige, et puis retrouver les siens, enfin, pour de bon.