Chapitre 6 : Murmures portés par le vent (partie 3)
– On a réussi.
– On a réussi ? répéta sa complice, atterrée.Tu plaisantes, j'espère ! On a surtout failli mourir !
– Mais cette femme... l'ignora Fahyr. La Gardienne des Dragons... Elle sait où se trouve ta Déesse et c'est elle la mère mortelle de la petite !
– Une petite plus si petite que ça d'ailleurs, souffla Cathya en basculant à côté de lui, la pluie lui faisant aussi peu d'effet qu'à lui.
– Elle est née il y a moins de deux semaines, Cath...
– Non, toutes les scènes qu'on a vu, qu'elles soient symboliques ou non, venaient du passé. Du passé, Fahyr ! s'exclama-t-elle. Et dans la vision, notre nouvelle Déesse a déjà cinq ou six ans. Elle est née bien avant que nous la percevions. Pour une raison ou une autre, elle a été soustraite à notre perception pendant des années. Qui sait si elle n'approche pas de l'âge adulte maintenant...
Le silence s'étira, la pluie acheva de tremper leurs vêtements et le Soleil de se lever tandis qu'ils réfléchissaient à ce qu'ils avaient appris. Fahyr sentait la prêtresse profondément secouée par l'expérience qu'ils venaient de vivre. Lui aussi avait craint pour son existence, mais l'ivresse de la réussite surpassait celle de la peur qu'il avait ressenti quand le courant magique les avait emportés loin de leurs corps.
– Il faut que nous prenions contact avec nos frères et sœurs de l'autre côté de l'océan, ils sauront nous renseigner sur la Porteuse du Sang, déclara soudain le prêtre.
– Facile à dire, tu sais qu'ils ont coupé tout contact avec les humains depuis des lustres, lui rappela Cathya.
– Mais si c'est une Ol'Darith, elle sera à Dopalis, raisonna-t-il. La cité comme l'abri des Dragons n'ont pas bougé, quand bien même les siècles ont filé.
– Oui mais si nous les prévenons, ils voudront savoir. Je ne sais pas si nous réussirons à nouveau cet exploit, Fahyr, c'était... terrible. À la fois enivrant et effrayant. Nous avons joué avec des forces que nous ne maîtrisons absolument pas. Je les ai sentis tourbillonner autour de nous ce soir. Tu n'as peut être pas fait attention, mais elles sont dangereuses, mortelles même. Je me demande si nous n'avons pas eu une chance exceptionnelle en revenant entier de ce voyage. D'ailleurs qui sait si nous n'allons pas déchaîner une catastrophe pour payer le prix de notre tentative...
Elle en était là de son discours quand une douleur aussi soudaine qu'intense broya la tête de son ami. Sans un mouvement, sans un cri, la souffrance le paralysa et déforma sa perception du temps. Devant ses yeux - ouvert ou clos, il l'ignorait - il vit, aussi clairement que le faîte de l'arbre un instant auparavant, une étoile filante s'écraser au sol, non loin de lui, et la colonne de fumée se dégager de l'endroit où elle était tombée.
Il monta aussitôt en selle, jeta un ordre à ses hommes et s'élança vers les volutes sombres. Il ne lui fallut que quelques minutes pour atteindre le cratère formé par l'impact.
À travers les lambeaux de fumée, il aperçut une petite silhouette tremblante. Un sourire, un geste de la main et ses hommes encerclaient leur nouvelle proie. Et celle-ci allait leur rapporter un sacré paquet.
Un long cri de consternation sorti de la poitrine de Fahyr qui se redressa et manqua de heurter sa consœur.
– Par tous les Dieux, qu'est-ce que... balbutia Cathya, tremblante.
– Tu l'as vu ? s'assura le prêtre. Enfin je veux dire, tu l'as senti, tu as...
– Je voyais par ses yeux, je pensais comme lui, confirma-t-elle.
– Quelle horreur, la petite...
– C'est elle, Fahyr, il faut la trouver ! Ils vont... Ma Déesse, nous devons la sauver avant qu'ils réalisent leurs projets !
– Facile à dire, Cath ! Aucun de nous deux n'est lié à elle, et on pourrait passer des mois à chercher un indice pour la localiser.
– Alors c'est sa mère qu'il faut trouver, réfléchit la prêtresse. C'est une Dragonne, elle pourra voyager vite et loin et elle partage avec notre nouvelle Déesse le lien le plus puissant que deux êtres vivants puissent partager.
– Viendras-tu avec moi à Dopalis et peut-être plus loin encore ? demanda très sérieusement Fahyr.
– Évidemment, quelle question ! s'offusqua sa sœur. Nous avons commencé ensemble, nous irons jusqu'au bout de cela ensemble. J'ai toujours voulu savoir à quoi ressemblait aujourd'hui le monde des humains. Et si en passant on pouvait écrire deux ou trois histoires sur nous et peut être même une chanson...
L'elfe sourit. Il avait toujours su que Cathya était au fond taillée dans le même bois que lui. Elle aspirait également à la reconnaissance des siens. En revanche, il ne l'aurait pas cru si téméraire. Personnellement, la perspective de s'aventurer au-delà du couvert des arbres l'effrayait. Néanmoins, il n'en montrerait rien.
– Il faut prévenir les autres et contacter nos frères et sœurs de l'autre côté de la mer, murmura la prêtresse, le tirant de ses pensées.
– Évidemment ! D'ailleurs, notre fratrie sera sans doute ravie de voir le petit-déjeuner prêt quand ils vont se lever, s'amusa Fahyr.
Un sourire étira les lèvres de sa complice qui écarta les mèches trempées de son visage.
– Tu es plus tendre que tu ne veux le laisser paraître, mon frère.
– Ils seront surtout bien plus enclins à nous écouter le ventre plein, ricana le prêtre.
Un rire secoua les épaules de la voyante qui se releva et l'aida à en faire de même. La pluie s'abattait toujours sur eux, même si le plus gros de l'averse leur était épargnée grâce aux branches du Daélu. Fahyr frissonna, prenant soudain conscience de ses vêtements pleins d'eau et de ses muscles douloureux. Avant d'entreprendre une quelconque action, un séchage s'imposait.
D'un pas moins léger qu'à son habitude, il redescendit du toit et se glissa par la fenêtre de sa chambre. Ses pieds laissèrent des traces humides sur le plancher tandis qu'il se rendait jusque dans la salle d'eau qu'il partageait avec les quatre autres prêtres. Il se déshabilla entièrement, essora du mieux qu'il put ses vêtements avant de les mettre à sécher sur une corde suspendue à cet effet.
Il s'empara ensuite d'un des larges draps de bain qui attendait son bon vouloir et se frictionna énergiquement de la tête au pieds. À défaut de soulager ses courbatures, il réussit tout de même à se réchauffer. Il regagna sa chambre enroulé dans le draps de bain et se dirigea vers l'armoire encastrée dans le mur. Il y trouva un caleçon propre, un pantalon bouffant serré aux chevilles et une longue tunique serrée à la taille, le tout sans teinture, couleur crème.
Ses vêtements, comme ceux de tous les membres de son peuple, étaient fabriqués à partir des longues fibres végétales d'une plante appelée filtrosa. Ce végétal parasitait les troncs des arbres qui absorbaient la magie des elfes, soit parce qu'ils poussaient à proximité d'un village, soit qu'ils servait de base à une construction quelconque. Pour préserver leurs habitations, le peuple de la forêt devait malheureusement arracher les longues tiges feuillues avant qu'elle n'envahissent les lieux de vies ou n'étouffent l'arbre.
Les feuilles, une fois écrasées et bouillies, formaient une pâte collante aux multiples usages. Les tiges, épluchées et séparées dans la longueur, devenaient de longues fibres souples et douces qui, une fois sèches, pouvaient être assemblées puis tissées pour en faire des vêtements, draps, sacs, cordes... Différentes méthodes de préparation et un peu de magie permettaient d'obtenir des textiles imperméables ou retenant la chaleur. Les parents de Fahyr fournissaient des vêtements à tout le village où il était né, le prêtre savait tout ce qu'il y avait à savoir sur les méthodes de fabrication.
Aujourd'hui, ceux qu'il enfilait n'étaient plus de leurs mains, mais la jeune elfe qui leur apportaient leurs tenues neuves n'avait rien à envier à ses parents.
L'elfe noua ses cheveux d'encre encore humide en queue qui tombait entre ses omoplates. Satisfait de sa tenue, il descendit dans les pièces communes et attaqua la préparation du premier repas de la journée.
Aujourd'hui, ce serait galettes fourrées aux fruits, décida Fahyr. Mentalement, il récita les ingrédients, la farine de châtaigne, conservée dans un grand récipient en bois chanté, de l'eau fraîche, qui tombait directement de la citerne dans le grenier et des pommes sèches de l'automne dernier. Il mit les pommes à cuire dans une grande casserole avec un fond d'eau pour les ramollir, mélangea la farine et l'eau pour obtenir une pâte fluide. La grande pierre plate ensorcelée dans un coin de la pièce se mit à chauffer sur un geste de sa part et il versa sa pâte et déposa sa casserole de fruits dans un angle.
Pendant qu'il achevait sa préparation, il pensa que les réserves de farine s'amenuisaient, il faudrait penser à en troquer. Les elfes ne pratiquaient pas l'agriculture. Le jardinage, oui, ils savaient faire pousser des multitudes de fleurs et d'arbres différents. Et ils maîtrisaient depuis toujours les sorts climatiques qui leurs permettaient, s'ils le désiraient, de cultiver des espèces exotiques ou ne poussant pas dans les forêts de moyenne altitude où ils vivaient. Mais la plupart des enfants de la forêt vivaient avec les végétaux de leur habitat naturel ou éventuellement troquaient ceux qui venaient de plus loin. Car jouer avec la météo pouvait s'avérer dangereux sur le long terme.
– Ça sent bon par ici ! s'exclama la voix tonitruante de Kaöhyr, le tirant brutalement de ses pensées.
– Bonjour, mon frère, le salua Fahyr. Pourras-tu noter que la farine commence à manquer ?
– Bonjour, Farimo, oui, je suis déjà au courant ne t'inquiète pas, nous devrions recevoir bientôt des nouvelles de nos fournisseurs habituels.
Avec un hochement de tête satisfait, le prêtre d'Ulcanth jetta un œil sur les galettes qui s'entassaient dans le plat et celles qui finissaient de cuire. Il ouvrit un placard près de la pierre de cuisson, en sortit la vaisselle et mit la table.
Cathya arriva à ce moment là, deux bouteilles de jus de fruit sous le bras et un pichet de lait dans l'autre main.
– Si Péonya ne guérit pas très vite, nous n'aurons plus d'amulettes à troquer, annonça-t-elle en posant son chargement sur la table. J'ai en ai encore donné une contre le lait et le jus à l'instant.
– Du lait ? s'étonna Fahyr.
– Oui, confirma la prêtresse. À priori, un troupeau de chèvres s'est égaillé à la lisière Nord et quelques unes se sont égarées dans la forêt. D'échange en échange, elles ont fini par parvenir jusqu'au village voisin. Au grand étonnement des habitants, elles raffolent des écorces et de toutes sortes de déchets qu'ils rejettent d'habitude sous les arbres, faute de mieux. Certaines ont dû avoir des petits car elles ont le pis gonflé de lait et il faut les traire. Du coup, comme la récolte de fruits a été maigre, notre marchand m'a demandé si j'acceptais un pichet en complément. J'ai accepté.
– Ces animaux nous seraient peut-être utiles. Si nous pouvions les utiliser pour tailler les arbres et les buissons sous le Daélu... réfléchit Kaöhyr.
– Je viens de t'annoncer que nous n'avons presque plus rien de valeur à troquer et tu envisages d'investir, souffla Cathya, agacée. Et que ferons-nous quand elles n'auront plus de lait ou qu'elles voudront se reproduire ?
– Avec un peu de magie, rien n'est impossible, petite sœur, répondit Julöhyr, appuyé sur l'encadrement de la porte.
– Tu racontes des bêtises aussi grosses que toi, le rembarra Sopanya qui entrait, Péonya accrochée à son bras. Cela irai à l'encontre de tout notre mode de vie d'exploiter ainsi ces pauvres bêtes ! La seule chose à faire est de recueillir leur lait tant qu'elles en produisent encore puis de les renvoyer dans les plaines où vivent les bergers.
La prêtresse de Forgram mît fin au débat par cette simple réplique. Étant la plus âgée de la fratrie, les autres la respectaient. Elle arbitrait les conflits et distribuait les réprimandes nécessaires. Daryr et Todihyr arrivèrent peu après et s'étonnèrent de l'ambiance refroidie qui régnait. Néanmoins personne ne dit de remarque et tous mangèrent en silence jusqu'à ce que Fahyr, sur un signe de sa complice, ne prenne la parole :
– Cathya et moi allons partir pour une durée indéterminée.
Après des explications détaillées, ils attendirent le verdict de leurs frères et sœurs.
– Je savais qu'un jour vous finiriez par vous attirez des ennuis, tous les deux, commenta Sopanya. Néanmoins, vous avez raison, il faut agir vite. Je vais prendre contact avec le doyen d'Amon, mais cela ne devrait être qu'une simple formalité. Soyez prêts à partir dès que possible.
– C'est tout ? s'agaça Julöhyr. Tu vas les laisser partir comme ça ?
– Nous allons les laisser partir, le corrigea la doyenne en se levant. Que voudrais-tu faire d'autre ?
– Eh bien, je ne sais pas, souffla le mécontent, pris au dépourvu. Mais comment allons-nous faire avec une fratrie aussi réduite ? Ils ont des responsabilités ici et les terres des humains sont dangereuses et..
– Oh, épargne-nous ton discours de héros frustré et jaloux, Julöhyr, le coupa Kaöhyr. Nous savons tous, aux vues des perturbations dans l'Ether et de ce qu'ils nous ont rapporté que nous devons faire quelque chose. Cathya et Fahyr sont certainement les mieux placés pour agir du fait des visions de l'une et de la magie de l'autre.
Vexée, le prêtre de Dagmar se leva et sortit. Avec un haussement d'épaule, son opposant jeta un regard à Sopanya qui secoua doucement la tête. Les sautes d'humeur de Julöhyr n'intéressaient personne pour le moment.
– Je vais vous aider à préparer vos affaires, s'enthousiasma Daryr pour rompre le silence.
Comme s'il venait de réciter une formule, les autres se remirent à agir.
*****
– Elle est tombée, tu en es certain ?
– Assurément. En revanche, elle n'a pas franchit les portes et Vélinol non plus. Sa part humaine doit être plus importante que nous le pensions et si elle a ne serait-ce qu'une portion de sang de Dragon dans les veines...
– Cette fichue Gardienne commence sérieusement à me taper sur les nerfs ! Elle s'est mit trop de fois en travers de notre chemin. Enfin peu importe. Delthéa les croit en sécurité sur Arkholis, nous allons lui montrer à quel point elle se trompe.
Mouahaha, oui je sais vous y avez cru. Mais non toujours pas. Nos héros reviendront dans le chapitre 7, promis juré ! :)
J'espère que vous profiterez bien de ce chapitre, parce que ma rentrée sera peut être agitée et que mes dernières semaines de vacances sera bien occupée. De ce fait, je ne sais pas si vous aurez beaucoup de publications les prochaines semaines, mais comme celui-ci était prêt, je n'ai pas eu le cœur de le garder pour la semaine prochaine.
Sur ce, je vous fais de gros bisous à tous et à la prochaine :).
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