Cilas dévisagea sa mère : ses boucles rousses étaient ébouriffées, cachant jusqu'à la pointe de ses oreilles, son visage fin et allongé était parsemé de gouttelettes de sang qui semblait ne pas être le sien et sa robe était déchirée à l'épaule, dévoilant son omoplate. Elle tenait dans sa main droite un chandelier ensanglanté qu'elle lâcha aussitôt qu'elle entra dans la pièce :

- Qu'est-ce qui se passe ? s'enquit le jeune elfe, non sans une certaine crainte.

- Nous partons, répondit-elle avec fermeté.

- Comment ça ? Et la moisson ? Notre bétail ?

- Il n'y aura plus de moisson. Nous ne pouvons pas rester ici et je n'ai pas le temps de t'expliquer.

Désarçonné, Cilas rassembla ses affaires en hâte et aida sa mère à remplir un sac à dos :

- Ne prend que le strict nécessaire, ajouta-t-elle. Et attache ta dague à ta ceinture.

Cilas obéit. Il attrapa un sac dans une armoire et y fourra quelques vêtements propices au voyage. Il ajouta ses économies personnelles ainsi que son journal où étaient répertoriés tous ses rêves d'aventure. Cela fait, il suivit sa mère dans les escaliers qui donnait sur le salon. La femme elfe se dirigea alors vers la cuisine, enjambant le corps inerte d'un elfe au pied des escaliers. Pétrifié de stupeur, Cilas retint un hurlement. L'individu avait les cheveux courts, sombres comme la nuit et était habillé de lourds vêtements taillés pour le voyage. Seule une plaie sur l'arcade sourcilière déversait des flots de sang. Une hache reposait non loin de lui, baignant dans le liquide vermeil. La vue du corps inerte et de tout ce sang donna la nausée à Cilas et il lutta pour ne pas vider son estomac sur le sol...

- Et ce qu'il est... mort ? demanda-t-il.

- Non, il est juste assommé, répondit sa mère. Il perd beaucoup de sang, mais il survivra.

- Qu'est ce qu'il nous voulait ?

- Je t'expliquerais plus tard, nous manquons de temps...

Après quelques minutes d'agitation, sa mère l'entraina dans l'arrière cuisine. Là, elle déplaça une caisse remplie de légumes qui dissimulait la trappe. Cette trappe menait à une petite salle où ils entreposaient leurs plus grosses économies : "Le Coffre" tel que Cilas aimait l'appeler. Avant de s'y engouffrer, la femme elfe prit quelques morceaux de viandes séchées dans la réserve, un peu de pain, et deux gourdes remplies en peau de daim. Cilas descendit le premier tandis que sa mère s'assurait de sceller la trappe correctement. Une fois dans l'obscurité, le jeune elfe entendit sa mère murmurer quelques mots inaudibles puis elle sortit de sa poche un petit sac à main en toile. C'était ce que l'on appelle communément une "poche sans fond". Un sac enchanté qui leur permettait de prendre bon nombre de choses sans que cela prenne trop de place. Aidée de son fils, la femme elfe se mit à y ranger tout l'or qu'elle pu. Bientôt, tout le contenu de la salle disparut dans le gouffre invisible :

- Je ne me rappelais pas qu'elle était aussi profonde ! releva Cilas.

- Chut ! interrompit la femme elfe.

De lourds pas résonnèrent dans la pièce : quelqu'un était entré dans la ferme et se tenait dans la pièce du dessus. Cilas sentit sa mère attraper son bras et elle la vit porter un doigt à sa bouche, lui intimant de se taire. Les pas s'arrêtèrent pile au dessus de leur tête et ils entendirent un murmure :
- Je sais que tu es là...

Le jeune elfe lança vers sa mère un regard empli d'interrogation : la voix lui était étrangement familière...

- Sors de ta cachette! hurla l'intrus. Rends-le moi!
Tendant l'oreille, Cilas entendait sa mère murmurer dans son écharpe comme une prière désespérée. Sa voix semblait porter quelconque charge d'énergie qui se déversa sur les murs alentours. Au bout de quelques secondes, des runes inscrites sur le mur du fond de la salle se mirent à briller comme réagissant naturellement aux paroles de sa mère : de la magie... Cilas en avait déjà entendu parler, mais jamais il n'avait prit au sérieux les légendes narrant les aventures de preux magiciens secourant les royaumes et sauvant le monde... Le jeune elfe resta fasciné devant un tel spectacle. C'est alors que la femme elfe trembla plus fort. Alerté, son fils la prit dans ses bras et essaya de calmer les spasmes de sa mère.

Cilas entendit un cliquetis et vit le mur du fond s'entrouvrir.

C'est à ce moment que sa mère sortit de sa transe. Elle agrippa son le jeune elfe par le bras, et l'entraina dans les profondeurs. Derrière leur passage, elle referma la porte. Quelques secondes plus tard, Cilas entendit la trappe s'ouvrir dans la pièce à côté.
La femme elfe se mit à courir, incitant son fils à faire de même.

Le couloir qu'ils empruntaient était sombre et étroit. La peur semblait porter les pas de sa mère à tel point que Cilas eut du mal à la suivre :

- Dépêche-toi, mon grand, nous y sommes presque, l'encouragea-t-elle.

Le cœur du jeune elfe battait la chamade, et il commençait à perdre haleine. Plusieurs minutes passèrent où ils arpentèrent le long tunnel, et Cilas distingua au loin les lumières d'une torche. Après un moment, ils débouchèrent enfin dans une petite salle éclairée. Au milieu s'élevait une échelle que sa mère s'empressa de gravir. Le jeune elfe la suivit, tentant de rattraper son léger retard. Une fois au sommet, la femme elfe souleva une trappe menant vers l'extérieur et sortit à l'air libre :

- Vite ! le pressa-t-elle en lui tendant la main.

Cilas attrapa la main tendue et sortit des tunnels à son tour. Le jeune elfe examina les alentours : Ils se trouvaient dans la forêt qui entourait leur ferme. De là où ils étaient, ils pouvaient la distinguer entre les arbres :

- Ne perdons pas de temps, déclara sa mère.

Cilas détourna le regard de sa maison. La tristesse s'empara de son visage :

- Reverrons-nous un jour cet endroit ?

La femme elfe posa la main sur la joue de son fils, les yeux emplis de désolation et de compassion :

- Je crains que non mon chéri... J'en suis sincèrement navrée...