Yoongi frissonnait, et pire que ça il commençait à respirer de manière si saccadée qu'il se débattait faiblement dans l'espoir de se dégager des tissus qui l'emprisonnaient. Il mourait de chaud, effrayé, et ses muscles crispés devenaient douloureux. Il se mit à geindre, incapable de formuler un mot entre ses lourdes inspirations, et l'étreinte de Jimin se raffermit de sorte à l'empêcher de tomber.

« Ça va aller, hyung, t'inquiète pas. Je t'amène au poste de secours, j'ai un pote qui y bosse tout l'après-midi, il va pouvoir te prendre en charge, il va t'aider. Respire, essaie de tenir, on y est presque. »

Les larmes sur ses joues s'échouaient désormais sur le costume de son cadet contre le torse de qui il avait appuyé le front. Il constituait un repère pour lui, une preuve que non, le monde ne tournait pas. Peu apaisé par ces paroles qui se voulaient réconfortantes, Yoongi se recroquevilla.

L'inquiétude de Jimin se lisait sur son visage, et sa course derrière certains stands ne passa pas tout à fait inaperçu... mais il se moquait des regards sur lui. Tout ce qui comptait, c'était cet endroit où n'avait pris place aucun vendeur : dans la pièce avait été installé un poste de secours permanent aujourd'hui occupé par des médecins bénévoles. En échange d'une demi-journée de travail, ils recevaient une entrée gratuite pour eux et un proche, ainsi que deux repas offerts, un déjeuner et un dîner. Parce qu'il s'y était rendu avant sa performance afin d'y saluer son ami, Jimin savait qu'ils disposaient d'un grand espace et de bon nombre de lits.

Il poussa la porte de bois à l'aide du pied, sans la moindre douceur, et scruta la salle qui s'ouvrait devant lui. Il s'y trouvait plusieurs chaises où des gens patientaient déjà, et une dizaine de couchettes un peu plus loin. Contre un mur, des étagères et des armoires permettaient de stocker divers équipements, et une porte donnait sur un bureau. Quelques personnes étaient étendues là, un médecin ou un infirmier à leur chevet, et avec son apparition peu discrète, Jimin attira aussitôt l'attention sur lui et son aîné.

« Jimin, qu'est-ce qui se passe ?

— Taemin, j'ai besoin de toi ! » l'appela le jeune garçon en le rejoignant d'un pas rapide.

Le dénommé Taemin, un jeune homme un peu plus vieux que l'illustrateur, arborait désormais une mine soucieuse, le regard rivé sur Yoongi. Ses cheveux noirs coupés courts témoignaient de son retour récent du service militaire, et son corps plus sculpté qu'à son départ prouvait ses efforts. Beaucoup enviaient les traits harmonieux de son visage, mais s'en tenir à l'apparence serait stupide : gentil, généreux, sportif et diplômé du plus haut niveau de médecine, Taemin représentait pour Jimin un fantastique exemple de réussite sociale et personnelle. C'était un garçon heureux et entouré qui avait beaucoup lutté pour se hisser où il se trouvait désormais. Jimin l'avait connu dans un état plus difficile, et chaque jour il se réjouissait de le savoir comblé et souriant.

Taemin accourut vers son ami. Il s'apprêtait à poser la main sur Yoongi pour demander ce qui lui arrivait quand Jimin l'arrêta d'un « stop » véhément.

« Je...

— Le touche surtout pas, ça aggraverait les choses, prévint Jimin. Je t'expliquerai, on pourrait l'isoler au bureau ? Il a besoin de calme.

— Ouais, dépose-le sur un lit. »

Heureusement que jamais qui que ce soit n'utilisait cette pièce. Jimin reposa avec une douceur déconcertante son aîné sur le lit le plus proche, équipé de roulettes. La respiration de Yoongi devenait de plus en plus bruyante et saccadée. Taemin et son ami conduisirent le patient dans la salle d'à côté dont ils allumèrent la lampe. Jimin referma la porte tandis que Taemin installait le lit correctement de sorte à circuler autour sans gêne.

« Jimin, est-ce que ton ami a besoin d'un médicament en particulier ?

— Non, il prend pas de ventoline. Il fait une crise de panique, et je sais pas du tout gérer ça, moi.

— On va le mettre sous oxygène, il est en train de s'étouffer.

— Juste... hyung, il supporte pas qu'on le touche, ça le ferait paniquer encore plus et...

— Tu peux compter sur moi, l'interrompit Taemin. Je vais prendre soin de lui. »

Son cadet opina alors que l'aîné avait déjà filé, et Jimin se laissa retomber lourdement sur une chaise qu'il tira jusqu'auprès de Yoongi. Le jeune homme s'était défait de ses couvertures et s'était installé en position latérale de sécurité. Jimin se mordit la lèvre, et toute la peur qui l'avait envahi finit par se manifester par une larme qui lui échappa et qu'il écrasa. Il approcha de son ami, récupéra sa cape échouée au sol et reprit sa place.

« Tout va s'arranger, Yoongi, je te le promets, » souffla-t-il avec tendresse.

Des halètements lui répondirent, et à peine une trentaine de secondes après son départ, Taemin revint, équipé de ce qui permettrait à Yoongi de ne pas défaillir sous l'effet de sa respiration courte. Jimin recula pour laisser de l'espace au médecin qui s'empressa de poser le masque sur le visage de Yoongi à qui il avait demandé de s'allonger sur le dos. Tremblant, le réceptionnaire avait obéi, et quand Taemin l'enjoignit à inspirer le plus tranquillement possible, il s'exécuta. Il cessa de tousser, de s'étouffer, et Jimin se détendit à mesure que s'écoulaient les secondes. Après de longues minutes, Yoongi reprit enfin une respiration tout à fait normale.

Il n'en demeurait pas moins stressé pour autant, car des larmes lui échappaient encore, ses muscles restaient crispés, et Jimin craignait qu'à tout moment un geste malheureux de Taemin ne le pousse à replonger. Ce dernier néanmoins avait prévu ça : il sortit de sa poche une boîte de médicaments qu'il tendit à Yoongi.

« Est-ce que t'as des allergies à certains produits ? » lui demanda-t-il.

Yoongi nia d'un mouvement de tête.

« C'est des somnifères, indiqua Taemin. Si tu veux pas en prendre, c'est pas un souci, mais je pense que ça pourrait t'aider à te calmer, ça te fera du bien de dormir. Le festival se termine à dix-huit heures, tu peux rester ici jusque-là, et quand y aura plus personne, tu pourras repartir sans crainte. À toi de voir. »

Cette fois, Yoongi hésita. Jimin devina sans mal ce qu'il craignait.

« Personne te touchera pendant ton sommeil, affirma-t-il. Je resterai là pour m'en assurer, je le jure. Je te protègerai comme si c'était toi, mon anneau magique. T'as rien à craindre, je quitterai pas mon poste. »

Amusé par la remarque et rassuré, Yoongi opina. Il tendit une main tremblante à Taemin qui lui donna le paquet en lui recommandant de ne prendre qu'un comprimé s'il n'était pas habitué aux somnifères. Le jeune homme n'en avala qu'un à l'aide d'un verre d'eau, et remercia d'un signe de tête reconnaissant le médecin qui quitta la pièce après avoir rapporté une couverture qu'il laissa au patient.

Enfin seuls, les deux garçons échangèrent un regard.

« Tu te sens mieux ? souffla Jimin.

— Un peu, opina Yoongi – et sa voix abîmée lui parut lointaine, inconnue.

— T'es bien installé, tu veux une autre couverture ?

— C'est pas le froid qui me fait trembler.

— Pourquoi être venu alors que... enfin...

— Alors que je suis agoraphobe et haptophobe ? compléta Yoongi sans complexes.

— Haptophobe ?

— Je supporte pas qu'on me touche.

— Oh... alors pourquoi... ?

— J'en rêvais... Je suis fan de fantasy depuis bientôt dix ans, je voulais... j'espérais juste que ça m'aiderait à surmonter mes peurs... mais visiblement, je suis pas encore assez fort, termina-t-il d'une voix peinée.

— Attends, t'as réussi à entrer ici, à te balader, et tu trouves encore que t'es pas assez fort ? s'étonna Jimin. Comment tu peux dire ça ? Faut avoir un putain de courage de malade pour faire tout ça quand la foule nous terrifie.

— C'est gentil.

— C'est sincère. La couverture te suffit ? Je peux aller en chercher une autre, si tu veux.

— Ce sera pas nécessaire, merci beaucoup. Et merci pour tout. Je suis désolé de t'embêter alors que t'aurais préféré...

— J'aurais rien préféré, le coupa Jimin. Je suis heureux de pouvoir apporter mon aide, et le plus important, c'est ta santé. »

Yoongi haussa les épaules. Plus à l'aise sur le côté pour dormir, il se tourna vers Jimin qui ancra son regard dans le sien. L'aîné baissa aussitôt les yeux.

« Et j'y pense, reprit-il en voyant le costume du cadet, félicitations pour ta prestation, c'était vraiment impressionnant.

— Merci beaucoup, je suis heureux que ça t'ait plu, sourit Jimin. Ça a été dur, mais on a travaillé sans se décourager.

— C'est votre prof qui a proposé le thème du Seigneur des Anneaux ?

— Oh... en fait, ce que t'as vu, c'est une démonstration du club que j'ai créé. C'est mes élèves, et pour le moment je suis le seul prof.

— Sérieux ? T'en fais depuis longtemps ?

— Depuis que j'ai sept ou huit ans, ouais. J'ai même été titré champion du monde, y a six ans.

— Oh putain... tu dois avoir un sacré niveau.

— J'imagine, répliqua Jimin dans un haussement d'épaules qui témoignait de son embarras. Alors repose-toi, tu peux compter sur moi, petit elfe, je garde le bureau. »

Yoongi esquissa un sourire amusé.

« Comment tu sais ?

— Namjoon-hyung m'a dit que t'étais un grand fan de Légolas.

— J'en étais sûr. »

Incapable de lutter plus longtemps, il laissa ses paupières se fermer, et alors que peu à peu la torpeur le gagnait, il entendit un dernier « dors bien » qui apaisa son cœur et réchauffa son corps. Il plongea dans un lourd sommeil.

~~~

Trois heures de l'après-midi venaient de sonner quand Jungkook poussa d'un geste absent la porte du cabinet de son kinésithérapeute. Ses yeux rouges et gonflés n'enlevaient rien à la beauté de son visage, les larmes qui roulaient sur ses joues non plus. Or, elles témoignaient d'une douleur telle qu'elles briseraient même un cœur de pierre.

Le jeune homme ne tenta pas de les essuyer, il savait que c'était peine perdue. Il tira son smartphone de sa poche, ses écouteurs, et tomba sur un message qui lui avait été laissé pendant qu'il se trouvait avec son médecin.

Yoongi – Hello, j'espère que tout se passe bien de ton côté. On pourrait s'appeler, s'il te plaît ?

Un sanglot secoua son corps, son âme s'allégea à l'idée d'entendre la voix de son hyung adoré, son confident, et il appuya aussitôt sur la touche pour le contacter. Les sonneries s'enchaînèrent, mais son correspondant demeura injoignable. Ça arrivait souvent à Yoongi d'éteindre son portable ou bien de le mettre en mode avion, si bien que Jungkook ne se posa pas de questions. Le SMS lui avait été envoyé plus d'une heure auparavant, après tout.

Dépité, plus mal encore qu'en sortant quelques instants plus tôt, Jungkook brancha ses écouteurs et lança sa playlist la plus douce, celle qui l'accompagnait quand plus rien n'allait. Ses larmes redoublèrent et il décida de ne pas rentrer tout de suite chez lui : impossible de s'enfermer dans son minuscule studio, il ne le supporterait pas. Il éprouvait un ardent besoin d'espace, et peut-être espérait-il que ça permettrait à sa tristesse de s'envoler loin de lui – ou bien que ce soit lui qui s'envole loin d'elle.

Jungkook leva les yeux sur un ciel couvert, aussi morne que lui. Il se mit en route d'un pas lourd, comme si le libraire traînait derrière lui un boulet d'acier. Il ignorait où il se rendait, il avançait sans but, errait dans les rues de Séoul.

Ses sanglots ne se calmaient pas, et l'idée de contacter ses parents pour trouver du réconfort auprès d'eux l'effleura avant qu'il ne la repousse : il ne souhaitait pas les inquiéter, et il ne se sentait pas capable ni de leur mentir, ni même de leur parler. Un seul mot à qui que ce soit et son chagrin deviendrait plus important encore.

Des souvenirs bien plus douloureux que ses blessures déferlaient sur lui, et alors qu'il désirait avec ardeur le soutien de son entourage, le voilà qui se retrouvait au milieu des passants, plus seul que jamais.