Le lys enflammé

« Elle était, comme vous le savez déjà, sans rien savoir encore, le lys de cette vallée où elle croissait pour le ciel, en la remplissant du parfum de ses vertus. »

Balzac, Le Lys dans la vallée

- Miss Jane je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée... maugréa Brenda qui entortillait nerveusement ses doigts.

Jane faisait les cents pas dans la petite pièce, le parquet criant sa douleur sous les allées et venues incessantes de la jeune demoiselle, qui tournait comme un lion en cage. Cette lettre l'avait bouleversée. Elle ne se rendait pas encore tout à fait compte de l'ampleur des dégâts, sa seule préoccupation actuellement était : sauver la future victime de Jack l'Éventreur.

La jeune fille avait réagi plutôt vite après avoir retrouvé ses esprits. L'urgence de la situation l'avait brutalement tirée de sa catatonie et sa conscience avait préféré intérioriser le choc et la peur qui avait brusquement saisit ses membres.

Jane avait rapidement déduit que la prochaine victime de Jack serait Capucine Green, comme le lui avait prédit Nokomis. « Seigneur pourvu qu'elle ait vu juste ! » priait-elle. La jeune fille avait un avantage non négligeable et elle commençait à en prendre conscience que lentement : ses rêves. Elle ne savait pas encore quoi en penser, si cela relevait du don extraordinaire ou de la folie. Mais le fait était qu'elle avait aperçu Capucine ; la jeune femme avait des cheveux noirs et des lèvres rouges, voilà qui expliquait la piètre comparaison avec Blanche Neige, et avec la fleur en rapport à son nom.

Le début de l'énigme avait quelque peu dérouté Jane qui pensait que Jack parlait de sa victime, mais en fait l'Éventreur évoquait le lieu où se rendait Capucine pour travailler. Jane ne le comprit qu'après coup. Elle mit un certain temps avant d'assembler les pièces de ce puzzle : la fleur autrefois symbole de grandeur l'obligea à se tourner vers un aspect royal. Cependant l'image macabre de la tête coupée ne lui inspira rien. Jusqu'à ce qu'elle se rappelle que Louis XVI eût la tête coupée au siècle dernier. Dans ce cas elle devina que la fleur était un lys ; le symbole de la royauté française. Dès que cela s'imbriqua dans son esprit la lanterne rouge surgit dans sa mémoire ainsi que les rideaux pourpre de La Maison du Lys.

Elle avait toutes les cartes en main : le lieu et le nom de la victime. Sauf peut-être la date et l'heure. Toutefois, Jane n'attendrait pas d'avoir sous le nez un article du Daily Telegraph qui conterait milles et une horreurs avant de réagir et de se précipiter chez la seule personne encore capable de l'aider à part Will : Brenda Collins.

La belle blonde n'avait pas caché sa surprise lorsqu'elle vit la petite brune débouler chez elle. La fille de mauvaise vie avait même senti sa mâchoire se décrocher lorsque Jane lui avait annoncé de but en blanc qu'elle connaissait la future victime de celui qui sévissait dans les rues de Whitechapel depuis un mois.

Inquiète, Brenda s'était assise sur son matelas miteux et ses magnifiques yeux bleus avaient suivi Miss Warren faire les cents pas alors qu'elle ruminait seule. Jane avait finalement expliqué à Brenda la nature de ses véritables activités et le rôle de Will dans tout cela. La beauté des rues avait paru soulagée mais n'avait cessé d'examiner Jane comme un drôle de spécimen, une bizarrerie de la nature. Elle s'était cependant abstenue de lui demander d'où elle tenait de pareilles informations, en fait elle ne voulait pas le savoir.

L'étrange demoiselle était seule face à l'Éventreur : Will avait tenu parole, il était de nouveau introuvable, elle ne savait pas comment contacter Simon, ne connaissait pas assez Baner pour lui faire confiance, et Scotland Yard la conduirait gentiment au Bethlem Royal Hospital pour que l'on soigne ses élucubrations démoniaques à l'aide de ce qu'ils appelaient des « fortifiants ».

La seule personne susceptible d'aider Jane était la magnifique Miss Collins. Bien que Jane fût réticente à l'idée de coopérer avec la Vénus de Whitechapel, elle n'avait guère le choix si elle voulait empêcher un nouveau meurtre et prendre McColl ou Maxwell Walter la main dans le sac.

Deux femmes : une prostituée et une bourgeoise contre le célèbre Jack l'Éventreur, le meurtrier avait de quoi bien rire. Seulement Jane n'était pas avare en idées, aussi délurées fussent-elles, et elle avait même apporté une arme : le revolver qu'elle avait subtilisé au compagnon du policier Ayre le soir où ce rustre l'avait brutalisée.

N'ayant pas d'autres solutions qu'agir devant le temps qui file, Jane convainquit Brenda qu'elle n'avait pas le choix.

- Je vous le demande comme une faveur Miss Collins. La vie d'une jeune femme est en jeu, déclara Jane.

- Bon... bredouilla Brenda, puisque vous insistez, allons-y...

Jane se balançait sur ses vieilles bottines en cuir sur le pavé. Attentive, son regard balayait le visage des hommes qui passaient devant elle. Elle n'avait pas pensé que cela serait aussi désagréable, et dire que cela semblait si facile quand les mots étaient sortis de sa bouche ! À chaque fois qu'elle remontait le décolleté audacieux de sa robe échancrée, sa jupe se soulevait un peu plus et elle tirait davantage sur le jupon pour le faire redescendre, et cacher le bas de sa culotte d'équitation. Mais le bustier de sa robe dévoilait alors un bout de la peau laiteuse de sa poitrine.

Le froid de la nuit l'obligea à resserrer le châle que lui avait prêté Brenda autour de ses épaules nues. Sa perruque rousse ne cessait de glisser, le khôl noir sur ses yeux la gênait et le rouge à lèvres vermeille collait à ses lèvres. Elle avait la désagréable sensation que sa peau étouffait sous la couche de maquillage, elle dut se maîtriser pour ne pas essuyer son visage.

Jane plissa le nez alors qu'elle arrangeait une énième fois le buste de sa robe quand Brenda lui asséna une petite tape sur la main.

- Arrêtez de gigoter comme ça, vous allez faire fuir les clients ! la gronda la belle blonde.

- Excusez-moi mais je n'ai pas l'habitude de... de m'habiller ainsi ! rétorqua Jane excédée.

Brenda lui glissa un regard vexé.

- Je... Pardonnez-moi Miss Collins, c'était mon idée après tout. Je dois être un peu trop nerveuse, s'excusa Jane.

- C'est normal, répondit Brenda. Mais vous savez très bien que c'est pour de faux, Miss Warren. Personne ne vous touchera.

- Certes.

Sous la lanterne rouge de La Maison du Lys, Jane observait les filles aux toilettes usées jouer de leur charme pour attirer les clients. La jeune fille ne dut pas attendre longtemps avant que le rêve et la réalité ne se confondent sous ses yeux ébahis ; une jeune femme qui ressemblait trait pour trait à celle qu'elle avait vue en rêve se dirigeait vers la maison close, un homme habillé simplement à son bras. Il portait un long manteau trop grand pour lui et un chapeau melon. Mais ce fut avec horreur que Jane reconnut Capucine Green et Maxwell Walter.

Brenda coula un regard inquiet à la jeune bourgeoise qui semblait au bord de la crise de panique tant ses mains tremblaient. Le couple passa la porte de l'établissement des plaisirs et Jane s'apprêtait à les prendre en chasse dans sa hâte de crier justice quand Brenda lui barra rapidement le passage et se plaça devant Jane. La jeune fille ne comprit pas pourquoi Brenda réagit ainsi, prête à exiger des explications elle se ravisa immédiatement. Son cœur se mit à battre plus fort sans que ses yeux ne puissent lâcher le groupe d'hommes qui venaient de ralentir le pas devant elle.

Le groupe était composé de trois individus : un jeune homme brun avec des tâches de rousseurs sur le nez, un bonhomme bien plus âgé dont la barbe noire était plus qu'épaisse, et enfin, un jeune homme qui discutait activement, des mèches noires tombant sur ses yeux fatigués, un début de barbe sur sa mâchoire et une silhouette athlétique dans son manteau rapiécé. « Pour l'amour du ciel pourquoi faut-il toujours que je le croise dans ce genre de situation ? » Se plaignit Jane qui avait reconnu son partenaire.

Bethlem Royal Hospital* : il s'agit d'un hôpital psychiatrique, du moins c'est comme cela qu'on le qualifierait de nos jours. C'était surtout un endroit où l'on mettait des criminels, des malades mentaux dont la plupart étaient drogués.

Alors ! La décision de Jane, son plan ? C'est stupide en effet, mais la question sous-entendue que je vous pose dans ce chapitre c'est : et vous, qu'auriez vous fait ? Qu'auriez-vous fait à la place de Jane ? Sachant que vous êtes une jeune femme (donc vous n'êtes personne), la police vous soupçonne de ne pas être totalement innocente, vous êtes seule et vous savez qui est la prochaine victime de Jack. C'est là, la vraie question ;)

Donc la réponse à l'énigme de Jack est là, ce n'était pas trop compliqué puisque certains ont trouvé le Lys. Ce qui était juste en soi, mais vous n'aviez qu'un quart de la réponse j'espère que vous le constatez :p

Et puis qui ramène son joli minois par là ? Will. Evidemment ! Qui d'autre ? Et je vous promets que ce chapitre va faire monter la tension de plusieurs crans, oh ça oui ! Vous n'aurez pas de repos ! ;)

Ceci est la version corrigée.