Chapitre 16 - « R.A.B »
Horcruxe.
Regulus avait tourné et retourné ce mot dans son esprit jusqu'à l'obsession. Il avait emporté le livre de la Bibliothèque Noire avec lui pour les vacances et l'avait étudié avec minutie.
Il connaissait désormais le plan de Voldemort. Son but ultime.
Et son monde s'était effondré.
Regulus avait montré la page arrachée sur laquelle était représenté le légendaire médaillon de Serpentard à Kreattur, qui l'avait bel et bien reconnu. Mais le médaillon n'avait pas de pouvoir particulier – ou, s'il en avait un, connu seulement de Voldemort, ce n'était pas ce pouvoir là qui l'intéressait. Le médaillon n'était qu'un réceptacle. Un réceptacle pour quelque chose de terrible : une part de l'âme du Seigneur des Ténèbres. Voilà ce qu'était un Horcruxe : un objet dans lequel on cachait une partie de son âme. Les Horcruxes pouvaient être n'importe quel objet, mais Voldemort avait sans doute voulu abriter cette part de lui-même dans un artefact de valeur.
Cacher une partie de son âme dans un objet signifiait être immortel. Même si Voldemort était vaincu, tué, il ne mourrait pas. Il survivrait – sous une forme peu enviable, mais il survivrait. Pour créer un Horcruxe, il fallait déchirer son âme en commettant un meurtre. Ce n'était pas le meurtre qui horrifiait tant Regulus – Voldemort avait déjà tué des centaines de personnes.
Une âme déchirée, en revanche...
Le livre n'était pas avare de descriptions. Il précisait à quel point cet acte était contre-nature et changeait intrinsèquement la personne qui choisissait de déchirer son âme. Voldemort n'était plus humain. Et Regulus comprenait à présent à quel point il s'était trompé sur les objectifs du Seigneur des Ténèbres. Toute sa vie, Regulus l'avait admiré, avait cru en son projet de faire renaître la société magique en la sortant du secret imposé par les Moldus, quitte à assoir l'ascendant des sorciers sur ces derniers. Mais Voldemort ne méprisait pas seulement les Moldus, les Cracmols, les Sangs-de-Bourbe et les créatures magiques telles que Kreattur. Il méprisait tous les sorciers. Même les plus nobles. À ses yeux, personne d'autre que lui n'avait de véritable valeur. Il était le seul maître, et il avait bien l'intention de le rester jusque la fin des temps. Il ne serait jamais satisfait, ne voudrait jamais lâcher prise, ne laisserait jamais personne s'élever à sa hauteur. Il voulait être un dieu.
Regulus avait rêvé d'être aussi doué que lui. Il savait désormais qu'il devait être celui qui le ramènerait à sa condition de mortel. Car à ses yeux, les dieux ne devraient pas exister. Sirius avait beau le considérer comme un fanatique, il se trompait à ce sujet.
Par chance, Bellatrix avait enseigné à Regulus les rudiments de l'Occlumancie, dans le cas où Dumbledore s'intéresserait d'un peu trop près à lui, et Regulus s'était entraîné. Il n'arrivait pas à la cheville de Voldemort, bien sûr, mais cela suffisait à protéger ses pensées. Ce qui lui fut sans doute plus qu'utile lors de la réunion des Mangemorts, lors de laquelle il avait rapporté à Voldemort les dernières nouvelles transmises par Barty. Rien de transcendant : seulement des perquisitions supplémentaires. Le Lord n'avait pas paru déçu de ces maigres informations, malgré son humeur massacrante : Bellatrix, Rodolphus et Rabastan portaient encore les stigmates de la terrible colère qu'il avait déchaînée contre eux après qu'ils aient décidé de leur propre chef de torturer Lily Evans. Seul Mulciber avait été épargné, mais Voldemort l'avait averti que c'était ce qui l'attendait la prochaine fois qu'il désobéissait à ses ordres. Mulciber s'était montré particulièrement silencieux lors de la réunion, totalement dépourvu de son audace habituelle.
Quelques jours plus tard, Regulus était parti en reconnaissance auprès de la caverne. Il avait décidé de se laisser jusqu'à l'été pour échafauder son plan et récupérer l'Horcruxe. Car un problème demeurait : en dépit de ses innombrables précisions au sujet de la façon de créer les Horcruxes et des implications sur le sorcier qui déchirait son âme, le livre n'expliquait pas comment détruire les Horcruxes. Peut-être trouverait-il un autre livre à ce sujet dans la Bibliothèque Noire.
Il avait rapidement été déçu. L'année scolaire tirait à sa fin, et il n'avait toujours rien trouvé. Ses recherches le détournaient des ASPIC, auxquels il ne pensait guère. Les examens avaient au moins pour avantage de fournir à Regulus une excuse toute faite pour justifier les heures qu'il passait le nez dans les bouquins. Quant à Barty... il semblait étrangement euphorique. Regulus s'en étonnait, dans la mesure où la fin de l'année signifiait qu'il devrait retourner chez son père pendant deux mois, et qu'il lui faudrait ensuite retourner seul à Poudlard pour sa dernière année. Et pourtant, ils ne s'étaient pas disputés une seule fois depuis la rentrée, même lorsque Regulus s'intéressait plus à ses livres qu'à lui.
— Qu'est-ce qui te rend de si bonne humeur ? finit par lui demander Regulus alors qu'ils « révisaient » dans la Bibliothèque Noire.
Barty chantonnait une chanson de wizard rock depuis cinq bonnes minutes en relisant ses notes de potions tout en remplaçant les vraies paroles de la chanson par le détail de la recette du Philtre de Mort Vivante. Il s'interrompit pour lancer un bref regard à Regulus, assis à côté de lui sur le canapé.
— Je ne suis pas censé te le dire, répondit-il avant de fixer à nouveau les yeux sur son livre.
Un petit sourire mystérieux flottait sur ses lèvres.
— Oh, vraiment ? fit Regulus, amusé.
Il posa son livre, se rapprocha de Barty puis dégagea une de ses mèches blondes d'un simple effleurement avant de l'embrasser dans le cou. Barty s'immobilisa, tenta de résister quelques secondes, puis céda à la tentation de se tourner vers lui pour l'embrasser à pleine bouche. Mais Regulus l'arrêta à quelques centimètres de ses lèvres.
— Je te laisse m'embrasser si tu me livres ton secret.
Barty ne put s'empêcher de rire. Il était si rare de le voir ainsi, de voir ce sourire éclatant, ces yeux pétillants...
— J'imagine que je peux te le confier, décida-t-il.
Il saisit le poignet de Regulus avec douceur et remonta sa manche. Regulus tressaillit en voyant la Marque des Ténèbres sur sa peau. Quelle terrible erreur il avait commise... Barty parut interpréter son dégoût comme un simple frisson de plaisir. Il remonta sa propre manche et plaça son bras nu, dépourvu de tatouage sinistre, à côté de celui de Regulus.
— Bientôt, nous aurons les mêmes, lui annonça Barty. Le Seigneur des Ténèbres m'a fait passer un message, pendant les vacances. Je dois le rencontrer au début de l'été. Il faut bien que quelqu'un reprenne ton flambeau à Poudlard, après tout. Je te promets que je ne draguerai pas le petit nouveau que je prendrai sous mon aile.
La plaisanterie de Barty tomba à plat. Une onde glacée venait de traverser Regulus.
— Cet été ? Tu reçois la Marque cet été ?
— Oui !
— Non.
Regulus rabattit sa manche d'un geste sec. Il pensait que Barty avait encore du temps devant lui. Que le Seigneur des Ténèbres ne le ferait pas rentrer dans ses rangs avant qu'il sorte de Poudlard. Qu'il lui resterait un an au moins. Mais l'échéance était beaucoup plus proche que prévue. Regulus se leva et fit les cents pas dans la pièce en s'arrachant les cheveux.
— Tu ne peux pas faire ça, décréta-t-il.
— Ce n'est pas comme si j'avais le choix, répondit lentement Barty, sourcils froncés. Ce n'est pas tout à fait une simple invitation à proprement parler. Et puis, je pensais que tu serais heureux pour moi...
— Ce n'est pas ce que tu crois...
Si Barty s'apprêtait à rentrer chez les Mangemorts, Regulus ne pouvait pas se permettre de révéler autant de choses qu'il l'aurait voulu au sujet de Voldemort.
— Tu... tu n'as pas toutes les informations...
— Quelles informations ?
Regulus ne répondit pas.
— Donc tu veux que je renonce à la Marque, mais sans me dire pourquoi je devrais faire une chose pareille ? résuma Barty d'un ton railleur. Je t'ai confié mon secret. À ton tour de me confier le tien. Ne crois-pas que je n'ai pas remarqué ton manège. Tu es bizarre depuis les vacances de Noël. Tu trames quelque chose.
— J'ai simplement... beaucoup réfléchi, ces derniers temps.
Barty le scruta attentivement, puis la compréhension se fit jour dans son regard.
— Tu veux partir. Tu veux quitter le Seigneur des Ténèbres.
Dans la bouche de Barty, cela sonnait comme un blasphème. Sans doute parce que pour lui, c'en était un.
— C'est plus compliqué que ça, tenta de relativiser Regulus.
Mais il savait, à la façon dont Barty le regardait désormais, qu'il était inutile voire dangereux d'essayer de lui expliquer ce qu'il savait. Voldemort ne le considérerait jamais comme son égal, mais Barty s'en ficherait. Il ne serait pas contre obéir à un dieu, si cela lui permettait de se venger de son père de la plus spectaculaire des façons un jour. Il était incapable de voir au-delà de cela. Sans parler de son discours rêveur sur l'immortalité... Il y avait à vrai dire une certaine probabilité que Barty se mette à vénérer Voldemort davantage en découvrant la vérité.
— Je n'arrive pas à croire que tu veuilles partir ! s'exclama Barty. Après tout ce que tu as fait pour en arriver là ! Alors que tu pourrais devenir si puissant ! Tu ne peux pas partir, Reg. Le Seigneur des Ténèbres ne te laissera jamais faire, de toute façon, et j'aimerais éviter de te voir mort. On est là-dedans ensemble, non ?
Alors, en une fraction de seconde, Regulus décida ce qu'il allait faire. Ce qu'il devait faire.
— Tu as raison, soupira-t-il.
Faisant mine de se reprendre, il prit les mains de Barty dans les siennes.
— J'ai pris peur, je me suis monté la tête tout seul. Je craignais de ne pas être à la hauteur des attentes du Lord. Mais tu as raison, on est là-dedans ensemble. Et je suis content pour toi, Barty. Vraiment.
Barty parut croire à sa comédie. Il se détendit.
— Bien. Tu seras à la hauteur, Reg. Nous serons à la hauteur.
Les jours qui suivirent cette conversation, Regulus fit semblant que tout allait bien. Mais chaque jour qui le rapprochait de la fin de l'année le plongeait un peu plus dans l'angoisse. Il se demandait combien de temps il pourrait ainsi jouer la comédie auprès de Barty. Pour ne rien arranger, ses recherches sur la manière de détruire un Horcruxe demeuraient infructueuses. Il espérait trouver la réponse au dernier moment, comme il l'avait fait avant les vacances de Pâques.
Mais ce ne fut pas le cas.
Dans le train du retour vers Londres, Regulus rumina silencieusement sa défaite. Il était trop tard, désormais. Sans l'accès à la Bibliothèque Noire, il ne trouverait jamais la réponse. Restait à décider ce qu'il convenait de faire désormais.
Il pouvait tout de même aller chercher l'Horcruxe. Le remplacer par un faux médaillon et essayer de détruire le vrai par tous les moyens. À défaut de trouver la solution dans un livre, il pouvait toujours se livrer à des expérimentations. Cela lui pendrait peut-être toute une vie, mais il était bien décidé à rendre sa mortalité au Seigneur des Ténèbres, ou à mourir en essayant. Et s'il ne pouvait pas le faire lui-même... s'il mourrait dans la caverne... alors il demanderait à Kreattur de s'en charger.
L'Horcruxe devait être détruit.
Coûte que coûte.
***
Severus avala une gorgée de son whisky. Il en était à son quatrième verre, mais cela ne suffisait pas à effacer Lily de son esprit.
Lily, qui allait se marier avec Potter.
Lily, qui avait été torturée.
Il lui avait fallu rassembler toute sa volonté pour ne pas déchaîner sa colère contre Bellatrix. Le Maître s'en était chargé, bien sûr, mais devoir rester impassible après avoir appris qu'elle l'avait torturée avait été difficile. Très difficile. Il avait joué la comédie devant le Lord et ses partisans, mais aussitôt rentré dans sa chambre au Chaudron Baveur, il avait tout cassé dans la pièce en hurlant pour passer sa frustration. Depuis, il passait régulièrement la soirée à se souler dans un pub miteux de l'Allée des Embrumes, celui-là même où Lily avait été torturée, après sa journée chez Barnaby's, l'apothicaire de l'Allée des Embrumes pour qui il travaillait à temps partiel histoire de continuer à pouvoir payer sa chambre.
Rien ne se déroulait comme si le souhaitait. Lily s'éloignait toujours un peu plus. Elle préférait risquer la mort en restant avec Potter plutôt que choisir la sécurité auprès de lui.
— Eh bien, regardez qui voilà ! s'exclama soudain une voix familière.
Severus releva la tête. Gertie Bulstrode se tenait devant lui.
Il ne manquait plus que ça...
— Tu as une mine affreuse, Severus. Depuis quand fais-tu office de pilier de bar ? L'alcool va finir par te vieillir prématurément.
— Comment sais-tu que... commença-t-il avant de s'interrompre.
— Pas grâce à la Legilimancie, en tout cas, répondit Gertie avec un sourire narquois. Je constate que tu es devenu très bon Occlumens. Encore meilleur qu'à Poudlard.
Severus comprit qu'elle l'avait sans doute déjà vu ici un autre soir. Elle tira une chaise et s'installa face à lui sans y être invitée.
— Tu travailles toujours pour mon oncle ? demanda-t-elle.
— Ton oncle ?
— Barnaby.
— C'est ton oncle ?
Inutile de lui demander comment elle avait su qu'il travaillait pour lui, donc.
— Il s'appelle Barnaby Bulstrode. Tu aurais pu t'en douter.
À vrai dire, Severus ignorait jusque-là le nom de famille de son employeur, qui se désignait toujours lui-même sous son seul prénom.
— Tu te souviens, quand je te disais que Slughorn revendait les potions parfaitement préparées de ses meilleurs élèves sous le manteau ? Eh bien, c'est à mon oncle, qu'il les revend.
Severus ne répondit pas. Il n'avait aucune intention de faire la causette avec Gertie Bullstrode.
— J'ai entendu de drôles de rumeurs, reprit-elle sans se laisser démonter par son manque de réaction. Apparemment, des Mangemorts auraient un peu malmené une petite rouquine, ici même, il a quelque temps.
Toujours aucune réponse.
— Ça va finir par se voir, tu sais. Ou vas-tu prétendre que c'est un simple hasard, si tu t'es mis à fréquenter ce charmant établissement ? Tu fais ça pour te punir. Parce qu'elle a été torturée ici.
Cette fois, Severus ne put s'empêcher de tiquer. Gertie avait toujours eu la très désagréable manie d'être particulièrement observatrice et perspicace.
— Qu'est-ce que tu veux dire, par « ça va finir par se voir » ? demanda-t-il, agacé.
— Que tu es toujours obsédé par elle. Le côté pathétique de toute cette situation mis à part, cela risque aussi de devenir périlleux. Je te l'ai déjà dit. Il finira par comprendre. Et par utiliser cette information à son avantage.
Malheureusement, Gertie avait raison. Le Maître n'était pas dupe : il savait que Severus, malgré son apparente indifférence, était toujours attiré par Lily. Et si Severus ne montrait pas bientôt la preuve qu'il était passé à autre chose, cela deviendrait dangereux, pour lui comme pour elle.
Il contempla le fond de son verre et se fit soudain la remarque qu'en ce moment même, il devait beaucoup ressembler à son père. Il repoussa alors son verre d'un geste brusque et, d'un regard, invita Gertie à continuer. Il savait qu'elle n'était pas venue lui parler sans idée derrière la tête. Gertie lui adressa un petit sourire complaisant.
— Qu'est-ce que tu veux ? lui demanda Severus.
— Te faire une simple proposition. Pour la faire courte : tu as désespérément besoin d'une couverture. Quelqu'un qui se fera passer pour ta petite-amie.
— Et ce quelqu'un, c'est toi ? ironisa Severus.
— Tu en vois beaucoup d'autres qui se bousculent au portillon ? rétorqua Gertie. Et puis, tu oublies une chose : je suis une très bonne Occlumens, moi aussi. Je pourrais être une bonne alliée. Tout ce que j'exige en échange, c'est de jouer le jeu un minimum. Je ne veux pas te forcer à m'embrasser ou quoi que ce soit ; tout ce que je te demande, c'est de passer du temps avec moi.
— Et c'est moi qui suis pathétique, railla Severus. Au moins, je ne quémande pas de la compagnie.
— Inutile de prétendre que ta solitude ne te bouffe pas autant la vie que la mienne, répliqua vertement Gertie.
Elle sut aussitôt qu'elle avait touché un point sensible. Severus avait toujours haï son sentiment de solitude. Lily avait été la lumière qui avait éclairé son enfance. Et depuis qu'elle ne faisait plus partie de sa vie... Il s'était raccroché à son désir de devenir quelqu'un d'important, à sa place chez les Mangemorts, mais sans Lily, la vie n'avait ni la même saveur, ni les mêmes couleurs. Il aurait tant voulu qu'elle l'accompagne sur le chemin de la grandeur... Tant voulu de ne pas avoir eu à faire un choix entre elle et son destin chez les Mangemorts...
— Je ne suis pas désespéré à ce point, répliqua Severus.
— Comme tu voudras, répondit Gertie en se levant. N'hésite pas à me contacter quand tu changeras d'avis.
Et, sur ces entrefaites, elle quitta le pub.
***
Barty ne fut pas formellement intronisé chez les Mangemorts. Voldemort voulait garder cet atout dans sa manche, et personne hormis Regulus ne sut qu'il faisait désormais partie de ses fidèles. Pour des raisons de discrétion, Barty ne reçut pas la Marque, mais le Lord lui promis qu'il la lui donnerait dès qu'il ne serait plus en permanence sous le nez d'Albus Dumbledore.
Voldemort semblait de meilleure humeur depuis que Dolohov, Yaxley, Macnair et Travers étaient parvenus à assassiner une de leurs cibles, Amanda Porter. Bellatrix, Rodolphus et Rabastan étaient revenus dans ses bonnes grâces suite à cet évènement. En effet, la torture de Lily Evans semblait avoir eu des effets positifs. Travers, qui jouait les espions sous déguisement au Chaudron Baveur pour garder un œil sur Amanda Porter, avait perçu quelque chose d'étrange dans l'interaction entre Tom et une jeune femme qui lui avait déclaré attendre une amie, alors qu'elle avait été rejointe par un homme nerveux, qui semblait rendre la femme nerveuse elle aussi. Travers avait compris qu'il s'agissait des membres de l'Ordre responsables de la protection de Porter et qu'il y avait peut-être une faille dans leur organisation. Une faille à exploiter. Travers avait discrètement quitté le pub par l'accès moldu avant de prévenir ses comparses, qui avaient alors monté une petite embuscade. Quelques jours plus tard, un de leurs espions au Ministère de la Magie avait surpris une conversation entre Alice et Frank Londubat, deux Aurors membres de l'Ordre, qui avaient évoqué l'histoire en révélant que c'était l'absence inopinée de Lily Evans qui avait fait dérailler leur mission de protection. Les deux Aurors ne la blâmaient pas, toutefois, mettant en cause l'état fragile dans lequel elle se trouvait depuis sa torture. D'après eux, elle avait décidé de se retirer de l'Ordre.
Maintenant que Regulus avait quitté Poudlard, ce n'était plus qu'une question de temps avant que Voldemort lui confie une mission d'assassinat du même acabit. Il devait donc agir vite.
Il avait planifié avec soin les étapes de sa mission. S'il sortait vivant de la caverne, alors il devrait disparaître. Il emmènerait Kreattur avec lui, et, tous les deux, ils essaieraient de détruire l'Horcruxe. Voldemort, qui n'avait aucune idée que Kreattur avait survécu et que quelqu'un avait découvert son secret, ignorerait la véritable raison de sa disparition. Il penserait sûrement qu'il avait simplement déserté par peur, et après leur dernière dispute dans la Bibliothèque Noire, Barty lui confirmerait cette théorie. Voldemort ne songerait même pas à aller vérifier si le médaillon de Serpentard était toujours dans la caverne.
Regulus ne pourrait pas faire ses adieux à Barty. Pas de la bonne manière, en tout cas. Jamais il ne pourrait lui dire la vérité. Il s'autorisa toutefois à le revoir une dernière fois, par une chaude après-midi, où ils s'isolèrent dans une clairière ensoleillée au milieu d'une forêt pour lézarder sur l'herbe. Lorsque Regulus embrassa Barty pour la dernière fois avant que leurs chemins se séparent à jamais, quelque chose dans ce baiser sembla intriguer Barty.
— C'était pour quoi, ça ? demanda-t-il.
Il avait du sentir un goût d'adieu sur sa langue, un goût de regret sur ses lèvres.
— Pour rien, répondit simplement Regulus.
Il lui caressa la joue, observa tout son saoul ce visage d'ange. Bientôt, il devrait tuer. Prouver qu'il avait sa place chez les Mangemorts.
Mais Regulus ne serait pas là pour le voir.
Dès le lendemain, il s'embarqua sur un bateau qui longea la côte de falaises vives où se trouvait la caverne. Il était impossible d'accoster, mais cela lui permit de visualiser l'endroit où il pouvait transplaner.
Il appela ensuite Kreattur. L'elfe semblait terrorisé à l'idée de retourner dans cet endroit, mais Regulus avait besoin de son aide. Il rassura l'elfe en lui promettant qu'il n'avait aucune intention de lui faire à nouveau boire la potion.
Grâce à Kreattur, Regulus savait que la caverne s'ouvrait au prix du sang et qu'il fallait prendre une embarcation fantomatique pour traverser le lac et rejoindre l'île en son centre, mais il savait également quelque chose que Voldemort semblait ignorer : grâce à son elfe de maison, Regulus pouvait directement transplaner sur l'île.
Lorsqu'ils y atterrirent, Regulus eu d'abord peur qu'une sorte d'alarme allait se déclencher, que les Inferis qui dormaient au fond du lac se réveilleraient, mais il n'en fut rien. Tout resta sombre et silencieux. Regulus alluma sa baguette et la projeta vers le bassin rempli de potion couleur vert émeraude phosphorescent. Il déglutit avec difficulté, conscient de ce qui l'attendait. Il s'était renseigné sur cette potion, s'appuyant sur la description que Kreattur en avait faite. Elle s'appelait la Boisson du Désespoir. Elle affaiblissait sa victime, lui donnait hallucinations et cauchemars éveillés, causait douleur et soif intense, comme si la victime venait de passer deux jours dans le désert sans eau. Regulus sortit deux objets de sa poche. Tout d'abord, une bouteille contenant un liquide phosphorescent identique à celui du bassin, qu'il avait dénichée sur le marché noir de l'Allée des Embrumes. Une fois qu'il aurait bu la potion, il devrait à nouveau remplir le bassin pour que Voldemort ne se doute de rien quand lui prendrait l'envie de venir vérifier si son Horcruxe était toujours là. Le deuxième objet était une réplique du médaillon de Serpentard. Il l'ouvrit et déplia la note qu'il avait glissée à l'intérieur pour la relire une dernière fois.
Au Seigneur des Ténèbres,
Je sais que je ne serai plus de ce monde
bien avant que vous ne lisiez ceci
mais je veux que vous sachiez que c'est moi
qui ai découvert votre secret.
J'ai volé le véritable Horcruxe
et j'ai l'intention de le détruire dès que je le pourrai.
J'affronte la mort dans l'espoir
que lorsque vous rencontrerez un adversaire de votre taille,
vous serez redevenu mortel.
R.A.B.
Voldemort finirait par rendre visite à son Horcruxe. Il ne vérifierait peut-être pas toutes ses défenses tout de suite, mais un jour, il viderait à nouveau le bassin, examinerait le médaillon. Regulus en était persuadé, même s'il serait sûrement mort d'ici là, peut-être même de vieillesse. Ce message était sa façon à lui de prouver qu'il s'était rebellé, qu'il n'avait pas disparu par peur. Détruire l'Horcruxe lui prendrait peut-être toute une vie, et il ne serait sans doute pas celui qui causerait à terme la chute de Voldemort, mais il laisserait derrière lui un héritage.
Regulus replia la note, la replaça à l'intérieur du faux médaillon puis confia les deux objets à Kreattur.
— Souviens-toi, lui rappela-t-il. Quand j'aurai fini de boire la potion, tu dois en priorité échanger les médaillons et vider cette bouteille dans le bassin, peu importe ce qu'il m'arrive pendant ce temps.
Kreattur émit une plainte piteuse.
— Je sais, soupira Regulus. Je t'en demande beaucoup. Mais c'est un ordre. L'Horcruxe a la priorité sur ma vie. Si jamais je ne m'en sors pas, tu devras m'abandonner, sauver ta propre peau et tout faire pour réussir à le détruire. Tu ne pourras raconter à personne ce qu'il s'est passé, y compris à Père et Mère, ni leur parler de l'Horcruxe.
Regulus contempla le bassin.
— Tu devras aussi me forcer à boire toute la potion, même si je t'ordonne d'arrêter. Tant que je n'ai pas fini de la boire, tu ne suis plus mes ordres.
Kreattur acquiesça, ses oreilles retombant tristement sur son crâne. Regulus agita sa baguette. Un gobelet se matérialisa dans sa main.
Il se demandait ce qu'il allait voir. Ce qu'il allait ressentir. La peur s'insinua en lui comme un poison.
— C'est parti, soupira à nouveau Regulus en plongeant le gobelet dans le bassin.
Il remplit le gobelet à ras-bord, le porta à ses lèvres avec un léger tremblement et avala son contenu cul-sec. Aussitôt, il sentit la peur qu'il avait ressenti quelques secondes plus tôt se décupler. Il ferma les yeux. Des souvenirs plus vrais que nature lui envahissaient l'esprit. Il revoyait sa mère, en rage, hurler sur un Sirius âgé de dix ans. Il l'avait encore provoquée et elle le traitait de honte de la famille, de bon à rien. Elle lui flanqua une gifle monumentale qui fit tressaillir Regulus, caché derrière une porte...
La caverne réapparut dans son champ de vision. Il agrippa le bassin de ses deux mains à s'en faire blanchir les jointures.
— Maître ? croassa Kreattur.
Pour toute réponse, Regulus plongea à nouveau le gobelet dans le bassin. Il savait qu'il valait mieux en finir au plus vite.
Les souvenirs affluèrent à nouveau.
— Tu sais quelque chose, l'accusa sa mère d'un ton sifflant.
Regulus eut la mauvaise idée d'éviter son regard.
— Regulus... susurra sa mère. Mon fils chéri... tu ne veux pas devenir comme lui, n'est-ce pas ? Tu es la fierté de la famille.
Elle lui caressa la joue, enfonçant presque imperceptiblement ses ongles dans sa peau. Même à quinze ans, il craignait encore ses terribles crises de rage, celles qu'elle destinait à Sirius, mais qui menaçaient toujours d'éclater au moindre faux pas...
— Tu ne veux pas être comme ton frère, n'est-ce pas ?
Regulus hocha la tête de droite à gauche.
— Alors dis-moi ce que tu sais, insista-t-elle. Que fait-il ? Il ne va pas seulement voir ce Potter, n'est-ce pas ?
— Il a... un ami, avoua Regulus. Un ami moldu.
Regulus put voir la rage brûler dans les yeux de sa mère. Elle le relâcha soudain, laissant la marque de ses doigts effilés sur sa joue. Regulus ne put s'empêcher de s'en vouloir à l'idée d'avoir trahi son frère. Mais elle se doutait déjà de quelque chose. Il devait lui révéler un morceau, une partie du secret de son frère. Pas tout, bien sûr. Il ne voulait pas qu'elle le tue en apprenant que ce garçon moldu n'était pas juste un ami. Il ne voulait qu'elle le soupçonne d'être lui aussi attiré par les garçons. Il ne voulait subir ni sa déception, ni sa colère. Il voulait être le bon fils. Devait être le bon fils.
II but un troisième gobelet.
— UN MOLDU ! hurla Walburga Black. MA CHAIR, MON SANG, QUI FRÉQUENTE UN MOLDU ! IL N'Y A PLUS RIEN À TIRER DE TOI !
— QU'EST-CE QUE TU VAS FAIRE, HEIN ? hurla Sirius en retour. TU NE PEUX PLUS VRAIMENT ME FRAPPER EN ESPÉRANT QUE ÇA ME FERA MIRACULEUSEMENT REVENIR SUR LE DROIT CHEMIN, PAS VRAI ? JE NE CHANGERAI JAMAIS ! JE NE SERAI JAMAIS COMME VOUS !
— ALORS QUITTE CETTE MAISON ! TU N'ES PLUS CHEZ TOI, ICI !
— PARFAIT !
Sirius jeta un dernier regard à sa mère, échevelée à force de crier, à son père qui se tenait légèrement en retrait derrière elle, silencieux mais tout aussi furieux, et enfin à Regulus. Un regard brûlant de haine qui le fit presque reculer. Sirius savait qu'il l'avait trahi.
Sirius fit volte-face et disparut. Donnant libre court à sa rage, Walburga Black se tourna vers la tapisserie et pointa sa baguette sur le nom de Sirius, qu'elle brûla jusqu'à ce qu'il disparaisse, comme celui d'Andromeda.
Encore une personne rayée de la famille.
Sirius était parti.
Et désormais, Regulus était seul.
Si seul...
Regulus s'affaissa au pied du bassin. La voix de Kreattur s'éleva, lointaine.
— Il faut continuer à boire, Maître...
Regulus lâcha un grognement, mais accepta le gobelet que l'elfe lui présentait.
Les partisans du Lord étaient réunis autour de la grande table. Bellatrix, qui manquait à l'appel, apparut soudain alors que les portes s'ouvraient à la volée, l'air extatique. Derrière elles se tenaient deux Mangemorts qui tenaient un homme enchaîné. Regulus s'efforçait de ne pas trembler. Il savait ce qui allait se passer. Sa Marque, encore fraîche, le brûlait.
— Et voilà, Maître, susurra Bellatrix.
— Excellent, fit Voldemort d'un ton satisfait.
Les deux Mangemorts firent avancer le prisonnier dans la salle puis le lâchèrent. Il s'affaissa lourdement par terre, trop faible pour tenir debout par ses propres moyens. Ses longs cheveux noirs lui conféraient un étrange air de ressemblance avec Sirius. Regulus se demanda si le Lord ne l'avait pas fait exprès. Il ignorait qui était cet homme. Peut-être avait-il simplement été désigné comme victime à cause de la ressemblance en question.
— Regulus ? lui intima Voldemort.
Regulus se leva. Il savait ce qu'il avait à faire. Cela faisait entièrement partie de son initiation.
Il pointa sa baguette sur cet homme qu'il ne connaissait pas. Ce dernier rassembla ses dernières forces pour relever la tête et vrilla son regard terrorisé sur Regulus. Il ne ressemblait pas tant que ça à Sirius.
— Avada Kedavra.
Regulus sentit le gobelet pressé contre ses lèvres.
— Non... non... je ne veux plus...
— Vous devez continuer à boire, Maître Regulus...
Il ouvrit les lèvres, avala péniblement la potion.
Il se trouvait désormais dans une ruelle sombre, battue par la pluie. Une forme sombre était à genoux sur le pavé. Bellatrix tenait la silhouette en respect.
— C'est à toi de le faire, Regulus. Tue-le. Ou c'est moi qui le ferai.
Cette fois, c'était bel et bien Sirius, qui levait vers lui un regard implorant.
— Non, murmura Regulus.
Était-ce un souvenir ? Il ne savait plus...
— Tu ne peux pas le laisser s'en sortir comme ça, poursuivit Bellatrix. Pas après ce qu'il a fait...
Elle jeta un regard vers quelque chose qui se trouvait derrière Regulus. Ce dernier se tourna lentement. Un corps se trouvait là. Un corps aux cheveux blond paille et aux yeux vacants.
— NON ! hurla Regulus.
La douleur et la rage le submergèrent. Il ne voulait pas être ici. Il voulait que tout s'arrête.
Soudain, il revint à la réalité. Une soif dévorante lui asséchait la gorge.
— C'est fini, Maître, gémissait Kreattur. C'est fini.
Regulus se passa une main sur le visage et s'aperçut que ses joues étaient mouillées. Il avait pleuré.
— Soif, articula-t-il piteusement.
— Kreattur va échanger les médaillons et remplir le bassin, puis il ramènera le Maître à la maison.
L'elfe se mit au travail, lui tournant le dos.
Regulus savait qu'il ne devait pas toucher à l'eau du lac, ou il prendrait le risque d'attirer les Inferis. Mais il avait soif... Si soif... Sa bouche était desséchée, sa gorge le brûlait... Il ne pouvait plus attendre.
Il rampa vers l'eau et y plongea ses mains jointes en coupe.
— NON ! s'écria Kreattur.
Trop tard. Des mains putrides jaillirent de l'eau noire, attrapant Regulus par les poignets, par le cou. Trop faible pour lutter, Regulus ne put empêcher les Inferis de l'emporter vers le fond. Dans l'eau, il tenta d'attraper sa baguette coincée dans sa poche. Il savait comment repousser les Inferis. Le feu. Il devait utiliser le feu. Il existait un sort qui pouvait projeter des flammes brûlantes même sous l'eau, il le connaissait...
Mais les mains mortes lui arrachèrent ses vêtements et sa baguette lui échappa. Il voulut hurler. L'eau pénétra dans ses poumons.
Il avait ordonné à Kreattur de remplir sa mission peu importe ce qui lui arrivait pendant ce temps-là. L'elfe ne lui serait d'aucune aide.
Il ne s'en sortirait pas vivant, finalement.
Il ferma les yeux.
Il vit une clairière au milieu d'une forêt.
Un rayon de soleil qui se reflétait sur des cheveux blond paille.
Un visage d'ange qui lui souriait.
Et puis plus rien.
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