Chapitre 36 : Passage à table et questions pilosités
Amir reste silencieux quelques secondes, le regard lointain, comme s'il se rappelait de quelque chose. Les oreilles cramoisies, il déclare :
— J'ai profité de la journée...
— Pour ? questionne aussitôt Joy les yeux écarquillés.
— Pour... passer... du temps avec Djamila, finit-il tout gêné.
— Oh, fis-je, ravie de l'apprendre, vous avez réussi à trouver un terrain d'entente ?
Amir fuit obstinément mon regard et vire au rouge brique.
— Demande-lui plutôt comment ils ont fait pour sortir du lit !? s'exclame Joy.
— Roh Joy ! la réprimé-je.
— Quoi !? Non, mais regarde-le !
Je me tourne vers Amir qui semble suer à grosses gouttes, toujours en nous évitant soigneusement. Il contemple le lino gris comme s'il était intéressant.
— Oh, commenté-je, mi-étonnée, mi-admirative.
— En même temps, c'est normal après toutes ces années de frustrations. Je ne te dis pas la pression qu'il devait y...
— Stop, s'il te plaît, la supplie Amir.
— Mm...
— Je suis désolé, toutes les deux, je me rends compte de ce que je vous ai fait subir toutes ces années... Ce n'est pas cool d'être au centre du ragot...
— Ah ! Ah ! Triomphe Joy. Ils ont donc bien consommé leur mariage !
— Oui, oui, ça y est, c'est fait, déclare Amir non sans un peu de fierté.
— Qu'une seule fois ?
— Joy !
— Quoi ! Ne fais pas genre tu ne veux pas savoir !
— On a quitté le lit vers 15h... Pour aller ouvrir au livreur Ubereat...
— Waouh ! fis-je admirative.
— Mais on a beaucoup parlé aussi, se défend-il.
— Mouais c'est ça, se moque Joy.
On pouffe toutes les deux avant de féliciter Amir pour son bonheur.
— J'ai l'impression de me marier une deuxième fois, avoue-t-il.
— Finalement, tu te sens comme un héros de série turque ? demandé-je, timidement.
— Oui, un peu, dit-il en souriant bêtement.
Il passe ses doigts dans ses grosses boucles noires, le regard pensif :
— Qui l'eût cru...
— Je suis tellement heureuse pour toi, Amir.
— Merci, Charline, me répondit-il en me serrant la main.
Il tend l'autre vers Joy avant de poursuivre :
— Je vous souhaite de connaître le même sort, les filles.
— Mm, j'espère les griffures en moins, le taquine Joy en désignant son col de chemise.
— Que veux-tu, s'amuse Amir, Dja est une vraie tigresse.
Il réajuste sa chemise pour cacher les striures écarlates qui marquent la base de son cou.
On rit doucement, heureuse pour notre ami.
Le reste de l'après-midi s'écoule à vitesse grand V, notre stand a beaucoup de succès, on court partout, mais tout le monde semble enchanté de notre réussite. À l'heure du gouter, Tony nous fait un petit coucou en nous rapportant quelques pièces supplémentaires de l'entrepôt.
Pris par le temps et par la frénésie du moment, nous n'échangeons que quelques banalités. Tony travaille ce soir, comme tous les weekends, j'apprends néanmoins une nouvelle surprenante : il a convié au show d'aujourd'hui deux filles avec qui il discute depuis peu sur le site.
— Ce n'est pas un peu bizarre de les faire venir à ce genre d'évènement ? demande Joy.
— Ce qui est étonnant, c'est un traiteur qui ne bosse pas un samedi, réplique Tony.
— J'ai un contrat ce soir, répond Joy acide.
— Ah mince, moi qui comptais sur ta présence... s'amuse Tony.
— Mm... grogne-t-elle.
Tony explose de rire avant de s'excuser :
— Désolé, je ne voulais pas te vexer.
Je la vois sourire en coin malgré le fait qu'elle croise les bras.
Appelée par un client, je les laisse discuter lorsque Joy revient pour me saluer, elle est seule et m'apprend que Tony est déjà reparti.
En fin de journée, après avoir rangé et récupéré la caisse, j'invite tout le monde au restaurant.
Sans trop savoir pourquoi, vu que ce n'est pas la porte à côté, on finit au snack chinois.
Dès que je passe, la porte, Jian me décroche un splendide sourire et le patron tourne la pancarte « ouvert » pour « fermé » :
— C'est une réunion privée, commente Jian en me faisant un clin d'œil.
On fête donc notre succès de ce premier jour de festival avec les quelques personnes déjà présentes dans l'établissement.
Alors que la soirée bat son plein, Jian en profite pour m'approcher :
— Alors avec Peter ?
— En fait, tu le connaissais et tu ne m'as rien dit, espèce de vendu !? m'exclamé-je en lui claquant le bras.
Il explose de rire.
— Ouais, on s'est parlé quelques fois, mais bon secret professionnel, fit-il, la main sur le cœur pour essayer de se donner du sérieux. Tout ce que je peux te dire, c'est que c'est un mec bien.
— Ouais ?
— Ouais, madame !
— Je ne sais pas, le patron avait l'air de désapprouver quand il nous a vus...
— Mm, fit-il gêné, en fait ce n'est pas ça, le truc...
— Oui, l'encouragé-je.
Il pousse un petit soupir avant de m'avouer :
— C'est toi, qu'il jugeait...
— Moi ? m'étonné-je.
— Oui, enfin plus exactement ton comportement... Tu dois te montrer telle que tu es et pas faire semblant d'être quelqu'un d'autre parce que tu crois que ça lui plaira plus...
— Mouais, dis-je en sentant mon visage chauffer, je m'en suis rendue compte, il n'y a pas longtemps...
— Bien, commente-t-il d'un ton doux. Je suis ravi de l'entendre.
— Le patron t'a vraiment dit tout ça ?
— Il n'a pas eu besoin, on se comprend, affirme-t-il.
Sur ce, il disparaît dans la salle pour pratiquer son autre job ; celui de serveur.
Le reste du festival passe à une vitesse folle, je vois à peine mes amis ainsi que Peter. Les ventes sont bonnes, la collection plait beaucoup. Nous sommes aux anges.
Lorsqu'Amir me raccompagne à l'appartement, je suis vidée, bien qu'il règne un silence de mort dans la voiture, nous sommes tout sourire. La manifestation vintage est l'un des évènements français les plus importants pour nous.
De retour dans mon antre, je tombe comme une masse sur le canapé sans prendre la peine de me changer.
Le lendemain, je me réveille difficilement, les yeux collés par le maquillage que je n'ai pas pu enlever.
Je me regarde dans le miroir : c'est la mort de la pin-up. Ma peinture faciale a coulé, mes cheveux ressemblent à un nid sur ma tête, ma tenue est de travers et j'ai un vieux pli sur la joue.
Bien heureuse d'avoir pris un congé, je m'attelle à rattraper la catastrophe.
Je passe une journée tranquille à la maison alternant entre tâches ménagères, soin visage et repos bien mérité. Dans la soirée, Joy me rejoint pour le dîner. Je lui raconte la déconvenue amoureuse de Caleb, je lui comporte des temps forts du festival.
De son côté, elle me parle d'Amir. Bien qu'elle soit heureuse pour lui, elle se sent un peu seule depuis qu'il est parti de son appartement. La conversation dévie sur ses contrats, des mariées de plus en plus exigeantes et de leur requête incongrue.
— Non, mais tu te rends compte ! Ce rideau géant va gâcher toute la salle ! On ne réserve pas une galerie dans un château pour recouvrir tout un mur par un écran ! En plus, c'est juste pour regarder la finale de je ne sais plus quel match, ça va durer toute la nuit non plus.
— Ouais, j'avoue que je ne comprends pas trop... Nous, on sera des épousées plus raisonnables, affirmé-je.
— Ouais, enfin... Il faut trouver avec qui...
— Ouais...
— Pourquoi tu dis ça !? Toi, tu as déjà Peter.
— Eh, m'offusqué-je, rien n'est encore fait ! On ne s'est même pas embrassé que tu m'imagines mariée !
— Ouais ben moi, je n'ai vraiment personne en ce moment.
— Arrête, tu peux rencontrer quelqu'un facilement... Oh ! On peut te faire un compte sur un site comme moi !
— Je ne suis pas sûre que...
— Mais si, tu vas voir, m'enthousiasmé-je, c'est rigolo ! Tu ne trouvais pas ça amusant quand c'était moi ? Allez !?
— Bon... OK, si tu insistes, dit-elle sceptique.
On crée un profil à Joy et aussitôt nous recevons les premières demandes. Joy étant une très jolie femme, les candidatures pleuvent. On bat tout les records de messages louches, des photos de gourdin et de sugar daddy.
Nous procédons à un triage intensif et strict, mais je constate rapidement que ce n'est pas aussi drôle que ce que j'aurais cru.
— Je suis désolée Charline, me dit-elle finalement. Mais on pourrait s'arrêter là pour ce soir.
Je pousse un long soupir avant d'admettre :
— J'ai l'impression de ne rien en sortir de positif...
— Ce n'est pas grave...
— Je ne comprends pas, ce n'était pas comme ça quand je cherchais...
— Ce n'est rien, ce n'est peut-être juste pas le jour.
— Mm...
— En plus, il est tard. Je devrais y aller, déclare-t-elle.
Alors que Joy se prépare à affronter le froid de la mi-saison, un détail attire son attention :
— C'est quoi ça ? Des goodies ?
— Mm ? fis-je en tournant la tête dans sa direction.
— Le carton là, parterre ? demande-t-elle depuis l'entrée.
— Ah, ben comme tous les ans, on s'est échangé des trucs entre exposants. Je n'ai pas encore regardé ce que j'envisageais garder, mais j'ai eu quelques drôles de bidules, cette année.
— Tu parles des boites de coloration ?
— Par exemple...
— Mais c'est quoi le...
— Aucun, la coupé-je, il n'y a aucun rapport avec le festival vintage.
— Mm, je suppose que ça fait vendre...
— Sans doute, un grain de folie... Tu veux essayer ?
— Oh euh non, j'ai le déboisement restreint, juste pour l'hygiène donc je n'ai pas de quoi.
— Mm...
— Tu imagines, si Peter avait le buisson vert fluo !? me demande-t-elle le sourire aux lèvres.
— Non, non...
Elle explose de rire alors que je m'agace :
— Arrête ! Je vais y penser la prochaine fois que je le verrai ! Déjà que je dois lui parler... Tu aggraves la situation !
Elle essaye de réprimer son hilarité sans grand succès avant de prendre congé.
Le reste de la semaine se déroule normalement.
On nettoie tout notre bazar, suite au festival. On confirme à Arnaud qu'on fera affaire avec ses chefs pour étendre notre marque. Je retrouve mon coureur silencieux pour ma séance de sport du mercredi.
Le cours de cuisine du jeudi est plus calme que d'ordinaire : Jean-Hub' est absent. Il semblerait que le jeune homme ait choppé une blennorragie* et soit au plus mal. Amir pense qu'il s'agit là de son karma.
Vendredi, je suis une vraie pile électrique : mon rendez-vous avec Peter approche à grands pas et je ne sais toujours pas comment tout lui avouer sur moi sans le faire fuir.
— Tu veux aller au snack chinois ou retrouver ton coureur silencieux ? me propose Amir.
— Non, pourquoi ?
— Parce que tu ne tiens pas en place et que ça me déconcentre.
— Roh, rabat-joie ! Maintenant que monsieur a eu ce qu'il souhaitait...
— Hé hé, on se calme. Je suis de ton côté, je suis ton ami.
— Mm mouais ?
— Oui.
— Oh Amir, dis-je en me jetant à son cou. C'est si inattendu !
— Mm... dit-il résigné alors que la cloche retentit.
— Bonjour, tout le monde, s'exclame la voix de Tony.
— Tony !? répondis-je à fleur de peau avant de me projeter sur lui.
Je les entends avec Amir faire des messes basses, je devine qu'ils doivent parler de moi et de mon état émotionnel.
On s'installe au salon alors que Joy arrive pour nous faire gouter ses nouveaux gâteaux.
— Ouais, mais moi je suis blond donc je ne peux pas faire ça, affirme Tony.
— Ouais, je vois. C'est galère, du coup tu fais comment ? interroge Amir.
— Bah Laser pas le choix...
— Ah ouais dur dur...
— Mm.
— De quoi vous parlez ? questionné-je innocemment.
— Épilation, réplique Tony sans détour.
— Vraiment ? s'intéresse Joy.
— Ouais, je suis team laser, blondeur oblige et Amir : lumière pulsée.
— Ah...
— Ben, en même temps, tu as demandé, dis-je alors qu'elle est stupéfaite de leurs réponses.
— Mais je suis bientôt à la fin de mes séances, renchérit Amir. Je vais pouvoir frimer cet été...
— Stop, c'est satisfaisant.
— Ben quoi ? Il n'y a rien de choquant ?
— Non, mais ça va venir si je vous laisse continuer, affirmé-je par expérience.
Les deux canailles explosent de rire alors que je fourre un gros morceau de gâteau dans ma douche : c'est si bon le sucre et le gras.
Je passe une excellente soirée avec mes compagnons, Amir nous quitte plus tôt qu'à l'accoutumée pour rejoindre sa belle.
Je ne tarde pas non plus, je veux être fraiche pour mon rendez-vous de demain. Peter m'a envoyé de gentils et tendres messages toute la semaine, je dois être au top.
Je laisse donc à Joy le soin de raccompagner Tony avant son spectacle du jour. En les regardant s'éloigner, je ne peux m'empêcher de penser qu'ils feraient un couple bien bizarre.
Le reste des événements s'enchaînent de façon floue... Je ne sais comment, on est samedi et je suis devant le restaurant où j'ai rendez-vous avec Peter.
***
* Blennorragie = infection sexuellement transmissible. Elle provoque des brûlures et/ou un écoulement jaune de la verge, la vagin ou l'anus, de la fièvre et des douleurs au niveau du bas ventre.
Sortez couvert ;)
***
Coucou tout le monde !
Comment ça va ?
J'espère que le chapitre du jour vous a plu... Et vous, vous êtes plutôt laser ou lumière pulsée ? (≧▽≦)
Et sinon, croyez-vous que l'heure de Peter a sonné ?! ᕦ⊙෴⊙ᕤ
La réponse la semaine prochaine ! (✿^‿^)
Xoxoxoxo
Cam
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro