Chapitre 25 (1) (corrigé)
Le train de la bonne aventure
« Soit nous sommes des rois parmi les hommes soit nous sommes des pions dans le jeu des rois. »
Thucydide
Les pensées de Jane s'ébranlaient au grès du ballottement du train qui la ramenait à Londres. Un livre ouvert sur ses genoux, son regard perdu dans le vide s'était figé sur l'écriture minuscule de la page blanche. Un bruit sec la sortit de sa léthargie éveillée. Face à elle, William était avachi sur les sièges et nettoyait son revolver avec minutie. Si la jeune fille ne cessait de ressasser les événements de la veille, aussi désagréables fussent-ils, son partenaire paraissait totalement absorbé dans l'entreprise de faire briller son arme. Ce qu'elle ignorait en revanche, c'était que cette activité en apparence banale, était le moyen pour l'Irlandais de tempérer son inquiétude.
Elle chercha un moyen de rompre le silence. Une remarque innocente pour se convaincre qu'il n'était pas fâché contre elle, que leurs différents avaient perdu de leur ardeur. La demoiselle se surprit à regretter un instant les piques de son associé, son sourire espiègle et sa bonne humeur légère quoique souvent passagère, lorsqu'elle l'exaspérait par son entêtement.
- Ils pensent que vous êtes l'Éventreur, annonça-t-elle soudainement, de but-en-blanc.
« Bravo Jane, tu ne pouvais vraiment pas faire mieux ? » Will cessa d'astiquer son arme. Son regard se perdit un instant sur le sol avant qu'il ne se reprenne son activité.
- Je sais, répondit-il simplement.
Jane afficha une mine perplexe face à tant de flegme de la part de son partenaire. Bon sang elle venait de lui dire qu'on le suspectait d'être Jack l'Éventreur ! Elle referma son livre d'un coup sec.
- Cela ne vous fait pas peur ?
- Non. Pour tout vous dire, je le savais déjà. Mais lorsque nous trouverons le véritable coupable, Scotland Yard devra bien avouer sa faute, déclara-t-il en jetant un œil au canon de son revolver. Et ça, je l'attends avec la plus grande impatience.
« Si l'on trouve le coupable avant qu'ils ne décident de vous arrêter... » Pensa Jane. Maintenant qu'elle y songeait, Simon Palmer avait raison ; si elle ne connaissait pas Will elle penserait qu'il était Jack l'Éventreur. Elle n'avait pas la preuve formelle que Will avait déjà assassiné quelqu'un, même si elle s'en doutait. Mais son habileté avec les armes n'était certainement pas un don obtenu par le Saint Esprit, il avait bien appris à manier la lame et à tirer quelque part... À cela s'ajoutait un passé trouble, ce qui n'aidait en rien Jane à y voir plus clair.
Cela étant dit, elle avait pu examiner de près les corps des victimes ; Jack l'Éventreur était gaucher. Aux dernières nouvelles l'Irlandais était droitier, quoique... Jane avait entendu parler d'individus aussi habiles de leur main droite que de leur main gauche. Elle n'avait jamais vu Will faire montre de cette adresse, mais elle se promit d'y faire plus attention.
Jane sentait une tempête naître sous son crâne, voilà qu'elle se mettait à suspecter son propre partenaire à présent ! Comme si Will était capable d'une telle chose !
- Comment le savez-vous ? l'interrogea l'Irlandais.
Jane se tendit à la question de son complice. Elle crut un instant qu'il venait de lire dans son esprit. Il faisait référence à ce qu'elle avait dit au sujet de Scotland Yard et de leurs soupçons sur lui. Elle devait à tout prix éviter de lui parler de Simon Palmer, au risque qu'il ne la sermonne. Will ne faisait confiance à personne en dehors de lui-même, et certainement pas à Simon Palmer !
- Que croyez-vous Mr O'Brien ? Moi aussi j'ai mes sources, dit-elle fièrement.
Il lui jeta un coup d'œil un instant, et finit par lui sourire. Jane se détendit incroyablement lorsqu'elle eut enfin ce sourire qu'elle attendait tant. Elle décida alors de faire le point avec Will sur les suspects. La jeune fille restait persuadée que l'inspecteur McColl était derrière tout ça. Toutefois, les informations que lui avait procuré Simon perturbaient son raisonnement. Simon envisageait que Maxwell Walter pouvait éventuellement être l'Éventreur. Rien ne prouvait qu'il l'était, mais rien ne prouvait le contraire également, dans ce cas précis, elle devait faire aveuglément confiance au journaliste, et Jane savait très bien qu'elle ne pouvait se fier à personne. Il fallait qu'elle demande à Will de le surveiller.
- Will, je pense qu'à ce stade de l'enquête nous devrions peaufiner la liste des suspects. Ce qui est indéniable c'est que nous sommes confrontés à un Éventreur différent de celui de 1888. Les correspondances le prouvent. L'on ne peut se fier à l'identité des victimes, leur seul point commun est sans aucun doute cette correspondance, outre leur statut de prostituée. Or nous avons étudié lesdites lettres. Ce qui nous a amené à soupçonner lady Blackwood d'être impliquée dans cette histoire. Cependant je doute que la veuve Blackwood soit la meurtrière ; elle n'a pas la force nécessaire pour maîtriser une prostituée, ni même les connaissances en médecine. En somme, selon moi, lady Emma Blackwood avait l'opportunité de s'en prendre à ces jeunes femmes, mais elle n'en avait ni les moyens, ni le mobile. Alors je suppose que la lady n'est qu'une tierce personne dans l'affaire. Ce qui n'explique toujours pas son rôle dans cette histoire... Maintenant je soupçonne l'inspecteur McColl d'être possiblement le tueur...
Jane expliqua son raisonnement à son partenaire. Will l'avait écouté attentivement durant son explication. Il était absorbé, il avait noté avec quel aplomb et quelle logique elle défendait ses idées, comment elle les organisait, soulevait les points obscurs et proposait des hypothèses. Elle était brillante. Pour Will cette jeune femme n'avait rien à faire enfermée dans un petit salon avec d'autres dames, à broder et attendre qu'on la jette en pâture à un troupeau de soupirants. Il ne disait pas non plus que sa place était sur le terrain, revolver à la ceinture, matraque à la main, mais c'était un crime de ne pas exploiter intelligence pareille.
Cependant, Jane avait beau être dotée d'un esprit étonnant, Will était bien plus habitué à ce genre de situation que la demoiselle ; il avait l'expérience, l'œil, la façon de penser appropriée. Alors que la jeune fille poursuivait, il cherchait la faille dans sa réflexion.
- L'inspecteur rêve de se présenter en héros aux pieds de la Reine. Cet homme ne vit que dans l'attente d'une gloire éminente et d'une reconnaissance royale éternelle pour avoir mis derrière les barreaux le célèbre Jack l'Éventreur. Voilà ce que j'en ai conclu : Adrian McColl a l'opportunité de commettre ces meurtres, sa position au sein de Scotland Yard lui permet de couvrir ses traces, d'orienter l'enquête à sa guise. Il en a les moyens, c'est un homme robuste que j'imagine capable de maîtriser une femme, en tant que policier il doit savoir se servir d'une arme. Il côtoie des médecins, il est familier des cadavres et de leur étude, cela a très bien pu être un enseignement suffisant. Et il a le mobile, il désire être reconnu, récompensé, nous sommes face au désir véhément d'un homme d'être considéré comme un sauveur. Rappelez-vous, cette mise en scène est loin d'être un hasard ! Chaque pion a sa place, et joue un rôle bien précis définit depuis le départ par le tueur. Conclusion : McColl peut être l'Éventreur.
Will croisa les bras et fronça les sourcils. Non pas qu'il ne soit pas convaincu, mais il avait du mal à voir McColl assassiner des jeunes femmes pour le simple fait d'être couvert d'honneurs. Pour autant, le jeune homme connaissait bien ce genre de milieu, et il savait que l'Homme était foncièrement mauvais. Tout était bon pour assouvir ses pulsions et désirs aussi sombres soient-ils. Certains tuaient pour beaucoup moins que ça. Il ne pouvait pas le nier.
- Et la correspondance avec les prostituées dans tout cela ? l'interrogea Will. Et ma superbe lady Blackwood ?
- J'y viens, répondit Jane. C'est une question qui requiert tout notre savoir-faire, car la réponse est loin d'être évidente. J'ai longtemps ruminé sur le lien éventuel entre les meurtres et lady Blackwood, et voici ce que j'en ai tiré. Pour moi Jack l'Éventreur n'est pas une seule mais bien deux personnes. Votre lady, comme vous le dites si bien, est l'auteure des lettres. C'est un fait.
- Ou bien c'est peut-être ce que l'on veut nous faire croire, l'interrompit Will.
Jane lui jeta un coup d'œil dubitatif.
- Quel serait l'intérêt de toute cette manœuvre ? s'enquit-elle.
- L'impliquer dans l'affaire.
- Elle ou quelqu'un d'autre, qui serait touché par la même occasion. Ou bien quelque chose... Vous voulez dire que le Cercle Abyssus serait la cible indirecte de toute cette machination ?
- Ou bien il en serait le protecteur. À votre avis, pourquoi lord Stanbury s'efforce de garder un œil sur l'enquête ?
- Parce que Jack l'Éventreur est un membre du Cercle Abyssus ? Ce qui viendrait confirmer notre première théorie. Il est la lame, et le Cercle chapoterait toute cette comédie ? Dans ce cas-là, pourquoi prendre le risque d'être découverts en impliquant lady Blackwood ?
- Il y a peut-être des dissensions au sein du Cercle. Rappelez-vous, ces gens n'ont qu'un seul dieu qu'ils vénèrent, il s'appelle Pouvoir. Et pendant tout ce temps Scotland Yard essaye me faire porter le chapeau pour les meurtres, affirma Will.
Jane hocha la tête cependant sur la réserve, avant de poursuivre :
- Par ailleurs, je dois vous avouer quelque chose. Nous avons deux suspects, confessa-t-elle alors que Will lui jetait un regard perplexe. Une de mes sources m'a confié qu'un autre homme pourrait parfaitement remplir le rôle de suspect. Il s'agit de Maxwell Walter, le gardien de la morgue. Cet homme n'a pas de famille, il a échoué deux fois ses études de médecine mais en sait assez pour commettre ce genre d'atrocités avec une telle précision. Mr Walter est entré au service de la morgue en 1888, quelques mois avant la première vague de meurtres de Jack l'Éventreur. Il a très bien pu recommencer aujourd'hui. Il a l'opportunité, grâce à son travail de gardien de la morgue, qui fait qu'il peut accéder au matériel médical et aux corps quand il le désire. De plus, personne ne se préoccupe vraiment de ce bonhomme sans histoires. Il a les moyens, c'est un homme capable de faire usage de la force, et possède sans aucun doute les connaissances médicales adéquates. Et il a le mobile : désir de vengeance, reconnaissance, colère...
- Encore un narcissique qui souhaite s'immortaliser, en conclut Will qui ne paraissait pas le moins du monde dérangé par le portrait que lui dressait Miss Warren du suspect.
- Sans doute, approuva Jane. Mais il y a quelque chose que je ne comprends pas malgré tout ; pourquoi avoir attendu aussi longtemps avant de recommencer ? Cette histoire n'est pas très claire, à supposer que...
Jane s'interrompit quand son regard croisa celui d'un homme qui passait devant leur cabine, trainant du pied. La jeune fille décida de faire semblant de ne pas l'avoir aperçu et se leva de son siège pour se diriger vers son bagage rangé au-dessus de Will.
- Pouvez-vous m'aider ? lui demanda-t-elle. J'ai bien peur d'avoir écrasé mon chapeau en pliant mes robes.
Sans poser de questions, Will s'exécuta et descendit la valise de la demoiselle qui en profita pour se rapprocher de lui.
- Cela fait trois fois que cet homme passe devant notre cabine, chuchota la jeune fille à son partenaire. Je veux bien croire que ce monsieur ait une bonne raison de faire autant d'allers-retours, mais si vous voulez mon avis, après notre mésaventure d'hier soir, je me permets de douter.
- Oui, je l'ai remarqué aussi, murmura l'Irlandais. La vérité est que cet homme est passé bien cinq fois devant notre cabine. Une petite entrevue s'impose. Surtout ne bougez pas.
Il sortit son bagage également.
- Ah... Je pense avoir oublié ma cravate favorite, râla Will qui avait cessé de chuchoter, sur un ton si naturel qu'il était impossible de se douter qu'il jouait la comédie.
Il ouvrit la valise, sous ses vêtements il en sortit un petit pistolet que Jane reconnut immédiatement, car il s'avérait qu'il lui avait confié la petite arme lors de leur première escapade au Ten Bells. « Un Browning, huit coups. » se rappela mentalement Jane. William se rapprocha de la jeune fille et prit délicatement sa main. Il y glissa le pistolet et referma ses doigts sur l'arme.
- Cachez votre arme dans vos jupes, il faut qu'elle reste accessible facilement et rapidement, lui chuchota-t-il. Servez-vous uniquement en cas de nécessité. Maintenant, vous allez retourner vous assoir, ni trop vite, ni trop lentement. Surtout restez naturelle. Voilà, comme ça c'est parfait, dit-il alors que la jeune fille s'exécutait. Si quelqu'un entre dans la cabine, ne hurlez pas, gardez votre calme, attendez de connaître ses intentions avant d'agir. Vous êtes une femme, personne ne se doutera de quoi que ce soit. C'est un avantage. Vous vous souvenez comment on utilise cet objet ? (Jane hocha imperceptiblement la tête, elle montra discrètement son doigt posé sur le cran de sécurité.) Excellent, c'est très bien. Cette fois-ci, le pistolet est chargé. Si vous devez vous en servir, assurez-vous de ne pas rater votre cible. Ai-je été clair ?
Jane hocha de nouveau la tête, silencieuse. Will revêtit sa veste dans laquelle se trouvait son couteau, il chargea son propre revolver, brillant comme un sou neuf et le coinça à sa ceinture avant de rabattre le pan de sa veste pour le dissimuler. Alors qu'il s'apprêtait à franchir la porte de la cabine, Jane attrapa sa main. Will se retourna, perplexe quant au geste incongru de la demoiselle. Il croisa son regard inquiet et décida de prendre la main froide de la jeune fille dans les siennes.
- Je reviens vite, la rassura-t-il.
Lorsque la porte de la cabine se referma dans son dos, Jane s'exécuta. Elle se réinstalla sur la banquette et dissimula le petit objet mortel entre ses jupes, une main dessus au cas où. De son autre main, elle rouvrit son livre, l'oreille attentive au moindre bruit.
Bonsoir ! Je m'excuse pour l'heure tardive à laquelle je publie ce chapitre, que j'ai d'ailleurs bien faillit ne pas publier du tout pour cause de révisions acharnées...
Mais enfin, il est là est c'est tout ce qui compte ! Donc je profite de cette minie pause pour ne pas manquer ce rendez-vous ;) Je vais tenter de répondre du mieux que je peux à vos réactions, mais en étant en plein concours toute la semaine, je ne pourrai pas être davantage présente, je le crains.
Enfin, nos deux enquêteurs du dimanche font le point sur les suspects ! Je pense que vous vous doutiez déjà que ceux évoqués précédemment y seraient. Alors j'attends vos suggestions ! Et aussi, quel est ce bonhomme qui les espionne... et surtout pourquoi ??
Bon week-end et bonnes vacances pour les chanceux qui en ont ! ;)
Ceci est la version corrigée.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro