
CHAPITRE 52
L'air chargé d'électricité pesait sur ses épaules et chatouillait sa nuque à chaque coup tiré. Une main plaquée sur son bandage de fortune, Nïne créait une véritable hécatombe autour d'elle, et elle le savait. Pas le temps de penser à toutes les vies prises et sauvées, à toutes les munitions utilisées, gaspillées, pas le temps de se remettre en question avec des problèmes philosophiques. Au cœur de la bataille, le sang, les coups, le bruit, la sueur, la pluie et l'interminable glas de la mort résonnaient en chacun des Loups. Nïne ne tirait aucune satisfaction à donner la mort. Mais puisqu'il fallait en arriver là pour protéger les gens qu'elle aimait, elle n'hésitait pas une seconde. Au cœur de la bataille, Nïne se sentait plus vivante encore que n'importe où au monde.
Elle jeta un coup d'œil de l'autre côté de la rue où le chef du Clan des Scorpions, en tous points semblable à son frère, couvrait les membres de son clan comme un père et ses enfants. Armé d'une puissante mitraillette, il faisait des ravages dans les lignes adverses, creusant de larges sillons dans le sol bétonné de l'île-centre. Contrairement aux chefs des divisions ennemies, Björn n'avait pas l'air enragé mais ses yeux brillaient d'une lueur où étincelait le désir de justice. Ses mains crispées sur l'arme diabolique, il s'était préparé à en découdre depuis longtemps. Mais sous ses airs de chef honorable, il espérait de toutes ses forces que son frère n'apparaîtrait pas sous le feu de ses tirs. Certes, Andréus n'était plus le frère qu'il avait connu, mais avait-il un quelconque droit de lui retirer la vie ?
Il tenta de chasser les pensées qui le taraudaient et de se concentrer sur la bataille qui suivait son cours sur la place principale de Goldhaven. Les balles pleuvaient toujours, les grenades explosaient à quelques mètres de lui mais il pouvait compter sur ses fidèles Scorpions pour construire une barrière autant humaine que matérielle pour le couvrir. Tant qu'il avait des balles à dépenser, il n'aurait pas à mettre sa vie et celle de ses frères en danger. Il jeta un œil vers celui qu'il pourrait presque considérer comme son bras-droit tant son aide lui était précieuse. Mais comparer Lïam, celui qu'il avait recueilli comme un fils, à Conraad, l'imprévisible et tumultueux appendice du pouvoir de son frère l'écœurait profondément.
Lïam recommençait sans cesse les mêmes gestes, avec cependant quelques variations afin que ses adversaires soient toujours pris au dépourvu par sa stratégie. Il sortait de la barricade, s'avançait sous le feu ennemi et projetait son grappin contre ses féroces adversaires. Il balayait ainsi cinq Flammes par coup et cela réduisait considérablement le travail des autres membres. Plus agile, plus efficace, Lïam était fait pour l'action et cela ne faisait aucun doute. Pragmatique, en symbiose avec son corps, il était concentré. Tous ses sens en alerte, il était capable de prévenir chaque percée adverse et de les contrer avec une efficacité redoutable. Aucune pensée ne venait troubler ses mouvements. Seul un léger pincement au cœur, à peine remarquable, lui rappelait que Loon n'était pas loin de la bataille.
En parlant d'elle, une énorme explosion entre les bâtiments lointains interrompit la danse mortelle qu'il menait depuis le début des hostilités. Les Flammes se retournèrent elles aussi vers le désastre sans en comprendre la source. Lïam se tourna vers Jow qui se tenait un peu plus loin dans la rue. Celui-ci, interdit, ne mit pas longtemps avant de comprendre que cette manœuvre était une diversion de leur côté. Il se planqua derrière une voiture retournée sans tenter de calmer son cœur furibond. Une sorte de lucidité obscure prenait possession de son corps à mesure que son esprit comprenait que le moment était arrivé. Il jeta quelques bombes de sa fabrication et se lança au cœur des explosions armés de ses bagues de combat. Il voulait être au contact, sentir les os craquer sous ses poings. Il le devait, pour sa famille, pour ses alliés, pour lui. Il prit conscience que c'était terminé avec la rapidité d'un éclair.
Il comprit ce qu'il avait à faire et, sans aucune hésitation, s'attaqua à Conraad le Chasseur. Il se précipita sur le colosse et le rua de coups avant qu'il ne puisse répliquer. Les deux corps se fracassèrent, se piétinèrent violemment. Jow embrassa le béton plus d'une fois mais Conraad pliait, petit à petit, son genou cédait sous l'offensive increvable de Jow. Un coup de poing plus violent que les autres l'envoya valdinguer contre le sol. Le sang ne s'arrêtait plus de couler de sa bouche, de se déverser en cascade sur son menton, de tacher ses vêtements trempés de sueur. L'écume aux lèvres, Conraad s'apprêtait à lui piétiner le crâne quand il se releva d'un coup sec et renversa le colosse sur le dos. Une horde de Flammes s'avançait sur Jow pour le faire plier. Il accueillit ces bêtes sauvages les bras grands ouverts. Il savait. La tempête s'abattit sur le Scorpion, l'homme, le père de famille.
Du haut du toit du gymnase, Tristaan assista à toute la scène les larmes aux yeux. Cependant, il n'avait pas le temps de penser ou de s'apitoyer sur le sort de qui que ce soit, les Flammes l'encerclaient petit à petit sans qu'il ne puisse rien faire. Elles s'approchaient lentement, comme pour faire durer le plaisir des uns et le supplice de l'autre. Il se ramassa sur lui-même. Il n'était clairement pas capable d'imiter le sacrifice de Jow, mais il avait des atouts et une arme hors de commun. Il serra le poing sur son gant nano-technologique dont les éléments formèrent une longue épée aussi légère que du papier et se prépara à l'attaque. Il avait tellement vu faire son personnage préféré dans le jeu vidéo qui avait bercé son enfance que ça ne pouvait que fonctionner, n'est-ce pas ? Il étendit la lame devant lui et prépara son bras. Quand les Flammes furent assez proches de lui avec leurs piques électriques, il effectua un tour sur lui-même qui balaya ses ennemis avec des éclairs meurtriers. Quand la fureur du coup fut passée et que Tristaan rouvrit les yeux, ses adversaires étaient à terre. Il prit une grande lampée d'air frais. Il tremblait, mais sa main semblait plus affermie sur la poignée de l'arme.
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