
CHAPITRE 38
Les flammes léchaient les branches sèches et crépitaient devant les yeux de la petite troupe. Dans le feu, Tristaan voyait toutes sortes de formes danser, apparaître, disparaître à tour de rôle. Depuis le début de la soirée, il se laissait bercer par cet art flamboyant et les murmures des Loups dans l'air frais de la nuit. Il sortit de sa transe quand il entendit Érïn prendre la parole.
— Nous devons discuter du plan et du chemin à suivre, déclara-t-elle à l'intention du chef de clan.
— Tu as raison. Maintenant que vous nous avez prouvé votre vaillance et votre loyauté, quelle est la prochaine étape ?
— Érïn a... disons... un plan assez risqué, répondit Lïam.
Loon lui tripotait les cheveux depuis le début du rassemblement. À l'aide de poudres et de la peinture naturelle qu'utilisaient la tribu, elle teignait les cheveux gris de Lïam avec toutes les couleurs dont elle disposait. Tristaan décocha un sourire devant ce tableau adorable qui ne rendait pas Lïam moins crédible pour autant.
— Dîtes-nous ce à quoi vous pensez.
— L'armée d'Andréus est conséquente, reprit Érïn. De plus, il détient des alliés de taille : les Chauves-souris et une partie de votre meute d'origine. Nous avons de notre côté les Scorpions et désormais votre partie de la meute, mais ce n'est pas suffisant. Numériquement, nous ne ferons pas le poids. J'ai donc réfléchi à une autre stratégie.
— Elle est un peu dingue... et tirée par les cheveux à vrai dire.
— Laisse-moi parler Lïam. Nous devons nous rendre au pied des Montagnes Abruptes afin de retrouver le Clan des Ours resté dans l'ombre depuis bien trop longtemps. Ils ne pourront pas se cacher indéfiniment dans leurs rochers en espérant échapper à la guerre. Leur devoir est de soutenir les autres clans devant l'adversité.
Un silence se fit autour du feu de camp. Érïn avait brièvement conté l'histoire des Ours à Tristaan, ainsi que leur refus de participer aux combats sous prétexte que leur famille passait avant tout. Ils s'étaient isolés dans des grottes troglodytes il y avait de cela quelques années et n'en étaient pas ressortis depuis, si bien que l'on avait commencé à douter de leur existence. Pour la plupart des Sauvages, les Ours étaient soit tous morts, soit une hallucination collective. Le pari d'Érïn était risqué car personne ne les avaient vu depuis le tragique jour où ils avaient déclaré leur refus d'aider qui que ce soit.
— Tu te rends bien compte de ce que ça implique, n'est-ce pas ? tenta Graant.
— Je le sais bien, j'y réfléchis depuis des semaines et c'est la seule solution que j'ai trouvée. Il paraît qu'ils possèdent une ressource incroyable qui pourrait changer la face de la guerre. La roue pourrait tourner en notre faveur !
— Il faudrait déjà qu'ils existent ! lâcha un Loup dans l'assemblée.
— Je suis bien d'accord ! ajouta un autre.
— On ne va pas se lancer à la recherche d'un mirage !
— Calmez-vous ! Écoutons ses arguments et tentons de réfléchir comme des personnes civilisées ! Ce n'est pas parce que les Huppés nous considèrent comme des sauvages que nous devons nous comporter comme tels et leur donner raison !
Tous se turent à l'entente du sermon de leur chef. Les mines étaient fermées, soucieuses. Une atmosphère électrique s'intallait parmi eux.
— Je comprends vos inquiétudes, reprit-elle une fois les murmures apaisés, mais que vaut une expédition risquée dans les fin fonds de la Pénombre en comparaison à ce qui nous attend si nous n'agissons pas ? Andréus règnera sur la Pénombre toute entière, vos familles et vos amis seront tués s'ils ne sont pas enrôlés de force dans son armée. Et pendant qu'il nous attaque sur tous les fronts, pendant qu'il massacre les guerriers Scorpions et que les vôtres sont toujours moins nombreux lorsqu'ils reviennent d'une bataille, il prépare déjà sa prochaine conquête ! Vous n'êtes rien pour lui, à peine des cloportes rampant sur les terres qu'il convoite ! C'est pour éviter une ère de malheur que je dois partir avec une escouade réduite en terre inconnue, trouver les Ours et les convaincre de se joindre à nous pour vaincre Andréus une bonne fois pour toute et le rendre à la poussière d'où il est sorti ! Alors, je vous le demande une dernière fois, à toi Graant et à ton peuple, serez-vous des nôtres ? Vous battrez-vous et chasserez-vous des chimères à nos côtés ?
À mesure qu'elle parlait, Érïn s'était redressée. Vaillante, elle se tenait debout dans la lumière du soleil couchant. Son regard déterminé transperçait les Loups de ses pupilles dorées. Graant se leva à son tour et répondit d'une voix forte :
— Oui !
○ ○ ○ ○
Quand la nuit fut bien avancée, les Loups se dispersèrent dans leurs cabanes perchées au-dessus du sol. La troupe resta auprès du feu et se prépara à dormir à la belle étoile dans des couvertures que leurs hôtes leur avaient fournies. Loon s'était déjà endormie, assommée par les émotions de la journée. Le jeune homme regarda sa petite bouille en souriant à demie.
— Tristaan ?
Il se retourna. Nïne, la guerrière aux longues tresses, s'accroupit à ses côtés.
— J'ai appris que tu étais doué avec tes mains. Pour ce qui nous attend, ce sera très utile.
— Nous ?
— Je pars avec vous en expédition dans les montagnes. Je tiens à vous prêter main forte en cas de mauvaise rencontre.
— C'est honorable de votre part.
— Quoi qu'il en soit, j'aurai quelque chose à te montrer. D'après ce qu'Érïn m'a dit de toi, tu devrais être le seul capable de t'en servir.
— Elle vous a parlé de moi ?
— Évidemment ! répondit-elle avec un clin d'œil. Rendez-vous demain à l'orée de la forêt, nous aurons un peu de chemin à faire. Passe une bonne nuit !
○ ○ ○ ○
Le lendemain matin, il fut réveillé par une odeur inconnue qui lui piquait le nez. Un mélange de sueur, de détritus et de produits chimiques. Il ouvrit les yeux et découvrit le visage de Jow à quelques centimètres du sien.
— Wow qu'est-ce que tu fais ? s'exclama Tristaan en reculant sur son postérieur.
— Désolé, j'étais impatient que tu te réveilles. Nïne nous attend !
— Ah parce que tu viens aussi ?
— Ça te dérange ? J'ai des matériaux à récupérer pour renflouer mes stocks d'explosif. J'ai tout utilisé pendant notre descente du fleuve.
— Non, au contraire !
Jow était un peu le garde du corps de la troupe. S'il leur arrivait malheur dans la forêt, deux guerriers ne seraient pas de trop pour le protéger ! Tristaan se demandait juste quels matériaux il pourrait y trouver pour faire des bombes. Ils se rendirent tous les deux au point de rendez-vous. Sur le chemin, ils croisèrent Félicïa appuyée contre un rocher dans un coin de la clairière. Loon jouait avec les enfants du village et Érïn restait introuvable. Peut-être était-elle en discussion avec Graant...
Ils rejoignirent Nïne à l'entrée du bois. Ses tresses ballotaient légèrement dans le vent, deux poignards pendaient à sa ceinture et des peintures traditionnelles habillaient ses joues et ses clavicules. Tristaan avait déjà remarqué un morceau de tatouage sur sa hanche, Nïne portait toujours un haut qui laissait entrevoir une mâchoire lupine qui s'étendait sur son corps.
— On y va ?
Ils s'aventurèrent à travers la forêt éclatante, les arbres étaient pour la plupart d'un vert tendre ou très clair. De nombreuses jeunes pousses se frayaient un chemin à travers l'humus pour chercher la faible lumière de la Pénombre. Tristaan déambulait dans un village végétal en reconstruction. Ils arrivèrent à destination quand le soleil fut au zénith. Tristaan ne l'aurait pas deviné si Jow ne lui avait pas fait remarquer, l'astre restait caché par les îles et la brume qui les soutenait. Un grand bâtiment se dévoila à travers la végétation.
— Nous sommes arrivés, annonça Nïne. C'est le supermarché désaffecté. On y vient quand on a besoin de matériel ou d'un endroit stratégique pour être à proximité du pont qui relie les deux rives de notre territoire.
— Pourquoi ne pas vous y installer définitivement ?
— Nous sommes bien mieux dans nos cabanes ! Ce bâtiment a mal résisté à l'explosion et aux intempéries et il est dangereux, c'est pourquoi je vous demande de rester sur vos gardes. Faîtes attention où vous mettez les pieds et à ce qu'il y a au-dessus de vos têtes.
— Je ne peux pas avoir un œil vers le haut et un autre vers le bas, c'est impossible !
— Alors alterne en silence, répondit la guerrière avec un clin d'œil moqueur.
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