CHAPITRE 3 (2)
***
— Tout le monde en rang !
Les recrues n'attendirent pas que Yan McFarland se répète. Chacun regagna sa place. Ils s'étendirent à perte de vue contre le mur vert épinard, vêtues de leurs blouses trop grandes pour eux. Yan les observa l'un après l'autre, de son regard perspicace, s'attardant sur certains plus que sur d'autres.
— Vous ! s'écria-t-il en pointant du doigt un blondinet plus géant et maigrichon que les autres. Votre patient de quarante-cinq ans, athlète et fumeur, présente les symptômes suivants : douleur thoracique aigue précordiale et vomissements, parésie, dyspnée et hypotension artérielle. Que suspectez-vous ?
— Euh...je...une dis...une dissection aortique...
— Et comment confirmez-vous le diagnostic ?
— Une...IRM ?
— C'est une affirmation ou une question ? s'irrita le professeur.
— Un IRM, monsieur...
Yan s'arrêta devant une adolescente brune, trop occupée à se limer les ongles. Il soupira en levant les yeux en l'air.
— Êtes-vous d'accord, mademoiselle Danvier ?
— Eh bien, sifflota-t-elle je préconiserais plutôt une échographie transoesophagienne, compte tenu de l'urgence de la situation. Ainsi, continua-t-elle sans lever le regard de sa manucure, on pourrait avoir des images précises, et en peu de temps. Oh, et je prescrirais également un ECG pour éliminer le diagnostic d'infarctus du myocarde, qui est aussi une possibilité liée à ces symptômes.
— Ce sont vos ongles qui vous donnent les réponses ?
— Quelle question ! soupira Iris en levant enfin son regard bleu brillant de malice. Elle ajusta ses lunettes carrées. Bien sûr que non, monsieur...c'est plutôt ma lime à ongles. Elle est magique, vous devriez l'essayer.
La classe entière s'esclaffa. Ce n'était un secret pour personne, qu'Iris Danvier était un très mauvais plaisantin. Heureusement pour elle, elle était aussi brillante, ce qui lui permettait toujours de sauver ses fesses. C'était la plus jeune recrue qu'on connaissait à l'ACD. Du haut de ses dix-sept ans, elle ne laissait guère de place à la médiocrité dans sa vie. Elle était une chirurgienne de Dieu, et la plus prometteuse de tous, de surcroit.
Quand Iris avait commencé son cursus, elle n'avait que six ans. Elle était l'une des rares ayant bénéficié d'un programme d'habilitation précoce, destiné à faire d'elle une très jeune chirurgienne. Elle n'avait pas suivi un cursus scolaire normal, la médecine faisait partie intégrante de sa vie depuis toujours.
En plus, elle avait choisi de se spécialiser en génie biomédical, ce qui prouvait encore une fois à quel point elle avait du cran. Elle était une pièce stratégique de l'ACD, cela lui donnait bien le droit de faire des vannes, même les plus inappropriées.
Le temps de l'hilarité, Yan aperçut du coin de l'œil le chef Bonaparte qui s'approchait de lui, à l'autre bout du couloir. Ce dernier lui fit signe, et le mentor prit congés des recrues avant d'avancer vers lui.
— Il y a un problème ? demanda-t-il sans cérémonie.
— Des nouvelles du docteur Mortensen ?
— Qu'est-ce qu'il y a ? répéta le châtain.
— Ça fait deux heures qu'elle a commencé la mission...
— Oui, siffla le mentor de la jeune femme, et elle a trois jours devant elle. Je lui ai demandé de prendre son temps.
— Nous savons tous les deux que cette femme n'est pas du genre à prendre son temps. Plutôt à décrocher des records, des records comme celui établi par Margaux...
Yan ne releva pas. Bien sûr, le chef avait raison. Et pour dire vrai, lui aussi s'était attendu à ce qu'Allison contacte l'Agence dès la première heure de la mission pour leur dire qu'elle avait terminé. Même s'il jouait les nonchalants, ce silence radio commençait à l'inquiéter.
— Allison est sans aucun doute la recrue la plus brillante que j'ai eu à former, ne vous inquiétez vraiment pas pour elle...
Il n'avait pas encore fini son propos, que la sonnerie de son téléphone le coupa net. Il le sortit et hoqueta de surprise.
Quand on parle du loup...
— C'est le docteur Mortensen ? remarqua le chef en lisant au-dessus de l'épaule de Yan. Je vous en prie, continua-t-il, mettez sur haut-parleur.
Yan obtempéra.
— Oui, Alli. C'est déjà fait ?
— J'ai eu un petit contretemps, répliqua-t-elle.
— Quel genre de contretemps ?
— On m'a retiré le cas sans aucune raison. C'est maintenant la cheffe elle-même qui s'occupera du patient. Plus personne n'a le droit de l'approcher. Je me demande si c'est normal. J'ai bien l'impression de m'être faite démasquée...d'ailleurs, l'une des infirmières m'a paru bien étrange. C'est à cause d'elle que Warren Eastwood est encore en vie, cette pestiférée. Elle a réussi à contrer mes plans.
Yan et Nelson se lancèrent un regard plein de sous-entendus...
— Comment s'appelle cette infirmière ?
— Emma Jones, ou quelque chose du genre. Bref, je n'en sais rien. Je tenais juste à te prévenir que j'ai pris un peu de retard dans la mission.
— Surtout, prends ton temps, Alli. Ne fais rien de stupide.
— Je sais, siffla-t-elle. Il faut que je te laisse. Et t'inquiète pas, je finirai le boulot à la première occasion qui se présentera...
Lorsqu'elle raccrocha, Yan reporta son regard vers Nelson Bonaparte, qui s'était mis à caresser sa barbe grise comme quand il était contrarié. Les deux hommes se regardèrent un bon moment sans mot dire. De toute façon, ils n'avaient nul besoin de parler pour se comprendre.
Les règles de l'ACD étaient claires : si jamais un agent menaçait de compromettre la transparence de l'organisation, il devait être mis à mort. Et là, Allison venait d'avouer (devant le chef mais ça elle l'ignorait), qu'il y avait de grandes chances que sa couverture soit compromise ou qu'elle ne puisse aller au bout de la mission.
Peut-être était-il temps de réagir...
Le chef fit demi-tour et se dirigea vers son bureau sans piper mot.
— Que comptez-vous faire ? l'interrogea Yan, alors que Nelson avait déjà pris de la distance.
— Vous connaissez les règles, docteur McFarland. Vous les connaissez mieux que personne. Et le docteur Mortensen les connait aussi. Trois jours, c'est si vite passé...
La journée elle aussi était vite passée, et Allison Mortensen n'avait plus eu aucune chance d'approcher Warren Eastwood. Au bout du compte, elle devait reconnaitre qu'elle avait sous-estimé le poids de cette mission.
Avant, tuer n'était pas bien difficile pour elle. Bolus d'air, empoisonnement à l'insuline, les moyens ne manquaient pas. Mais ce que la chirurgienne avait oublié, c'était qu'il était bien facile d'être meurtrier dans un monde où tous l'étaient. Cette fois, ce n'était plus le cas.
Cette fois, les règles avaient changé...
Une autre qui avait grandement sous-estimé l'ampleur de la tâche qui lui avait été confiée, c'était le docteur Jones. À l'issu de cette première journée, elle avait les nerfs en pelote et son moral n'était pas au beau fixe.
Un tueur au Widburton...un tueur qui se promenait entre les quatre murs de l'hôpital, n'était-ce pas trop fou ? La mort rôdait, elle rôdait partout, toujours ! Où qu'elle aille, où qu'elle se trouve, c'était toujours trop dangereux. Où pouvait-elle se sentir en sécurité ?
Son dernier cocon était sa maison, situé sur Primrose Hill. Aussi, s'y dirigeait-elle nonchalamment, avec le peu d'énergie qu'il lui restait. La lune s'était déjà implantée au-dessus de la ville, éclairant peu les ruelles désertes de son quartier. Au loin, on entendait le bruit de véhicules qui roulaient sur l'autoroute.
Emma pressa encore plus le pas, pensant à son fiancé qui devait l'attendre devant un match de handball avec une bière en main, le reste de ses pancakes dans le four. Cette vision revigora la jeune femme, et elle avança encore plus vite vers son appartement. La nuit était froide, et ses baskets usés s'enfonçaient dans le gazon jonché de feuilles mortes.
Et alors qu'elle avait déjà presque entièrement parcouru le Regent's Park, dernière étape avant d'arriver chez elle, elle sentit un souffle glacé courir sur son échine. D'instinct, elle se retourna.
Et là-bas, entre deux arbres obscurs, une silhouette sombre l'épiait.
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