Chapitre 20
Jimin.
Park Jimin, le meilleur ami et illustrateur du grand auteur Kim Taehyung.
Park Jimin, celui qui l'avait défendu alors qu'un client se défoulait sur lui.
Park Jimin, ce Park Jimin qui ressemblait à un enfant du fait de ses moues adorables et de ses joues rondes... c'était bien ce Park Jimin qui se tenait, plus charismatique que jamais, devant une foule qui se mit à hurler en découvrant le jeune homme magnifique qui incarnait leur héros.
« On m'a un peu parlé de toi », « je pense qu'on pourrait bien s'entendre ». C'était ces mots que Jimin avait balbutiés de manière timide au cours de leur dernière rencontre, et... si c'était bel et bien Namjoon qui lui avait parlé de Yoongi, alors aucun doute : une des premières choses qu'il avait mentionnées, c'était sa passion pour la fantasy, et en particulier pour le Seigneur des Anneaux.
Yoongi n'en revenait pas, et il n'en revint pas non plus quand, lorsque la musique prit un rythme plus marqué, le spectacle commença. Chaque élève eut droit à son moment de gloire à l'avant de la scène, mais il demeura indubitable que Jimin dirigeait. Alors que deux de ses quatre compagnons gisaient à présent à terre face à une demi-douzaine de vilains, Jimin se chargea de venir en aide à un ami. Désormais au centre de l'attention – et de l'estrade –, il se positionna devant ses adversaires qui s'élancèrent les premiers.
La chorégraphie témoignait d'une maîtrise parfaite du taekwondo. À chaque coup d'épée ou presque succédait un coup de pied formidable qui, dès lors qu'il s'agissait de Jimin, atteignait sa cible. Le bois claquait en suivant la mélodie, les hommes frappaient de toutes leurs forces, et les expressions de leur visage paraissaient traduire la haine viscérale que chaque camp éprouvait pour l'autre. Jimin para l'attaque d'un de ses assaillants, juste après quoi il pivota pour infliger à un second un coup de pied d'une force telle que l'ennemi en fut déstabilisé. Le compagnon d'armes de Jimin peinait à respecter la cadence, il profita de ce déséquilibre pour lui asséner un coup qui le tua. L'élève s'effondra sur la scène, et les combats, jusque-là en un contre un ou un contre deux, formèrent une même mêlée.
Or, avec les trois jeunes gens à présent étalés sur le sol, en retrait afin de ne pas gêner leurs camarades, le tout demeura facile à suivre. Les attaques se succédaient sans revêtir ce côté brouillon qu'un nombre trop important d'acteurs aurait pu engendrer. Jimin menait le jeu : seul contre quatre, il virevoltait entre chaque adversaire, frappait, esquivait, et finalement tuait. Dans un hurlement sauvage, il abattait sa lame. Ses gestes débordaient d'une rage folle, la même rage qu'exprimaient ses yeux devenus aussi obscurs que le plus parfait néant.
Un coup de pied, un coup d'épée, un saut accompagné d'une acrobatie d'une agilité sans borne, Jimin concentrait sur lui toute l'attention. Face à lui, ses rivaux avaient beau parer une attaque, ils ne voyaient pas venir la suivante, et la chorégraphie se révélait à ce point millimétrée, à ce point travaillée, qu'elle en paraissait naturelle, tout à fait réelle. Jimin jouait sa vie, et les spectateurs retenaient leur souffle devant ce périple épique.
Et Yoongi... Yoongi avait oublié sa phobie des autres, il avait oublié le festival, il avait même oublié sa figurine. Parce que seul Jimin occupait son esprit. Jimin qui avait écrasé cinq adversaires, permettant aux jeunes gens de reprendre l'avantage sur les orcs. Il n'en restait qu'un, un qui ploya sous le coup fatal asséné par le garçon, et Yoongi voulut devenir pareil à cet elfe glorieux qui avait la chance de côtoyer Jimin, de se battre à ses côtés, et de le regarder dans les yeux sans prendre peur.
Le combat s'acheva environ trois minutes après avoir commencé, en même temps que s'acheva la musique. Yoongi applaudit de toutes ses forces, émerveillé par la performance. Ce fut à peu près à cet instant que tout bascula, lorsque ses applaudissements s'élevèrent au-dessus de ceux des autres personnes pourtant plus proches de la scène que lui... et que Jimin, qui souriait à son public, tourna la tête pour découvrir, dans un coin sombre et reculé, le réceptionnaire dont il s'était entiché à peine quelques jours plus tôt.
La mâchoire faillit lui en tomber, d'autant plus quand il vit briller dans ses prunelles un bonheur et une admiration indescriptibles. Il n'en profita néanmoins pas longtemps, puisque dès qu'il comprit qu'il avait été repéré, Yoongi baissa les yeux, replaça sa capuche et fila sans attendre au kiosque le plus proche.
Il se jeta dans la gueule du loup, tout ça pour éviter Jimin. Yoongi ne prit la mesure de son erreur qu'une fois planté devant le stand de figurines, entouré d'une foule qui cherchait la perle rare. Sa timidité face à un seul garçon l'avait incité à se noyer sous les flots de la masse qui pourtant l'effrayait au plus haut point, et ses craintes lui infligèrent un contrecoup abominable. L'angoisse, qui avait jusque-là déserté, le saisit à la gorge, l'étrangla, et alors que le vendeur avançait à son comptoir pour s'enquérir de ce qu'il désirait, Yoongi se retrouva muet, paniqué.
« Monsieur ? Tout va bien ? »
Yoongi ne trouva pas même le courage d'opiner : il recula sans même prendre garde à ne heurter personne. Il s'arrêta juste à temps, après avoir repéré une silhouette derrière lui. Le client en profita pour lui passer devant et demander ce qu'il souhaitait. Yoongi l'observa, presque ahuri, et déglutit en songeant qu'il pouvait l'imiter : un bonjour, une courte phrase pour réclamer sa figurine, et il pourrait s'en aller après avoir payé.
Première étape : revenir au comptoir.
L'action nécessita d'interminables secondes pendant lesquelles il tenta de concentrer son attention sur les articles plutôt que sur les clients qui l'effleuraient sans arrêt, provoquant en lui une panique grandissante. Il était environ midi, les stands de nourriture à l'autre bout de la salle étaient les plus prisés, ce qui n'empêchait pas la foule de se répartir quand même sur l'ensemble de la surface.
« Hyung ? »
Yoongi sursauta. Près de lui se tenait Jimin, toujours vêtu de son costume. Il portait néanmoins un sac de sport en bandoulière à l'épaule (sac qui attira l'attention de Yoongi pour le porte-clés qui y figurait, l'œil de Sauron, du Seigneur des Anneaux), et son regard avait retrouvé son habituelle douceur, teintée désormais d'inquiétude. Quand il comprit qu'il se trouvait bel et bien face à Yoongi, il fronça les sourcils.
« Qu'est-ce que tu fais ici ? Je... hyung, tu vas bien ? »
L'aîné en effet respirait avec de plus en plus de difficulté, et ses yeux brillants indiquaient qu'ils se gorgeaient de larmes. Chaque seconde de plus ici lui apparaissait comme un calvaire, et les gens qui le frôlaient, si près de lui, ces gens qui sans le savoir avaient violé son espace vital... Il ne souhaitait pas craquer devant Jimin, mais un rien suffirait désormais à déclencher ce que Yoongi redoutait depuis qu'il avait décidé de venir.
Yoongi perdit pied dès l'instant où un groupe de jeunes aborda Jimin. Ils le félicitèrent pour sa performance et pour son palmarès, ils... ils quoi, déjà ? Yoongi l'ignorait : un assourdissant acouphène hurlait à ses oreilles, sa vue se troublait et des vertiges s'emparaient de lui alors que son souffle s'emballait. Les conversations incompréhensibles de Jimin et de ses admirateurs bourdonnaient, Yoongi n'entendait plus rien d'autre qu'un bruit aigu pareil à un long cri.
Jimin, qui s'était tourné pour répondre au plus vite à ses fans, s'excusa. Or, lorsqu'il se retourna, ce fut pour découvrir que son ami avait disparu.
Yoongi ne supportait plus le public, impossible d'y rester une seconde de plus. Il pivota après le second stand pour se réfugier à l'endroit d'où il avait observé le spectacle, à peine trois minutes plus tôt. Il se recroquevilla, et la foule ne le remarqua pas (ou bien l'ignora). Épuisé par la peur panique qui s'était emparée de lui, il haletait, toussait, et tout ça entre deux sanglots, tandis que des larmes coulaient en abondance sur ses joues.
Pire que la panique, il subissait une déception qu'il ne pensait pas réussir à surmonter avant un bon moment : il avait craqué si près du but ! Jimin l'avait déstabilisé alors qu'il aurait pu gagner la lutte entamée contre lui-même depuis des années ! Deux phrases et il aurait rapporté de ce festival des souvenirs incroyables et une émouvante fierté !
Il ne s'était jamais senti si minable que maintenant, d'autant plus qu'il ignorait s'il parviendrait ou non à sortir d'ici. Tout ce qu'il savait, c'était qu'il ne voulait plus approcher qui que ce soit, et il se trouvait pris au piège. Dès lors qu'il s'extirperait de son coin, il se retrouverait de nouveau entouré de monde, et ça, il s'y refusait.
Yoongi se recroquevilla un peu plus encore sur lui-même, accroupi, mais il s'agenouilla quand sa position devint trop douloureuse. Ça lui comprimait le thorax, ce qui n'aidait en rien sa respiration difficile. Sa gorge brûlait, il lui semblait ne pas ingurgiter assez d'air. Terrifié, le pauvre tenta de maîtriser ses émotions, mais en vain.
Puis une silhouette apparut devant lui, se baissa à sa hauteur, et Jimin le couva d'un regard rassurant que son aîné, aveuglé par ses larmes et ses vertiges, ne put saisir.
« Hyung, calme-toi, ça va aller, on va te faire sortir de là, d'accord ? »
Yoongi leva le visage en direction de cette voix enchanteresse, et il posa une main sur sa gorge. En découvrant son état, Jimin perdit son air bienveillant au bénéfice d'une mine angoissée.
« Eh, Yoongi, tu m'entends, hein ? Tu fais une crise d'asthme ? demanda-t-il – et Yoongi répondit non d'un signe de tête. C'est... ta phobie ? tenta-t-il ensuite – et Yoongi opina, cette fois. Ok, ok... je... est-ce que tu penses pouvoir te calmer seul ? »
Non.
« T'as besoin d'un médicament en particulier ? Ventoline, par exemple ? »
Non plus.
« Hyung, est-ce que tu peux te relever ? »
Yoongi s'étouffa avec un sanglot, il tremblait de tous ses membres.
Il bougea la tête de gauche à droite.
Jimin réfléchit le plus vite possible, son regard braqué sur son aîné. Tout à coup, il écarquilla les yeux, une idée à l'esprit.
« Bon, Yoongi-hyung, va falloir que tu me fasses confiance, d'accord ? »
Son aîné savait que le choix ne lui était en vérité plus permis, si bien qu'il acquiesça. Il lui semblait déjà quitter lentement son corps à mesure que sa respiration s'amenuisait, et la peur était telle qu'elle le paralysait. Seul, impossible de s'en sortir.
Une fois l'approbation reçue, Jimin réagit au quart de tour : il ouvrit son sac de sport, en tira une longue et épaisse serviette de bain. Il indiqua à Yoongi de s'asseoir, et ce dernier obéit sans un mot. Son cadet enroula le tissu autour de ses épaules et détacha sa cape pour la passer sous les jambes de son ami qu'il souleva aussitôt sans la moindre difficulté.
Yoongi en aurait eu le souffle coupé s'il ne suffoquait pas déjà.
Jimin le tenait, un bras dans son dos, l'autre sous ses genoux, mais il n'existait entre Yoongi et lui aucun contact physique : même s'il sentait son toucher qui le terrifiait, il pouvait le supporter. Rassuré par les précautions prises par son sauveur, Yoongi ferma les paupières, et il en coula deux nouvelles larmes.
« On en a pour moins d'une minute, » lui promit Jimin.
Et il se mit en route. Yoongi ne comprenait pas où il se dirigeait, tout ce qu'il savait, c'était que le jeune homme l'avait recouvert d'une serviette de bain et de sa cape, et que désormais il marchait d'un pas pressé, lui dans les bras, en passant derrière chaque stand afin de ne pas risquer que Yoongi effleure quiconque. Traverser les allées aurait présenté un trop grand danger, autant se servir du fait qu'aucun kiosque ne pouvait se coller aux murs du fait des installations électriques.
Yoongi, le cœur battant et le corps vidé de ses forces, continuait de pleurer. Il appuya la joue contre le haut de Jimin – le haut d'Aragorn – et tenta de se calmer en se laissant bercer par le rythme rapide de son cadet. Ça ne fonctionna pas, bien sûr, mais une chose parvenait pourtant à le réconforter : il n'était pas seul.
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