Chapitre numéro trois
Mon mouchoir est tout mouillé maintenant.
- Je savais pas que ça allait autant te faire pleurer... Pourtant ce n'est pas vraiment un film triste. Ça se finit super bien même.
Je renifle et me mouche pour renifler à nouveau. Ce n'est pas poli mais au point où j'en suis.
- Comment est-ce qu'il s'appelle déjà ce film ? je demande en hoquetant légèrement.
- Vice-Versa. Ça t'a plu même si tu as pleuré ?
- Oh oui, c'était vraiment bien, mais le son est tout de même fort.
- C'est le principe du cinéma Rose.
Il secoue la tête avec un petit sourire en coin. Il a vraiment un beau visage. Et tout naturellement, il passe son bras autour de mes épaules. Je ne bouge plus.
- Bon, on mange où ?
- Je ne sais pas, quelque chose de pas très cher ?
- J'ai envie d'un cheeseburger. Ça ne te dérange pas ?
Il me supplie presque du regard.
- Eh bien enfaite...
- Tu n'as jamais mangé de cheeseburger ? il devine.
- Oui c'est ça, je réponds, un peu honteuse.
- J'ai l'impression que tu as raté pleins d'années de ta vie. Comment est-ce que tu n'as JAMAIS pu manger un cheeseburger ?
Il parle fort et fait pleins de gestes avec ses mains, c'est drôle.
- C'est limite un classique dans la vie maintenant ! Bon, allez, on y va. Je connais une sorte de fast-food, très bon.
- Fast-food ?
- Comme McDonald's, tu connais pas ? me demande-t-il toujours aussi étonné.
- Jamais entendu parler.
- Mais viens-tu d'une autre planète ?
Il paraît outré.
- Comme... comme les axtraterristres ?
- Extraterrestres Rose, EXtraterREStres. Il soupire avec un sourire. Oui, comme eux.
- Mais non, je suis pas un EXtraterREStre, ils sont moches en plus !
Il rigole à gorge déployée. On chahute, on se chamaille. Au final, Paul n'est pas si timide qu'il le prétend.
Les cheeseburgers sont gras, et gros, et dégoulinants de fromage qui ne possède aucune odeur forte. A chaque bouchée on est obligé de s'essuyer la bouche avec une serviette en papier. La viande paraît cramée et le légume vert est drôlement acide, ou amer parfois. Mais malgré tout ça, on peut dire que le cheeseburger est bon. Il est même très bon. Ma maman désapprouverait cet aliment. Mais peut être que comme dans Vice-Versa je dois me détacher de ma mère. Peut-être puis-je enfin penser par moi-même. En ai-je le droit ? Suis-je autorisée ? J'aimerais qu'elle soit présente, qu'elle me donne son autorisation. J'aurais trop peur de me faire réprimander pour penser par moi-même. Parce que je revois encore la cravache pour les chevaux voler et s'affaisser sur ma sœur. Et celle-ci qui émet un sifflement avant de s'abattre sur le bas de mon dos.
Un frisson me parcourt. Je secoue la tête.
- Tu veux encore de tes frites ? C'est pas poli, mais j'ai trop faim.
- Tu manges trop ! je dis en riant. Mais non je n'en veux pas, tu peux les prendre.
- C'est toi qui ne mange pas assez, dit-il en créant un écart plus que petit entre son pouce et son index.
- C'est gros un cheeseburger ! j'essaye de me défendre sans grand succès.
Les boutiques sont spacieuses, et le centre commercial l'est encore plus. Des escaliers électriques permettent de monter à l'étage. Ces « escalators » sont beaucoup trop dangereux. J'ai failli tomer, heureusement que Paul était juste derrière pour me rattraper.
- Bah alors Pauline se balade avec sa poupée de cire ?
Paul exprime un juron. Que j'aurais aimé réprimander si je n'avais pas compris que ces garçons à l'apparence d'ange gardien s'adressaient à lui.
- Je ne suis pas une poupée.
Je m'étonne moi-même du ton employé, c'est comme si je leur crachais dessus, comme mon père quand quelqu'un l'énerve.
- Ben c'est qu'elle est agressive la damoiselle en robe de soie !
Il ricane. Et moi je serre les dents. Paul aussi, sa mâchoire se sert et il avale sa salive.
- Ignore-les Rose, il me chuchote.
J'aimerais répliquer que non mais il fait demi-tour rapidement.
- Trouillard !
Je suis Paul qui marche d'un pas rapide. Je cours presque pour rester à sa hauteur.
- Paul... Qui était-ce ?
Il passe une main dans ses cheveux. Un geste qui montre sa gêne.
- Des garçons de mon lycée. Ils ne sont pas très gentils quand ils le veulent.
- Ils t'embêtent ?
- Entre autre. On peut arrêter d'en parler ? Ce ne sont que des pourritures qui ne méritent pas notre attention.
Je n'insiste pas plus.
~~~
- Pourquoi tu me dis ça ? Tu as honte que je sois avec toi avec cette « tenue » si étrangère, si anormale pour vous ?
Je crie presque à m'en tordre les cordes vocales.
- Non, mais c'est juste que tu attireras moins les regards méfiants ou intrigués, tu vois ? C'est pour toi.
Il ne dit pas ça très fort pour m'inciter à baisser le volume.
- Non je ne vois pas. Ce n'est pas pour moi, c'est surtout pour toi, parce que tu as peur que ce qui s'est passé tout à l'heure se reproduise ! Qu'est-ce que ça peut faire aux autres si je ne suis pas habillé comme eux, si je ne leur ressemble pas ? Ils peuvent toujours respirer et continuer à vivre leur vie tranquille, en quoi est-ce que je les dérange à ne pas rentrer dans leur norme, à ne pas être conforme, à être comme je suis. Je me rends compte que je dépends beaucoup du regard des autres, parce qu'il faut que ça soit élégant, il ne faut pas que l'on me regarde mal, c'est ma mère qui m'a inculquée ça. Et si pour cette fois ce n'est pas grave ? Et si pour une fois je pouvais ne pas dépendre de ces regards qui ne font que juger. On juge tous inconsciemment mais on n'est pas obligé de faire attention à ces évaluations rapide et sans profondeur. C'est notre propre volonté et puis, c'est ma liberté de choisir de ne pas être comme vous.
Je lui ai « cloué le bec ». J'ai lu un magazine déterminant un top 100 des expressions utiles et un top 100 de celles inutiles. Et ce magazine retranscrivait également une multitude d'expressions dont je n'étais pas vraiment au courant.
- Merci de m'avoir amené voir ce film. J'ai réalisé des choses dont je n'aurais pas été capable seule. Merci aussi pour tes conseils vestimentaires. Je vais les suivre, parce que j'aimerais beaucoup essayé vos vêtements à la mode. Mais ça ne retire rien de ce que j'ai dit.
Je croise les bras, signe que je ne changerais pas d'avis.
- Je ne savais pas que tu pouvais être aussi philosophique. Je suis épaté. Tu m'impressionnes vraiment.
Au final, j'ai pris deux shorts et trois tee-shirts. C'est étrange de s'habiller comme eux, je me sentais très légère sans ma robe. Paul a aussi insisté pour que je m'achète une paire de baskets qui ira avec la tenue trop conforme de cette époque qui n'a pas l'air d'être la mienne.
- Regarde Paul, ce magasin vend de très jolies robes, pourquoi est-ce que personne n'en porte ? Tu vois bien que je ne suis pas une exception !
Mes yeux doivent briller, surtout à cause des lampes de la vitrine, parce qu'il me dévisage avant de la regarder.
- Rose, ce genre de robes sont généralement portées pour des occasions spéciales. Comme un mariage, ou une soirée, ou une cérémonie, tout ça.
- Ah, je vois, je dis d'un air déçu. Regarde celle-là, elle est super belle.
Bleu clair avec des fleurs blanches, elle s'arrête juste au-dessus du genou. Classique d'après Paul, magnifique d'après moi. Par contre, le prix était légèrement exorbitant.
~~~
Les rues sont remplies de monde dans ce quartier de la ville. J'ai lu sur un panneau qu'il y avait un théâtre, et une gare. C'est sûrement pour ça qu'il y a beaucoup de personnes. Je me suis habillée en tenue dite normale par Paul.
Cette foule qui se hâte, qui se pousse, qui émet un son sourd à en faire saigner des oreilles. Elle paraît si grande, si pressée, si agitée.
Je me faufile et arrive devant une fontaine. Des oiseaux se baladent et prennent leur envol à chaque passant passant trop près.
Si je me souviens bien, on pouvait laver ses vêtements au lavoir situé au fond du parc, cela m'évitera d'utiliser trop d'eau de pluie qui sert à arroser les plantes. Je m'y dirige donc avec mon sac de linges.
Exactement comme je m'en souviens excepter la plaque priant de ne pas toucher au patrimoine. Au patrimoine ? Dois-je en conclure qu'il est inutilisable ?
Un garçon blond qui rit aux larmes, une jeune fille brune qui paraît lassée et un garçon brun odeur caramel. Il me voit, fronce les sourcils et incite ses amis à faire demi-tour. Je suis vexée. Est-ce parce qu'il y a ses amis qu'il ne vient pas me dire bonjour ? A-t-il si honte de moi ? Pourtant je suis habillée normalement aujourd'hui, comme il le souhaitait tant.
Tant pis, il n'a qu'à faire ce qu'il veut, je ne vais pas faire d'efforts pour lui. C'est dommage c'est tout, pour lui parce qu'il perd une possible amie. Ou pour moi ? Parce que je perds également une amitié qui a l'air d'éclore. « Bref », tant pis.
Je fais demi-tour, dans le sens opposé. Cependant, je vois du coin de l'œil qu'on me pointe du doigt. Je tourne la tête. Oh c'est son... amie ?
- HEY ! EXCUSE-MOI !
Elle trottine jusqu'à moi avec un grand sourire.
- Tu ne connaîtrais pas ce beau gosse là-bas par hAsArD ?? me chuchote-t-elle avec une voix qui se veut langoureuse et en haussant les sourcils pour sous-entendre une certaine idée.
- Euh, non, enfin oui mais non. Je hausse les épaules. Réponse pitoyable bonjour.
- T'es trop chouuuuu ! Je t'aime déjà !
Elle monte dans les aigus en parlant, montrant son enthousiasme. Elle paraît extrêmement énergique, pleine de joie. Grande, brune, bronzée, belle. Une parfaite suite, elle doit en briser des cœurs.
Je lui souris timidement, qui est-elle ? Pourquoi vient-elle me parler ?
- Je m'appelle Chloé si tu veux savoir. Je suis amie avec ton prince charmant.
- Hein ?
Je m'étouffe, je ne m'y attendais pas à cette remarque. Elle, elle s'esclaffe.
Paul et son ami nous rejoigne.
- Salut Rose...
Il paraît gêné, il n'a pas très envie de me voir à priori.
- Euh, je te présente Chloé et Jules, mes meilleurs amis.
- Salut, je souffle.
- Enchanté de rencontrer la belle du phare.
Mes lèvres s'étirent à peine et je baisse la tête parce que je sens mes joues devenir rouges.
Paul a donc parlé de moi à ses amis ? Je ne sais pas comment je dois le prendre, il voulait m'éviter après tout.
- Oh mais, Jules et moi on doit aller au magasin pour s'acheter des chips, tu t'en souviens Jules, hein Jules ?
Il fronce les sourcils, il n'a pas l'air de s'en souvenir. Elle insiste, ouvre ses yeux. Paul soupire, il pourrait presque rire, je le vois sur son sourire. Il rajoute pour inciter Jules :
- Mais si Jules, tu t'en souviens pas, vous me l'aviez dit tout à l'heure, je vous rejoindrais après, allez-y en premiers.
- Aaaah ouiii ! J'avais com-plè-te-ment zappé haha !
Un air faux et un ton faux. Je ne comprends pas du tout la situation, non, non, non, évidemment pas.
Je ris intérieurement. Je fais un énorme sourire pour contenir ce rire qui menace de sortir tant la situation est ridicule.
- Désolé pour ça.
- De quoi ? J'ai rien vu.
Je finis par lui arracher un sourire.
- On dirait que tu sais ce qu'est l'ironie maintenant.
- J'apprends. Avec le meilleur peut-être ?
- Je ne pense pas.
- Trop de modestie, je souris.
Il y a un silence, léger, qui se veut apaisant avant la tempête.
- Je suis parti chez toi hier.
- Oh.
Il souffle.
- Ce n'était ni plus ni moins que le vieux phare abandonné. Pas de salon, ni d'escalier en bois. Pas de lumière, d'étincelles. Juste de la terre et une ruine. Je voulais montrer à mes amis que le phare était bel et bien habité, par une jeune fille que je connaissais en plus. Je me suis bien ridiculisé en tout cas. J'ai cru que tu n'étais que mon imaginaire. Et voilà que tu te pointes avec les vêtements qu'on a achetés et que tu parles à mes meilleurs amis. Je ne comprends plus rien.
Il a dit ça rapidement. Il m'en veut je crois.
- Moi non plus je ne comprends pas.
- Attends, laisse-moi finir.
Est-ce moi ou il paraît triste ?
- Qui es-tu ? Qui es-tu Rose ? Pourquoi tu n'étais pas là hier et pourquoi tu habites dans un phare hanté ?
Est-ce qu'il pense que je lui mens ?
- Un phare hanté ?
- Oui, la légende dit qu'il est hanté, de nombreuses personnes ont déjà vu de la lumière à l'intérieur et une ombre se promener, mais jamais ils n'ont vu quelqu'un y habiter, quand ils entraient pour vérifier il n'y avait personne qui y était.
Mais qu'est-ce donc que cette histoire ?
- Mais j'y vis ! je pleure presque.
Des passants nous observent.
- J'y vis depuis ma plus tendre enfance, je ne comprends pas plus que toi cette légende ! Arrête de...
- Quoi ?
Paul a l'air énervé.
- Rien. C'est déjà fait, ce n'est même pas de ta faute.
- De quoi ? Dis-moi. Je déteste ne pas savoir quand c'est évoqué sous mes yeux.
Son ton a changé.
- Mais tes amis de la bibliothèque d'ailleurs, qui sont-ils ?
- Ce sont plus des camarades de classe qu'autre chose. Et puis, ne change pas de sujet !
Je m'en fiche, je continue.
- Et Chloé ? Tu l'as déjà aimé ?
- Bah oui je l'aime. Comme amie. Ne dévie pas le sujet Rose !
- Je doute de qui je suis.
J'ai sorti ça d'un coup, ce n'était pas prévu.
- Pardon ? Je crois que j'ai mal entendu. Pourquoi tu douterais ?
- Parce que, je ne sais pas, c'est comme ça. Et puis cette histoire de phare c'est complètement délirant. Bon je dois rentrer chez moi... au phare.
- ... D'accord.
Il soupire. Je soupire. Je pars. Je me sens mal. Je ne comprends rien à ce qu'il m'arrive, et cette légende, qu'est-ce que ça veut dire ?
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro