Chapitre numéro six
- Oh, Rose !
Je sursaute, odeur caramel. On ne s'est pas revu depuis la dernière fois et maintenant que c'est la rentrée, on se croise encore moins.
Je me retourne. Il semble radieux de me voir alors je souris. Même si dans ma tête c'est toujours le chaos tandis que mon cœur bat la chamade, inlassablement, infatigablement.
- Salut Paul, ça fait longtemps.
Ma voix n'est presque pas audible. Qu'est-ce qui m'arrive ?
- Pas tant que ça... Une semaine.
Ah, oui, peut-être bien que oui.
- Yo Paulo, tu rentres avec qui ?
Un garçon possédant deux têtes de plus que Paul vient d'apparaître derrière lui.
- Oups, je dérange peut-être ? il rit. Bonjour, ou plutôt, bonsoir future princesse !
Je fronce les sourcils en souriant. Qu'est-ce que ça veut dire ?
Paul lui écrase le pied.
- Aïe ! il imite des larmes.
- T'es fragile, se moque-t-il.
- C'est vrai.
Paul rit. J'avais oublié à quel point il me manquait.
- Je te présente Hash, c'est un comique dans l'âme.
- Et elle tu me la présentes pas ?
- C'est Rose, répond-il en me regardant furtivement comme s'il craignait quelque chose.
- Aaah ! La fameuse ! s'exclame-t-il. Enfin je te rencontre ! Tu ne sais pas à quel point Pau... Mais aïe !
Paul vient de lui écraser l'autre pied. Je ris, la situation est vraiment drôle. Je crois que je comprends ce que Paul craignait, Hash n'est pas discret. N'empêche que j'aimerais savoir la fin de sa phrase.
Hash tire la langue à Paul tel un enfant et soupire.
- Je suppose que tu vas rentrer avec la dame Paulo. Comment (il prend un air plus que dramatique) ? Comment peux-tu me trahir ainsi ? Bouhouhou !
Il simule des flots coulant de ses yeux puis rit tout à coup à gorge déployée.
Hash est marrant. Il donne une petite tape sur l'épaule de Paul, lui fait un clin d'œil indiscret et s'en va en me faisant un signe que je lui renvoie.
- Hash est bête.
- Plutôt drôle.
- Tout de même, il soupire. Tu veux, hum, tu n'as encore jamais vu mon chez-moi.
Main dans ses cheveux, l'autre dans le cou.
- Avec plaisir.
Je souris et il sourit en retour.
- C'est grand chez toi !
- Mais c'est vide alors...
Il paraît triste. Il fait un petit sourire et m'entraîne à l'étage.
- Mon père m'a acheté ça mais à vrai dire, je ne l'utilise pas beaucoup.
Il me montre une petite boîte blanche reliée à une sorte d'ordinateur géant avec deux télécommandes et un écran.
- Ton père n'est pas là ? Et qu'est-ce que c'est ? je demande en pointant du doigt l'objet.
- Non, mon père voyage parfois voir souvent donc je reste ici avec la femme de ménage, elle est sympa.
Il hausse les épaules mais baisse tout de même le regard.
« Tu ne te sens pas trop seule ? » Est-ce que lui se sent seul ?
- Ça, il sort une seconde télécommande, c'est une télévision ce grand écran déjà, et ensuite la petite boîte blanche c'est la Wii U. Tu sais y jouer ?
Il se moque déjà parce qu'il sait très bien que je ne sais pas y jouer.
- Je ne savais déjà pas ce qu'était un ordinateur ou une télévision alors tu crois que je sais jouer avec cette boîte ? D'ailleurs comment tu veux y jouer ?
Maintenant il rit tout court.
- La Wii U est une console de jeux vidéo. Elle est branchée là, il me désigne le fil qui relie les deux machines, et les jeux sont virtuels, on ne va pas forcément les toucher mais on les dirige grâce à ces manettes.
Il continue de m'expliquer. Je l'écoute sans forcément comprendre. En faite je suis perdue depuis le mot « virtuels ».
- Tu comprends ?
Je fais une petite moue triste qui veut juste tout dire. Il rit.
- Bon c'est pas grave. On ne va pas forcément y jouer. En faite, il n'y a rien à faire chez moi.
Paul n'est pas forcément fier de son chez-lui.
- Alors comment tu t'occupes ?
- J'ai des livres, un piano, cette console même si le jeu est un peu pourri.
- Quel jeu ?
- Mario Party 10, mon père croit que je suis encore un gamin je suppose.
Il sort la boîte avec marqué le titre en gros.
- Donc c'est un jeu plutôt pour les enfants ?
- Non, mais disons qu'il y a plus compliqué.
Si mes yeux pouvaient contenir des étoiles comme dans ces livres à images, ils les auraient.
- Je suppose que t'as envie d'y jouer ?
Je fronce les sourcils, comment a-t-il deviné ?
- Je crois que maintenant je sais lire sur ton visage.
Je ris, c'est possible. Je ne suis pas si indéchiffrable que ça.
~~~
- Oh non on a encore raté !
Il rigole mais je suis dégoûtée.
- Ça doit être la euh, huitième fois qu'on essaye ce mini-jeu ?
Il rit encore plus à sa propre remarque.
- Je croyais que c'était facile !
- Oui ça l'est mais tu es vraiment la pire des débutantes !
- Mais tu pourrais gagner pour nous !
- Mais non, c'est le principe d'un jeu en duo ! Les deux personnes doivent en donner pour gagner. Si tu ne joues pas vraiment et que je fais tout c'est vraiment pas drôle !
Pff, je soupire et m'allonge sur la moquette. C'est trop compliqué, en plus ça commence à m'énerver ! Il a un sourire radieux.
- Tu veux faire une pause ? Je vais chercher de l'eau j'arrive.
Je hoche la tête. Il sort et je me lève pour me dégourdir les jambes mais je trébuche comme une idiote sur une petite caisse. PHOTOS en gros écrit dessus.
- Je vois que tu n'es pas douée et que tu as trouvé ma boîte fétiche.
Je sursaute et soupire. Paul est beaucoup trop silencieux.
- Je peux te demander ce qu'il y a dedans ?
- Tu viens de le faire.
- C'est vrai, je ris.
On s'assoit avec le mini-jeu en pause devant nous. Il ouvre la boîte et en sort quelques photographies, en couleur. De sa mère, de sa sœur, de sa famille au grand complet, c'est ce qu'il dit.
- Dis Paul, est-ce que tu te sens seul ?
J'essaye de demander ça le plus innocemment possible, j'espère qu'il ne va pas se renfermer sur lui-même, comme Lucie.
Il me regarde et reporte son regard triste sur la photo de famille au complet.
- Oui parfois.
Il marque une pause.
- Parfois j'aimerais ne plus être là. De toute façon je n'ai pas de réelle importance pour quiconque.
Il fait un sourire triste, toujours avec sa photo à la main. Et moi je verse une larme.
- Ce n'est pas vrai ! Tous tes amis te soutiennent, ils t'adorent ! Chloé, Jules, Hash, même Sabrina t'aime bien ! Tu comptes beaucoup pour eux !
Je sanglote presque et malheureusement, je sens que ça va venir.
- Et puis même si ta sœur et ton père ne sont pas là, avec toi, je suis sûre qu'ils t'aiment de tout leur cœur. Même ta femme de ménage, je suis certaine qu'elle a une certaine affection pour toi !
Il ricane légèrement.
- Peut-être bien.
Ça y est, il y a plus de trois larmes.
- Tu ne devrais pas dire que tu n'as pas d'importance, tu vois, il y a toujours des personnes que tu ne vas soupçonner pour qui tu comptes plus que tu ne le crois.
Du moins, c'est ce que j'ai compris...
Il ne me regarde pas. C'est comme s'il ne me voyait plus, et la seule chose qu'il voit c'est cette photo.
- Ma sœur Lucie avait de nombreux problèmes de confiance en elle mais elle ne me disait rien. Elle ne me disait rien et elle a bien failli mourir.
Maintenant, je hoquète, j'ai du mal à respirer.
- Je... Je ne te laisserais pas faire une erreur pareille. Je t'aime beaucoup Paul, tu es en ce moment, la personne la plus signifiante à mes yeux, la plus importante !
Je n'ai pas le temps de le voir. Il me prend dans ses bras et me serre fort, comme s'il avait peur de me perdre.
- Tu ne devrais pas pleurer, tu es trop sensible.
Je les sèche et il me sourit pour me réconforter.
- On la continue cette partie ?
~~~
Cinq petits toc, une entrée fracassante.
- Bonsoir Paul, oh, vous avez ramené une amie ! Bonsoir mademoiselle !
Paul se lève et va faire la bise à sa femme de ménage d'environ quarante ans.
- Bonsoir Cindy. Je vous présente Rose.
- Enchantée !
On échange quelques sourires, quelques mots et elle m'oblige à rester manger.
- Ne vous en faîtes pas, on mange bien ici !
Je souris et j'accepte.
On arrête de jouer à la Wii U et Paul m'emmène dans la pièce d'à côté.
- La salle que nous venons de quitter c'était une salle de jeux où on stockait tous nos Playmobils avec ma sœur. Là on va dans le bureau de ma mère.
Il allume la lumière qui m'éblouit à cause du contraste avec le couloir sombre.
La pièce est spacieuse et au milieu, une toile, toute petite. Magnifique.
- Tu m'avais dit que tu voulais voir mes peintures non ?
- Je n'ai même pas eu besoin de te « forcer la main » !
Il rit. Je m'approche du tableau, l'observe, le scrute, sous toutes les coutures possibles.
- Il est magnifique Paul, le phare est extraordinaire. Quand est-ce que tu l'as fait ?
- La semaine où on ne s'est pas vu...
Il passe une éternelle main dans ses cheveux tandis que je l'admire.
- Il n'est pas si incroyable tu sais... Et puis, il manque quelque chose.
- Ah bon ? Quoi ?
Il fronce les sourcils et met sa main sous son menton. Il réfléchit.
- Je ne sais pas encore. Mais ça viendra.
Je fais le tour de la pièce, quelques autres peintures sont posées ci et là.
- Paul, tu veux être peintre plus tard ?
Il sourit mais me fait signe que non.
- Je ne sais pas ce que j'aimerais faire. C'est un sujet sensible pour mon père et complexe. On doit choisir plutôt tôt et pourtant tout le monde semble préparé. Ils semblent tous savoir quelle direction prendre, ils se focalisent sur un futur qu'ils essayent d'imaginer tant bien que mal. Moi je n'y arrive pas c'est comme ça. Je trouve que l'on est un peu trop jeune pour penser à ce genre de choses mais il va bien falloir commencer après tout, c'est dans pas longtemps.
Je l'écoute, attentive. Moi aussi je ne sais pas. En faite, ce n'est pas une question à laquelle j'ai réfléchi. Je n'y ai même jamais pensé. « Travailler pour survivre » c'est ce que ma mère me disait. Sans travail, pas d'argent. Sans argent, pas de vie. C'est un peu bête, et un peu contraignant. Mais c'est ainsi, les lois de la nature peut être ?
- Ce qui fait peur à tout le monde qu'est-ce que c'est ?
- Je ne sais pas, l'inconnu ?
- Oui. L'inconnu.
Il semble songeur.
- C'est l'inconnu, or le futur est inconnu. Sera-t-on encore vivant demain ? Les arbres seront-ils toujours aussi vert en été ? Y aura-t-il toujours de la neige en hiver ? Le futur est inconnu alors on essaye de le façonner. Mais une peur très présente quand on façonne, c'est l'échec. Et si on n'en venait pas à bout ? Et si on n'y arrivait pas ? Est-ce que cela voudrait dire que l'on a raté notre vie ? C'est triste à dire, mais j'ai peur de l'échec.
Mais qui n'en a pas peur ? On reste silencieux un moment.
- Je ne pense pas au futur, je finis par sortir. Je n'arrive pas à y penser, en faite je n'y arrive plus. Le futur a-t-il du sens si, comme tu le dis, on meurt demain ? Pourquoi est-ce qu'on ne se préoccupe pas du présent parfois ? On reporte souvent des choses à faire mais on ne devrait pas. On devrait faire pleins de trucs qui nous plaisent dans le présent et pas dans le futur parce qu'il est inconnu. Après, je peux aussi supposer que cela dépend de ces trucs.
- Oui. Peut-être. Mais c'est comme ça. Qui sommes-nous pour changer le cours de l'histoire, le cours des choses qui se sont formées il y a longtemps maintenant ?
- Eh bien, nous sommes ce que nous sommes, on ne peut rien y faire.
Il sourit et regarde par la fenêtre.
- Le coucher de soleil est beau même s'il doit encore plus l'être du phare.
Je m'approche de la fenêtre à mon tour, juste à côté de lui. Et je souris. C'est vrai qu'il est beau ce dégradé chaud. Puis je le dévisage. Son visage est baigné dans une couleur orange, presque rouge. Il sourit aussi, et ses yeux scrute le moindre changement de cette vue.
La porte s'ouvre et Cindy apparaît dans l'encadrement.
- Ah vous êtes là ! Le repas est prêt, vous venez ?
Il acquiesce et se dirige vers la porte. Je regarde à nouveau par la fenêtre, il va bientôt faire nuit.
Je fronce les sourcils et appelle Paul. Je ne pourrais pas rentrer chez moi s'il fait nuit ! J'avais complètement oublié, qu'est-ce que je suis bête !
Je lui explique rapidement la situation.
- Allergique à la nuit ?
- Oui, c'est bizarre, complètement fou, je ne sais pas si il y a un quelconque nom mais j'ai des plaques rouges partout après.
Il rit mais voyant mon air paniqué, arrête immédiatement.
- C'est trop tard, regarde, me dit-il en pointant la fenêtre du doigt.
Le soleil est presque parti, ce n'est qu'une question de minutes, or il faut sûrement une bonne vingtaine de minutes pour aller jusque chez moi. C'est foutu. Qu'est-ce que je vais faire ?
- Ça me gêne de te le proposer mais, il passe une main dans ses cheveux, tu peux rester dormir ici si tu veux. Il y a plein de pièces libres ce n'est pas dérangeant.
Dormir... Ici ? Chez lui ? Dîtes-moi que je rêve !
- Euh, bah, tu es sûr que je peux ?
- Eh bien je crois que c'est la seule solution possible...
On se regarde du coin de l'œil, on attend la réaction de l'autre. Je souris légèrement.
- D'accord.
Le repas se passe sans encombre, il était excellent et Cindy est très gentille. Elle n'a pas demandé une quelconque raison à cette soudaine décision mais m'a suggéré de dormir sur un matelas dans sa chambre et pas seule dans une autre pièce. Je crois que j'étais rouge comme pivoine mais Paul l'était encore plus. En tout cas, Cindy a ri et a marmonné des paroles inaudibles.
Elle m'a prêté un pyjama et une brosse à dents pour me dépanner puis est partie se coucher.
Paul et moi, on a veillé. On a parlé, beaucoup. Il me taquinait, on riait puis on a décidé d'aller dormir parce quand même, il se faisait tard.
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