Chapitre numéro un
Le jour est à moi puisque la nuit ne l'est pas. Dans les romans d'amour c'est souvent le contraire pourtant.
La bibliothèque est un lieu fascinant. Elle s'est bien agrandie au fil du temps, rapidement en plus de cela. Les livres entreposés le long des étagères en chêne menacent de tomber tellement ils sont nombreux à se bousculer. Les rayons diverses se chamaillent pour avoir de nouveaux territoires. Le tri est difficile et les nouveautés se pavanent tranquillement avant d'être serrées à leur tour dans la foule des pages noircies. Un espace de lecture est également présent. Assez grand, décoré, confortable, on pourrait y passer des heures entières sans le vouloir. C'est ce que je fais d'habitude à vrai dire.
Nous sommes le 1er juillet. Cela fait exactement 10 jours que l'été a commencé et donc que je suis pleinement comblée. Le ciel est souvent bleu, le vent de la mer est frais et salé, l'atmosphère est légère comme l'écume et des chapeaux de paille sont visibles sur toute la côte.
Je m'assois à une table avec, dans les mains, un livre classé dans la catégorie romans pour adolescents. Si je n'ai pas encore perdu toute ma tête, je suis bien une adolescente.
Un jeune homme entre, suivi d'un autre, et d'encore un. Ça attire mon attention. Pourquoi ces garçons qui n'ont pas l'air de s'intéresser grandement aux livres viennent-ils là ? Peut-être ne devrais-je pas me baser sur leur apparence, on ne juge pas un livre à sa couverture n'est-ce pas ?
Un crissement à ma gauche. Une odeur de caramel. Des cheveux bruns en bataille. Un garçon vient de s'asseoir à côté de moi avec un roman rempli d'images. Je ne sais plus comment ils appellent ça. Je ne vois pas son visage, je n'ai pas particulièrement envie de le voir en faite. J'aimerais juste qu'il aille à une autre table que la mienne, non pas que je ne veuille pas qu'il soit présent, mais il y en a des tas d'autres et puis, c'est intimidant bizarrement.
J'entends des bruits de pas, deux personnes j'imagine. Ils s'arrêtent à un mètre de moi, c'est évidemment à ce moment que le soleil se pointe et m'aveugle alors que je regarde par la fenêtre. Je tourne la tête et je l'ai vu à ce moment-là pour la première fois. Des yeux marron comme des noisettes, un nez sans forme particulière, une peau blanche et sèche, des lèvres roses s'étirant en un sourire radieux et des joues de la même couleur.
Il détourne vivement le regard et souffle un bon coup pensant que je ne le vois absolument pas. Je souris. En faite j'ai souri dès que j'ai vu son sourire, mais là, je souris de gêne : j'ai chaud aux joues.
Ses amis lui parlent, je ne sais pas très bien de quoi, j'essaye tant bien que mal de me focaliser sur ma lecture. On lui chuchote à l'oreille, il rit et ce rire est l'un des plus cristallins que je n'ai jamais entendus. Ses amis s'en vont en souriant d'un air on ne peut plus suspect.
- Excuse-moi, t'aurais un mouchoir ?
On peut dire qu'il n'est pas timide. Je bafouille un oui incompréhensible et lui donne celui en tissu offert par ma mère. Il me remercie même si je vois qu'il est perplexe face au blanc qui flotte.
- Hum... Si je te le lave pour te le rendre ça te va ? Je ne me vois pas te rendre un mouchoir en tissu sale.
- Oui bien sûr, je réponds, pas sûre de comprendre.
- Cool !
Mais que veut dire « cool » ?
- T'habites où ?
Il me demande où est-ce que j'habite ? Je pensais que tout le monde se connaissait au village. Après réflexion, je ne l'ai jamais vu non plus...
- Heu, je...
- Bon tu viens ?
Ses amis viennent de réapparaître. Il me sourit en signe d'excuse et s'en va. Avec mon mouchoir. Je panique. Qu'est-ce que je dois faire ? Il ne sait pas où je vis, il ne va jamais me retrouver, le village a tellement évolué. C'est vrai tiens... Le village a grandi, et il continue. Il n'y a plus vraiment de campagne environnante. Si ce n'est pas dingue ça.
Qu'étais-je en train de me demander ? Bon, cela n'a pas d'importance.
Je sors. En face de moi, un paysage que je pourrais regarder encore des jours et des nuits entières. Enfin plus des jours que des nuits. La mer, bleu foncé, se distinguant parfaitement avec le ciel, bleu clair. Le sable chaud, plus fin qu'avant, presque blanc. La falaise au loin avec cette verdure incomparable. Et, juste avant la mer, la ville. Des toits en taules rouges, noires ou bleues. Mais également des toits plats, étranges maisons à cinq étages. A gauche, une église, une très grande église. Elle parait ancienne mais ses pierres blanches trahissent bien son âge. A droite, un tout petit château avec des drapeaux du pays. Dans quel pays sommes-nous d'ailleurs ? Je n'ai pas suivi qui à gagner la guerre. Entre tous ces bâtiments, des lignes noires, qui paraissent toutes petites de loin mais elles sont plutôt grandes de près. Ce sont des routes en matière étrange. Ce n'est plus de la terre ou du sable, cela s'appelle du goudron si j'en crois mes oreilles, mais le goudron sent mauvais dans tous les cas.
Je descends la colline sur laquelle est perchée la bibliothèque. Il n'y a plus beaucoup d'arbres ni d'herbe par ici. Il n'y a pas beaucoup d'espace non plus. On dirait que tout est serré. Tout est étroit, on étouffe, on se sent petit parmi tous ces gens.
Une voiture passe. Elles ont bien changées. A présent elles sont petites, roulent vite, ont des apparences différentes. Elles sont jolies, mais lorsqu'elles passent, une mauvaise odeur les accompagne. Peut-être devrait-on les laver plus souvent.
La partie de la ville où je me trouve est dite « ancienne ». Je ne comprends pas vraiment pourquoi. Il y a des pavés, des maisons en pierres et tous les magasins nécessaires. Contrairement à l'autre partie de la ville où les maisons sont différentes et trop nombreuses, si bien qu'il faut marcher plus ou moins longtemps avant d'arriver au magasin souhaité. C'est elle que l'on devrait appeler « ville nouvelle ».
Roses, bleues, rouges, jaunes. Les fleurs en pots défilent devant mes yeux. Il faut quinze minutes maintenant pour aller jusqu'à la bibliothèque. Le trajet est devenu bien long.
Je monte les quelques marches qui me séparent de la porte d'entrée. Je tourne la poignée rouillée qu'il faudrait que je remplace et je rentre. Le salon est plutôt grand, lumineux. Un canapé en soie qui a valu une fortune est calé dans le coin gauche. Une petite table basse en bois se trouve juste devant et trône dessus un bouquet de fleurs dans un vase en verre. Une cuisinière et un four à bois sont installés à droite et juste au-dessus, une bassine est accrochée au mur recouvert de papier peint vert sert d'évier pour laver les casseroles empilées sur l'étagère voisine.
Les escaliers en bois qui tourne en formant une spirale m'ont toujours fait penser à une tour infernale où vivrait une princesse emprisonnée. Mais n'est-ce pas le cas ? Je suis dévouée à vivre dans ce phare et à le protéger jusqu'au retour de mon père.
Je pousse la porte du dernier étage. C'est ma chambre. Petite puisque c'est le haut du phare, elle est peu lumineuse puisque le hublot ne laisse pas passer beaucoup de lumière mais la vue par cette fenêtre est très belle. Cependant, la vue de mon balcon ou plutôt du haut du phare est mille fois plus impressionnante et resplendissante. La lampe ne s'allume plus parce que je n'ai jamais su comment la faire fonctionner. Le vent fouette mon visage, ma robe bleue ne manque pas de se soulever et mes cheveux se font une joie de partir dans tous les sens. Je regarde l'horizon et je souris. Je cris, je cris ma rage de vivre ici, je cris mon désespoir d'être aussi seule, je cris ma joie d'être aussi haut et mon envie de danser sur une valse entraînante avec un prince charmant.
Alors je danse, je tourne et tourne jusqu'à me donner mal à la tête. Et je ris en pleurant. Je me balance contre la rambarde et je regarde en bas les belles vagues qui viennent s'écraser telle une larme de l'océan.
J'aimerais plonger comme ces personnes sur la plage qui sont libres de jouir de la mer, j'aimerais nager avec les poissons et découvrir les grottes souterraines comme le disait l'affiche collée sur un poteau rue Charles de Gaulle.
Je souffle un bon coup. Il est l'heure d'aller au marché.
Je descends et me change. Une robe à manches longues serait plus appropriée. Des bottes en cuir et un chapeau de paille orné de fleurs roses. Je sors. Le soleil est assez haut dans le ciel pour tout de suite me donner chaud. Je souris, parce qu'il ne faut pas montrer sa tristesse. Je me tiens droite, parce qu'il faut être élégante. Je marche à petits pas parce qu'il ne faut pas paraître pressée ni fatiguée.
Je descends la longue allée bordée d'herbes et de pissenlits. J'arrive devant la plage. Je ne comprends toujours pas pourquoi les femmes portent des pantalons coupés beaucoup trop courts. Ma mère dirait que c'est complètement inapproprié. Je dis que c'est joli. Mais je n'aurais pas le courage de porter ce genre de vêtements.
Je me dirige vers la place du marché, panier en main et argent en poche.
~~~
J'éternue, je déteste éternuer, ma mère dit qu'en plus ce n'est pas élégant du tout. Tiens, je n'ai plus mon mouchoir ? C'est étrange, où ai-je bien pu le mettre ? Ah oui... Le garçon me l'a pris. Tiens, ne faudrait-il pas que je le retrouve ?
Une bourrasque de vent soudaine, mon chapeau qui va presque s'envoler, heureusement que je le retiens. J'y tiens, à ce chapeau, il est vraiment important à mes yeux. C'est ma grand-mère qui me l'a donné avant de partir pour l'au-delà. Mais apparemment il n'est pas de l'avis de tout le monde. J'entends quand les personnes chuchotent lorsque je passe devant elles.
« Quelle fille étrange ! » ; « On ne s'habille plus comme ça, elle se déguise ou quoi ? » ; « C'est moche ». C'est triste de voir que personne ne se respecte. Encore plus d'entendre des remarques alors que ce sont elles qui s'habillent étrangement. Enfin, qui suis-je pour juger le goût des autres ?
Je rentre et fais mijoter quelques morceaux de carottes avec du riz. Le poisson cuit au four. Il sent bon, une odeur de sel. Comme c'est étrange, j'ai envie de manger du caramel.
~~~
Mes yeux sont lourds. Quelle heure est-il ? Dix-neuf heures. Je me suis endormie, si ce n'est pas bête ça de ne pas profiter du jour. Le ciel est encore si bleu, le coucher de soleil sera magnifique.
Des sandalettes qui ne vont pas me servir et la robe de ce matin. Il me reste deux heures pour me balader. Je cours jusqu'à la plage, l'eau est encore bonne. Un pied, elle est froide tout de même, deux pieds, ça fait du bien, une main, ça rafraîchit. L'autre main est occupée par les sandalettes. J'attache mes cheveux, il y a trop de vent donc je ne vois rien.
La mer paraît bleue mais en réalité elle est transparente, ou un peu verte. Mon cœur paraît bon, mais en vrai il est mauvais. Il fait du mal à tous ceux que j'aime. N'est-ce pas un dilemme ? C'est bien pour ça que ma sœur est partie vivre chez ma tante n'est-ce pas ? C'est parce que je suis insupportable et qu'elle aurait dû me supporter et tant donné que c'est moi qui l'aurait gardée. Je suis seule. Pour toujours. Un goût salé sur mes lèvres, mes larmes sont-elles en train de couler ? Mince, je pleure beaucoup trop facilement. Où est mon mouchoir, il ne faudrait pas qu'on me voit comme ça.
Frisson. Quelqu'un vient de me tapoter le bras. Une petite main, un enfant. J'essuie rapidement mes larmes, je ne suis vraiment pas présentable.
- Madame, pourquoi tu pleures ?
Je lui souris. Il est mignon, des cheveux bouclés et des yeux bleus comme la mer.
- Pour rien ne t'en fais pas.
- Madame, pourquoi tu n'es pas en maillot de bain ?
- On n'est pas obligé d'en porter pour aller à la plage.
Je lui souris à nouveau, il ne me dérange pas mais où sont ses parents ?
- Madame, tu veux jouer avec moi ?
Je ne sais pas quoi répondre, quel étrange garnement.
- Eliott, laisse la jeune fille tranquille.
C'est sa mère je suppose qui arrive vers nous. Je la rassure, il ne m'a rien fait de mal.
- Je m'excuse tout de même pour son attitude.
- Madame vous ressemblez beaucoup à la photo de ma mamie.
- Oh, Eliott voyons ça ne se fait pas de dire ce genre de choses !
- Ce n'est rien ne vous en faîtes pas.
Je ris un peu, quelle situation ! Je lui dis au revoir, je rassure à nouveau sa mère, et je continue ma balade.
Un pas puis un autre. Lentement mais sûrement. Les yeux baissés, j'admire les traces que je laisse dans le sable. Mes pieds me paraissent vraiment petits. Je ramasse un coquillage, une maisonnette de bernard-l'ermite d'après ma mère. Je le hume, c'est étrange mais j'aime bien savoir quelle est l'odeur des coquillages. Glace à la fraise. Là en face de moi, un vendeur de glaces. Je marche le plus rapidement possible, j'ai peur qu'il s'en aille avant que je sois arrivée.
Tiens, la nuit ne va pas tarder, il serait peut-être tant que je rentre... N'empêche, le rouge vif est très beau au-dessus de la mer, c'est un très bel horizon que j'aimerais découvrir là.
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