— Ils disent que tu vas mieux.

— Ah oui?

— Oui. Que tu as changé, que tu souris, que tes vêtements aussi sont différents.

— Ah

— Tu ne dis rien ?

— Que veux-tu que je dise ? C'est vrai que mes tenues se font plus gaies et mes sourires plus présents.

— Quand tu ris, tes yeux pleurent.

— C'est toujours comme ça chez les Cabossés. Toujours un sourire tordu, un cœur qui rate des battements et des ecchymoses sur le corps. Mais il n'y a que toi qui puisse le voir. Tu es mon amie. Les amis voient ces choses-là.

— Qu'es-tu en train de devenir ? m'a-t-elle demandé, cet air si grave sur le visage, comme si quelque chose de terrible allait arriver.

— Je ne deviens rien. Je retrouve ce que j'étais. Je vais me ranger dans un coin, Alice. Dis-moi au revoir, je t'en prie. Serre-moi dans tes bras très fort, que je sente ton odeur, ta présence. Je vais m'en aller. Partir très loin.

— Où vas-tu ?

— A l'intérieur de moi. Il fait si froid dans votre monde. Il me faut partir. Maintenant. De toute urgence. Ça fait trop longtemps que je suis ici. Je sens déjà mon cœur se fissurer. Le monde est trop dur, les rêves trop doux. Laisse-moi dont m'en aller.

— Il te faut vivre. La vie, assurément, te fera mal, elle te tordra le cœur à en hurler, à en rentrer tes ongles dans les paumes, à en saigner, à en crever. Mais c'est ainsi que tu accèderas aux belles choses.

— Tu ne comprends pas. Tu ne comprends rien. Moi, j'allais très bien ! J'avais des bibliothèques remplies, des livres à écrire, j'avais des projets, des études à faire ! J'étais seule. Tout le temps. Bien sûr que j'étais triste. Bien sûr que c'était morne. Toutes les journées étaient grises mais mon ventre était rempli de papillons, et ma tête de rêves colorés. C'était doux, la nuit, de fermer les yeux et d'espérer. Maintenant, que me reste-t-il ? J'ai froid, Alice. La vie se frotte à moi et me voilà rempli d'ecchymoses. J'ai mal. De partout. Ça me démange. La vie me démange, Alice. Je veux retrouver la tranquillité des jours moroses.