Chapitre 4 : Échos du chaos (partie 1)
Propre et frais après sa séance de sport, Kalum se dirigea vers les cuisines avec l'intention de prendre son petit déjeuner. Le brouhaha inhabituel à cette heure matinale l'informa que quelque chose ne tournait pas rond. En pénétrant dans la grande pièce, il fut surpris de découvrir toute une délégation de membres du clergé en train de se restaurer. Il réussit malgré tout à passer inaperçu et à se glisser jusqu'aux fours d'où l'on sortait plusieurs fournée de pâtissseries.
– Monsieur, le salua une des cuisinières en l'apercevant.
L'adolescent la reconnut aussitôt. Tamara était la fille ainée du capitaine de la garde royale, mais aussi celle d'Émily, qui avait servi Linaëlle, des années auparavant. Dans la vingtaine, elle avait hérité de la chevelure flamboyante de sa mère mais ne travaillait au palais que depuis peu, suite à la promotion de son père et au retour de sa famille à Dopalis. La jeune femme l'ignorait, mais la Porteuse du Sang gardait un œil sur elle et lui réservait un rôle autrement plus important que celui de marmiton.
– Que font là tous ces ecclésiastiques, Tamara ? l'interrogea Kalum.
– Paraît qu'ils veulent voir votre oncle de toute urgence, mais pour l'instant, ils sont surtout en train d'engloutir son petit déjeuner, s'amusa la jeune femme.
Le jeune garçon vit que le fait qu'il la reconnaisse, et mieux encore, qu'il l'appelle par son prénom lui faisait plaisir.
– Tu n'aurais pas réussi à sauver quelques pâtisseries pour moi ? quémanda-t-il.
– Malheureusement non, Monsieur, mais je pense que Valentine a été plus habile que moi, regardez, sourit-elle en désignant du menton quelque chose dans son dos.
Kalum pivota et adressa un franc sourire à la jeune servante qui arrivait, un panier encore plein dans les mains.
– Voilà ma sauveuse ! Valentine, c'est ça ?
La concernée vira au rouge pivoine en lui tendant sa corbeille.
– Oui, Monsieur, balbutia-t-elle. Je vous ai vu arriver et comme je sais que vous prenez votre repas tôt...
– Merci de prendre soin de mon estomac, la remercia la jeune garçon en piochant dans l'assortiment de massepains.
– De rien Monsieur, bafouilla la jeune femme avant d'exécuter une révérence et de détaler.
Voyant que Tamara s'était déjà remise au travail, Kalum se versa une tasse de lait chaud, s'empara d'une orange et se trouva un coin de table pour déguster les pâtisseries encore tièdes.
Tout en se restaurant, il tendait l'oreille pour comprendre la raison de la visite des religieux. Il n'avait pas fait très attention en entrant, mais il remarqua parmi la trentaine de personnes assemblées que certains occupaient un très haut rang au sein de leur hiérarchie, comme l'indiquait les bandes de couleur sur leurs vêtements. Il repéra l'or de Dagmar, le noir de Ulcanth, le vert de Gabrön, le bleu et le rouge de Suprak et Tillia, l'orange et le violet de Forgram et Vélinol et le blanc de Delthéa. En fait, chacun des responsables du culte des huit Dieux étaient là, accompagnés de plusieurs acolytes de moindre rang.
Malheureusement, ils échangeaient en langue ancienne, que l'adolescent ne maitrisait pas couramment. D'après ce qu'il comprit, il y avait discorde dans le monde des Dieux. Inquiet, il débarrassa sa tasse dans une grande cuve pour la vaisselle et grimpa les marches jusqu'à la chambre de la Déesse. Il marqua un temps d'arrêt en constatant qu'un verrou magique en fermait la porte. Heureusement, il posa la main sur le battant et le sort l'autorisa à entrer.
À la lueur d'une petite sphère magique, il distingua les traits assoupis de Vélinol et la lumière mauve qui émanait des runes et qui courrait désormais sur tout son corps. Il ouvrit les lourds rideaux qui masquaient les fenêtres, bien que le soleil paressait encore de l'autre côté de l'horizon, et s'assit près de la convalescente. La magie avait presque entièrement reconstruit la peau calcinée, la majorité des bandages et les attelles avait été ôtés. Hormis son crâne rasé et ses oreilles pointues, elle ressemblait à une jeune femme ordinaire.
Rassuré de constater que son état s'améliorait, il ne s'attarda pas. Il devait terminer d'étudier son livre de runes et réviser ses cours d'herbologie.
Après une matinée studieuse, il rejoignit sa famille pour déjeuner. Il remarqua aussitôt la mâchoire contractée et les sourcils froncés de son oncle et en déduit que sa rencontre avec les ecclésiastiques avait été houleuse. Quand tout le monde fut installé et les plats servis, Cassildey lança à la cantonnade :
– Y a-t-il quelqu'un qui aurait été batifolé avec une divinité ces derniers temps ?
Un silence surpris accueillit sa question avant qu'Adam ne demande :
– Pourquoi cela ?
– Je viens de passer la matinée avec les chefs du culte. En dehors du fait qu'ils semblaient prêt à se sauter à la gorge et qu'il y a donc vraisemblablement des troubles chez les Dieux, ils ont évoqué une nouvelle divinité qui possèderait un parent mortel de mon sang, enfin, de celui de Noham, exactement.
– C'est tout ce qu'ils savent ? s'étonna Linaëlle.
– À priori, la colère divine crée des blocages dans leurs cerveaux, grogna le Roi, j'ai cru qu'ils allaient s'entretuer dans la salle d'audience.
– Tu ne leur as pas parlé de Vélinol, j'espère ? s'alarma Elmira.
– J'ai soigneusement évité le sujet, mais ils savent que quelque chose est tombé il y a deux nuits et ils sont loin d'être stupide, ils finiront par faire le lien entre ce qu'ils ressentent et ce qu'il s'est produit.
– Pourquoi est-ce si important qu'ils ignorent sa présence ? demanda Joffrey. Ils sont quand même les mieux placés pour prendre soin d'elle, non ?
– Cela fait des millénaires qu'aucun Dieu n'est descendu sur Arkholis, Jof, l'éclaira Xavier. C'est comme si Cassildey se présentait à la foire de printemps sans escorte. Il serait aussitôt assailli par des centaines de personnes voulant le voir, le toucher, lui dire quelque chose... Ces gens n'auraient aucune mauvaise intention pour la plupart, mais jamais il ne pourrait prendre du temps pour chacun d'entre eux. Imagine ce qui se produirait si l'intégralité du clergé venait en pèlerinage ici pour la voir et la prier, sans parler des gens du peuple. Et je n'ai pas compté l'utilisation de la magie. Il y aurait certes, dans cette foule, des gens tout à fait respectueux mais ils ne représenteraient qu'une faible minorité.
– Effectivement, ce serait ingérable, admit son neveu.
– De plus rien ne nous garantit qu'elle sera complètement remise à son réveil, elle est quand même passé à un cheveu de nous claquer entre les mains, commenta Sollia.
– Tout ceci est bien beau mais nous nous éloignons du sujet d'origine, coupa le Roi.
– Vu qu'aucune grossesse ne s'est déclarée dans la famille récemment, et à moins que l'une d'entre vous ait une annonce à faire, je pense que nous pouvons éliminer les femmes de cette famille de la liste, réfléchit Elmira.
Il y eu échange de regard mais personne ne contredit la Reine-mère, ce qui poussa Xavier à lancer :
– Bon, les garçons, qui a fait un rêve pas très chaste avec une sublime jeune femme ?
Une vague de rire secoua la table, avant que Prasina n'intervienne :
– Franchement, ça me paraît ridicule, pourquoi forcément nous ? N'oublions pas qu'il y a probablement d'autres descendants de Noham, vous n'êtes pas les seuls. Les chercher occuperait sans doute l'esprit de nos religieux et les empêcherait peut-être de s'entre-tuer ou de s'intéresser à notre invitée.
– Tu suggères une diversion donc ? vérifia Linaëlle.
– Je pense que tout le monde sera d'accord avec moi pour dire que nous avons besoin d'y voir plus clair dans cette histoire et pour cela, il nous faut du temps pour que Vélinol se remette, exposa la Reine. Je ne sais pas si le fait qu'elle tombe du ciel, celui qu'une nouvelle divinité apparaisse et que le reste du panthéon semble avoir décidé de se battre sont liés. Mais elle seule pourra nous apporter des réponses. Si ils peuvent passer quelques semaines à chercher après les branches éloignées des descendants du Premier Porteur, je ne dit pas non.
– Je vais me faire un plaisir de leur annoncer ça, s'amusa Cassildey.
Le reste du repas se déroula sans accrocs et la conversation dévia sur des sujets plus légers. Sciemment, personne n'évoqua les assassins des Descendants qui ne donnaient plus signe de vie. Les gardes royaux debouts dans la salle suffisaient à leur rappeler l'étrange menace.
Kalum s'apprêtait à sortir de table comme le reste des plus jeunes quand Amalicia entra. Il y eu un instant de flottement, personne ne sachant quoi faire. La magicienne restait à la porte son regard balayant la pièce, bras croisés, attendant une réaction. Malvius se racla la gorge, brisant le silence.
– Que nous vaut l'honneur de votre visite, Amalicia ? demanda-t-il posément.
– Il me semble... que nous avons besoin de discuter de certaines choses, s'avança-t-elle en posant ses yeux dans ceux d'Elmira.
À ce moment, les deux femmes auraient pu être seules dans la salle à manger. Leur échange muet excluait tout le monde.
– Laissez-nous, tous, commanda l'ancienne Reine sans quitter sa génitrice du regard
Personne ne songea à lui faire remarquer qu'elle avait perdu le droit de donner des ordres à la majorité des personnes dans la pièce, surtout devant les serviteurs qui s'affairaient et les gardes toujours présents. Plus que jamais, elle était Reine, peu importe son titre, et son autorité vida la salle de ses occupants, y compris des soldats de son escorte qui crurent bon d'attendre à l'extérieur.
C'est presque penaud que le reste de la famille royale se retrouva dans le couloir, chacun s'en allant vaquer à ses occupations. Kalum mourrait d'envie de savoir ce qui allait se dire mais se douta que même derrière un mur, il n'échapperait pas à la vigilance de la Haute Magicienne. Avec une moue déçue, il regagna ses appartements.
Il n'avait pas fait trois pas qu'il perçut la détresse de sa mère. Il pivota aussitôt et courut pour la rattraper. Appuyée contre un mur, les yeux clos, Linaëlle respirait difficilement, une main sur la poitrine.
– Maman, ça va ?
Elle secoua négativement la tête et se laissa glisser au bas du mur. L'adolescent s'agenouilla près d'elle, s'apprêtant à reposer sa question, quand une douleur terrible le terrassa à son tour. Il avait l'impression qu'on fouillait dans son corps avec un fer rouge. Dans un dernier éclair de conscience, il aperçut deux yeux rouges aux pupilles verticales avant de perdre connaissance.
Une immense prairie s'étendait à perte de vue. Le vent agitait l'herbe et les fleurs sauvages, chantait dans les feuilles des roseaux au bord d'un ruisseau. Ce tableau paisible et étrangement silencieux n'alarma pas tout de suite l'adolescent.
Il suivait des empreintes de pas ensanglantées, s'arrêta brusquement quand il réalisa ce qu'il faisait. Inquiet, il s'aperçut que la piste prenait fin quelques mètres plus loin. Le corps semblait appartenir à une femme, mais il était tellement abimé, labouré par des griffes et des crocs, que l'adolescent ne pouvait en être certain. Une immense tristesse l'envahit sans qu'il comprenne pourquoi. Il tenait à cette personne qui qu'elle avait pu être.
Il releva les yeux et bondit en arrière. Un Argrim se tenait couché dans l'herbe la tête sur les pattes. Le loup géant poussait de petits gémissements, et Kalum aurait juré qu'il pleurait à sa manière. Un souffle chaud dans son cou le fit se retourner. Un cerf aux bois immenses se tenait dans son dos. Par réflexe, l'adolescent s'écarta et l'animal alla se coucher près de l'Argrim.
D'autres animaux apparurent, certains que le jeune garçon connaissaient, d'autres non. Tous s'attroupèrent autour du corps sans vie, proies et prédateurs, unis dans la même peine. Bouleversé, Kalum s'assit dans l'herbe et se mit à pleurer, avec l'impression que le monde entier versait des larmes à l'unisson, comme si la terre elle-même regrettait la perte de cette femme.
Une douce lumière jaillit alors de la dépouille, augmenta en intensité jusqu'à ce que l'adolescent doive fermer les yeux. Quand il put les rouvrir de nouveau, il était seul. Animaux et décor avait disparu, le laissant face à face avec un nuage d'étincelles.
« Ce n'est que le début... L'avenir de ce monde ne tient qu'à un fil. Préserve le passé pour assurer le futur, ou tout sera emporté par le chaos. »
Plop vous ! Esquive un couteau.
Comment ça vous m'en voulez ? Je ne vois vraiment pas pourquoi...
Je vous dis quand même à la prochaine fois ^^
Prend ses jambes à son cou.
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