14. Tempête
Pelage d'Hermine frissonna en sentant l'air nocturne s'insinuer entre ses poils, caresser sa peau qui se couvrait de chair de poule, transissant son corps de froid. Pourtant, celui-ci la dérangeait bien moins que l'angoisse qui rongeait son estomac. Autour d'elle, un silence de plomb régnait sur le Camp, la laissant seule avec ses pensées. Le soleil commençait à se lever, et il n'était toujours pas venu. Pourtant, depuis le début de leur relation, ils avaient tout planifié en vu de cette journée, tout agencé, évoqué les moindres possibilités qui pourraient les empêcher de réaliser leur ultime projet. Mais rien. Pas de nouvelles, alors qu'il aurait dû, et ce depuis déjà bien longtemps, venir l'arracher de cette vie morne qu'elle menait. Pourtant, alors que les guerriers de son Clan commençaient à se réveiller, un à un, elle eut le sentiment que tout était fini. Les promesses d'un avenir radieux s'étaient envolées au moment où le premier guerrier s'était levé.
Pelage de Flocon s'avança vers elle, la fierté d'avoir pu mener sa petite sœur jusqu'au rang de guerrière se lisant dans son regard si semblable à celui de leur mère, et lui déclara que sa veille était terminée, qu'elle pouvait aller se reposer. Lasse, et emplie d'un profond sentiment de trahison, la jeune guerrière se rendit dans l'antre des guerriers, où certains de ses camarades dormaient encore. Elle se trouva une litière vide à côté de celle de Cœur de Soleil, à qui elle parlait toujours aussi peu. Contre ce dernier s'était lovée Flamme Ardente, devenue sa compagne la veille. Elle soupira à cette vision, jalouse, et se roula sur l'épais tapis de mousse à la triste froideur.
Avant que le sommeil ne la prît enfin, elle entendit Épine de Sapin venir chercher Pomme Cendrée et Griffe de Hibou pour une patrouille de chasse, Tempête de Glace réprimander Toile d'Araignée pour n'être pas déjà parti à l'entraînement avec Nuage d'Herbe, cette dernière entrer un peu après pour réclamer à son tour la présence de son mentor qui semblait s'être rendormi, mais repartir après s'être figée de rage et d'effroi, Toile d'Araignée se lever enfin, suivit par Cœur de Soleil et Flamme Ardente. Après eux, la tanière fut enfin vide et silencieuse, permettant à la jeune guerrière de trouver le sommeil dont elle avait tant besoin.
Dans le Camp, chacun s'affairait, insouciants. Heureux. À l'exception peut-être de Nuage d'Herbe qui fusillait Flamme Ardente du regard, à priori soutenue par un Toile d'Araignée assez confus. Âgés de déjà trois lunes, Petite Mésange et Petite Poussière regardaient la vie du Clan avec l'innocence totale des yeux de ceux qui n'ont pas encore vu le malheur.
Cette plénitude générale, ce fut Feuille de Chêne qui vint la briser. La guérisseuse ressortit de la tanière des guérisseurs, la mine basse, avant de pénétrer dans celle de leur meneuse. Les membres du Clan se regardaient, inquiets et confus, se demandant quelle mauvaise nouvelle leur guérisseuse pouvait bien avoir à annoncer à leur chef. Celle-ci sortit peu après en courant, s'engouffrant telle une flèche dans l'antre des anciens. Le spectacle qui se jouait devant ses yeux la figea sur place, glaçant son sang dans ses veines. À côté d'un Renard Ardent dévasté, semblant avoir rajeunit de bien des lunes, perdu tel un chaton, reposait le corps de Feuille de l'Aube. Mort. Un filet de sang s'écoulant de sa truffe. Une larme roula sur la joue d'Étoile de Neige, bientôt suivie d'une autre, jusqu'à ce que d'autres suivissent, intarissables. Feuille de l'Aube avait toujours été là pour bien des membres de leur Clan, les entourant de sa bonté et de sa bienveillance, et avait soutenu sans faillir l'actuelle meneuse, de la jeune apprentie dont le frère menait la vie dure, à la chef tâchant de garder la tête hors de l'eau, en passant par la guerrière perdue et la lieutenant incertaine. Sans elle, Étoile de Neige ne serait pas la moitié de celle qu'elle était aujourd'hui, elle lui devait tout. La douleur de la voir ainsi lui était aussi insupportable que celle de Renard Ardent à ses côtés, qui venait, lui, de perdre sa mère.
« Comment est-ce arrivé ? articula-t-elle difficilement à l'attention de la guérisseuse, toujours à ses côtés.
– Je... je ne sais pas. Renard Ardent m'a dit qu'il l'avait trouvé comme ça... Je... je ne vois pas de quelle maladie il pourrait s'agir. Pourtant qu'il n'y a aucune trace de lutte, ni de blessure, mis à part le sang sur sa truffe. »
Une boule dans la gorge, elle ressortit de ce lieu de mort et de désespoir, traversant sans le voir le groupe qui s'était formé devant l'entrée, inconsciente et angoissée. Personne ne semblait oser s'approcher de la meneuse, choqués, perdus. Celle-ci disparut dans son antre, délaissant son Clan qui ne savait comment réagir. Ce fut Pelage de Pierre qui sortit du groupe, suivit sa sœur dans sa tanière, et vint enrouler sa queue avec celle de leur chef perdue. Devant le regard étonné et empli de tristesse de cette dernière, il se pressa contre elle en guise de réconfort.
« Ça va aller petite sœur ? »
Devant son silence, il continua, connaissant parfaitement l'état dans lequel elle était, et ce dont elle avait besoin pour en sortir.
« Écoute, je sais ce qu'elle représentait pour toi, Étoile de Neige. Je sais parfaitement à quel point son soutien t'a été primordial. Mais Feuille de l'Aube était également précieuse pour chacun d'entre nous, elle était notre aînée, une sorte de guide vers qui on pouvait se tourner lorsque personne d'autre n'était disponible pour nous. Ton Clan a besoin de s'assurer que quelqu'un prendra ce relais. Et ce quelqu'un, c'est toi, Étoile de Neige. Tu es leur meneuse, tu ne peux pas te laisser abattre, même si c'est dur. Tu dois rester forte. Pour eux. Pour nous. »
La femelle blanche, abattue, hocha la tête. Son frère avait raison, elle ne pouvait pas se permettre de laisser ses émotions passer avant ses devoirs, elle l'avait déjà fait la veille en allant voir Jeremy. Cela ne pouvait plus se reproduire. Elle passa un coup de langue sur son poitrail pour se redonner contenance, et précéda le guerrier cendré pour aller rejoindre son Clan. Tous levèrent aussitôt la tête à son approche, et la jeune meneuse put lire dans leur yeux la même détresse et le même chagrin qu'elle.
« Chats du Clan du Soleil, aujourd'hui est jour de deuil. Feuille de l'Aube nous a quitté. Il était malheureusement évident qu'elle n'était pas éternelle, néanmoins sa perte constitue pour chacun d'entre nous un choc, j'en ai conscience. Mais nous ne devons pas nous laisser abattre. Nous la pleurerons de tout notre soûl ce soir, lors de la veillée. En attendant, il nous faut nous occuper de notre Clan. Patte Féroce va désigner la patrouille de midi, et je voudrais qu'une nouvelle patrouille de chasse parte lorsque celle d'Épine de Sapin sera revenue. S'il y a des volontaires, rendez-vous auprès de Patte Féroce. Pour les autres, certains d'entre vous ont des apprentis à entraîner. »
Sitôt son discours terminé, la solide meneuse retourna dans son antre, titubante. Poussière d'Étoile, présent dans l'Assemblée, se fit la réflexion qu'il n'avait jamais vu sa mère aussi anéantie. Elle allait sans nul doute nécessiter l'aide de tout le Clan, et plus particulièrement l'appui de Patte Féroce. Un long soupir s'échappa de sa gorge. Un certain nombre de leurs camarades n'étaient pas présents, déjà partis en forêt pour chasser, patrouiller ou entraîner leurs apprentis. À leur retour, la triste nouvelle serait dure à apprendre.
*
L'après-midi se révéla très rude pour le jeune guérisseur, qui pria par la suite le Clan des Étoiles de ne jamais plus revivre une telle journée. Feuille de Chêne et lui pensaient que leur doyenne avait succombé à la vieillesse, et était morte dans son sommeil. Mais lorsqu'il pénétra dans sa tanière, l'horreur le frappa, ainsi qu'une quasi certitude. Feuille de l'Aube avait été assassiné. D'une manière ou d'une autre. Aucune autre explication lui semblait probable désormais. Un cri d'abomination et de désespoir s'échappa de sa gorge, au moment même où il pénétrait dans la tanière des guérisseurs. Devant lui, couchée à même le sol, les yeux vitreux, gisait Feuille de Chêne. Hoquetant de terreur, murmurant, tel un psaume, que cela ne se pouvait pas, il se précipita sur le corps de son mentor, cherchant à la réveiller. L'évidence le frappa telle la foudre. Le cœur de la chatte brune s'était tut à jamais. Poussière d'Étoile était un chat habituellement très réservé, qui ne montrait jamais quelles émotions le traversaient, et à force de le côtoyer, seul Cœur de Soleil parvenait à décrypter dans quel état intérieur il se trouvait. Mais en cet instant, alors que les larmes ruisselaient sur ses joues, nul n'aurait eu besoin d'être proche de lui pour voir l'immensité de son chagrin. Son museau enfouit dans l'épais pelage de la guérisseuse, il avait le sentiment de redevenir le jeune chaton tout juste devenu apprenti, à qui Feuille de Chêne avait tant appris et tant soutenu.
Ce fut un Pelage de Pierre paniqué qui le sortit de sa transe. Il ne lui fallut qu'un regard pour comprendre, mais son esprit n'était pas à la tristesse. La voix tremblante, il s'exclama, tâchant pourtant de paraître calme :
« C'est Plume d'Alouette... Je crois qu'elle va mettre bas ! »
Cette phrase eut sur le guérisseur noir et blanc un effet magique. C'était le coup de fouet dont il avait besoin pour se remettre. Se redressant, il attrapa les quelques plantes dont il pourrait avoir besoin si cela devait tourner mal, et se précipita dans la Pouponnière.
« Dégagez tous, j'ai besoin de place ! Non, Pelage de Pierre, pas toi ! Plume d'Alouette va avoir besoin de toi. Les autres, cassez-vous ! »
Lune Noire sortit sans se poser la moindre question, entraînant avec elle Petite Mésange et Petite Poussière. Plume d'Aurore la suivit avec plus de mal, le ventre aussi gonflé que celui de sa belle-mère qui s'apprêtait à mettre bas. Ses chatons à elle verraient probablement le jour d'ici peu, eux aussi. Poussière d'Étoile s'affairait autour de la jeune mère, incertain. Il n'avait encore jamais assisté à une mise bas sans l'aide de son mentor, et craignait au plus profond de lui de faire une bourde. Mais extérieurement, il montrait une confiance absolu, désireux de ne pas inquiéter Plume d'Alouette. Pelage de Pierre tournait en rond, inquiet comme jamais son neveu ne l'avait vu, s'arrêtant régulièrement pour donner un coup de langue sur l'oreille de sa compagne pour lui témoigner son soutien. Le guerrier gris cendré aurait sans hésité, s'il le pouvait, transmis toute sa force à la femelle qui partageait sa vie pour lui épargner la douleur de la mise bas, et se sentait en cet instant très inutile. Poussière d'Étoile eut un sourire attendrit. Lorsqu'il s'agissait de sa compagne, son oncle pouvait presque paraître... normal. Le jeune guérisseur reporta son attention sur la femelle écaille-de-tortue devant lui. Il palpa délicatement son abdomen gonflé et tendu. Un seul chaton. Au moins, le calvaire ne serait pas trop long.
Un heure. C'est le temps qu'il leur fallut pour mettre au monde la plus magnifique des chatonnes. Du moins, aux yeux de Poussière d'Étoile - qui du haut de ses quinze lunes n'avait pas eu l'occasion de voir tant de chatons que ça -, la fille de Plume d'Alouette et Pelage de Pierre était réellement magnifique. Et d'un point de vu très objectif, elle semblait avoir hérité de la même beauté que sa grande sœur, Tempête de Glace, tout en promettant d'en être radicalement différente. Avec son pelage noir et ses pattes blanches, elle était l'opposé total de sa frangine, et pourtant, elles possédaient les mêmes traits délicats, et il tardait au guérisseur de voir de quelles couleurs étaient ses prunelles. Son allure frêle et sa petite taille n'enlevaient rien à son charme, peut-être même tout au contraire. Le mâle noir tacheté de blanc se sentait presque jaloux de sa jolie cousine.
Pelage de Pierre câlinait sa compagne qui, épuisée, se galvanisait de ce réconfort bien mérité, les yeux fixés sur cette merveille qui dormait contre son ventre encore rondouillard. Rien n'aurait pu égaler son bonheur. À part peut-être sa promotion au rang de lieutenant et la démission de sa sœur, lui promettant enfin la place tant convoitée de chef. Pourtant, ce rêve, il l'aurait sacrifié sans aucuns remords s'il devait l'échanger contre sa toute nouvelle progéniture.
« Alors ? demanda-t-il d'une voix douce à l'oreille de sa bien-aimée.
– Je te laisse choisir, j'aimerais juste dormir, là...
– Eh bien... Elle est aussi belle, douce et fragile qu'une plume..., réfléchit le père.
– Alors va pour Petite Plume, » sourit Plume d'Alouette avant de sombrer comme une masse dans les bras de Morphée.
*
La nuit fut synonyme de chagrin pour tout le Clan, alors que chaque membre resta éveillé pour veiller leurs deux camarades tombées pour une raison qu'ils ignoraient encore. Poussière d'Étoile n'avait fait part de sa conviction qu'à son frère, sa mère n'étant pas suffisamment remise pour cela. Cœur de Soleil, un peu confus, lui avait demandé de ne pas s'emballer, que peut-être Feuille de Chêne avait contracté une maladie, chose courante pour une guérisseuse qui côtoyait quotidiennement les malades. L'aîné de la porté avait consenti à croire que les dires de son frère étaient lourds de sens, mais ne pouvait s'empêcher de laisser trotter dans sa tête cette idée selon laquelle deux étranges morts en si peu de temps ne pouvait guère tenir de la coïncidence.
Cœur de Soleil, quant à lui, essayait de remonter le moral de Nuage d'Herbe, au grand désespoir de sa compagne, Flamme Ardente. Celle-ci avait d'ailleurs essayé de le lui reprocher, mais l'incendie - murmuré afin de ne pas déranger les autres - qui lui était retombé dessus avait surpris la guerrière rousse.
« Écoute, Nuage d'Herbe a passé beaucoup de temps à écouter Feuille de l'Aube, comme nous tous, et elle est encore jeune. Elle a besoin de réconfort, et je suis son ami. Alors si cela ne te convient pas, tu peux très bien t'en aller ! »
Le guerrier doré soupira à ce souvenir, caressant de sa queue le pelage de sa camarade. La veille, Flamme Ardente l'avait surpris en lui demandant de devenir son compagnon. Et il s'était lui-même surpris en acceptant sa demande. Il était vrai que la guerrière au pelage de feu possédait de nombreuses qualités, et elle ferait pour sûr une excellente compagne, pour laquelle il se montrerait dévoué. Alors pourquoi tous ces doutes l'étreignaient-ils ?
Étoile de Neige, elle, reposait contre le corps de celle qui fut sa meilleure amie. Cœur de Loup avait tenté de venir la soutenir, mais la meneuse l'avait repoussé, préférant la solitude à la présence d'un ami dont elle ne pouvait retourner les sentiments pour faire son deuil. Autant le départ de Feuille de l'Aube l'avait dévastée, car elle ne s'y attendait pas le moins du monde, autant celui de Feuille de Chêne la détruisait totalement. Elle refusait d'y croire. Pas de cette manière. Pas aussi rapidement, sans autre signe avant-coureur qu'une fatigue probablement due à son surmenage après la mort de leur ancienne. Pas aussi jeune, surtout. Un sentiment d'abandon envahit la meneuse, qu'elle essaya aussitôt de repousser. Contrairement à ce que beaucoup voyaient d'elle, la grande et puissante chef du Clan du Soleil, que beaucoup craignaient ou admiraient, elle était loin d'être emplie d'une confiance sans nom. De tout temps, depuis sa plus tendre enfance, sa plus grande peur était celle de ne pas être à la hauteur, d'échouer dans la tâche qu'on lui avait confié. Lorsqu'elle avait été promue chef, après la mort de son compagnon, elle avait juré qu'elle ferait tout pour son Clan, et s'acquitterait de cette tâche sans faillir. Mais souvent, trop souvent, elle avait le sentiment de ne pas y arriver. De ne pas être une si bonne chef, contrairement à ce que beaucoup pensaient. En cet instant plus que jamais. Comment le Clan des Étoiles pouvait-il leur faire ça ?
*
La nuit fut longue. Chacun luttait à la fois contre le chagrin qui les étreignait, et contre le sommeil qui cherchait à se poser sur leurs yeux fatigués par toutes ces émotions. Lorsque l'aube vint, plusieurs d'entre eux sortirent dans la forêt, emportant avec eux les corps de leurs camarades afin de les enterrer. Quant aux autres, ils se levèrent un par un, étirant leurs muscles endoloris, se témoignant mutuellement leur soutien.
« Oé Cœur de Loup, il faut se réveiller maintenant. Ça n'est pas très grave de t'être endormi, elles comprendront, mais lève-toi maintenant, » se fit entendre la voix de Pelage de Pierre.
Mais devant l'immobilité de son meilleur ami, il le secoua plus virulemment. Toujours aucune réaction de la part du guerrier gris clair. Paniqué, le guerrier cendré appela Poussière d'Étoile qui n'osa pas approcher, déjà certain de ce qu'il allait y trouver. Cœur de Loup était mort, de la même manière que Feuille de l'Aube et Feuille de Chêne. Mais cela excluait donc un meurtre. Alors quoi ?
« Je... je suis désolé Pelage de Pierre, » balbutia-t-il finalement.
Celui-ci poussa un cri de désespoir, anéanti, et se coucha contre le corps de celui qui fut comme son frère. Poussière d'Étoile, par réflexe, se tourna vers Étoile de Neige. Mais celle-ci avait disparu dans son antre, totalement perdue face à cette chose qui éliminait ses guerriers, un à un.
« Comment va-t-on faire sans Étoile de Neige ? demanda la petite voix inquiète de Nuage de Piquants.
– Exactement comme d'habitude, lui répondit la voix grave et rassurante de leur lieutenant. On va s'en sortir. Tempête de Glace, tu emmènes Pelage de Flocon, Cœur de Soleil, Toile d'Araignée et Nuage d'Herbe avec toi, et vous me ratissez la forêt pour me ramener le plus de gibier possible. Griffe de Hibou, Pomme Cendrée, Pelage de Nuit et Nuage de Piquants, vous partez patrouiller. Je veux la plus extrême des vigilances. Les autres, allez dormir, vous avez besoin de repos, vous prendrez le relais à leur retour. Et personne ne s'approche de l'antre d'Étoile de Neige, elle a besoin de se reposer elle aussi. Lune Noire, si tu pouvais emmener nos enfants tenir compagnie à Renard Ardent, cela lui ferait le plus grand bien. »
La voix qu'il utilisait pour parler à sa compagne était douce et emplie d'une inquiétude palpable. Le reste de son discours n'était que professionnalisme et efficacité. Il n'y avait pas de temps à perdre. Chacun s'affaira alors à remettre le Camp en ordre, mettant de côté leur peine pour se concentrer sur l'essentiel. Étoile de Neige ne sortit pas de son antre, et personne n'osa venir l'en déranger. Patte Féroce dû se plier en quatre pour remettre tout ce beau monde sur les rails, s'assurer que les réserves ne s'amenuisaient pas, que chacun mangeait et dormait suffisamment pour reprendre des forces qui leur seraient nécessaires dans les jours à venir, régler les petits problèmes qui survenaient, organiser les différentes patrouilles pour que les frontières restent protégées et surveillées, vérifier que leurs deux seuls apprentis, Nuage d'Herbe et Nuage de Piquants, étaient bien emmenés à l'entraînement par leurs mentors, trouver du monde pour aider Poussière d'Étoile à refaire ses stocks, secouer cette larve de Pelage d'Hermine qui se lamentait sur son sort pour une raison inconnue, faire regarnir les litières, envoyer des guerriers chercher de l'eau pour Plume d'Alouette, avoir toujours quelques guerriers dans le Camp en cas d'attaque - bien qu'il doutait que cela pût survenir, mais l'on était jamais trop prudents -, et pour garder un œil sur Plume d'Aurore au cas où celle-ci venait à mettre bas... Toutes ses tâches de lieutenant en somme, additionnées à celles habituellement gérées par Étoile de Neige. Tant et si bien qu'à la fin de la journée, il était réellement épuisé, et tous ses muscles tétanisés d'avoir été tant sollicités.
Des feulements provenant de la Pouponnière l'alertèrent, et le lieutenant noir s'y précipita. Le spectacle qu'il y découvrit le figea. Pelage de Pierre se trouvait au-dessus de Poussière d'Étoile, les crocs sortis, menaçants. Le plus jeune se débattait vainement, n'ayant eu ni la formation, ni la carrure nécessaire pour s'opposer à son oncle.
« Tu ne mérites pas d'être appelé guérisseur, crachait ce dernier, si tu n'es même pas capable de nous protéger !! Combien de morts encore avant que tu ne remues la queue pour nous sortir de là ?? D'abord Cœur de Loup, maintenant elle ? Si tu crois que je vais te laisser me détruire ainsi...
– J... je suis désolé Pelage de Pierre... J... je ne pouvais rien faire... C'était trop tard...
– Tu mens !! hurla le premier. Je vais te tuer, tu verras ce que ça fait !! »
Mais avant qu'il n'eût pu mener sa menace à exécution, il fut projeté sur le côté par Patte Féroce qui, sidéré, ne comprenait pas ce qui venait de se passer. Il ne portait guère Pelage de Pierre dans son cœur, lui reprochant notamment sa trop grande véhémence ainsi que son caractère violent, mais cela ne lui ressemblait pourtant pas.
« Que se passe-t-il ici ? tonna-t-il alors.
– Ce bon à rien a laissé mourir ma compagne, sans bouger une seule griffe ! Il mérite l'exil, ou même la mort !! »
Patte Féroce le vit enfin. Le cadavre de Plume d'Alouette, Petite Plume toujours endormie entre son flanc désormais gelé, portant en elle toute la candeur de ce monde. Le lieutenant ferma un instant les yeux. Quand cela cessera-t-il enfin ? On leur arrachait des reines maintenant, qui seraient les prochains ? Leurs chatons, leurs apprentis ? Il se reprit, refusant de se laisser aller au désespoir.
« Je suis sincèrement désolé, Pelage de Pierre. Mais Poussière d'Étoile n'y pouvait rien. Ni lui ni personne. Et si tu nous prives de notre guérisseur, nous sommes tous condamnés. »
Le mâle cendré ne dit rien, mais le regard meurtrier qu'il posait sur son neveu en disait long. Plume d'Aurore s'approcha alors, énorme, et déclara d'une voix douce.
« Je m'occuperai de ta fille, Pelage de Pierre. Elle n'aura que quelques jours de plus que mes chatons, et j'aurais suffisamment de lait pour tout ce petit monde. Je l'aimerai comme ma fille, je te le promets. Mais ne la laisse pas grandir sans l'amour d'une mère, même si je ne le serai que d'adoption.
– Je t'apporterai du gibier, » lâcha finalement au bout d'un long moment le concerné en guise d'acceptation et de remerciement.
*
Patte Féroce avait annoncé la triste nouvelle à leur meneuse, mais cela n'avait fait que l'enfoncer un peu plus dans son désespoir. Le lieutenant resta donc seul à diriger un Clan craintif, terrifié à l'idée d'être le prochain, ou de voir les êtres qui leur étaient chers succomber à leur tour. La tension était plus que palpable, augmentée par le fait que nul ne savait la cause de leur malheur.
Cela se passa lors de la cérémonie du Partage. Chacun s'efforçaient de manger dans la meilleure humeur qu'ils pouvaient, désireux d'oublier un instant les malheurs qui les touchaient actuellement. Toile d'Araignée mangeait en compagnie de Cœur de Soleil, un peu secoué par la mort de Cœur de Loup, et probablement craintif qu'il ne leur arrivât la même chose. Le guerrier gris et blanc n'imaginait pas sa vie sans son meilleur ami. Étoile de Neige sortit alors, semblable à un fantôme, et se joignit à son fils aîné et sa compagne, refusant toutefois la grive que Tempête de Glace lui proposait. Cela rassura néanmoins Pelage de Flocon de la voir avec eux, prête, même dans son état, à montrer à son Clan qu'elle restait leur chef.
Ce fut alors que Patte Féroce, qui semblait lutter depuis quelques minutes contre le sommeil, surveillant que chacun mangeait à sa faim et que les reines avaient eu leur part, s'effondra au sol. Lune Noire se précipita vers lui, prête à le soutenir, à le houspiller de trop se surmener, à lui ordonner d'aller prendre enfin le repos qu'il méritait amplement. Mais de tout cela, elle ne fit rien. L'évidence la frappa avec une froideur toute aussi mordante que les fois précédentes. Patte Féroce, à son tour, ne se réveillerai jamais plus. L'ancienne chatte domestique resta forte, et entraîna au loin Petite Mésange et Petite Poussière qui chahutaient tout près et venaient demander à leur père de jouer avec eux. Elle passa devant Étoile de Neige qui s'était levée, sidérée, et lui murmura froidement :
« Si je ne m'effondre pas, tu n'en as pas le droit non plus, Étoile de Neige. Si je vois le moindre doute dans ton regard, le moindre « c'est de ma faute, j'aurais dû faire quelque chose », je t'étripe. Trouve la cause de leurs morts, que nous puissions les en venger. Mais ne laisse plus tes émotions passer au-devant de ton devoir. Tu es notre meneuse. Alors bouges-toi le cul, bordel ! »
La tirade de la vieille reine noire eut l'effet d'une claque sur la jeune meneuse blanche. Lune Noire, bien que n'ayant pas grandi dans un Clan, avait totalement raison. Jusqu'à présent, elle s'était sentie coupable de chaque mort, un peu plus abattue à chaque fois, laissant son chagrin la dépasser. Or elle aurait tout le temps qu'elle voudrait pour pleurer le soir, dans son antre. Pas devant tout le monde. Pas ici. Elle bondit sur le Promontoire, s'efforçant de tenir, encore un peu, juste le temps de remettre de l'ordre dans ce chaos qu'était devenue leur vie ces derniers jours.
« Chats du Clan du Soleil. J'ignore ce qui touche notre Clan, mais une chose est certaine, nous n'allons pas nous laisser faire. Si un autre Clan essaye de nous empoisonner, d'une manière ou d'une autre, nous le découvrirons et ils le paieront. Si c'est le Clan des Étoiles qui nous envoie cette épreuve, nous le découvrirons. J'irai dès demain les consulter, ils ne peuvent nous laisser dans une telle ignorance. En attendant, je dois faire ce que j'espérais ne jamais avoir à faire : désigner un nouveau lieutenant. Patte Féroce a été un pilier indispensable pour moi, et je sais que son successeur saura en faire de même. »
Une hésitation la prit. Bien que priant leurs ancêtres pour que cela n'arrivât jamais, elle s'était vu forcée de réfléchir, une nuit d'insomnie, à cette terrible question. Et si Patte Féroce n'était plus là, qui pourrait le remplacer ? Trois noms s'étaient imposés à son esprit. Trois chats, qu'elle regarda à tour de rôle, certaine que ce choix serait bon. Mais des trois, lequel serait le plus apte à la seconder ? Un doute l'étreignit. Lui ? En cette période difficile ? Peut-être pas. Mais pourtant... La tristesse dans son regard lui rappelait la sienne, preuve qu'il était capable de faire preuve de sentiments. Et après tout, peut-être était-ce de ça, dont elle avait besoin. De sa froideur et de son pragmatisme.
« J'annonce mon choix devant le corps de Patte Féroce, afin que son esprit m'entende et m'approuve. C'est Pelage de Pierre qui me secondera désormais. »
____
Oui oui oui, enfin !
4488 mots, ça a été long à écrire !
J'apprécierai énormément avoir des retours sur ce chapitre, tant le positif que le négatif !
Sinon j'ai changé la couverture et le résumé, qu'en pensez-vous ? :)
À... bah au plus vite possible !
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro