Chapitre 8 (3) (corrigé)
– Une diseuse de bonne aventure, corrigea Will.
– Je préfère le terme de médium si vous voulez bien, rectifia Nokomis. Pero, claro. Je vis ici parce que je me sens en paix avec moi-même. Les esprits m'apaisent et je les calme quand ils sont furieux.
– Et aussi parce que la police ne viendrait jamais profaner un cimetière pour vous expulser, ajouta le jeune homme.
Nokomis lui lança un regard perçant mais hocha la tête à contrecœur.
– Je fais parfois mes séances en ville, dans une petite salle que me prêtent des amis à Limehouse.
– Oui, c'est Mr et Mrs Zhang vous aident, lâcha Jane.
La voyante ne répondit pas, le visage crispé, elle regardait avec colère par-dessus l'épaule de Jane cet insupportable Irlandais en train de tripoter ses affaires. Will jouait avec une petite chose étrange qui pendait au bout d'une poignée de fils aussi fins que des cheveux.
– Qu'est-ce que c'est que cette chose ?
– Una cabeza reducida.
Jane qui s'était retournée éclata de rire.
– Comment ? dit-il.
– Will, c'est une tête réduire, l'informa Jane entre deux ricanements.
Dégoûté par la véritable nature de cette chose insolite, il reposa la tête réduite là où elle se trouvait du bout des doigts en grimaçant, et en tirant la langue en signe d'écœurement il s'essuya les mains sur le rideau pourpre de Nokomis qui se retenait de bondit pour l'étrangler.
Elle fusilla Will du regard en guise d'avertissement et daigna enfin répondre à Jane.
– Eso, c'est bien cela, señor y señora Zhang. Comment le savez-vous ?
– C'est eux qui nous on dirigés vers vous, j'imagine donc qu'ils vous prêtent une salle de leur magasin pour vos séances. Nous ne sommes pas de la police, vous n'avez rien à craindre de nous. Toutefois nous ne sommes pas non plus venus jusqu'ici pour une séance. Nous avons besoin de votre aide, déclara la jeune fille.
– Je suppose que vous lisez les journaux, enchaîna Will. Quand bien même cela ne serait pas le cas, vous devez forcément avoir entendu parler du retour de Jack l'Éventreur et de sa dernière victime Judy Browler.
– En realidad están dos. Il y a eu deux victimes, le corrigea la médium.
– Elle a raison, confirma aussitôt Jane avec une étincelle dans le regard. Le Daily Telegraph parlait d'une seconde victime.
Une étrange sensation s'empara subitement de Jane et lui noua l'estomac. Elle se mit à tripoter nerveusement ses doigts, l'esprit embrouillé par le songe d'une jeune femme ensanglantée abandonnée dans une ruelle inondée par la pluie. Nokomis observa Jane attentivement, une expression de compréhension se peignit sur son visage.
– Soit, il y a donc deux victimes maintenant. Il ne perd pas de temps c'est inquiétant tout de même... observa Will pour lui-même quand il remarqua la mine préoccupée de sa partenaire. Jane ? Que se passe-t-il ? Savez-vous quelque chose que j'ignore ?
– Pas tout à fait... éluda Jane.
Devait-elle lui dire la vérité et lui parler de son rêve ? Sûrement pas, il la prendrait pour une folle à coup sûr, il n'y avait qu'à voir le petit sourire sceptique qu'il affichait quand Nokomis parlait de « séances » et d'esprits.
– Je sais pourquoi vous êtes là, lança Nokomis alors que deux paires d'yeux convergeait vers elle. Vous espérez que je sache ou que j'ai vu quelque chose, no ? Je suis vraiment désolée mais je ne sais rien. Mais peut-être que votre amie sait quelque chose...
Jane jeta un regard affolé à l'Espagnole qui se doutait vraisemblablement de quelque chose.
– Impossible, si elle savait quelque chose, je le saurais aussi, affirma Will, catégorique.
– No entiendes nada... se désola la médium. Ma chère je peux défaire les nœuds de votre esprit si vous me le permettez.
Nokomis tendit ses mains décorées de bijoux à la jeune fille sous la mine consternée de Will qui ne comprenait pas où la spirite voulait en venir par ses paroles mystiques. « C'est absurde. » Se dit Jane. Elle aimait les histoires de fantômes ainsi que les phénomènes insolites, mais sa raison et sa logique lui imposaient des limites. Les balivernes de ces bonnes femmes qui prétendaient pouvoir pénétrer l'esprit des mortels la laissait pour le moins dubitative. Et pourtant... Elle était bien tentée d'essayer. Après tout elle n'avait rien à perdre.
Tiraillée entre son bon sens et son irrépressible besoin de réponses, elle accepta finalement l'offre de la voyante.
– Grand merci madame la magicienne, mais nous ne sommes pas ici pour nous faire dire la bonne aventure, il me semble vous l'avoir déjà expliqué, intervint Will.
Nokomis lui lança un regard méprisant alors que Will le soutenait avec férocité.
– Faites-moi confiance, lui glissa Jane.
Will aurait voulu répondre, cependant sa partenaire ne lui en laissa guère le temps. Nokomis prit délicatement Jane par la main puis elle l'entraîna derrière le rideau.
Installées autour d'une petite table en bois, Jane laissait reposer ses petites mains dans les paumes chaudes de la voyante, intriguée par l'odeur d'encens et les prétendus pouvoir de cette jeune femme à la magnifique peau mate.
– Dites-moi tout, l'encouragea Nokomis.
D'abord peu incline à lui parler de ses rêves, Jane hésita, puis elle se lança finalement dans le récit de son songe plus vrai que nature qui l'avait tant effrayée, celui qui lui conférait cette fameuse impression de connaître la victime. Elle lui raconta tout, les ruelles sombres et humides de Whitechapel, la jeune femme aux lèvres rubicondes qui s'était laissée entraîner par un client énigmatique. Puis l'horreur de sa découverte, le corps éventré, couvert de sang dans la ruelle.
À la fin de son histoire la jeune fille frissonna, elle passa volontairement sous silence l'apparition de ce singulier personnage au manteau bleu marine qui l'intriguait. Après tout il était inutile de le mentionner, non ?
Durant tout ce temps Nokomis l'avait écoutée avec la plus grande des applications, sourcils froncés, visiblement soucieuse.
- Sí, entiendo... Señorita, êtes-vous familière avec la divination ?
- La divination ? Pas le moins du monde, répondit franchement la jeune fille.
- Avez-vous dans votre famille des membres familiers avec les arts occultes alors ?
Jane haussa les sourcils de surprise, si elle s'attendait à cela ! Elle prit néanmoins le temps de considérer la question. Le spiritisme était à la mode ces derniers temps dans les hautes sphères de la société, mais ce n'était là rien qu'un jeu, du moins c'était ce que beaucoup de sceptiques pensaient. Jane ne se souvenait pas avoir déjà pris part à ce genre de choses, elle secoua la tête.
- Ma tante m'a raconté que ma grand-tante tirait les cartes de son vivant. Mais ce n'était là qu'un simple amusement j'imagine.
Nokomis pinça les lèvres, apparemment peu convaincue.
- Señorita... Les arts occultes ne sont pas qu'un jeu, insista Nokomis avec sérieux. Si j'ai autant de clients c'est que ce que vous appelez le spiritisme a déjà fait ses preuves. Mira, j'ai grandi dans une famille très pieuse, et nous croyons aux esprits. Ma grand-mère les voyait et je peux vous assurer qu'ils existent, je les ai vus toute ma vie. Nous travaillions dans un cirque, ma grand-mère tirait les cartes pour les clients et même le plus indifférent des clients ressortait chamboulé de sa tente. C'est un don señorita, un don étrange et parfois incompréhensible mais...
Toutefois Nokomis n'acheva pas sa phrase, elle contemplait un point invisible sur la table entre ses mains sous la mine perplexe de Jane qui ne savait si elle devait éclater de rire et se faire interner au Bethlem Royal Hospital, ou ressortir de cette tente effrayée.
– Cette jeune femme s'appelait Magdalena Roserfield, indiqua Nokomis.
– Comment le savez-vous ?
– Son esprit est venu me voir hier...
Un ricanement sarcastique interrompit la gitane.
– Oh pitié, se moqua Will qui semblait avoir surgit de nulle part comme un beau diable. Je ne crois pas que l'esprit de cette pauvre femme soit ici ou ailleurs. Elle est morte. Fin de l'histoire. En revanche, ce qui m'intrigue surtout c'est comment connaissez-vous son identité, à supposer que cela soit vraiment la sienne.
– Depuis combien de temps êtes-vous ici William ? s'enquit Jane inquiète qu'il n'ait entendu le récit de son rêve.
– Depuis assez de temps pour avoir entendu cette prétendue médium nous apporter la preuve de sa culpabilité.
Nokomis se leva avec colère.
– Je vous l'ai déjà dit, c'est la vérité !
– Oui, oui bien sûr c'est cela. Et moi je suis la reine d'Angleterre, ironisa Will les bras croisés.
– Vous... Vous m'accusez ? Sous mon propre toit ? Qui êtes-vous pour vous permettre de me traiter ainsi !
– Quelqu'un qui sait reconnaître le mensonge quand il en entend un. Je ne crois pas à toute votre mise en scène et vos petits tours de passe-passe. Tout ça n'est que de la poudre aux yeux.
– Will je vous en prie... intervint Jane en se levant à son tour.
Nokomis jeta un regard assassin au jeune homme, les joues rouges et le regard brillant de fureur.
– Je ne vous laisserai pas m'insulter. Partez maintenant. Partez et ne revenez jamais ! leur ordonna-t-elle.
Quand Jane rentra enfin chez elle, il devait être presque une heure du matin. La jeune fille avait toujours été un oiseau de nuit, s'abandonner au repos aux heures plus que tardives ne la gênait pas, Au contraire, elle trouvait la nuit plus mystérieuse que le jour. Mais c'était aussi là que le danger vibrait avec le plus d'intensité.
Elle avait quitté la tente de Nokomis avec Will sur une note particulière, intriguée par ces histoires de fantômes beaucoup trop palpitantes pour les ignorer et partagée par des sentiments plus contradictoires. Will était convaincu de la culpabilité de la bohémienne. Bien sûr peu d'arguments jouaient en sa faveur : elle vivait isolée, se rendait en ville de temps en temps et discrètement, elle avait une couverture en travaillant avec deux croque-morts qui auraient très bien pu l'initier à la médecine, et le pire dans tout cela elle connaissait le nom de la victime alors que ce dernier n'avait pas été dévoilé. Pourtant Jane avait beau chercher elle ne lui trouvait pas de mobile pour assassiner des prostituées sous l'identité de Jack l'Éventreur, et Will non plus, bien qu'il prétende que ce n'était qu'une question de temps avant qu'il ne dégote la réponse à cette question.
Perdue dans ses pensées, Jane ne remarqua que trop tard que la porte d'entrée était fermée à double tour ce soir étrangement, elle passa donc par la porte de derrière. Elle se débarrassa de ses bottines salies et souleva les pans de sa robe boueuse pour essayer de faire le moins de bruit possible, voulant à tout prix éviter l'esclandre qui aurait suivi le réveil de sa tante si elle l'avait surprise accoutrée ainsi, en pleine nuit qui plus est ! Nul doute qu'elle mettrait ses menaces à exécution, ce que Jane n'avait pas l'envie de voir arriver.
« Il faut vraiment que je songe à me procurer des vêtements plus confortables. » Songea la jeune fille. Quand elle eut rejoint la porte d'entrée pour accrocher son manteau près des autres, c'est sans surprise qu'elle constata que la porte avait bel et bien été verrouillée. « Étrange... »
Affamée par toutes ces aventures, elle fit un détour par la cuisine, histoire de subtiliser une gourmandise, après tout, qui pouvait bien l'en empêcher ? Béatrice peut-être ? Précisément. La femme de chambre surgit de l'obscurité, encore vêtue comme en pleine journée, bougie à la main et couteau à beurre dans l'autre.
– Plus un geste ! s'écria-t-elle.
Jane fut prise au dépourvue. La bouche pleine, elle leva les mains en l'air, en signe de reddition. « Prise sur le fait la bouche pleine. Comme c'est galant. » Se dit-elle. S'apercevant du ridicule de la situation, elle baissa les bras et avala le biscuit qu'elle avait subtilisé.
– Mademoiselle Jane ! Je suis confuse vous m'avait fait une de ses peurs ! bafouilla Béatrice. Pour l'amour du Ciel, puis-je savoir ce que vous faites à une heure pareille, debout, dans la cuisine, et encore vêtue comme pour sortir qui plus est ?
– Je vous retourne la même question, se contenta de répondre Jane.
C'était bien vrai après tout. Maintenant qu'elle prenait le temps d'y réfléchir, que faisait sa femme de chambre, encore debout à une heure pareille et vêtue de pied en cap pour une petite expédition ?
Les deux jeunes femmes se dévisagèrent un moment sans rien dire, apparemment peu désireuses de répondre aux questions de l'autre. Béatrice pinça les lèvres, cette question semblait l'embarrasser et Jane se demanda bien pourquoi. Soudainement, des bruits de pas se firent entendre et quelques secondes après une seconde lumière apparut dans la cuisine. Jane eut tout juste le temps de plonger au sol derrière le comptoir pour se cacher à la vue de sa cousine.
– Mais que se passe-t-il ici ?! clama Julie dans sa robe de chambre en soie bleue, un bonnet de nuit sur la tête pour ne pas emmêler ses belles boucles rousses, histoire d'être présentable devant son miroir au petit matin. C'en est fini de tout ce vacarme ?
Jane ne se manifesta pas, ventre à terre, tentant de tempérer son souffle pour se fondre dans les ténèbres de la cuisine. Restait plus qu'à voir si Béatrice comptait la dénoncer ou non.
– Béatrice, veuillez répondre, ordonna Julie.
Son ton était sans appel. Et Jane prit une profonde inspiration, pourvu que la domestique ait le bon sens de passer sous silence leur entrevue furtive.
– Miss Blancksfair... Je... Je ne me sentais pas très bien et j'espérais prendre un peu d'eau afin de me sentir mieux... bredouilla Béatrice.
Julie plissa les yeux, les bras croisés sur sa poitrine, la voilà sûrement en train de délibérer.
– Sachez que cela me dérange de vous avoir surprise éveillée en pleine nuit à rôder dans les cuisines à une heure aussi peu convenable. Néanmoins il se trouve que j'ai bon cœur et que je suis fatiguée. J'aimerais retourner me coucher, le manque de sommeil donne une mine affreuse il n'y a qu'à voir le teint de ma cousine. Je ne dirai rien. Du moins, pour cette fois.
Béatrice hocha vigoureusement la tête, flageolante, elle s'empressa de prendre ses jambes à son cou et se répandit en excuses et remerciements auprès de Julie. La jeune femme balaya ses justifications d'un revers de la main ennuyé et se contenta de demeurer quelques instants encore dans la cuisine. Immobile, elle agitait sa bougie là où se promenait son regard tandis que Jane, aplatie contre le sol glacé, retenait son souffle.
Ce moment lui parut interminable lorsque Julie se décida enfin à déserter les lieux. Voilà que sa femme de chambre se plaisait à se balader en pleine nuit dans la villa et que Julie, au sommeil de plomb d'habitude, tendait l'oreille au moindre bruit suspect. Il ne manquait plus que sa tante soit prise d'insomnies pour empêcher la jeune fille de quitter son lit au beau milieu de la nuit. Un fait qui deviendrait alors problématique sachant que le temps était une chose précieuse dans cette affaire, et que les secondes s'égrenaient comme un filet d'eau entre ses doigts.
- Vivement que cette affaire soit résolue... chuchota-t-elle.
J'ai enfin bouclé mon redécoupage ! J'attends vos avis en général sur le chapitre et sur cette histoire de découpage... N'hésitez pas à me faire des suggestions pour la suite très chers lecteurs ! ;)
Ceci est la version réécrite.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro