Chapitre 15 (2) (corrigé)
Julie se dirigeait à grandes enjambées vers elle. « Je suis fichue. » Paniquée, elle prit Will par le bras, ils se dirigèrent rapidement vers la porte alors que Julie criait son nom assez fort pour les faire arrêter.
- Surtout ne dites rien, glissa-t-elle à son partenaire. Ah... Bonsoir Julie ! Où est donc Nick ? s'enquit-elle pour essayer détourner son attention.
Peine perdue, toute l'attention de la jolie rousse était accaparée par l'étonnant spécimen aux yeux bleus que cherchait à lui cacher sa cousine.
- Il discute avec Mrs Carroll. Alors ? En voici des manières Jane ! s'indigna Julie. Pourquoi ne me présentes-tu pas ce gentleman qui t'accompagne ? Je te rappelle que j'ai le droit de savoir qui est présent le jour de la réception en mon anniversaire ! Si tu t'es permise d'inviter des individus qui ne sont pas sur la liste...
- Bonsoir, la salua Will d'un ton enjôleur lorsqu'il écarta Jane d'un bras. Pardonnez-moi, il est vrai que nous n'avons pas été présentés. Je me nomme William O'Brien, je suis divinement enchanté de faire votre connaissance Miss... ?
- Miss Julie ! répondit précipitamment la jeune femme les yeux brillants. Miss Julie Blancksfair, se reprit-elle avec une révérence. Je suis la cousine de Jane.
- C'est un réel plaisir Miss Blancksfair, répondit l'Irlandais en s'inclinant. Excusez mon impudence, je suis venu avertir Miss Warren d'un fait. J'ai cru comprendre que cette superbe réception était en l'honneur de votre anniversaire (elle hocha vivement la tête), toutes mes félicitations mademoiselle, je vous souhaite un très bel anniversaire. En espérant que cette soirée saura vous combler de bonheur.
- Vous êtes bien aimable Mr O'Brien, mais il me semblait à l'instant avoir entendu que vous trouviez cette soirée trop ennuyeuse si je ne m'abuse ? rétorqua Julie amusée.
- Mais cela s'était avant de vous rencontrer Miss Blancksfair.
Sur ces paroles flatteuses, Will saisit la main de Julie pour y déposer un baiser. Devant le geste, Julie rougit à vue d'œil, un sourire enchanté sur les lèvres alors que Jane, estomaquée, sentit sa mâchoire se décrocher. « Non mais je rêve ?! Voilà qu'il joue les jolis cœurs avec Julie maintenant ? Sous mon nez ! Le scélérat ! Et l'autre imbécile de Nick qui n'est jamais là quand il faut ! » Enragea Jane.
- Vous me flattez, Mr O'Brien, minauda Julie sous la mine écœurée de sa cousine.
- Allons, jamais je n'oserai, lui répondit mielleusement le voleur.
- Jane ? demanda Julie qui ne quittait plus des yeux le jeune homme. Tu ne m'avais pas dit que tu avais de telles... connaissances.
- On se demande bien pourquoi, répondit sèchement Jane.
Julie fusilla discrètement Jane du regard qui lui répondit par un sourire amusé.
- Que diriez-vous d'être présenté, Mr O'Brien ? proposa la jeune femme.
- Oh, j'en serais très hono... ouch !
Jane venait de lui asséner un coup de coude pour le faire taire et reprendre la conversation à son avantage.
- Voilà qui est fort dommage ! Mais Mr O'Brien s'apprêtait à nous quitter, n'est-ce pas William ? insista la jeune fille l'air désolé.
- Mais j'imagine que Mr O'Brien a bien quelques petites minutes devant lui, contrattaqua la rousse en glissant sa main sous le bras de Will.
- Bien entendu ! répondit le jeune homme offrant un sourire en coin à sa complice au bord de la syncope.
Julie lança un regard de vipère à sa cousine, et pour la narguer elle se colla un peu plus à Will. « Je vais les tuer. Tous les deux. Je vais les tuer tous les deux. » Pensa Jane hors d'elle.
C'est avec appréhension que Jane s'approcha du petit groupe en compagnie de Julie et de Will. Ses craintes se justifièrent lorsqu'elle remarqua que le regard de tante Helen était braqué sur l'Irlandais. Une étincelle de méfiance brillait dans ses iris de bronze, elle était sur le qui-vive, cela se présentait plutôt mal. Les conversations cessèrent quand Julie prit la parole :
- Bonsoir, je voudrais vous présenter ce fabuleux pianiste qui a retenu votre attention et qui vous intriguait tant. (Elle désigna Will d'un geste élégant de la main.) Mr O'Brien.
- Bonsoir, répondit poliment le jeune homme en s'inclinant.
Jane observait, guettant la moindre réflexion, prête à bondir à la rescousse de son partenaire s'il venait à commettre un impair. Il était peut-être très adroit dans son milieu naturel de larcins et de débauche, mais Jane douta qu'il soit aussi habile en terre hostile de perles et de champagne.
Mary Carroll détailla le nouveau venu de la tête aux pieds, quant à Bryan il courba légèrement la tête en guise de salut. Ce qui inquiéta le plus Jane ce fut la réaction de sa tante. Helen analysait minutieusement Will, la mâchoire serrée, le regard transperçant, elle le méprisa immédiatement. Il lui sembla qu'elle considérait un vulgaire insecte à écraser. Le moins que l'on puisse dire fut que sa nièce n'apprécia pas cette attitude froide et hautaine, aussi sûrement qu'elle fût intriguée par tant de méfiance dans le regard de sa tante. Jane avait l'étrange sensation que sa tante se sentait menacée, il se passait quelque chose. Malgré toute l'attention qu'elle accordait à sa tante, l'attitude de Nick ne passa pas inaperçue. Lorsqu'il vit Will, il cessa brusquement de sourire. Jane crut d'abord que c'était parce qu'il n'aimait pas voir Julie au bras de cet inconnu, mais elle révisa vite son jugement quand son attention passa de Nick à Will. En effet l'Irlandais examinait le gentleman, les sourcils imperceptiblement froncé, et Jane nota que Nick détourna presque immédiatement les yeux.
- Pardonnez-moi, mais nous serions-nous déjà vus ? demanda poliment Will à Nick.
- Je ne crois pas non, répondit posément Nick en buvant son verre de vin. Sinon je m'en serais souvenu.
- C'est drôle, votre visage me semblait... familier.
- Vraiment ? C'est pourtant impossible. Je ne fréquente pas les... musiciens, ricana Nick avec dédain.
- Ah... Je vois. Il doit y avoir une erreur en effet. Les musiciens fréquentent uniquement des personnes haut placées, ironisa Will en trinquant avec le verre qu'il venait de saisir sur un plateau.
Jane lança une œillade à son partenaire, un sourire mutin étira discrètement ses lèvres roses. Elle jubila de voir le sourire de Nick s'évanouir sur ses traits crispés. Une menace invisible électrisait ses pupilles. Will lui offrit un sourire de connivence avant de tremper ses lèvres dans le liquide doré. Mais l'enjouement de la demoiselle fut vite mis à mal lorsque Mrs Blancksfair prit la parole :
- Mr O'Brien, vous me semblez dans un bien piètre état. Que vous est-il donc arrivé ? demanda-t-elle alors que Jane se raidissait.
- Oh bien sûr, vous voulez parler de cela, s'amusa Will en désignant ses bleus. Une conversation qui a malencontreusement dégénéré entre des amis un peu trop égayés par la boisson. J'ai tenté de m'interposer pour les séparer, et comme vous pouvez le constater, je n'en suis pas sorti indemne.
- Voilà qui est bien valeureux. Votre conversation devait être dangereuse pour qu'elle ait dérapé de la sorte, s'enquit tante Helen.
- Il est vrai, Madame, qu'elle l'était. Nous parlions justement du Home Rule, une nouvelle fois rejeté par la Chambre des Lords. Que voulez-vous, la politique est un sujet sensible qui échauffe les esprits. Visiblement on ne peut aborder un tel sujet en présence des Irlandais, plaisanta Will avec dérision.
- Vous avez l'air de vous moquer, pourtant votre nom trahit vos origines irlandaises, Mr O'Brien, certifia Nick.
- Tout à fait. Mais O'Brien n'est que la forme anglicisée de Ó Briain, (Jane sourit en entendant Will prononcer son nom dans sa langue maternelle) autrement dit les dignes descendants de Brian Bóruma, le Ard rí Érenn* d'Irlande. Un équivalent de votre Reine Victoria, si vous voulez tout savoir, Mr... ?
- Mr Carroll, répondit Nick le menton haut.
Jane cacha sa stupéfaction en découvrant les origines illustres de son complice, était-ce encore un habile mensonge pour retourner la situation à son avantage ou bien cette courte leçon d'histoire était-elle à prendre au pied de la lettre ? En tout cas s'il s'agissait là d'un coup de bluff les paroles de l'Irlandais avaient eu l'effet escompté. Les membres du petit groupe échangèrent quelques coups d'œil éloquents, se tournant tous discrètement vers Jane, mais la jeune fille aurait été bien incapable de leur confirmer ou non ce qu'ils supputaient. Fort heureusement (ou malheureusement) Will reprit le fil de la conversation d'une main de maître.
- Oui, Mr Carroll, c'est cela. Voyez-vous, même mon nom est contraint de se soumettre aux exigences de la couronne. Tout comme notre peuple. Voilà pourquoi je me moque Mr Carroll. La domination anglaise s'entend jusqu'à nos noms afin nous déposséder de nos racines, donc de notre Histoire, et par conséquent de notre identité, tout cela dans l'unique but de nous soumettre. Alors oui je me moque, je ris amèrement de toutes ces belles paroles du gouvernement britannique lorsque l'on connait les motivations de leurs actes.
Will prit une nouvelle gorgée de vin blanc et ses paroles jetèrent un froid sur l'assemblée. Seule Jane ignora la faute que venait de commettre Will en se montrant si insolent et peu patriote, car l'Irlande était sous domination de la couronne anglaise. Bien au contraire, elle se surprit à admirer profondément le jeune homme et ses opinions tranchées. Tout le monde demeurait suspendu à ses lèvres, son discours avait fait mouche et par son allure débraillée, nul doute que la plus part des gens ici l'avait pris pour un ignare. Or il n'en n'était pas un, loin de là, et Jane était fière de l'attachement insoupçonné de son complice envers son pays.
- Vous avez un avis bien tranché sur la question. Au moins, nous voilà fixé sur votre position en ce qui concerne le sujet, convint Bryan.
- Certes, reprit l'Irlandais. Je suis d'avis qu'il est nécessaire de montrer autant d'attachement envers son pays comme si c'était sa propre femme.
À ces mots Julie et Mrs Carroll lui jetèrent un regard adorateur, alors que sa tante le transperçait de ses iris de vipère. À ce moment précis, Jane craignit le pire, elle serra les poings, prête à défendre son complice.
- Voilà de très belles paroles, observa Mrs Carroll. Si seulement mon mari pouvait me couvrir de tels mots !
- De Grâce, Madame, pardonnez-le, la pria le jeune homme. Nous ne sommes que des hommes après tout, et l'homme est faible par nature.
- Pour autant, vous ne me semblez point faible Mr O'Brien, le taquina-t-elle.
- C'est que mes faiblesses sont bien dissimulées, lui sourit Will.
Jane se surprit à sourire bêtement devant les propos que tenait Will. Une petite voix lui somma de se reprendre immédiatement et elle se traita d'idiote. Will prenait trop de place dans la conversation, et cela ne plaisait guère aux fils Carroll ni à sa tante que son air d'adonis indolent ne trompait guère.
Toutefois, l'inquiétude de Jane n'avait pas encore atteint son paroxysme, ce qu'elle ne tarda pas à faire lorsqu'elle remarqua que sa tante Helen venait de se reconstruire un masque de bonhommie. D'un large sourire poli, elle invitait un inconnu à se joindre à la cantonade.
- Pardonnez-moi d'interrompre vos conversations pour le moins édifiantes, très chers, mais je souhaiterais vous présenter quelqu'un, déclara Mrs Blancksfair, une lueur incisive luisant dans ses prunelles.
Cela ne présageait riende bon. Un homme vint se placer aux côtés de tante Helen, et Jane eut lasoudaine impression que le plafond venait de s'écrouler sur sa tête. Sesmuscles se raidirent, comme si des milliers de petits cailloux coulaient dansses veines, la forçant brutalement à se métamorphoser en être de pierre. Elleposa ses prunelles bleues-grises sur l'indésirable qui venait de pénétrer dansle cercle. Si glaciales qu'elles auraient tout aussi bien pu geler sur placecelui qu'elle considérait d'ores et déjà comme son ennemi.
*Dans la mythologie celtique et l'histoire médiévale de l'Irlande, ce terme désigne le souverain qui règne sur la totalité de l'île.
Bonjour mes tendres lecteurs ! Un chapitre un peu court, j'en conviens, mais de toute façon le chapitre 15 n'était pas bien long comme vous pouvez le constater par vous-même.
Un petit point Histoire, ça vous dit ?
*Home Rule : On observe de nombreuses crises en Irlande au XIXe siècle. Sous la tutelle de la couronne britannique, la condition de l'Irlande entraîne une sorte de débat au sein des politiques. Il faut savoir qu'en Grande Bretagne il s'agissait d'un libéralisme politique (à savoir plusieurs partis politiques au pouvoir), et parlementaire (depuis 1215 la Roi –ici la Reine en l'occurrence- dépend d'une constitution). Donc les fameuses Chambres possèdent le pouvoir et ainsi l'on observe un bi-partisme : le parti Tory de Disraeli (le parti conservateur qui représente l'aristocratie, l'Eglise anglicane et défend la grandeur nationale) et le parti Whig de Gladstone (le parti libéral plus ouvert aux réformes). Le 08 Avril 1886, un projet de loi (donc le fameux Home Rule Bill) est proposé à la Chambre des communes, consistant à donner à l'Irlande une autonomie interne tout en restant sous tutelle britannique. De là, le parti libéral se scinde en deux sur cette question : d'un côté Gladstone qui défend le projet d'autonomie de l'Irlande auquel répondent les unionistes, qui préfèrent le maintien de l'Irlande dans l'Union.
Dans le contexte de cette histoire, où le récit se déroule en Avril 1893, il faut savoir que deux mois auparavant (le 13 Février 1893 précisément) le projet fut de nouveau soumit par Gladstone et accepté par la Chambre des communes, mais cette fois-ci rejeté par la Chambre des lords.
Ce sujet n'est pas là par hasard, il permet ainsi de donner de l'aplomb aux personnages, outre le fait de conférer au texte une dimension vraisemblable et ancrée dans l'Histoire. Faisant parti de la bourgeoisie et pour les Carroll de l'aristocratie, il est presque « normal » qu'ils soient à tendance conservatrice, et donc de trouver le Home Rule absurde. Quant à Will, s'il était réellement celui qui prétendait à leurs yeux, il serait censé se ranger de leur côté. Or le fait qu'il montre une vive opposition trahit en quelque sorte sa condition (à savoir un immigré irlandais et d'une classe sociale bien inférieure). Cet événement me permet de creuser encore plus les différences (sachant que cette question était bien importante dans le contexte de l'époque) tant sociales que nationales (à l'heure où un nationalisme exacerbé couvrait l'Europe). De même qu'il me permet également de poser les jalons de quelque chose d'autre qui prendra sens au fur et à mesure que le roman se construit.
Voilà un point un peu long mais je voulais vous faire partager cette connaissance qui n'est pas là de façon anodine. J'espère sincèrement susciter votre curiosité et quant à l'Histoire, et quant à l'histoire également (le récit), ainsi qu'aux personnages qui ont tous une particularité.
J'attends vos suppositions et rendez-vous pour la suite !
Ceci est la version corrigée.
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