Chapitre 2 (Part.1)
Des années plus tard, le garçon devenu un jeune homme se réveilla tôt. Il tenait à sortir de la Citadelle à la première heure pour se rendre au dispensaire et peinait à retenir son impatience. Il fit les cent pas dans sa chambre, arrangeant tantôt sa tunique tantôt ses boucles cuivrées pour passer le temps.
Quand la cloche de six heures sonna, il fut le premier quitter sa chambre pour se rendre au réfectoire. Il aurait préféré ne pas y aller, mais son absence aurait été remarquée et il tenait à rester discret. Il fallait qu'il reste discret.
Lorsqu'il fut sept heures, il passa la porte du temple Arkhan, faisant son possible pour ne pas courir, mais ne put se retenir plus longtemps une fois dans la rue.
Il ne lui fallut que quelques minutes pour se rendre à destination et quand il arriva, son cœur battait à tout rompre. Mais ce n'était pas à cause de la course.
Il prit quelques secondes pour se reprendre avant d'entrer dans le bâtiment et après s'être annoncé à l'accueil, se rendit directement dans le baraquement des enfants. Il y trouva la matrone et ses deux aides, Horia et Hervella qui finissaient leur ronde matinale.
– Voilà l'Apprenti : très bien, vous pouvez vous occuper de ceux du fond ; il y a quelques égratignures. Horia vous aidera. Allez donc chercher des pansements.
– À votre service, Madame, acquiesça-t-il.
Ce sur quoi il s'inclina avant de prendre le chemin de la réserve. Il vit alors la dénommée Horia faire la grimace :
– Allons, mon enfant, ne faites pas la difficile, gronda la matrone.
– C'est que j'aurais préféré travailler avec Hervella, commença la jeune fille...
– Mais bien sûr, j'aurais dû y penser, où avais-je la tête ! railla la femme.
Maintenant dans la réserve, le jeune homme laissa la porte entrouverte pour écouter la suite de la conversation, se demandant comment l'impertinence de Horia allait être punie :
« Depuis le temps, je pensais que vous aviez mis vos différents de côté ! Mais puisque vous rechignez tant à travailler avec cet Apprenti, vous ne le quitterez pas de la matinée !
– Mais...
– De la journée !
– Enfin...
– Filez ! Maintenant !
Dans la réserve, il attendit la jeune fille, blotti dans l'ombre, bien décidé à lui faire peur. Il failli glousser de rire en imaginant son visage renfrogné par la déception, mais se tint prêt à bondir.
Dès qu'elle passa la porte, il lui saisit le poignet et l'attira à lui pour l'entraîner dans un coin à l'abri des regards. Elle laissa échapper un hoquet de surprise et son expression se figea, puis leurs regards se croisèrent et quand elle le reconnut, ils se jetèrent dans les bras l'un de l'autre, échangeant un long baiser.
– Par Fadrall, mon amour, tu m'as tellement manqué ! chuchota-t-elle en se lovant dans son cou. Tes absences me pèsent et je ne sais plus quoi inventer pour passer du temps avec toi !
– Tu seras donc heureuse d'apprendre que nous n'aurons bientôt plus à nous cacher ! J'ai de grandes nouvelles pour toi !
– Vraiment ?
– Oui ! J'ai réussi mes examens ! À la nouvelle lunaison, je pourrai enfin prétendre au titre de Maître, et alors, je serai libre ! Nous irons où tu voudras !
– La nouvelle lunaison ? Mais c'est dans une semaine ! Oh, mon amour ! Enfin ! Enfin nos rêves se réalisent !
Ivre de bonheur, le jeune homme serra sa compagne dans ses bras pour savourer cet instant. Jamais il n'avait été aussi heureux de toute sa vie.
Horia et lui s'étaient rencontrés quand il avait commencé à travailler au dispensaire pour exercer son don de Guérisseur, mais cela faisait deux ans qu'ils vivaient un amour clandestin. Deux ans durant lesquels ils avaient dû user d'imagination pour se retrouver et s'aimer au nez et à la barbe de tous, car si lui était Apte, elle ne l'était pas.
Un amour comme le leur n'était pas interdit, mais il n'était pas encouragé non plus, surtout par les Manipulateurs. Plusieurs fois depuis qu'il était entré à la Citadelle, il avait eu vent de rumeurs : des Manipulateurs, le cœur brisé, ayant préféré s'ôter la vie plutôt que de fouler cette terre sans leur amour. Un de ses Proche lui-même, était en proie à ce dilemme et l'avait mis en garde. Mais il ne l'avait pas écouté et avait préféré laisser libre court à ses sentiments.
Ils avaient traversé des moments difficiles mais jamais il ne l'avait regretté, et aujourd'hui, leur patience était récompensée. Bientôt, le jeune Apprenti deviendrait Maître, et il pourrait s'établir avec Horia sans que personne ne puisse les en empêcher.
Il comptait en informer son supérieur le soir même.
C'est donc après une dure journée de labeur – et pas mal de baisers volés – qu'il rentra à la Citadelle ce soir-là. Rien n'aurait pu mettre à mal sa bonne humeur ou sa détermination. Même pas les images confuses et obscures que lui envoyait le vent. Non, en ce jour, tout serait parfait.
Il attendit que son Maître se soit retiré dans ses appartements pour aller lui parler de ses projets. En général, c'était le meilleur moment pour avoir un entretien privé. Quand il frappa, son discours et ses arguments étaient rodés ; sa détermination à toute épreuve.
– Oui ? demanda une voix derrière la porte.
– Maître, j'aimerais m'entretenir avec vous...
– Bien sûr, entre mon garçon.
Sans se faire prier, le jeune homme s'exécuta et s'assit sur la chaise qu'on lui présentait.
– Et de quoi voulais-tu me parler ?
– De mon avenir.
– Bien. Justement, j'avais des choses à te dire à ce sujet.
À ces mots, un soupçon de malaise égratigna l'assurance de l'Apprenti. Son Maître avait-il eu vent de quoi que ce soit ?
– Je crois qu'il est temps pour nous de mettre certaines choses au clair.
Le malaise, au départ insignifiant, se renforça.
« Mon cher enfant, te voilà placé devant un choix.
– Que voulez-vous dire ?
– Que j'ai une proposition à te faire qui ne peut attendre plus longtemps.
– Et de quoi s'agit-il ?
– Tu sais qu'il n'est pas rare pour des Apprentis de parcourir le monde pendant quelques temps avant de passer Maître ? C'est une façon pour eux de se frotter à la réalité et de faire des expériences... En passant trop de temps à la Citadelle, on en oublie le monde extérieur, vois-tu.
Le jeune homme hocha la tête, sentant ses entrailles se tordre sous le coup de l'appréhension.
« Eh bien, dans le cadre des recherches que je mène sur les Cinq Terres d'Irrhyon, j'aimerais que tu ailles faire une étude sur le terrain.
– Une étu...
Les mots du Maître résonnèrent aux oreilles de l'élève comme un gong et il ne put terminer sa phrase.
Il s'était attendu à tout sauf à ça. Parmi les nombreux élèves qu'avait son Maître, rares étaient ceux à qui il avait accordé autant d'attention. Autant qu'il s'en souvienne, ils n'étaient que deux.
– Pourquoi moi ? finit-il par articuler.
– Parce que tu es brillant. J'ai vu les résultats de tes examens. Mais avant tout, parce que tu as un instinct rare.
– Un instinct ?
– Tu sais faire confiance à ton intuition. Du moins, quand tu prends la peine de l'écouter.
Il se souvint alors des images douteuses que le vent lui avait apporté dans l'après-midi et qu'il avait mises de côté dans le simple but de préserver sa bonne humeur.
« De plus, tu es déterminé, compatissant, compréhensif, patient... Quoi que tu en dises, toutes ces années passées au dispensaire étaient suffisantes pour me le prouver.
Le jeune homme rougit alors en pensant aux raisons qui l'avaient poussé à aller au dispensaire...
« Mais si tu préfères mener à bien tes propres projets, je ne m'y opposerai pas.
À ces mots, l'Apprenti failli s'étouffer et se redressa sur sa chaise.
« Je suis au courant, pour la jeune fille, et il n'est pas difficile de deviner ce que tu avais prévu. Sans que la Source ne m'ait rien révélé, je suis certain que si tu choisis de partir avec elle, vous aurez une vie heureuse ensemble, le temps que cela durera.
– Le temps que ça...
– Tu sais ce que je veux dire. La longévité des Communs n'est pas la nôtre. Saches simplement qu'une autre voie s'offre à toi. Le choix que je te propose est le suivant : tu peux mener la vie que tu souhaites et partir avec cette jeune fille, ou tu peux continuer ton apprentissage en acceptant ma proposition. Tu as jusqu'à la prochaine lunaison pour te décider.
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