Chapitre 7 : Quand s'éteignent les étoiles (partie 4)
Elerinna émergea du sommeil les paupières encore lourdes. Elle eut un instant de panique en s'apercevant qu'elle ne pouvait pas se lever, mais elle était simplement enroulée dans une couverture. Une respiration profonde dans son dos lui rappela qu'elle n'avait pas fuit toute seule. Elle se retourna pour découvrir le visage de Debra à la lumière du jour. Elle paraissait plus jeune que l'enfant ne l'avait pensé, bien qu'elle n'avait pas l'habitude d'évaluer l'âge des gens, elle aurait donné à sa sauveuse l'âge de sa mère. Hors la jeune femme assoupie devait être deux fois plus jeune que Linaëlle.
Son agitation réveilla Debra qui ouvrit aussitôt les yeux. Elle marqua un temps de surprise en découvrant le petit visage d'Elerinna aussi proche du sien avant de lui adresser un petit sourire.
– Ça va, petit chou ?
– Je sais pas, j'ai l'impression d'être encore fatiguée...
– C'est plutôt normal ça, il te faudra un moment pour récupérer. Malheureusement il faut qu'on se remette en route, on risque d'être poursuivies très vite.
La jeune femme se leva et l'enfant s'aperçut qu'elle avait dormi à même le sol.
– Tu n'as pas eu froid ? demanda-t-elle.
– J'ai l'habitude, tu sais, j'en ai vu d'autres, la rassura sa nouvelle amie.
Elle s'éloigna de quelques pas avant de pivoter sur ses talons.
– Tu peux manger quelque chose de... enfin... des aliments normaux ? s'inquiéta-t-elle.
– Je crois que oui... ils m'ont donné quelque chose à ... manger ?
– De quoi tu te nourrissais, là-haut ? tenta Debra.
– Bah... Je me baignais dans un lac quand j'avais besoin d'énergie. Sinon je buvais l'eau du lac.
– Ah... Bon si tu as mangé l'espèce de vieux pain sec qu'ils nous donnaient, je suppose que tu peux manger du gramich.
– Du quoi ?
– Tu... bien sûr que non, tu ne sais pas ce que c'est. C'est un genre de... ration de voyage, ça se consomme froid ou chaud. Ce n'est pas le meilleur plat du monde mais c'est nourrissant.
Tout en lui donnant ces explications, elle avait fouillé dans ses sacoches et sorti un étrange objet. Elle défit un noeud, déballa un pavé coloré et en coupa deux morceaux, dont un qu'elle tendit à la petite fille qui s'était approchée.
– Tiens, prends. C'est toi qui est censée le manger, pas l'inverse, rit-elle en voyant la mimique méfiante d'Elerinna.
La petite Déesse examina le morceau sous tous les angles, comme elle l'aurait fait pour un problème magique.
– Tu ne sais pas faire ça non plus, hein... soupira Debra, amusée.
Elle prit sa propre part et croqua dedans à belles dents. Elerinna l'imita prudemment. Elle mastiqua le gramich malgré la sensation bizarre de sa bouche avant d'avaler.
– C'est... ça fait un truc dans ma bouche, sur ma langue...
La jeune femme pencha la tête avant de glousser.
– J'imagine que si tu n'as jamais rien mangé, tu ne connais pas le sens du goût...
– Ça faisait pas ça avec ce qu'ils m'ont donné, réfléchit Elerinna.
– Évidemment, tous les aliments sont différents... Je ne sais même pas comment je pourrais t'expliquer ça... Sache juste que beaucoup de choses, voir toutes, sont meilleures que le pain sec.
La petite Déesse la crût sans difficulté et pris une nouvelle bouchée. Elle n'avait aucune idée de ce qu'elle avalait, mais cela apaisait la douleur dans son ventre. Rien que pour ça, c'était agréable.
Elle dormait quand Debra s'était arrêtée pour dormir dans un bosquet où glougloutait un ruisseau. Le cheval patientait un peu plus loin, les oreilles pointées dans leur direction. La petite fille n'avait jamais vu d'animaux. Ceux qu'elle connaissait provenaient des souvenirs de ses mères. Au-dessus de sa tête, deux oiseaux se disputaient le creux d'un arbre. Même eux lui étaient inconnus. Elle toucha le tronc du plus proche, intriguée par les sensations que lui transmettaient ses doigts. Les plantes à ses pieds l'intriguait aussi. Depuis son arrivée sur Arkholis, la peur l'avait empêchée de s'attarder sur ces détails.
Sans s'en apercevoir, elle avait englouti sa part de gramich. Perdue dans son exploration, elle sursauta quand sa nouvelle amie posa une main sur son épaule et lui tendit une chope remplie d'eau.
– Elle n'est pas magique, mais si tu manges, je suppose que tu dois aussi boire.
L'enfant prit le récipient et le porta à ses lèvres. Cela, elle savait le faire. Le liquide froid coula dans sa gorge et la surprit, mais la sensation resta agréable et elle vida sa chope.
– Je peux en avoir encore ? réclama-t-elle.
– Le ruisseau est juste là, lui indiqua la jeune femme. Je vais seller Rouf et nous partirons.
La phrase déstabilisa la petite Déesse quelques secondes avant qu'elle comprenne que Debra attendait qu'elle se serve elle-même. Elle s'accroupit et s'offrit une nouvelle rasade d'eau.
Avec quelques heures de sommeil et l'estomac rempli, la curiosité de la petite fille revint à l'assaut. Assise sur la selle, devant Debra, elle observait le paysage et lui posait des dizaines de questions auxquelles elle essayait de répondre de son mieux. Certaines étonnaient la jeune femme, d'autres la prenaient vraiment au dépourvu. Elerinna pouvait en effet passer d'un sujet à l'autre sans difficultés et recouper avec ses connaissances pour aboutir à des réflexions qui échappaient totalement à l'humaine.
La route quitta les collines boisées qu'elle traversait pour descendre dans une plaine. La journée avança et les deux voyageuses firent une pause pour laisser Rouf boire dans un point d'eau et se restaurer elles-mêmes.
La nuit tombait quand Debra décida de s'arrêter dans un creux de terrain. Impossible de faire du feu, aussi elles se contentèrent de gramich et burent l'eau recueillie dans les gourdes au matin.
S'ensuivit une expérience fort désagréable pour Elerinna, qui découvrit qu'une partie des aliments qui rentraient dans son corps devait aussi en ressortir. Heureusement, sa nouvelle amie avait vite compris l'étendue de l'ignorance de la petite fille et l'avait prévenue plus tôt dans la journée de ce qu'il se passerait.
La fatigue rattrapa la petite Déesse qui se laissa emballer dans une couverture sans protester. La jeune femme la hissa en selle et monta derrière elle, décidée à parcourir encore quelques kilomètres avant de s'arrêter.
– Debra, pourquoi tu veux continuer ? souffla Elerinna, les paupières lourdes.
– Parce que les esclavagistes sont certainement à nos trousses et que la plaine n'offre aucune cachette. De plus, il faut que nous continuions jusqu'à l'Arfydel pour passer la frontière et être hors de leur territoire de chasse.
– Larfydel ?
– Arfydel, corrigea l'humaine. C'est un fleuve, le plus grand du continent, certains disent même que c'est le plus grand du monde. Les trois seuls ponts qui permettent de le traverser sont l'œuvre des elfes, à l'époque où ils vivaient encore sous le ciel. On est à encore deux bons jours de voyage de celui du centre.
– Ce n'est pas le plus grand du monde. Le plus grand c'est l'Oraclion, marmonna la petite Déesse.
– Je ne le connais pas.
– C'est normal, nous ne sommes pas sur le bon continent, soupira l'enfant à un cheveu de s'endormir.
Ses notions de géographie lui revinrent et elle situa approximativement leur position.
– Maintenant je sais où on est... Ma maman est très loin.
– Tu ne saurais pas si il y a un monastère ou un sanctuaire quelconque dans la région ? Les religieux pourraient t'aider, la détourna Debra.
Avec un effort pour rester éveillée, Elerinna essaya de se remémorer les cours que sa mère divine lui avait donné. Se réfugier auprès des serviteurs des Dieux pouvait être risqué, surtout s'ils priaient ses oncles, mais dans un lieu consacré, ses pouvoirs amplifiés lui permettraient probablement de trouver l'esprit de Linaëlle et de la prévenir.
L'enfant réfléchit un moment et l'information qui lui revint à l'esprit la rassura. Elle s'empressa de dire à Debra :
– De l'autre côté du fleuve, il faut descendre là où la Fimarsys le rejoint. Il y a un sanctuaire là-bas, consacré à ma mère.
– Presque dix jours de voyage depuis le pont... Il faudra acheter des provisions et de quoi t'habiller à Pied-dans-l'eau.
– C'est une... ville ? interrogea la petite fille.
– C'en est une sans l'être. Pied-dans-l'eau est à la fois une foire, une ville, une destination et un nouveau départ. C'est le dernier relais de la civilisation avant les terres sauvages, où nous sommes, et une étape importante pour les marchands qui parcourent le fleuve.
– Hm...
À nouveau, la petite Déesse venait de s'endormir dans ses bras. Debra sentit un sourire étirer ses lèvres. Les doutes qu'elle pouvait encore avoir sur l'identité de sa protégé se dissipaient à grands coups d'affirmation enfantine. Le fleuve n'était qu'un des nombreux exemples auxquels elle avait eu droit aujourd'hui. Les connaissances théoriques d'Elerinna ne cessaient de l'impressionner. Pour la pratique, en revanche, elle devait tout apprendre, de la nécessité de manger régulièrement à celle de ne pas marcher pieds nus sur des roches coupantes. Un esprit sage avec une âme d'enfant, voilà ce qu'elle était.
La jeune femme baissa les yeux sur la petite endormie. Ses cheveux blancs semblaient luire à la lueur de la Lune. Il faudrait qu'elle les dissimule une fois arrivés à Pied-dans-l'eau. Cette teinte rappelait trop les chevelures des elfes pour être discrète. Pire encore, elle risquait d'attirer sur elles des poursuivants supplémentaires.
Debra leva les yeux vers le ciel. Elle avait encore plusieurs heures devant elle avant de devoir s'arrêter pour se reposer. Il fallait à tout pris qu'elles conservent leur avance, qui, la jeune femme le savait, était très insuffisante pour leur permettre d'effectuer tout le voyage en sécurité. Tôt ou tard, les Enfants de la Lune perdraient patience et déclencheraient la véritable course poursuite.
Néanmoins, ils se montrèrent plus conciliants que ne l'espérait la cavalière. L'Arfydel fut franchi sans encombre, en fin de journée, deux jours plus tard. Après avoir longuement admiré le pont elfique et attaché puis dissimulé les cheveux de la petite Déesse sous la capuche d'une cape de pluie, Debra leur offrit, contre quelques pièces d'argent, une chambre, un bain et un vrai repas dans une des nombreuses auberges du lieu.
Pied-dans-l'eau avait plutôt effrayé la petite fille, habituée au calme permanent. Beaucoup trop de personnes, d'animaux, de bruits, de choses à observer, qui saturaient ses sens magiques et ceux ordinaires, mais démultipliés depuis sa chute. Le bain et le repas lui plurent beaucoup plus. Barboter dans l'eau chaude et se débarrasser de la crasse accumulée lui fit le plus grand bien. Les vêtements tout neufs achetés par sa protectrice reposait sur une chaise, ils attendraient le lendemain.
Pour l'instant, assise sur au bord du lit, Elerinna démêlait sa chevelure en observant Debra du coin de l'œil. La jeune femme finissait de se laver dans la grande bassine dont l'eau avait pris une teinte brunâtre.
– Alors, tu valides l'expérience ? lui demanda-t-elle en attrapant une serviette pour essorer ses cheveux.
– Je crois que je vais beaucoup aimer prendre des bains, s'extasia la petite fille. Et manger a l'air d'être vraiment intéressant ! Il y a tellement de choses différentes à gouter !
Debra rit, s'emballa dans un grand drap de bain et s'installa près d'elle. Ses cheveux courts, déjà presque secs, tombaient juste au-dessus de ses épaules en ondulations brunes. Elles échangèrent un regard complice et la petite Déesse abandonna son peigne pour se réfugier dans les bras de sa protectrice.
– Bah alors, petit chou ? s'inquiéta la jeune femme.
– J'ai tellement de chance de t'avoir trouvée... souffla l'enfant. Je ne sais pas comment j'aurais fait sans toi... Je sais des tas de choses sur ce monde mais ça ne sert pas à grand-chose. Je ne peux même pas contacter ma maman pour lui dire où je suis.
Debra referma les bras sur elle et la berça doucement. Ses changements d'humeur la prenait souvent au dépourvu, mais elle devinait la raison de celui-ci. En entrant dans la ville, la petite Déesse avait découvert les marchands d'esclaves qui montraient leurs marchandises et le cadavre d'un mendiant abandonné dans la boue. La jeune femme avait réagi trop tard pour lui épargner cette vision et avait répondu de son mieux aux inévitables questions qui en avaient découlées.
– Eh... Tout va bien, petit chou, l'apaisa-t-elle. C'est inutile de s'inquiéter pour des faits qui n'auront jamais lieu. Je suis là et je veille sur toi, tu n'as rien à craindre.
Elerinna frotta son visage contre son épaule et se pelotonna contre elle. La sérénité de sa protectrice contribuait beaucoup à calmer ses peurs. Elle se rendait à peine compte qu'elle puisait dans l'aura de la jeune femme pour se rassurer, cherchait spontanément le contact physique auquel elle était habitué depuis sa naissance. Ses mères lui manquaient, elles n'avaient jamais été séparées si longtemps. Surtout, ce monde qu'elle avait rêvé de découvrir se révélait bien plus cruel que celui qu'elles lui avaient conté.
– C'est tellement différent de ce que je sais... formula la petite Déesse à haute voix.
– Je pense que l'éducation d'une Déesse et celle d'une humaine sont très différentes. Tes mamans ne s'attendaient sûrement pas à ce que tu explores Arkholis de cette façon, ni aussi tôt, supposa Debra.
– Je crois que tu as raison... Mais, est-ce qu'elles m'auraient montré les mauvaises facettes telles qu'elles sont et que je les vois maintenant ?
– Ça, je ne sais pas, petit chou. De ce que tu m'as raconté, ta maman humaine est issue d'une famille noble... Je suppose qu'elle ne t'aurait pas caché que la vie des gens du commun n'est pas la même que celle de la noblesse. Mais Malatir est loin d'ici, loin de l'esclavage, de la dictature de Kalar et des guerres internes incessantes. Je ne sais même pas si ta mère a une vague idée de ce qu'il se passe chez nous. Mais même la meilleure maman de la planète ne peut pas résoudre tous les problème du monde.
– C'est triste, constata l'enfant.
– C'est la vie.
La jeune femme la serra contre elle avant de l'embrasser sur le haut du crâne.
– Aller, il faut dormir maintenant, demain, il faut se lever tôt.
Blottie sous les draps, le dos collé contre la poitrine de sa protectrice, Elerinna s'endormit, emportant dans ses rêves trois silhouette ailées qui fendaient le ciel.
Plooop !
Oui, je sais, il est ENFIN LA ! Mais il est plutôt long, alors ça compense un peu. Et beaucoup trop mignon aussi. Bref ! Un peu de douceur dans ce monde de brutes, même si notre petite Déesse découvre qu'Arkholis n'est pas celui des bisounours.
Sinon, vous ça va ? Moi je suis en vacances pour une semaine, mais entre les révisions et les amis qui viennent, je ne sais pas ce que ça va donner niveau écriture XD.
Pour ceux qui s'interrogent sur l'arrivée du bonus des 50k du tome 1, il est en préparation, mais vous offrir une plongée dans ma tête demande un peu de réflexion, donc il arrivera quand il pourra ;).
Sur ce, de gros bisous à tous et à la prochaine !
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