--- Qu'est-ce que tu lui diras ?

— Ça ne fera pas de bruits. Je prendrai sa main. Nos doigts, dernière esquisse d'amour. Elle ne sentira rien sous ses mains. Alors, dans un murmure, je dirai : « Tu le sens ? Il ne bat plus pour toi. »

— Tu auras des trémolos dans la voix. Tu ne tromperas personne.

— Elle prendra mon hésitation pour un manque de courage, ai-je dit en haussant les épaules.

— Tu as donc tout prévu ? Et comment comptes-tu calmer ton cœur, ton cœur amoureux ?

— Je le jetterai dans le fleuve. Ou bien le piétinerai. Endolori, il ne bougera pas. Il ne fera plus aucun bruit, ce traître. Il ne criera plus son amour sous les toits, alors je pourrais lui conter des mots si durs qu'elle finira par y croire.

— Par y croire ?

— Oui, elle pensera n'être qu'une victime de ma lassitude. Elle croira n'avoir rien été. Vulgaire virgule dans mon histoire.

— Mais pourquoi ne pas lui dire ? Pourquoi ne pas lui montrer les ecchymoses sur ton cœur ? Lui dévoiler toute l'étendue de ta tristesse ?

— Pourquoi lui faire visiter mes failles puisqu'elle finira par partir ? Alice, tu n'as pas compris. Elle peut vivre sans moi. Je suis une passade. Un instant. Peut-être un rire, un sourire, dans son histoire mélancolique. Mais ça n'ira pas plus loin. Regarde-moi !

Je me suis planté devant Alice. J'ai écarté les bras. Et j'ai crié :

— Regarde-moi, Alice, non ne détourne pas les yeux ! Regarde ce cœur qui te fait face ! Crois-tu qu'elle puisse l'aimer ?! Regarde-le et ose me dire que cette histoire peut bien finir ! J'ai le cœur tremblant, Alice. Effleure-moi, je flanche. J'ai les émotions en pagaille, la tête dans le passé, et l'angoisse de l'avenir dans le bide. Je passe mes nuits avec mes bourreaux. Je dors plus, je mange pour combler les vides mais rien n'y fait : je suis foutrement triste. Tu le comprends ça ? Tu m'entends quand je te le dis ? Je suis incapable d'aller bien. Ça va pas. Ça va pas du tout. Il faut que je parte. Maintenant. Je vais prendre les papillons dans mon ventre, les larmes sous mes paupières et puis je vais en faire quelque chose. Je ne sais pas, je vais écrire peut-être. Ecrire pour ne pas mourir totalement. Pour rester quelque part.

— Tu devrais lui écrire combien tu l'aimes, a-t-elle lâché après un long silence. Ce serait doux.

J'ai essuyé mes yeux d'un geste rageur.

— Ecrire, ce serait espérer. Je n'en veux plus. Je ne veux plus de cet espoir puisqu'il est tellement incertain.

Nous nous sommes regardés avec Alice. Longtemps. Elle me disait avec ses yeux qu'elle trouvait cette fuite absurde. Elle me disait que, tant qu'il y avait de l'amour, il fallait se battre. Et moi... Moi, dans un sanglot, je lui ai dit ces mots :

— Elle croira que je ne l'aime pas, que je ne l'aime plus. Alors même que mon absence ne proviendra que du seul amour. Oh, comment pourrais-je vivre ? Vivre loin d'elle ? Avec la pensée qu'elle se tienne si près d'un autre ? Alice, elle croira que je ne l'aime pas, que je ne l'aime plus. Alors qu'elle sera dans chaque mot, dans chaque page, dans chaque personnage... Ce sera elle, partout. Oh Alice, je la sens déjà partir. Je la sens si loin de moi. Il me faut fuir avant qu'elle ne parte. Il me faut arracher ce qu'il nous reste avant qu'elle me laisse, mourant entre mes vieilles pages noircies de maux.

Nous n'avons plus rien dit. J'ai composé son numéro. Elle n'a pas répondu tout de suite, loin était le temps où elle passait ses journées à m'écrire. Quand elle a décroché, le cœur frémissant, j'ai lâché :

— Il faut qu'on parle.

Une larme le long de la joue.