Chapitre 3 - Le Club de Slug
Le onze août, Ginny fêta son quinzième anniversaire dans une ambiance plutôt calme. Personne ne vint annoncer la mort ou la disparition de qui que ce soit cette fois-ci, mais la présence de Fleur ne l'enchantait toujours pas.
Parmi ses cadeaux d'anniversaire, elle reçut une longue lettre de Dean qui lui disait à quel point elle lui manquait ainsi qu'un paquet plat de forme rectangulaire qui se révéla être un dessin encadré. Ginny éclata de rire en le découvrant. C'était un portrait d'elle, en train de rafler le vif d'or sous le nez de Cho Chang, au cours du dernier match contre Serdaigle. Dean, qui était très doué pour le dessin, avait accentué la fureur de Cho et Ginny trouva qu'il avait également accentué sa propre beauté, mais elle n'allait pas s'en plaindre. Son petit-ami avait animé le dessin à l'aide d'un sortilège et avait pris soin de dessiner Ginny au premier plan de sorte à ce qu'elle emplisse presque toute la feuille, ne laissant plus voir qu'une Cho minuscule au fond de l'image. Tant mieux, car Ginny n'aurait pas été certaine d'apprécier énormément le fait de posséder un trop grand portrait de l'ex petite-amie de Harry. Même si elle avait horreur de se l'avouer, elle avait été jalouse de cette fille pendant bien trop longtemps pour que son inimitié envers elle s'évapore comme par magie.
Elle posa le cadre sur son bureau, devant sa fenêtre. Ce fameux match avait été l'élément décisif de sa rupture avec Michael et du début de sa relation avec Dean. Ginny s'était rapprochée de Dean grâce aux séances de l'AD, principalement, et lorsqu'elle avait rompu avec Michael, il n'avait pas tardé à en profiter pour lui déclarer qu'il l'aimait beaucoup. Ginny avait accepté de sortir avec lui peu de temps après. Trop peu de temps après ? Non. Dean était gentil, drôle et très mignon par-dessus le marché, alors pourquoi attendre ? Elle n'allait quand même pas se laisser atteindre par les commentaires de ses frères. Elle avait bien le droit de faire ce qu'elle voulait, cela ne faisait pas d'elle une dévergondée, comme dirait sa mère. Cinq petits amis... N'importe quoi...
La dernière semaine des vacances arriva bien vite. La mère de Ginny commença bientôt à leur répéter sans cesse de préparer les bagages à l'avance pour éviter la précipitation et la confusion du premier septembre. La veille de la rentrée, alors qu'elle revenait dans sa chambre les bras chargés de vêtements fraîchement lavés, Ginny croisa Harry dans le couloir, qui rapportaient des robes de Quidditch sales.
— À ta place, je ne descendrais pas à la cuisine maintenant, lui lança-t-elle du tac-au-tac. Il y a une grosse flaque de Fleurk.
— Je m'arrangerai pour ne pas glisser dessus, répondit Harry.
Ginny poursuivit son chemin en direction de sa chambre. Elle avait évacué la cuisine au moment où Fleur s'était mise à babiller sur les préparatifs de son mariage. Ginny avait été choisie pour être l'une des deux demoiselles d'honneur, avec Gabrielle, la jeune sœur de Fleur, et elle n'avait aucune envie de subir les inconvénients de ce rôle un an à l'avance.
Le lendemain matin, tous leurs bagages étaient soigneusement alignés devant le Terrier lorsque les voitures du Ministère s'arrêtèrent à leur niveau. Fleur dit au revoir à Harry en l'embrassant et Ginny vit Ron se précipiter vers elle, plein d'espoir. Elle leva les yeux au ciel et tendit le pied sur son passage, provoquant la chute de Ron qui s'étala de tout son long dans la poussière, aux pieds de Fleur. Furieux, Ron se rua à l'intérieur d'une voiture sans dire au revoir à personne et Ginny jugea préférable de monter dans l'autre voiture avec Hermione.
Deux Aurors aux visages fermés les accueillirent à la gare de King's Cross. Harry passa la barrière le premier avec l'un d'autre eux, qui lui saisit le bras pour l'entraîner vers le mur.
— Je peux marcher tout seul, merci, protesta-t-il en repoussa le bras de son garde du corps.
Lorsque Ginny passa également de l'autre côté, elle vit Harry faire signe à Ron et Hermione de le suivre. Elle se tourna vers ses parents pour leur dire au revoir, puis grimpa à bord du Poudlard Express avec sa valise et la cage d'Arnold. À peine eut-elle fait quelques pas dans le couloir qu'une voix l'interpella :
— Eh, Ginny !
Il s'agissait de Neil Anderson, un Gryffondor de son année, qui se trouvait en compagnie de Sally Turner et Lucy Montgomery, elles aussi à Gryffondor. Neil et Lucy avaient déjà enfilé leur robe d'uniforme tandis que Sally, à son habitude, portait encore ses vêtements moldus. Neil agita la main dans sa direction et Ginny les rejoignit.
— Salut ! lança-t-elle avec un grand sourire.
— Passé un bon été ? s'enquit Neil.
— Pas trop mal, malgré la météo, et vous ?
— Rien de spécial de mon côté, répondit Lucy, je suis juste allée faire un tour au – oh, qu'est-ce que c'est ? s'interrompit-elle en désignant la cage d'Arnold.
— Un Boursouflet, répondit Ginny. Je l'ai acheté chez mes frères, ils ont ouvert une boutique sur le Chemin de Traverse.
— Ah oui, je l'ai vue ! s'exclama Neil d'un ton réjoui. Vraiment cool. Ça a l'air de marcher du tonnerre, leur affaire !
— Ah, ça, on ne peut pas dire le contraire, commenta Ginny en baissant les yeux sur la veste en cuir de dragon rouge sombre qu'elle portait et qui jurait magnifiquement avec ses cheveux.
C'était le cadeau que les jumeaux lui avaient offert pour son anniversaire. Ils avaient bon goût, en plus de faire de bonnes affaires.
— Regarde ce que Neil et Lucy ont reçu cet été, Gin', fit Sally en désignant l'insigne de préfet qui brillait sur leurs robes.
— Félicitations ! fit Ginny.
— Merci, répondit Lucy. Je pensais que c'est toi qui l'aurais, avoua-t-elle, un peu gênée.
— Oh, tu veux dire moi qui aies passé la moitié de l'année dernière en retenue ?
— Pour avoir fait partie de l'Armée de Dumbledore ? railla Sally. Arrête, on pensait tous que ça jouerait en ta faveur ! C'est Dumbledore qui nomme les préfets, après tout.
Ginny nota la note amère qui s'était glissée dans sa voix. Elle savait que Sally lui en voulait un peu de ne pas lui avoir parlé de l'AD l'année précédente.
Elle regrettait parfois de ne pas avoir proposé à ses amis de cinquième année de la rejoindre. Sally y avait vu – peut-être à raison – un manque de confiance de sa part. Elle en avait déjà fait part à Michael quand ils sortaient ensemble, et lui-même en avait parlé à ses meilleurs amis Terry et Anthony... Ginny avait préféré ne pas être à l'origine d'une fuite sans le vouloir en faisant passer le mot à trop de monde.
L'existence de l'AD avait été rendue publique après qu'Ombrage les ait débusqué – tout ça à cause de cette idiote de Marietta Edgecombe, qui avait tout rapporté à Ombrage. Mais aux yeux des élèves et de la plupart des professeurs de l'école, il s'agissait avant tout d'un groupe clandestin qui s'était formé non pas pour apprendre des sortilèges utiles afin de se défendre dans le monde extérieur, mais pour comploter contre Ombrage et, par extension, contre le Ministère, sous l'impulsion de Dumbledore. Le directeur lui-même avait appuyé cette théorie pour ne pas faire renvoyer Harry. Lorsque Ginny avait été punie en même temps que les autres membres, ses amis lui avaient posé quelques questions à ce sujet, mais Ginny était restée évasive. Hormis Sally, ses camarades ne lui en avaient guère voulu de ne pas leur avoir parlé de l'AD. Probablement parce que tous ses membres se trouvaient constamment en retenue à ce moment-là, ce qui rendait l'entreprise beaucoup moins attirante. L'AD n'était, de manière générale, pas un sujet que Ginny abordait avec les élèves de son année, à part Luna, et Colin qui avait entendu Ginny en parler à Michael.
Ginny n'était en aucun cas déçue de ne pas avoir eu l'insigne – ne serait-ce que pour s'épargner les redoutables plaisanteries des jumeaux.
— Qui d'autre est préfet ? demanda Ginny.
— On ne sait pas encore, répondit Neil, justement, on doit aller dans le wagon qui nous est réservé...
— Sloane Powell et Ian Irving à Serdaigle, Tegan Llywelyn et Owen Griffith à Poufsouffle, Alison Blake et Maddox Hamilton à Serpentard, récita Sally.
— Comment tu sais ça ? demanda Lucy avec des yeux ronds.
— J'ai mes sources, répondit-elle d'un air avantageux.
— Ta source, ce ne serait pas Colin ? demanda Neil avec un sourire en coin.
Sally se dégonfla aussitôt.
— Si, dit-elle. Tu étais obligé de ruiner mon petit effet ?
Lucy pouffa de rire.
— Et Colin, comment sait-il tout ça ? demanda Ginny.
— Comment Colin sait-il quoi que ce soit ? répondit Neil. Ce garçon est toujours au courant de tout.
Ginny haussa les épaules. Neil n'avait pas tort. Un beau jour, Colin Crivey ferait de l'ombre à Rita Skeeter.
— Bon, puisque nos deux préfets doivent nous laisser tomber, ça te dirait de trouver une place avec moi ? Je crois qu'on bouche un peu le passage, observa Sally.
— J'ai promis à Dean de le retrouver dans le sien, répondit Ginny. Mais tu peux venir, si tu veux.
— Et tenir la chandelle ? Hum, tentant, mais non merci. Je vais trouver Colin. À plus tard !
Tandis que Sally partait dans une direction et Neil et Lucy de l'autre, quelqu'un tapota l'épaule de Ginny.
— Ça te dirait de chercher un compartiment avec moi ? lui demanda Harry.
Elle se rappela que Ron et Hermione devaient probablement remplir leurs propres obligations de préfet avant de se mêler aux autres élèves. Harry ne lui avait jamais proposé de faire le trajet du Poudlard Express avec lui, mais ce n'était pas vraiment surprenant. Quand Harry, Ron et Hermione étaient ensemble, ils passaient la moitié de leur temps à comploter quelque chose. Ginny se souvenait du jour où Ron lui avait plus ou moins poliment demandé de dégager de leur compartiment, lorsqu'elle était en deuxième année. Ah, l'amour fraternel. Ce n'était qu'au cours de l'année précédente qu'elle avait fait tout le trajet du Poudlard Express en leur compagnie.
— Je ne peux pas, Harry, j'ai promis à Dean d'aller le retrouver, répéta-t-elle avec un grand sourire. À plus tard.
— D'accord.
Ginny se détourna et s'éloigna dans le couloir.
Dean se trouvait dans un compartiment situé vers le milieu du train, assis en face de son meilleur ami Seamus. Tous deux discutaient avec enthousiasme.
— Salut, fit Ginny en passant la tête à travers l'entrebâillement de la porte.
Dean eut un large sourire. Ginny entra dans le compartiment et les deux garçons se levèrent pour l'aider à hisser sa valise sur les filets. Elle posa ensuite la cage d'Arnold sur une banquette et embrassa Dean. Seamus regardait toujours ailleurs lorsqu'ils mirent fin à leur étreinte et Ginny fit de son mieux pour le remettre à l'aise.
— Vous avez passé de bonnes vacances ? lança-t-elle la cantonade en s'asseyant sur la banquette entre Dean et Arnold tandis que le train s'ébranlait.
— Oui, répondit Dean. Je suis allé voir un match de l'équipe de West Ham, et ils ont gagné.
Seamus eut une exclamation de dédain.
— Sérieusement, comment tu peux encore t'intéresser à ton football alors que tu as goûté au Quidditch, c'est quand même une autre paire de manches à balais !
— L'un n'empêche pas l'autre, répondit Dean en haussant les épaules.
— En parlant de Quidditch, intervint Ginny, j'espère que vous vous êtes entrainés, tous les deux, si vous avez toujours l'intention d'entrer dans l'équipe. Je vous rappelle qu'il n'y a que trois postes de poursuiveurs disponibles dans une équipe, pas dix mille. Il risque même de n'y en avoir que deux, vu que Katie Bell reprendra sûrement le sien.
— Un peu compliqué pour moi, fit remarquer Dean, je te rappelle que je vis chez des moldus. J'ai dû prévoir mon coup à l'avance pour t'envoyer ce dessin pour ton anniversaire, je l'avais déjà ensorcelé en juin dernier ! J'avais peur que le sort ne dure pas assez longtemps...
— Moi, je me suis entrainé, le coupa Seamus.
— J'ai hâte de voir le résultat, répliqua Ginny avec un sourire goguenard.
— Ne fais pas trop ta maligne, Weasley, répondit Seamus en pointant vers elle un index faussement menaçant.
Ginny éclata de rire.
— Je fais ma maligne si je veux, Finnigan.
— Je crois que ta copine me cherche, Dean. Essaye de la tenir un peu, tu veux bien ? plaisanta Seamus.
— Alors là, tu te débrouilles tout seul, mon pote. Tu sais bien que je ne pourrai rien faire pour toi si elle te balance un sort à la figure.
— Et il ne pourra rien faire pour toi non plus sur le terrain le jour des sélections, ajouta Ginny. Même si vous partagez le même dortoir que le capitaine, maintenant...
— Harry est capitaine ? releva Dean. Cela dit, on aurait dû s'en douter. Maintenant qu'Angelina n'est plus là, c'était soit lui soit Katie.
Ils passèrent une bonne partie de la matinée à parler de Quidditch, jusqu'à ce que quelqu'un ouvre la porte de leur compartiment. Ginny, qui avait posé la cage d'Arnold à terre pour s'étendre de tout son long sur la banquette, les jambes en travers de celle de Dean, se redressa et tendit le cou pour apercevoir le nouveau venu. Elle fronça immédiatement les sourcils.
Zacharias Smith, un élève de Poufsouffle qui avait fait partie de l'AD l'année précédente et que Ginny détestait cordialement, se tenait dans l'encadrement de la porte.
— Ah, te voilà, dit-il d'un ton hautain en faisant un pas en avant et en refermant la porte derrière lui.
— Qu'est-ce que tu veux, Smith ? demanda Ginny en se rasseyant correctement.
— Je te cherchais. Potter est avec Londubat et Loufoca, alors...
— Elle s'appelle Luna, et je te repose la question : qu'est-ce que tu veux ?
— Je sais que vous étiez au Ministère avec Potter, en juin dernier.
Ginny plissa les yeux. Tout cela ne lui disait rien qui vaille. Dean et Seamus s'étaient tus, observant l'échange d'un air tendu mais – Ginny ne put que le remarquer – également intéressé.
— Et alors ? poursuivit-elle.
— Alors je veux savoir ce qui s'est passé, exactement, annonça Smith. La Gazette ne donne aucun détail.
— Si La Gazette ne donne aucun détail, c'est peut-être parce que cela ne la regarde pas. Et toi non plus, d'ailleurs, rétorqua Ginny.
— Tu plaisantes ? Ça regarde tout le monde, non ? D'où ça sort, cette histoire de prophétie et de Potter qui serait l'Élu destiné à vaincre Tu-Sais-Qui ? On a quand même bien le droit de savoir à quoi s'en tenir !
Ginny se leva, extirpant sa baguette de sa poche d'un geste aguerri, fluide et rapide.
— Ouh là, doucement, fit Dean en se levant à son tour et en posant une main lénifiante sur le bras de sa petite-amie. Ginny, ce n'est peut-être pas la peine de –
Mais Ginny s'était déjà dégagée d'un geste ferme.
— Tu me fatigues, Smith. Sors de là ou je te jette un sort.
— Qu'est-ce que ça te coûte de me raconter ce qu'il s'est passé ? lui jeta le Poufsouffle avec dédain.
— Ça me coûte mon temps et ma patience. Je suis sérieuse, Smith, dégage. Tu crois que je n'ai pas compris ton petit manège ? Tu avais trop peur de poser la question directement à Harry et tu savais que Ron et Hermione ne t'en diraient pas plus qu'il ne l'aurait fait si tu avais essayé avec eux aussi, alors tu t'es dit que tu tenterais ta chance avec Neville et Luna, mais comme Harry est avec eux, tu te rabats sur moi en pensant qu'on serait plus enclins à te répondre ? Eh bien, désolée de te décevoir, Smith, mais aucun de nous n'a envie de te raconter quoi que ce soit. Et je te déconseille de retenter ultérieurement ta chance avec Neville et Luna, si tu ne veux pas perdre ton temps comme tu es en train de le faire maintenant.
— Et alors, même si c'est vrai, qu'est-ce que ça peut te faire ?
— Tu es vraiment lamentable, Smith.
— Tu n'as qu'à me raconter ce qu'il s'est passé et je te laisserai tranquille...
— OPPUGNO VESPERTILIO !
Sans crier gare, Ginny avait levé sa baguette. Une myriade de petites chauve-souris s'en échappèrent dans un tourbillon d'ailes nervurées et se précipitèrent droit sur la tête de Smith, qui battit en retraite hors du compartiment, se protégeant la tête de ses bras en poussant de petits cris presque aussi aigus que ceux des bestioles. Les chauve-souris le suivirent dans le couloir, mais au moment où Ginny s'apprêtait à refermer la porte d'un air satisfait, un homme bedonnant avec une moustache de morse s'arrêta de l'autre côté, son visage luisant l'observant avec des yeux ronds.
— C'est vous qui avez jeté ce maléfice ? lui demanda-t-il.
Il ne servait pas à grand-chose de mentir.
— Oui, affirma Ginny, d'un ton ou le respect le disputait au défi.
Pourquoi avait-il fallu qu'elle tombe sur ce qui de toute évidence, était un nouveau professeur, probablement celui de défense contre les forces du Mal ? Sa mère allait avoir une crise cardiaque si elle apprenait qu'elle avait écopé d'une retenue avant même que le chariot à friandises ne soit passé.
— Fantastique ! s'écria l'homme d'un ton ravi.
Ce fut au tour de Ginny de l'observer avec des yeux ronds.
— Un sortilège exécuté à la perfection, vraiment, Miss... ?
— Weasley. Ginny Weasley.
— Accepteriez-vous de déjeuner en ma compagnie, Miss Weasley ?
— Euh... oui, d'accord.
— Parfait ! Vous me trouverez dans le compartiment C. À tout à l'heure ! Absolument remarquable ! ajouta-t-il en s'éloignant le long du couloir, son énorme ventre malmenant les quelques élèves qui le croisaient en sens inverse.
Ginny referma la porte du compartiment d'un geste absent et se tourna vers les deux autres, abasourdie.
— Incroyable, commenta Seamus, tout aussi scotchée qu'elle. Moi aussi, je veux qu'on m'invite à déjeuner à chaque fois que je lance un maléfice à la tête de quelqu'un !
Ginny se rassit sur la banquette et jeta un œil par la fenêtre. Le ciel n'avait cessé de passer de brumeux à dégagé toute la matinée. D'après l'actuelle position du soleil qui recommençait à apparaitre timidement derrière un nuage, l'heure du déjeuner n'était déjà plus très éloignée.
— Je ferais peut-être mieux d'y aller, lança-t-elle une demi-heure plus tard.
Elle n'était pas particulièrement enchantée à l'idée de déjeuner avec un professeur, bien qu'elle éprouvât une certaine curiosité à son sujet, mais elle n'était pas certaine de pouvoir se défiler maintenant. Ginny prit congé de Dean et Seamus après avoir succinctement embrassé Dean (Seamus regarda à nouveau ailleurs) et longea le couloir jusqu'au compartiment C. L'homme n'était pas seul, mais le soulagement qu'elle en éprouva fut cependant de courte durée lorsqu'elle reconnut Blaise Zabini, un Serpentard d'un an de plus qu'elle qui la toisa d'un regard hautain. Elle ne connaissait pas les deux autres garçons présents, un type massif aux cheveux drus à l'air confiant et un maigrelet qui paraissait nerveux, tous deux également plus âgés qu'elle.
— Ah, Miss Weasley, vous êtes venue ! s'exclama le professeur d'un ton rayonnant. Très bien, très bien, asseyez-vous !
Il occupait presque un quart du compartiment à lui tout seul. N'ayant pas la moindre envie de s'installer à côté de Zabini, Ginny fit de son mieux pour s'assoir entre la fenêtre et le professeur, qui écrasa le garçon assis de l'autre côté en tortillant son large derrière pour faire de la place à la nouvelle invitée. Elle regretta très vite d'avoir choisi cette place : dès que le professeur se tournait vers les autres, c'était elle qui se retrouvait écrasée contre la vitre.
— Nous devrions peut-être commencer par quelques présentations. Il manque encore Harry Potter et Neville Londubat, mais ils ne devraient plus tarder...
— Ils doivent venir aussi ? ne put s'empêcher de demander Ginny, surprise.
Le professeur se tourna aussitôt vers elle, l'air intéressé.
— Vous les connaissez ?
— Oui, répondit simplement Ginny.
Zabini eut un petit sourire moqueur. Ginny haussa un sourcil mais ne put faire aucun commentaire, car le professeur reprenait :
— J'espère au moins qu'ils auront reçu mon invitation à temps !
Ce qui signifiait que contrairement à Ginny, certains d'entre eux avaient reçu une invitation officielle, peut-être même tous sauf elle.
— En attendant, permettez-moi de me présenter. Je suis le professeur Horace Slughorn. J'ai enseigné à Poudlard il y a déjà bien des années, mais j'ai accepté de sortir de ma retraite à la demande du professeur Dumbledore. À l'époque où j'enseignais, j'organisais de petites réunions comme celles-ci avec certains élèves, et j'espère bien pouvoir reprendre cette tradition avec certains d'entre vous, si vous le voulez bien ! Mes anciens élèves appréciaient beaucoup mes petites soirées privées. Le club de Slug, qu'ils appelaient ça, lança-t-il d'un ton bourru, comme s'il se rappelait le bon vieux temps et qu'il souhaitait implicitement inciter les élèves présents à le faire revivre.
Ginny haussa à nouveau un sourcil, perplexe.
— Nous avons donc ici Blaise Zabini, Cormac McLaggen, Marcus Belby et Ginny Weasley. Voilà donc pour les présentations. Parlons un peu de vous, maintenant. Saviez-vous, mon cher Marcus, que j'ai enseigné à votre oncle Damoclès lorsqu'il était à Poudlard ?
Le garçon nerveux sursauta.
— Heu... non... je ne savais pas, répondit-il.
À ce moment-là, la porte du compartiment C s'ouvrit à nouveau, laissant entrer Harry et Neville. Slughorn se leva d'un bond et Ginny s'écrasa un peu plus contre la vitre.
— Harry, mon garçon ! s'exclama Slughorn comme s'il connaissait Harry depuis toujours.
— Quel plaisir de vous voir, quel plaisir ! Et vous, vous devez être Mr Londubat !
Neville acquiesça d'un signe de tête, l'air effrayé.
D'un geste de la main, Slughorn les invita à s'assoir aux deux seules places restées libres à côté de la porte. Harry croisa le regard de Ginny.
— Vous connaissez tout le monde ? Blaise Zabini est en même année que vous, bien sûr...
Ce qui n'avait l'air de réjouir ni Harry et Neville, ni Zabini. Ils auraient pu tout aussi bien ne pas se connaître.
— Voici Cormac McLaggen, poursuivit Slughorn. Vous avez peut-être déjà eu l'occasion de vous rencontrer ? Non ?
Le type aux cheveux drus leva une main en guise de salut, auquel Harry et Neville répondirent par un signe de tête.
— ... Marcus Belby. Je ne sais pas si... Et enfin, cette charmante jeune fille m'a dit qu'elle vous connaissait !
Ginny grimaça dans le dos de Slughorn.
— Il m'est bien agréable de vous voir réunis, reprit Slughorn. C'est une occasion pour moi de vous connaître un peu mieux. Tenez, prenez une serviette, j'ai apporté mon propre déjeuner. Le chariot, si mes souvenirs sont bons, est un peu trop riche en Baguettes réglisse et l'appareil digestif d'un vieil homme a bien du mal à s'en accommoder... Un peu de faisan, Belby ?
Belby sursauta et accepta ce qui semblait être la moitié d'un faisan froid.
— J'étais en train de dire au jeune Marcus que j'avais eu le plaisir de compter parmi mes élèves son oncle Damoclès. Un sorcier exceptionnel, qui a largement mérité son Ordre de Merlin. Vous voyez souvent votre oncle, Marcus ?
Alors que Ginny se saisissait machinalement d'un petit pain qui venait de lui passer sous le nez, Belby commença à s'étouffer sur son morceau de faisan.
— Anapneo, dit calmement Slughorn, libérant les voies respiratoires de Belby d'un coup de baguette.
— Non... non, pas vraiment, répondit Belby en hoquetant, les yeux humides.
— Bien sûr, j'imagine qu'il est très occupé. Je doute qu'il ait pu inventer la potion Tue-Loup sans y consacrer un travail considérable !
— Je suppose... Heu... Mon père et lui ne s'entendent pas très bien, voyez-vous, je ne sais donc pas grand-chose sur...
La voix de Belby s'éteignit d'elle-même tandis que Slughorn se désintéressait ouvertement de lui et se tournait plutôt vers McLaggen.
— Et vous, Cormac, j'ai appris que vous voyiez souvent votre oncle Tiberius, car figurez-vous que j'ai eu sous les yeux une magnifique photo de vous deux prise lors d'une chasse aux Licheurs, dans le Norfolk, je crois ?
Ginny pensait commencer à cerner Slughorn. Il s'intéressait avant tout aux gens qui, selon lui, avaient de l'importance. Ce qui n'expliquait toujours pas ce qu'elle faisait ici, cela dit.
McLaggen intrigua grandement le professeur Slughorn lorsqu'il déclara également connaître Refus Scrimgeour, l'actuel ministre de la magie, et une certaine Bertie Higgs. Zabini était le fils d'une sorcière célèbre pour sa beauté qui avait été mariée sept fois et dont les maris avaient mystérieusement succombé les uns après les autres en lui laissant une immense fortune. Les parents de Neville avaient été des Aurors renommés, avant d'être torturés jusqu'à la folie par des Mangemorts. Et Harry...
— Par où commencer ? s'exclama Slughorn, fort à propos. J'ai l'impression d'avoir à peine gratté la surface lorsque nous nous sommes rencontrés cet été !
Ainsi donc, Harry avait bel et bien déjà rencontré Slughorn ?
— Désormais, on vous appelle « l'Élu » !
Un silence tendu s'installa dans le compartiment. On n'en revenait encore à cela. Zacharias Smith n'était visiblement pas le seul à s'intéresser à cette histoire. Slughorn scrutait Harry comme s'il espérait déclencher une réaction et ainsi lire sur ses traits une confirmation ou une infirmation, mais Harry restait résolument impassible.
— Bien sûr, des rumeurs ont circulé pendant des années... Je me souviens quand... Lily... James... Mais vous, vous avez survécu. Le bruit a couru alors que vous étiez doté de pouvoirs qui dépassaient de très loin la moyenne...
Zabini eut un petit toussotement qui exprimait sans détour un scepticisme amusé. Ginny réagit alors au quart de tour :
— Oui, Zabini, parce que toi, tu as tellement de talent... pour faire le malin...
Elle lui jeta un regard noir. Slughorn se tourna vers elle.
— Oh oh ! Soyez très prudent, Blaise ! J'ai vu cette jeune personne exécuter un extraordinaire maléfice de Chauve-Furie au moment où je passais dans son wagon ! À votre place, j'éviterais de la mettre en colère !
Zabini se contenta d'afficher un air méprisant.
— Quoi qu'il en soit, reprit Slughorn, il y a eu tant de rumeurs cet été... Bien sûr, on ne sait pas ce qu'on doit en penser, La Gazette a parfois imprimé des inexactitudes, elle a commis des erreurs – mais compte tenu du nombre de témoins, on ne peut guère douter qu'il y ait eu de sérieux troubles au ministère et que vous étiez en plein cœur de l'évènement !
Harry hocha simplement la tête en signe d'approbation.
— Vous êtes si modeste, si modeste, pas étonnant que Dumbledore vous apprécie tant – donc vous étiez là-bas ? Mais le reste – toutes ces histoires si fantastiques qu'on ne sait plus très bien ce qu'il faut croire – cette fameuse prophétie, par exemple...
— Nous n'avons jamais entendu parler de prophétie, assura Neville en rougissant.
Ginny décida de venir à sa rescousse.
— Exact. Neville et moi, on était là aussi et toutes ces idioties sur l'Élu sont une invention de la Gazette, comme d'habitude.
— Vous y étiez aussi ? s'étonna Slughorn.
Il les interrogea du regard, leur souriant d'un air encourageant, mais Ginny et Neville restèrent tout aussi muets que Harry.
— Oui... bon... il est vrai que La Gazette exagère souvent... continua Slughorn, un peu déçu. Je me souviens que cette très chère Gwenog me disait – je parle de Gwenog Jones, la capitaine des Harpies de Holyhead...
Malgré elle, Ginny écouta l'anecdote de Slughorn sur Gwenog Jones, qui était la capitaine de son équipe de Quidditch favorite, avec plus d'intérêt qu'elle ne l'aurait voulu. Mais cette attention déclina rapidement par la suite. Tandis que l'après-midi s'étirait, interminable, Ginny se surprit à songer à la curiosité que Smith et Slughorn témoignaient à l'égard de Harry et des nouvelles rumeurs sur son compte. Elle se demanda combien d'autres personnes se posaient les mêmes questions.
En vérité, Ginny n'avait aucune certitude à ce sujet. Elle ignorait si Harry était l'Élu ou non. Elle avait été présente dans la salle des prophéties, elle avait vu la sphère que Lucius Malefoy avait voulu obtenir de lui, mais elle ne savait pas si cette sphère révélait quelque chose de semblable aux rumeurs.
Et cela n'avait aucune importance.
À ses yeux, Harry n'était pas l'Élu. Harry était Harry. Et s'il ne voulait pas dévoiler tout ce qu'il savait à ce sujet aux yeux du monde, s'il en savait véritablement plus que les autres, c'était son affaire. Ginny irait en son sens, tout comme Ron, Hermione, Neville et Luna.
Enfin, une nouvelle éclaircie dissipa la brume au-dehors et Slughorn se rendit compte de l'heure tardive.
— Bonté divine, le jour tombe déjà ! Je n'avais pas remarqué qu'ils avaient allumé les lampes ! Vous feriez bien de vous changer, tous. McLaggen, il faudra venir me voir pour que je vous prête ce livre sur les Licheurs. Harry, Blaise – venez me dire bonjour de temps en temps. Vous aussi, mademoiselle, ajouta Slughorn en adressant un clin d'œil à Ginny. Allez-y, maintenant, allez-y !
Ginny ne se fit pas prier. Ravie de se dégourdir les jambes après être restée coincée si longtemps dans cette position inconfortable, elle bondit presque littéralement jusqu'à la sortie.
— Je suis content que ce soit fini, marmonna Neville lorsqu'ils se retrouvèrent tous les trois dans le couloir. Bizarre, ce bonhomme, non ?
— Oui, un peu, répondit Harry. Comment se fait-il que tu sois retrouvée là, Ginny ?
— Il m'a vue jeter un maléfice à Zacharias Smith. Tu te souviens, l'imbécile de Poufsouffle qui était dans l'AD ? Il n'arrêtait pas de me demander ce qui s'était passé au ministère, à la fin, il m'a tellement énervée que je lui ai jeté un sort. Quand Slughorn est arrivé, j'ai cru qu'il allait me donner une retenue mais il a jugé mon maléfice tellement réussi qu'il m'a invitée à déjeuner ! Dingue, non ?
— Il vaut mieux inviter quelqu'un pour cette raison-là qu'à cause de la célébrité de sa mère, remarqua Harry en fixant la nuque de Zabini, qui marchait devant lui. Ou parce que son oncle...
Il s'interrompit, comme perdu dans ses pensées.
— Je vous retrouve plus tard, tous les deux, annonça-t-il brusquement avant de sortir sa cape d'invisibilité de nulle part et de s'en envelopper.
— Qu'est-ce que... commença Neville, l'air inquiet.
— Plus tard, l'interrompit Harry, désormais invisible.
Ginny haussa les sourcils, mais ne se formalisa pas de son comportement étrange. Elle en avait plus ou moins l'habitude, désormais.
Neville et Ginny retournèrent dans leur compartiment respectif pour aller se changer. Lorsque Ginny retrouva Dean et Seamus, ils étaient déjà prêts.
— Enfin ! Qu'est-ce qui t'as pris autant de temps ? demanda Dean.
— Un conseil, répondit-elle. Ne te fais jamais inviter à déjeuner par le professeur Horace Slughorn.
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