Texte de DreamEatRead11 et Auroreno2
— Regarde-toi, Peter ! Tu n'es plus que l'ombre de celui que tu étais jadis. Toi qui te pavanais dans ta belle voiture lustrée, toi qui daignais à peine poser un œil sur les misérables que tu croisais dans la rue, tu le paies aujourd'hui. Tu es tombé de ton piédestal.
Le bruit d'une semelle en caoutchouc se décolle du sol plastifié dans un bruit désagréable. Un bandeau sur les yeux, je ne distingue absolument rien de ce qu'il se passe autour de moi. Mes bras immobilisés et mes pieds fixés au lit me font terriblement souffrir. Je ne sais pas depuis quand je suis ici, à trembler de peur, ni comment je suis arrivé là. Tout ce que je sais, c'est que cet homme qui tourne autour de moi comme un carnivore autour de sa proie me connaît. Sa voix m'est familière, cependant, aussi loin que je fouille dans mes souvenirs, je ne parviens pas à mettre un nom sur lui.
Ce type... Qu'est-ce qu'il me veut ? Est-ce encore un autre cinglé qui en veut à mon portefeuille et à ma réputation ? Sûrement un autre de ses hommes à l'égo détruit par l'empire que j'ai bâti.
Il faut que je sorte d'ici et visiblement, je ne peux compter que sur moi-même. Ces connards de la sécurité n'ont pas fait leur job correctement. Ils le paieront dès mon retour à la liberté, ça, j'en fais la promesse.
— Peter, Peter... Cesse donc de t'agiter voyons. Tu vas t'épuiser avant même que je ne commence la séance. Il me faut des réponses, Peter. Et il n'y a qu'au fond de ta mémoire que je vais les trouver. Sois coopératif. Sois courageux ! L'as-tu seulement déjà été ? Le courage ne se mesure pas uniquement aux actes accomplis, mais aussi à ce à quoi nous avons dû renoncer.
Je pousse un grognement puis tire une fois de plus sur les sangles autour de mes poignets. Des objets plantés dans mes avants bras m'envoient de violentes brûlures et m'arrachent un cri de douleur, atténué par le bâillon sur mes lèvres.
— Espèce de timbré ! tenté-je de crier malgré le morceau de tissus plaqué contre ma bouche.
Un rire presque compatissant s'échappe de mon bourreau. Mais pas une réponse ne me parvient, il me laisse seul avec ma douleur, seul avec mes démons. Dans le noir, les sensations sont décuplées, et chaque décharge électrique qui déferle sur ma peau me paralyse un peu plus.
Je ne tente plus de me débattre, en ai-je encore la force ? J'attends. Je serre les dents sur mon bâillon. Mon corps tremble, sans que je ne puisse l'arrêter, agité de spasmes. Tout est confus. Dans le brouillard de mes pensées embrumées par la souffrance, il ne reste qu'une crainte : que ce taré parvienne à pénétrer au plus profond de mon intimité, qu'il s'infiltre en moi et découvre mes secrets les plus honteux.
On a tous le droit à nos secrets, qui n'en a pas ? Je m'agite à nouveau. Il n'a pas le droit de me forcer à tout lui révéler.
Résister. Je peux le faire. Je dois le faire.
Une tige métallique se pose contre ma tempe droite et me sort de ma transe.
— Peter, mon cher Peter, il me semble qu'on a assez perdu de temps, tous les deux. Je ne veux savoir qu'une seule chose, une seule toute petite information, tu peux me la donner, n'est-ce pas ?
Il se tait. Pendant un instant, un silence s'installe dans la pièce, et le métal froid pèse toujours contre ma peau.
Puis il l'actionne.
L'aiguille extrêmement fine me traverse lentement la peau avant d'accélérer soudainement dans le but de traverser mon os. J'aurais hurlé de douleur si mon corps parvenait encore à bouger, mais je n'arrive qu'à émettre un faible gémissement étouffé par le tintement métallique de mes attaches. Une sensation d'engourdissement s'étend sur ma tempe, suivie d'une vague de fourmillements qui descend le long de mes joues, puis de mes maxillaires. Lorsqu'elle atteint ma lèvre, je sais par expérience que le nerf des trijumeaux a été atteint.
Bordel. Cette enflure utilise ma propre technique contre moi. Au bout de la table, mes pieds sont pris de tremblements. Je suffoque. J'inspire bruyamment au travers de l'épais tissu afin d'aspirer le plus d'air possible. Pour une fois, je suis bien content d'avoir ce bandeau sur les yeux, au moins, mon tortionnaire n'aura pas le plaisir de voir mes larmes. Je ravale ma salive avec difficulté, c'est maintenant que tout va se jouer.
— Pitié, articulé-je malgré l'objet dans ma bouche.
Qu'importe ce que je dois endurer pour je ne sais quelle faute commise. Je ferais ce qui est nécessaire pour qu'il n'injecte pas cette saleté dans mon cerveau. Je ne pourrais pas le supporter. La douleur infâme paralyse déjà mes muscles, mes doigts se serrent dans une vaine tentative d'évacuer ma souffrance, et chaque millième de seconde qui passe me réduit à n'être plus qu'un corps agité de spasmes incontrôlables.
— Pi-tié, haleté-je une seconde fois, les mots hachés par ma respiration saccadée et le bâillon qui m'étouffe.
La machine s'immobilise. Je la sens contre moi, en moi. Mais elle n'avance plus. J'en hoquette de soulagement.
— Commencerais-tu à te montrer coopératif ? demande mon tortionnaire.
J'approuve à l'aide d'un léger gémissement affirmatif, incapable de hocher la tête avec l'aiguille plantée dans mon cerveau. Y penser me retourne l'estomac, mais je me persuade de mon mieux que c'est bientôt terminé.
— Bien, très bien ça, mon cher Peter ! Alors, commence par me parler de la mort de ta fille, comme preuve de ta bonne volonté.
Je suffoque. Ses mots sont plus vifs et tranchants encore que ses méthodes de torture. J'étouffe. Il m'a coupé la respiration en une phrase, une seule phrase. Je me noie. Le torrent de mes larmes s'est tari, mais ce n'est rien à côté de la vague d'émotions qui me submerge et m'entraîne vers un gouffre d'une pénombre impénétrable.
Sa main gantée tire d'un geste sec sur mon bâillon afin de m'en libérer et j'aspire une grosse goulée d'air.
— Je ne te laisserai qu'une seule et unique chance, ne la gaspille pas.
— Pourquoi faites-vous ça ? m'écrié-je. Est-ce mon père qui vous envoie ? Il n'a jamais supporté que je réussisse mieux que lui.
Un nouveau rire s'échappe de la bouche du prétendu scientifique alors qu'un cliquetis métallique se fait entendre près de mon oreille gauche. Une vive douleur me vrille le cerveau forçant mes lèvres à se tordre dans un rictus que je ne contrôle pas.
L'homme à mes côtés soupire.
— Pourquoi faut-il que tu n'obéisses jamais, Peter ? Tu gaspilles ta salive en palabres inutiles, tu me fais perdre mon temps. Tant pis, il est trop tard pour toi, désormais. Ta création la plus précieuse est en train de se faufiler, lentement, douloureusement en toi, et bientôt, elle sondera tes précieux souvenirs.
Il tapote mon épaule d'une main, pendant que l'autre actionne toujours le mécanisme avant de reprendre son dialogue à sens unique.
— Peter, ôte-moi d'un doute je te prie. Cette chose visqueuse qui rampe dans ton crâne, est-elle réellement la chose dont tu es le plus fier ? N'y a-t-il jamais eu rien d'autre de plus important à tes yeux ? Quel dommage que la chair de ta chair n'ait jamais pu rivaliser avec tes inventions. Elle était pourtant si brillante, ta fille.
Je fronce les sourcils avec le peu de force qu'il me reste. Elly... Son visage occulte tout le reste. Je sens à peine l'aiguille qui fouille ma mémoire, je ne peux que la regarder, elle. Tout me revient. Son rire cristallin à son tout premier anniversaire, ses petits bras qui s'accrochaient à moi quand elle refusait d'aller à l'école, l'odeur vanillée de ses cheveux de jais,...
Elly... Ses larmes silencieuses dans son lit, quand je rentrais au milieu de la nuit et passais l'observer. Elly... Ce regard plein de haine et ses mots qui me hurlaient qu'elle me haïssait de ne jamais avoir été là pour elle, ni dans ses moments de solitude, ni à sa remise de diplôme en terminale. Elly...
Un hurlement de rage bestial quitte ma gorge sèche, sans que je ne puisse le contrôler. Il s'échappe de mes lèvres craquelées dans toute sa puissance. Il ne peut pas me forcer à voir ça, cette image. C'est de la haine et de la peur à l'état pure, un cri instinctif dévastateur.
Mais le fil qui s'agite dans ma mémoire a tous les pouvoirs et je la vois. Je vois les yeux inanimés de ma fille, ses pieds qui pendent dans le vide, son cou enserré par une corde. Je revis le moment où mon monde s'effondre, mon cœur implose. Sa lettre écrite avec des mots ronds et élégants me pointe de ses lettres accusatrices, je suis le seul et unique responsable de son suicide.
— C'est donc ça, ton plus terrible secret, Peter ? Quelque part, je ne te cache pas que je suis un peu déçu. Je m'attendais à découvrir autre chose que de stupides remords.
Mon corps s'arque subitement avant qu'une larme ne vienne rouler sur ma joue. Je me sens vidé, anéanti, et je laisse mon corps retomber lourdement sur la table d'opération. Jusqu'où ira ce timbré ? S'il cherche à me détruire, il est mal tombé.
Je laisse échapper un petit rire alors qu'il relâche la détente du pistolet seringue.
— C'est tout ce dont vous êtes capable ? Vous me parlez de courage, mais vous êtes le seul à vous cacher. Qui êtes-vous ? lui hurlé-je avec un regain d'énergie inattendu.
Je ne lui permettrai pas de détruire mon empire. J'ai mis de côté les choses les plus importantes de ma vie durant toutes ces années dans le but de faire avancer la science, dans le but d'être utile à ce monde. Et personne n'est en droit de se mettre sur mon chemin, pas même Elly. Pas après ce que j'ai enduré pour arriver à ce niveau d'excellence.
Des mains me touchent le visage. Je me crispe sous leur passage, mais elles continuent leur chemin et s'attardent désormais sur le bandeau qui me cache la vue. Les doigts me l'arrachent d'un geste sec tandis que la lueur vive des néons m'éblouit. La vision floue, je suis forcé d'attendre, paupières closes, dans le noir.
Lorsque enfin, j'ai la force d'affronter la lumière puissante de la salle, je me fige de stupeur.
Il...
Non ! Je...
— Avoue Peter, avoue que tu me reconnais, toi et moi savons, alors avoue maintenant ! hurle-t-il.
Et les mots s'étranglent en moi, les mots d'un passé trop sombre pour être révélé. Mon aveu ressemble aux gargouillis d'un nouveau né, mais lui et moi comprenons. Il sait, depuis le début, ce que je cache. Il sait à quoi j'occupe mes nuits, connaît le frisson d'adrénaline qui me secoue quand j'ôte une vie. Il ne le connaît que trop bien, ce sentiment de puissance qui me traverse lorsque le sang coule sur mes gants et qu'un corps sans vie s'effondre à mes pieds.
Il le connaît mieux que personne.
La Science nécessite passion et détermination, et ce sont ces deux mêmes sentiments qui nous animent lorsque nous découpons les chairs de nos victimes. Nous avons dédié notre âmes ainsi que notre vie à cet art obscur, nous lui avons tout sacrifié.
Je lève mes yeux vers son visage : le mien. Traits pour traits, je me reconnais en lui. Une création si parfaite que même Dieu n'aurait pu faire mieux. À travers son regard du même bleu acier que le mien, ses préoccupations sont les miennes. Notre passion est notre secret et nous ne faisons qu'un.
Et avec un sourire sardonique que j'ai pratiqué des semaines durant devant mon miroir, il disparaît.
Texte de Auroreno2 et DreamEatRead11
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