Nul, dans le Clan du Soleil, n'aurait pu imaginer qu'un hurlement pût être empli de tant de douleur, de chagrin, de haine, de terreur, et de désespoir. Pourtant, pas un chat ne fut pas réveillé par ce cri du cœur, témoin d'un déchirement inimaginable. Pas un chat ne fut pas ébranlé par ce son jamais entendu auparavant. Alors que chacun sortait précipitamment de sa tanière, pas encore bien réveillé mais le cœur battant la chamade, cherchant à comprendre l'origine de ce hurlement, ils virent Herbe Folle sortir précipitamment Petite Neige et Petit Lion de la Pouponnière, suivie par Pelage d'Hermine qui poussait devant elle Petite Brume et Petite Fumée. Cœur de Soleil se dépêcha de rejoindre sa compagne, plus qu'inquiet. Celle-ci, les larmes aux yeux, la gorge nouée, se sentait incapable de livrer à son Clan inquiet la moindre explication. Poussière d'Étoile s'engouffra à l'intérieur, Étoile de Neige à sa suite. Leurs souffles se coupèrent au même instant. La meneuse pensait avoir affronté les pires des spectacles lors de l'épidémie de Mal Bleu bien des lunes auparavant, mais en constatant la vision d'horreur qui se déroulait devant ses yeux, elle comprit qu'elle s'était lourdement trompée. Existait-il seulement pire que de voir un guerrier penché sur les corps sans vie de sa compagne et de son fils, les pattes avant trempant dans la flaque de sang dans laquelle baignaient leurs cadavres ? Un voile s'était abattu sur le regard de Pelage de Nuit. Sa souffrance était telle qu'elle ne pouvait être décrite. Il était avec Pomme Cendrée depuis une dizaine de lunes à peine, et on la lui arrachait déjà. Et Petite Ardoise, son fils chéri... Qui pouvait être assez cruel pour faire une chose aussi immonde ? Un nom s'imposa dans son esprit. Chacun des muscles de son corps se tendit, se crispa. Il fit volte-face, sortit de la tanière, et bondit rageusement sur le responsable de son malheur. Pelage de Pierre feula et se débattit, mais peu réveillé, il ne fit pas le poids face à la haine de son ancien apprenti. Rapidement, le sang, de nouveau, coula. Il fallut la force de Pelage de Flocon et Griffe de Hibou pour éloigner les deux guerriers.

« Pelage de Nuit qu'est-ce qu'il te prend ? s'écria Étoile de Neige, sidérée par le comportement de son lieutenant.

– C'est lui qui les a tués ! affirma, la voix chargée de douleur, le guerrier noir.

– Quoi ? Mais pourquoi aurait-il fait cela ? Ce sont de graves accusations que tu fais là, Pelage de Nuit.

– Tu le destitues de son poste de lieutenant, tu me nommes à sa place, et tu vas me faire croire qu'il s'agit d'une coïncidence si ma compagne et mon fils unique sont retrouvés sauvagement assassinés le lendemain matin ? s'écria celui-ci, hors de lui.

– J'en conviens. Mais sans preuves aucune, je refuse que qui que ce soit se retrouve accusé de meurtre. On va mener l'enquête, et s'il s'avère que le ou la responsable de cette atrocité est un des nôtres, il se verra banni du Clan. Et s'il s'agit d'un ennemi, je peux t'assurer que les morts de Pomme Cendrée et Petite Ardoise seront vengées. »

La voix pleine de promesses de la meneuse sembla calmer le lieutenant, qui cessa enfin de se débattre. Son regard, pourtant, brillait toujours de haine. Épine de Sapin, son frère, se pressa contre lui, et le vétéran se laissa aller aux larmes. D'aussi loin qu'elle se souvenait, Étoile de Neige ne l'avait jamais vu aussi désespéré. Il n'avait jamais connu sa mère, Plume de Pluie, qui fut un temps le mentor de la meneuse et qui avait été retrouvée morte, attaquée par un blaireau, peu de temps après la naissance de sa portée. Mais son père, Renard Ardent, était toujours parmi eux, aussi n'avait-il jamais connu la douleur de la perte d'un être cher. La vision de sa compagne et de son fils baignant dans leur propre sang ne le quitterait jamais, il le savait. Il le jura devant le Clan des Étoiles : celui ou celle qui les avait tués mourrait de ses griffes. En face de lui, Pelage de Pierre se releva, sa patte avant laissant sur le sol des traînées de sang. Son regard, étonnamment, ne brûlait pas de haine. Si Pelage de Nuit ne le vit pas, toujours effondré entre son frère qui le soutenait toujours, Lune Noire et Plume d'Aurore qui l'avaient rejoint, cela n'échappa pourtant pas à Étoile de Neige. Si effectivement, Pelage de Pierre paraissait être le suspect numéro un – si toutefois il s'agissait bien d'un membre de leur Clan qui avait commis ce forfait –, elle fut convaincue, en cet instant, de l'innocence de celui-ci. Malgré ses accès de colère, son instabilité, et son manque évident de compassion, il n'était pas un meurtrier. Et après tout, il savait ce que cela faisait, de perdre sa compagne. Pelage de Flocon, à ses côtés, n'en était pas, lui, si convaincu. Il n'avait guère oublié que lorsque Plume d'Alouette était morte, son oncle avait été à deux doigts d'éventrer Poussière d'Étoile parce qu'il le tenait pour responsable de la mort de celle-ci. Ce n'était pas son genre de poser un avis sans avoir de preuves, aussi le guerrier blanc et noir ne condamna pas tout de suite son oncle, mais il n'écartait pas pour autant cette possibilité. La voix de Poussière d'Étoile les fit tous sursauter :

« Il est vivant !! »

Étoile de Neige et Pelage de Nuit se précipitèrent d'un même mouvement dans la Pouponnière, pour voir Poussière d'Étoile penché sur le corps de Petite Ardoise, dont les flancs se soulevaient effectivement faiblement. Un sanglot soulagé secoua le jeune père. Poussière d'Étoile, avec douceur mais une autorité certaine, congédia ce dernier, lui expliquant qu'il ne pouvait rien faire pour l'aider, et qu'il avait simplement besoin de repos.

« Je te donnerai des graines de pavot une fois que j'aurai sécurisé Petite Ardoise et que je pourrai le déplacer dans mon antre. Étoile de Neige, je vais avoir besoin de toiles d'araignées. Beaucoup de toiles d'araignées. Il fait tout juste jour, tu ne devrais pas avoir de difficultés à en trouver. »

La meneuse hocha la tête et escorta le guerrier noir hors de la Pouponnière, où régnait une odeur de mort. Elle le confia à Lune Noire qui lui fit signe qu'elle prendrait soin de lui. Puis, elle s'adressa à son Clan, reprenant celui-ci en mains.

« Pelage de Flocon, tu vas partir en patrouille de l'Aube avec Tempête de Glace, Griffe de Hibou, et Nuage de Mésange. Cœur de Soleil, tu pars chasser avec Toile d'Araignée et Hérisson, et tu emmènes Nuage Fauve et Nuage de Noisette avec toi. Tornade Dorée et Herbe Folle, je veux que vous récoltiez de la mousse et que vous rameniez de l'eau à Poussière d'Étoile. Épine de Sapin, tu es en charge du Clan. Je compte sur toi pour veiller sur tout ce petit monde chamboulé.

– Je pars avec la patrouille de l'Aube, déclara Plume d'Aurore d'un ton qui n'admettait aucune contradiction. J'ai plus besoin de penser à autre chose que de rester à me morfondre dans le Camp. Et si l'assassin de ma sœur court toujours, je veux être là quand on lui tombera dessus.

– Comme tu voudras Plume d'Aurore.

– Pourquoi Nuage de Mésange, Nuage de Noisette et Nuage Fauve partent avec des patrouilles et pas nous ? s'indigna Nuage de Plume, décidément jamais en reste.

– Qui te fait croire que tu vas rester au Camp à te tourner les pattes ? Vous venez tous avec moi, on va aller récolter des toiles d'araignées. »

Malgré la gravité de la situation, les quatre apprentis restant échangèrent un regard excité, ravis de se voir confier une mission de la plus haute importance. Enfin, à leurs yeux du moins.

*

Étoile de Neige surveillait Nuage de Plume qui claudiquait devant elle, des toiles d'araignée plein la patte avant. La jolie femelle se retenait visiblement de chahuter avec Nuage de Sable, son regard s'illuminant d'une lueur malicieuse dès qu'elle se trouvait à proximité. Elle semblait pourtant consciente que sa tâche importait plus que les taquineries qui lui démangeaient les moustaches, et restait concentrée sur sa récolte, contenant son hyperactivité grâce à la gravité de la situation. L'apprentie couleur sable, elle, couvrait sa sœur adoptive d'un regard pétillant et plein de tendresse. Le mot « adoptif » n'avait jamais eu autant d'importance pour elle. Sans lui, une barrière immense les séparerait, incassable, terrible. Mais grâce à cela, elle pouvait se permettre de rêver. Un peu plus loin, son frère, Nuage de Geai, discutait avec Nuage de Poussière, chacun avec une patte également pleine de toiles d'araignées. La meneuse ne faisait pas exception non plus, et bientôt, elle ordonna le retour au Camp. Ce fut vite fait, et rapidement, ils délivrèrent leurs trouvailles à Poussière d'Étoile qui s'affairait toujours autour du chaton. La meneuse sortit de la Pouponnière, et traversa la clairière en direction de la réserve. La meneuse blanche n'eut pourtant pas le temps ni de prendre une proie, ni de proposer aux apprentis d'apporter à manger aux chats restés dans le Camp puis de se sustenter eux-même. Un chat, qu'elle connaissait trop bien, pénétra alors dans son Camp, et fonça droit sur elle aussitôt qu'il l'a vit. Étoile Tachetée. Et derrière lui, ses guerriers entraient à leur tour dans la clairière, les crocs sortis et l'œil belliqueux. Pour la première fois depuis des lunes, ils étaient attaqués ! Alors même que nous sommes vulnérables, ça tombe beaucoup trop bien... Elle se tourna vers les quatre apprentis, et leur ordonna :

« Ratissez le territoire, retrouvez les patrouilles, on ne tiendra pas autrement ! »

Ils ne se firent pas prier et filèrent aussitôt comme des flèches, usant de leur petite taille pour contourner les ennemis et ainsi sortir du Camp. Étoile Tachetée la percuta à ce moment-là, et les deux éternels ennemis roulèrent au sol dans un soulèvement de poussière et de feulements. Étoile de Neige planta ses crocs dans l'épaule de son adversaire, qui martelait son ventre de ses pattes arrières. Herbe Folle s'était empressée de confier les chatons aux anciens, et de se jeter dans la bataille, Pelage d'Hermine à sa suite. Épine de Sapin et Pelage de Nuit se battaient côte à côte pour défendre leur Clan. Mais Étoile de Neige avait raison, à cinq guerriers, ils n'avaient aucune chance de s'en sortir. Tout cela semblait si bien orchestré que cela lui fit peur. Elle feula et resserra encore la pression sur l'épaule de son ennemi, jusqu'à sentir le goût métallique du sang de celui-ci envahir sa bouche. Le cri de douleur qu'il poussa la réjouit, et elle martela son ventre avec ses pattes arrière, le forçant à la relâcher. Sa victoire ne fut pourtant que de courte durée, car à peine fut-elle de nouveau debout qu'elle se trouva de nouveau plaquée au sol, cette fois-ci par deux autres chats. Ce fut alors que la patrouille de Pelage de Flocon arriva... accompagnée de ce qui semblait être la patrouille de l'Aube du Clan du Silence, menée par Pluie Torrentielle. La meneuse eut un regain d'espoir. Ils n'étaient plus autant en sous nombre. Les guerriers des Clans du Soleil et du Silence se jetèrent à corps perdu dans la bataille, désireux de chasser ces intrus hors de chez eux.

« Faites comme je vous l'ai ordonné, cracha soudainement Étoile Tachetée aux deux guerriers qui maintenaient la chef du Clan du Soleil à terre. Je vais m'occuper d'attirer leur attention ailleurs. Vous savez ce que vous avez à faire alors ne me décevez pas. »

Sa voix, lourde de menaces, ne laissait pas place à l'imagination quant à ce qu'il leur ferait s'ils échouaient. Étoile de Neige sentit soudainement un choc à l'arrière de son crâne, et tout devint noir.

*

Aucun vent ne soufflait dans les plaines du Clan des Étoiles. Le silence, lourd, régnait. Seule le bruit de la respiration des chats réunis s'élevait, sans qu'aucun autre son ne brisa ce moment. Un guerrier au pelage cendré brillant de mille étoiles s'approcha du petit groupe, une voix s'éleva alors :

« Ça y est, le moment que nous attendions depuis la création des Clans est arrivé. Moi, Sombre Fumée, l'affirme ici devant vous : les enfants de la prophétie, nos descendants qui doivent sauver les Clans du Lac, sont bel et bien nés. Il nous a fallu plusieurs lunes pour nous en assurer, mais c'est désormais une certitude : Petite Neige, Petit Lion et Petite Fumée sauveront les Clans ! »

Une exclamation retentit alors, soulagement générale de l'attente enfin terminée. Une femelle au pelage aux deux nuances de gris s'approcha du groupe. Lui aussi brillait de poussière d'étoile, mais cela était très nouveau pour elle. Elle prit place aux côté d'un grand chat noir, qui la couvrit d'un regard désolé et presque paternel. Bien qu'ici depuis peu de temps, elle affirma d'une voix assurée, sans une once d'hésitation :

« Il ne faut pas que cette prophétie parvienne jusqu'aux oreilles d'Étoile Tacheté et des membres du Clan de la Nuit. Il les tuerait sans hésiter une seule seconde.

– Voyons Pomme Cendrée, Étoile Tachetée n'est peut-être pas le meilleur chef, il est même plutôt sanguinaire au demeurant, mais enfin il ne tuerait pas de pauvres chatons innocents.

– Avec tous mes respects Étoile du Crépuscule, il tuerait ses propres enfants s'ils étaient un danger pour lui. Et chacun sait à quel point ses enfants sont sa plus grande fierté. Nuage de Sang, Nuage de Tigre et Nuage de Griffe vont probablement finir aussi cinglé que lui. Assez surprenant que Plume de Chouette ne se soit pas déjà tuée de honte. Déjà, porter les enfants d'Étoile Tachetée c'est chaud, mais être la mère de futurs guerriers sanguinaires...

– Pomme Cendrée ! s'exclama Patte Féroce à ses côtés. Comment oses-tu parler ainsi ?

– Je viens de mourir, je l'ai mauvaise, tu m'excuseras, marmonna celle-ci, pas désolée du tout.

– Cependant, déclara Étoile de Brume, elle marque un point. Le Clan de la Nuit ne peut pas savoir pour cette deuxième prophétie. Si nous voulons empêcher l'autre de se réaliser, il faut absolument que celle-là réussisse. Or pour lui, trois chats censés ramener la paix entre les Clans sont un obstacle considérable à sa domination du lac. Il ne prendra aucun risque, quitte à devoir tuer Petite Fumée également. »

L'assemblée acquiesça. Cette prophétie ne devait plus être mentionnée. Le groupe se dissipa alors, chacun vaquant à ses occupations, quelles qu'elles pussent être. Pomme Cendrée s'approcha de son ancien meneur qui était resté perdu dans ses pensées.

« Toi aussi, tu la ressentais cette profonde injustice, quand tu es mort ? Tu étais loin d'être vieux, pour un chef comme pour un chat, ta compagne attendait votre deuxième portée, tout te souriait... J'ai tout juste goûté à ce que cela faisait d'être mère, moi que l'idée a longtemps rebuté, et on me l'arrache déjà.

– Je n'ai pas ressenti d'injustice, parce que je suis mort pour les sauver. Je suis mort en paix avec ma décision. La seule douleur a été ensuite de la voir aussi malheureuse... Mais je comprends ce que tu ressens, Pomme Cendrée. C'est un sentiment normal. Beaucoup de membres du Clan des Étoiles la ressentent en premier lieu, lorsqu'ils estiment que leur heure n'était pas venue. Ça finira par passer.

– Je suis morte d'inquiétude pour Petite Ardoise, je ne veux pas le voir ici... Tu t'inquiètes pour eux, toi ?

– Sans arrêt. Mais je la sais assez forte pour affronter toutes les épreuves. Et je sais qu'elle viendra à bout de celle qui arrive. »

*

En bas, la bataille faisait rage. L'urgence de la situation semblait avoir sorti Pelage de Nuit de sa torpeur et son chagrin, puisqu'il se jetait à corps perdu dans la bataille. Des traces de griffes sanguinolentes marquaient son poitrail, mais malgré la douleur, il serrait simplement les crocs et continuait de défendre son Clan. Il entendit un grognement derrière lui et se retourna aussi vite qu'il le put, mais trop tard. Son adversaire le plaqua au sol, et plongea ses crocs vers sa nuque. Les consignes étaient claires : éloigner la chef, éliminer le lieutenant, plonger le Clan du Soleil dans le chaos. Mais avant qu'il ne pût mener sa tâche à bien, Pelage de Pierre se jeta sur lui et le maîtrisa rapidement, avant de mordre jusqu'au sang sa patte avant, le faisant fuir sans demander son reste. Pelage de Nuit hocha la tête en signe de reconnaissance, et les deux vétérans plongèrent de nouveau dans la bataille. Pluie Torrentielle, elle, se battait aux côtés de Tempête de Glace, la lieutenant du Clan du Silence et ses guerriers leur apportant un renfort considérable dans cette lutte inégale qu'ils menaient. Herbe Folle et Pelage d'Hermine défendaient farouchement la tanière des anciens, dans laquelle Renard Ardent et Lune Noire veillaient sur les quatre chatons apeurés. Nuage Fauve et Nuage de Noisette se retrouvèrent à affronter des chats auprès desquels ils avaient passé les six premières lunes de leur vie, tandis que leur mère, Tornade Dorée, combattait son frère, Aile de Corbeau, chacun veillant à ne pas blesser grièvement l'autre. Assez rapidement, à la surprise générale, Étoile Tachetée ordonna la retraite, et le Clan de la Nuit s'en fut jusqu'au dernier guerrier, sans qu'aucun d'eux ne fut grièvement blessé. Les membres du Clan du Soleil se regardèrent, abasourdis, sans oser crier victoire tant cette retraite se révélait plus que surprenante.

La patrouille de chasse de Toile d'Araignée arriva alors, suivie par Nuage de Plume et Nuage de Sable qui avaient dû ratisser le territoire entier avant de les trouver, et s'étonna du spectacle qui se déroulait devant ses yeux. Ils pensaient devoir secourir des camarades croulant sous les ennemis, mais au lieu de cela, rien qu'un calme inquiétant.

« Qu'est-ce qu'il s'est passé ici ? balbutia Cœur de Soleil.

– Le Clan de la Nuit, répondit Épine de Sapin. Ils nous ont attaqués alors que le Camp était presque vide, à croire qu'ils savaient à quoi s'attendre. Mais contrairement à leur habitude, ils n'ont pas essayé de nous décimer jusqu'au dernier. L'attaque a cessé aussi rapidement qu'elle a commencé... »

Il fut interrompu par le glapissement de Pelage de Nuit qui, ayant vu Poussière d'Étoile sortir de son antre, s'était précipité vers lui. En cet instant, la menace du Clan de la Nuit étant écartée, son fils devenait de nouveau sa priorité.

« Comment va-t-il ?

– Je suis parvenu à stopper l'hémorragie, c'est malheureusement tout ce que je peux te dire... Je ne vais pas te mentir, il est entre la vie et la mort. Je vais m'occuper des blessés, toi y compris, et ensuite tu pourras aller le voir. »

Le lieutenant hocha la tête sans grande conviction, épuisé, mais quelques peu rassuré. Le jeune guérisseur passa alors voir les blessés, disposant sur eux cataplasmes et toiles d'araignées. Il s'occupa en premier lieu de leurs sauveurs, Pluie Torrentielle, Griffe Obscure et Boule de Granite, sans qui cette étrange bataille aurait été bien plus inégale. Une fois que ce fut fait, il partit s'occuper des membres de son Clan, tandis que Pluie Torrentielle s'approchait de Pelage de Pierre, les nouvelles de sa récente dégradation n'étant évidemment pas arrivées jusqu'à leurs oreilles.

« Nous allons rentrer chez nous maintenant.

– Nous vous remercions pour votre aide, lui répondit Pelage de Nuit avant que l'ancien lieutenant n'eût pu prononcer un mot, n'ayant guère oublié que la veille, il avait regardé sans broncher la femelle se faire massacrer. Le Clan du Soleil n'oubliera jamais que vous nous avez sauvé, et nous vous en serons reconnaissant à jamais.

– J'avais une dette envers vous, considérons-la comme remboursée, et nous comme amis. J'aimerais saluer Étoile de Neige avant notre départ, où est-elle ? »

Un silence naquit dans le Camp. Leur meneuse n'était effectivement pas en vue. Cœur de Soleil, aussitôt et comme à son habitude, se mit à paniquer et à la chercher partout dans la clairière. En vain. Elle n'était nul part. Pelage de Nuit ordonna aussitôt une battue dans tout le territoire pour tenter de la retrouver, persuadé qu'en affrontant un de leurs assaillants, le combat les avait éloignés du Camp, et qu'elle était sûrement blessée ou en danger quelque part. Pluie Torrentielle leur proposa de nouveau l'aide de ses guerriers et elle, mais le lieutenant au pelage noir déclina poliment la proposition, décrétant qu'ils en avaient déjà beaucoup fait pour eux, et que leur Clan s'inquiéterait de ne pas les voir revenir de patrouille, et qu'ils avaient de plus bien plus besoin d'eux. La sublime femelle s'inclina devant l'argument, et leur souhaita de la retrouver rapidement, ainsi que de les tenir informés des résultats de leurs recherches. Le soleil, pourtant juste levé lorsqu'avait débuté la bataille, venait de se coucher lorsque le Clan du Soleil se réunit de nouveau au pied du Promontoire. Pas un seul centimètre carré n'avait pas été ratissé par les guerriers et apprentis, sans qu'aucun d'eux n'aperçût la fourrure blanche immaculée de leur meneuse. L'inquiétude générale était aussi épaisse que la nuit qui venait de tomber. Pelage de Flocon se tourna vers Pelage de Nuit et demanda, tentant de calmer son appréhension :

« Que faisons-nous maintenant ?

– Demain nous enverrons quelqu'un espionner le Clan de la Nuit. Peut-être l'ont-il enlevée dans le but de nous déstabiliser. Pour le moment, malheureusement, il n'y a rien que nous puissions faire, sinon utiliser cette nuit de repos pour nous remettre d'aplomb.

– Pelage de Nuit ? Nous devons aussi veiller ma sœur, » osa timidement Plume d'Aurore, comme peu désireuse de rappeler à tous le drame du matin même.

Le mâle noir hocha gravement la tête, le cœur lourd et douloureux. Ainsi, Plume d'Aurore, Lune Noire, Toile d'Araignée – qui fut l'apprenti de Pomme Cendrée en plus d'être son neveu –, Nuage de Geai, Nuage de Sable et Nuage de Plume, ses neveux et nièces, Épine de Sapin, son ancien mentor, et lui se préparèrent pour passer la nuit avec celle qui leur manquait déjà tant. Les autres membres du Clan du Soleil auraient pour la plupart souhaité se joindre à eux, Pomme Cendrée étant une femelle fort appréciée, mais le lieutenant avait ordonné qu'ils se reposassent, afin que chacun ne souffrît pas le lendemain de la nuit blanche passée à veiller leur défunte camarade. Poussière d'Étoile, lui, resta dans son antre, ne dormant que d'un œil, à l'affût du moindre changement d'état de Petite Ardoise. Un silence de plomb régnait sur le Clan, et peu d'entre eux parvinrent à dormir réellement cette nuit-là.

*

La morsure glaciale de l'eau la tire de sa torpeur. Aussitôt après, un choc contre un rocher. Violent. Son souffle se coupe. La force du courant l'entraîne dans le fond de la rivière. Elle cherche à remonter à la surface. Cherche à reprendre de l'air. Suffoque. Son corps, si frêle face aux éléments déchaînés, se retrouve ballotté dans tous les sens. Nouveau choc. Vive douleur. Les larmes montent, de nouveau la rivière l'engloutie. Impossibilité totale de se sortir de là. Sa tête tout juste sortie de l'eau que celle-ci l'entraîne une fois encore vers ses profondeurs. Sa vision se trouble. Le froid anesthésie la douleur, affaibli ses mouvements. Depuis combien de temps déjà était-elle dans cette rivière ? Qui l'y a plongée ? Pourquoi ? Elle l'ignore. L'on a cherché à se débarrasser d'elle, c'est une certitude. Une chute, à quelques mètres seulement, et le courant qui l'y entraîne sans faillir. Panique. Mais rien n'y fait. Quelques secondes plus tard, les rapides la ballotent dans tous les sens. Un choc, plus violent que les autres. Et puis le noir.