Sky & Arlequin
Prologue
Il était une fois une petite fille qui marchait sous la pluie. Du haut ses quatre printemps, elle avançait, perdue, tremblant sous les lourdes gouttes glaciales. La peur lui nouait le ventre malgré sa faim ; elle n'avait pas mangé depuis longtemps.
Non-loin de là, un oiseau sillonnait les routes à la recherche de nourriture. Son regard rencontra une silhouette menue et frêle. Elle n'avait pas l'allure d'un animal ni celui d'un insecte - il doutait qu'elle soit comestible. Ne sachant s'il devait s'approcher ou fuir, le courage lui semblait plus préférable à la lâcheté. Quand il fut assez près, il réalisa que ladite silhouette était en fait une voyageuse, une humaine, d'un jeune âge.
— Tu sembles égarée, âme perdue ?
La petite fille releva la tête et sursauta. Elle vit devant elle un oiseau très coloré lui parler d'une voix très grave. Il lui semblait assez amical, sûrement grâce aux nombreuses couleurs qui émerveillaient l'enfant.
— Oui, tu veux bien être mon ami ?
— D'accord. Tu veux un bonbon ?
— On m'a toujours dit de pas accepter les bonbons des inconnus.
— Si je deviens ton ami, je ne serai plus un inconnu, n'est-ce pas ? Permettez-moi, jeune personne, de vous donner mon nom : Arlequin pour vous servir !
— Oh, bonjour Arlequin. Moi, je m'appelle Sky ! Du coup oui je veux bien un bonbon.
— Sky ? En voilà un joli nom ! affirma Arlequin en sortant de sous son plumage un joli bonbon blanc aux rayures colorées. Que fais-tu ici, Sky ?
— Je suis perdue.
— N'as-tu pas une maison ? demanda l'oiseau.
— Non... enfin je crois pas.
— Tu dois avoir froid et faim !
— Oui...
— Je connais un grand arbre où tu seras à l'abri. Est-ce que tu sais grimper aux branches, chère amie ?
— Je sais me débrouiller, plus ou moins, répondit Sky .
— Voudrais-tu vivre dans un arbre géant, avec pleins d'oiseaux, de la chaleur et de la nourriture ? Tu serais à l'abri du froid et des vilaines créatures, et je pourrais te protéger !
— Tu ferais ça ? Tu es un gentil oiseau !
— Oh, bien sûr ! Je n'ai qu'une parole ! Y allons-nous ?
— D'accord !
L'oiseau s'envola, et à l'aide de ses serres, il porta la frêle jeune fille jusqu'à l'arbre promis, celui qu'on appelait "l'arbre à oiseaux"
Chapitre 1
L'herbe poussait, les oiseaux volaient ; un magnifique papillon noir à taches orange battait de l'aile, jouant avec les vents et les feuilles. Puis il se posa sur une branche, comme pour prendre une pause dans son long exode.
La branche en question était grande, et merveilleuse. Mais elle se mit à trembler. Les vibrations devenaient si intenses que le papillon écourta son arrêt.
Sky, qui avait grandie, s'avançait à la poursuite de la petite bestiole. Mais la branche grinça et se brisa, emportant la jeune fille dans le vide. Elle cria pour appeler Arlequin.
— Arlequin, à l'aide ! T'es où ? J'ai mal !
Un petit corbeau, que Sky connaissait très bien, s'avança sur une branche.
— Arlequin est parti, petite. Il est allé chercher à manger. Il ne reviendra pas avant longtemps.
— Mais j'ai besoin de lui, moi ! Tu veux pas m'aider ? Je suis tombée de la branche là- haut... j'ai mal...
— Tant pis pour toi. Je ne peux rien faire pour t'aider, tu es trop grande et trop lourde pour marcher sur les branches ou pour que je puisse te porter.
S'en rien ajouter, le sinistre oiseau s'en retourna dans le tronc.
La jeune fille se mit à sangloter encore plus fort, se tenant le genou égratigné. La blessure l'élançait, et elle hurlait en attendant son ami.
— Qu'as-tu, ma petite ?
C'était Arlequin qui revenait. Il tenait à son bec une grande pomme bien rouge.
— La branche s'est cassée et je suis tombée de l'arbre... je me suis fait mal au genou ! Regarde ça saigne...
— Quelle horrible saignement ceint de maints hématomes grandissants et grouillants comme des vers. Ne t'avais-je pas dit de ne point sortir sans ma compagnie ? N'avais-je point dit de rester à l'abri en patientant pour mon retour, que je puisse t'apporter de quoi te sustenter ?
— Ouais mais il y avait un papillon qui s'était posé sur la fleur et j'ai voulu le regarder de plus près. D'habitude je tombe pas ! Les branches elles cassent pas !
— Oui, elles ne se brisent pas quand il s'agit d'un petit être. Mais tu n'es plus une petite fille, tu as grandi ! Et tu es trop lourde pour les branches.
— Mais alors... je suis plus en sécurité dans les arbres ?
— Je ne crois pas, non. Et les méchants loups sont dangereux la nuit. Tu ne peux dormir au pied de l'arbre.
— Mais... comment je vais faire alors ? Je suis plus en sécurité nulle part ? Arlequin comment je peux rester avec toi si je suis plus en sécurité dans ton chez-toi ?
— Le monde est vaste. L'arbre à oiseaux n'est pas la seule demeure, je suis certain d'une chose : tu trouveras un nouveau foyer. Tu es grande, et forte, Sky. Et tu ne seras pas seule, partout où tu iras, je t'accompagnerai. Foi d'Arlequin ! Tu veux un bonbon ?
— Oh oui un bonbon ! Ca faisait longtemps.
Arlequin sortit un bonbon aussi coloré que son plumage de sous son aile gauche. Il le tendit à Sky qui l'avala goulûment.
— C'est aujourd'hui que notre voyage va commencer alors ? Tu es sûr de vouloir venir ? Ton chez-toi est ici, tu es sûr de vouloir le quitter aussi ?
— Regarde-nous. Tu es une petite fille et je suis un oiseau aux mille couleurs. Nous n'avons jamais eu notre place ici. Je pars à tes côtés. Et il te faut de toute évidence une vaillante escorte, afin de te préserver du péril, des mille dangers de toutes ces contrées inconnues, terrifiantes, sombres, peut-être hostiles et...
— Ok stop. Me fais pas faire des cauchemars avant même que le voyage ait commencé s'il te plait.
— Pardon. Aussi ai-je tendance à laisser l'excitation d'une nouvelle aventure parler à ma place. De toute évidence, notre départ laissera un grand soulagement aux autres oiseaux. Alors partons sans attendre, qu'en penses-tu, brave Sky ?
— On peut récupérer deux trois trucs de notre nid avant ? On ne va pas revenir, n'est-ce pas ?
— Oui, va. Je ne crois pas que nous reviendrons.
Sans rien ajouter, l'oiseau au plumage coloré porta la fille à l'aide de ses serres jusqu'en haut de l'arbre afin d'y récupérer leurs maigres possessions. Sky récupéra dans une petite sacoche sa poupée de chiffon et des fruits. Elle ajouta aussi deux robes, qu'Arlequin avait dérobé à des villageois, afin qu'elle ait de quoi se vêtir. Ainsi parés, ils débutèrent leur voyage.
Chapitre 2
La marche avait été éprouvante, mais elle récompensa enfin, comme Arlequin le répétait souvent à son amie, leur obstination ; car enfin ils arrivaient devant un paysage qui était familier pour l'oiseau, et propice pour l'enfant.
La terre portait des constructions étranges et grisâtres que Sky n'avait jamais vues. D'après son compagnon, elles s'appelaient « maisons », c'était là que les humains, comme elle, habitaient. La petite fille avait pourtant toujours pensé qu'elle était un oiseau, d'une drôle espèce certes, mais qu'elle était semblable à Arlequin. Celui-ci ne pouvait cacher son enthousiasme.
« Vois-tu ? Notre voyage n'aura pas duré longtemps, annonça-t-il presque en regrettant que leurs aventures n'aient pas duré davantage. Ici, tu vivras certainement bien. »
Arlequin ne vit aucun autre enfant. En revanche, il remarqua les regards posés sur sa protégée et lui-même. Sky éprouvait de la crainte. L'arbre à oiseaux était plus jovial et sentait toujours très bon. Elle appréciait les couleurs au matin et le chant de ses voisins. Ici, tout était calme et monotonie Alors qu'ils faisaient leurs premiers pas dans le village, ils finirent par tomber sur un homme, grand et enrobé, qui amusait la jeune fille. Elle ne put s'empêcher de penser que ces terres abritaient des êtres bien étrange.
Le monsieur qui attirait son regard l'observait comme si elle venait de descendre du ciel. Il était étonné et avait arrêté de faire ce qu'il avait entrepris avant leur venue. Du moins, le pensait-elle. Arlequin, perché sur son épaule, ne dit mot, alors lorsque l'inconnu lui adressa la parole, elle s'arrêta.
« Es-tu perdue, ma fille ?
— Bonjour, je cherche une maison...
— Pourquoi as-tu les cheveux de toutes les couleurs ? Et cet oiseau, est-il à toi ?
— Elle a les cheveux de toutes ces couleurs parce qu'elle ne cesse de s'empiffrer de bonbons, répondit Arlequin d'une voix fort grave, ce qui surprit l'homme au point de provoquer un hoquet de stupeur. Et cet oiseau aux mille couleurs n'appartient à nulle autre âme que cette brave, mon cher, encore que l'appartenance ne soit pas le terme qui me serait venu à l'esprit me concernant, quoiqu'en vérité, il est prolixe et en aucun cas révélateur de notre lien. Mais je ne puis condamner vos propos puisqu'ils sont nourris d'insouciance.
— Un oiseau qui parle ! Mathilda, viens voir ça ! »
L'oiseau ne regretta pas d'avoir parlé et Sky lui jeta un regard amusé. L'homme étonné s'était retourné vers ce qui semblait être sa maison, plus grande que les autres, en pierre certainement, et la porte, brune, s'ouvrit sur une grande femme. Elle n'avait pas le sourire, mais quand elle vit Arlequin, son visage devint rouge. Elle ignorait que les gens pouvaient changer de couleur.
Arlequin vit cette femme approcher de lui. Grande, les traits creusés, les joues rosées par le vent frais et les cheveux de la même couleur que le blé à cette saison de l'année, elle lui inspirait quelques souvenirs. Se pourrait-il qu'il l'ait déjà rencontré ?
— C'est cet oiseau, je le reconnais ! C'est lui qui a volé mes robes !
— Ne dis pas bêtise, ma femme. Ce ne peut...
— Regarde la gamine. Elle porte ma robe préférée !
— Il doit y avoir erreur, madame ! murmura Arlequin.
L'oiseau se rendit compte qu'il n'y en avait aucune. Avec la fougue d'un voyage nouveau, il avait oublié s'être rendu dans le petit village. Il y avait dérobé quelques robes pour sa protégée, bien qu'elles étaient encore trop grandes pour elle. Arlequin s'étonnait de voir que Mathilda se souvenir de ses robes et de lui-même malgré les années d'écart. Son forfait remontait à longtemps, et pourtant, elle n'avait pas oublié. Il pensa qu'elle accordait beaucoup trop d'importance à ses vêtements.
— Il a volé mes robes ! Il les a volées ! Il a peut-être aussi volé la petite fille !
— C'est absurde, je...
Arlequin, interloqué, battait des ailes au-dessus des deux villageois. L'homme, son mari, le visage rubicond, armée d'un balai, fouetta l'air et manque de le toucher. Il esquiva les coups avec difficulté, mais quand il sentit l'abandon de son agresseur, il vit, honteux, la femme ramener Sky dans la maison. Chassé par des coups de balai, Arlequin était désespéré. Il finit par se poser sur une fenêtre. Une odeur étrange lui provoqua des haut-le-cœur.
Sur un rebord voisin, l'oiseau contempla un aliment dont les humains raffolaient, une merveilleuse tomme, très odorante. Peut-être que les ravisseurs de Sky en raffoleraient tout autant ? Sans crier gare Arlequin s'en empara.
L'homme au balai attendait déjà l'oiseau, prêt à agiter son arme dans tous les sens. Mais il fut interrompu lorsqu'il vit que le fromage lui était certainement destiné. Arlequin déposa la tomme au sol.
— Messire, avant que vous ne songiez à me frapper, permettez que je vous offre ce présent, modeste, finement cultivé sur les hauteurs des montagnes voisines, pour votre seul plaisir, et afin de racheter mes mauvaises actions du passé ! Ce fromage, si délicat, saura faire votre plaisir, et je crois inutile d'ajouter que vous n'en trouverez point de semblables ici. Profitez donc de ce cadeau si vous convenez à me l'échanger – je n'ignore pas que ce ne sera plus un cadeau – contre votre magnifique collier. Les colliers, ils repoussent partout, pas la perfection odorante qui git sous votre nez.
— Je...
— Allons, pas d'hésitation ! Vous savez ce qu'il vous reste à faire, un simple acquiescement, un simple échange, et vous jouirez d'un bonheur incontestable !
L'homme regarda avec intérêt et gourmandise la tomme déposée à ses pieds. Ses mains allèrent à son collier pour se saisir de la clef, et déverrouillèrent la porte qui tenait Sky prisonnière. Enfin, le villageois se jeta sur le fromage.
Sky sortit, tout heureuse. Elle n'eut pas le temps de faire beaucoup de pas qu'un gros monsieur tout barbu et horizontalement désavantagé se lança à la rencontre du premier homme.
— Que fais-tu ? C'est mon fromage :
— Pas du tout, c'est le mien, je l'ai gagné !
— Et moi je te dis que c'est le mien, je l'avais à ma fenêtre et...
— Filons, murmura Arlequin à sa compagne qui acquiesça.
Les deux monsieurs, remarqua Sky, étaient rougeauds, et haussaient la voix. Ils allaient certainement en venir aux mains quand deux serres la soulevèrent du sol. Elle était heureuse : ils s'en allaient du village et ici, personne n'avait été gentil avec eux.
Arlequin ne s'était guère attendu à pareille mésaventure. Il jura sur son honneur et sa connaissance des mots qu'il réfléchira à deux fois avant de retourner en de si sinistres endroits.
Chapitre 3
Apres les aventures survenues au village, Arlequin et son amie voyagèrent vers une jungle. Epuisés, ils s'endormirent profondément, blottis l'un contre l'autre. Alors que Sky rêvait de bonbons colorés et de son ami oiseau, Arlequin se voyait, planant au-dessus de toute chose avec son amie humaine sur le dos.
Un grognement persistant réveilla l'enfant. Elle aperçut à son réveil une multitude d'yeux jaunes qui l'encerclait, elle et l'oiseau, avec un air menaçant. Au-dessus de sa tête, une grande lune toute ronde avec une teinte rouge sang, comme si elle annonçait la mort imminente que représentaient les gueules de loups baveuses désormais bien visibles autour d'eux, du sang dégoulinant des babines. Elle secoua Arlequin, apeurée.
— Arlequin ! J'ai peur il y a des bêtes bizarres autour ils ont pas l'air gentils ils ont pas l'air de donner des bonbons réveille-toi, aide moi ! J'ai l'impression que leurs bonbons, c'est moi !!! ARLEQUIN !
Arlequin se redressa brusquement et se trouva nez à nez avec des loups. La créature n'était pas qu'un simple prédateur. Son regard avait quelque chose de dérangeant pour une raison qu'il ignora tout d'abord. Puis en un éclair, il trouva une raison à son malaise. Ces loups étaient bipèdes, et leurs yeux avaient quelque chose de sauvage... et d'humain. C'étaient des loups-garous. Voyant Sky paniquer, il tenta de ne pas montrer sa peur, mais lorsque le loup le plus proche se mit à parler, il sursauta.
— Sale piaf de malheur ! J'te trouve enfin ! J'vais te faire regretter de t'en être pris à nous !
— De m'en être pris à vous ? Mes loups, je ne comprends rien de ce que vous dîtes, nous sommes-nous déjà rencontrés ?
— Tu nous as dupé mais tu ne nous auras pas cette fois !
— J'ai déjà entendu cet accent quelque part, intervint Sky, tremblante.
— Ne dis pas de bêtise, Sky, dit l'oiseau, oubliant la menace et l'haleine putride qui se dégageait sous son bec.
— Si si j't'assure ! C'est la voix des villageois !
Sans crier gare, le loup-garou enfourna Arlequin entre ses crocs. Ses compagnons se gaussèrent, sans faire attention à la fillette.
Sky attrapa un bâton. Elle l'agita devant les bêtes, qui se mirent à quatre pattes. Ils remuèrent la queue, n'attendant que de jouer. « Gentils chienchiens ! C'est qui qui va aller jouer avec le bâton ? »
Elle lança le bout de bois très loin et les bêtes disparurent derrière les troncs.
Arlequin gémissait dans la gueule du chef de la meute. La colère monta. Sky vit rouge. Elle attrapa le plus gros caillou qu'elle trouva à côté d'elle et martela le crâne de la bête : « Lâche... mon... ami... sale... bête ! »
Immédiatement, l'oiseau surgit d'entre les crocs du grand méchant loup. Sky l'attrapa au vol.
— Fuyons ! Il ne restera pas longtemps assommé ! J'te jure qu'après tout ça je l'aurais mérité mon bonbon !
L'oiseau, encore un peu dans le vague, saisit avec ses serres les épaules de Sky. Il n'était pas blessé, juste apeuré, mais il avait assez de force pour voler loin. Ainsi, lui et sa sauveuse s'envolèrent au-dessus des arbres et de la meute qui cherchait toujours le bâton. La dernière chose qu'ils virent fut la grosse bosse proéminente sur le museau du chef de la meute, d'une étrange couleur violette.
Chapitre 4
La lune succédait inlassablement au soleil qui cédait son trône à la lune, accompagnée de ses dames de compagnie, les étoiles. Les voyageurs avaient perdu le décompte des jours, qui leurs paraissaient identiques.
Arlequin, qui avait grandi, ne pouvait pas rester davantage perché sur les épaules de son ami. Il conservait désormais son rôle de guide, en restant sur les hauteurs, priant pour ne point rencontrer davantage de mésaventures. Les hauteurs lui donnaient accès à une vision plus large de la terre à parcourir, pourtant, il lui semblait que rien n'était à venir. Pas de village, ni de forêt.
Son bonheur de sillonner les chemins et les forêts avec Sky n'en était pas diminué ; il devait admettre qu'il était heureux et n'avait pas à se plaindre. Jamais la jeune fille ne s'était plainte de fatigue jusqu'à présent, et en gage de son estime, il lui offrait son estime. Et des bonbons, sans lui apporter toutefois trop de sucrerie. Sa santé était importante.
Sky était heureuse. Elle marchait et aurait aimé voler comme Arlequin. Il était beau, l'oiseau. Mais il restait dans le ciel. Un peu loin d'elle. Elle tenta de l'appeler, mais il avait du mal à l'entendre.
— Sky
Le piaf redescendait. Enfin ! Ce n'est pas trop tôt ! Elle lui fit part de son impatience, et Arlequin s'excusa.
— Qu'y a-t-il, très chère ?
— Regarde, le ciel ! Il est tout noir !
Sky avait remarqué que tout était sombre. Les couleurs avaient disparu. Tout était crevé : les arbres, l'herbe, les autres plantes. Et il n'y avait pas d'animaux en vue. Le silence la faisait trembler.
L'oiseau observa à son tour les environs. Tout semblait en effet avoir dépéri, et sombré dans la stérilité. Le ciel comme la terre étaient monochromes, lézardant entre les teintes de noir, de blanc et de gris. L'air n'était ni frais ni chaleureux. Il n'y avait ni étoile, ni lune, ni rien à distinguer alentours. Tout était vide.
— Regarde Arlequin !
Sky avait repéré un mouvement étrange. Comme s'il venait du sol, un être étrange se dessinait devant eux.
Arlequin vit l'horizon se préciser et leur solitude s'amoindrir. La silhouette était sinon effrayante... curieuse voire fascinante. Aucun d'entre eux ne pût la décrire, car il n'y avait aucun mot qui ne pût remplir cette fonction – ni l'oiseau ni sa compagne n'en trouvèrent – mais ils purent en revanche déceler une baguette en sa possession.
— Bon, âmes perdues.
— Bonjour, dit Sky.
— Nous ne sommes pas le jour.
— Bonsoir, rectifia Arlequin.
— Nous ne sommes pas le soir.
— Quand sommes-nous ? demanda l'oiseau.
— Nous ne sommes ni le jour, ni le soir. Je me contente de vous saluer avec un « bon », car il n'y a rien à ajouter. Je m'étonne cependant de vous voir ici, et de constater que vos couleurs résistent à l'austérité de ce présent monde.
Les compagnons de voyages se regardèrent, incertains.
— Vous êtes qui ? demanda Sky ?
— Je suis la Gardienne des Couleurs. Je vous retourne la question, âmes perdues. Qui êtes-vous et quelle est la raison de votre présence dans ce monde perdu et incertain que pas un seul ne trouvât jusqu'à votre venue ?
— Je me nomme Arlequin, fidèle compagnon de mon amie ci-présente. Elle s'appelle Sky. Nous sommes en quête d'une maison, un monde où nous pourrions vivre sans tracas. Nous sommes enchantés de faire votre rencontre bien que vous me voyez désolé de vous apporter dérangement et imprévue. Votre monde est très étrange. Vous dites que nos couleurs sont en résistance ?
— Voyez, messire Arlequin, votre plumage rutilant sur un horizon timide, et les cheveux de Sky briller de mille éclats alors que rien ne se distingue ici-bas.
Les couleurs évoquées par la Gardienne des Couleurs brillaient comme flammes et lumière. Arlequin dût en être étonné, mais il n'en montra rien, au contraire de Sky qui était ébahi et le fit savoir en poussant un cri de surprise.
— Vivez-vous seule ici, Gardienne ?
— Qu'importe.
Sky eut une idée en tête.
— On peut vivre avec toi, la Gardienne ? Ici, personne ne nous bouffera, et on sera tranquille.
La Gardienne des Couleurs ne se montra pas surprise.
— Vous pourriez vivre ici, bien évidemment, mais il demeure compliqué de vous voir prolonger votre existence en ces lieux ; je ne mentionne point le déséquilibre en compagnie de vos couleurs, mais d'une vie sans gaieté. Oui, vous pouvez rester, mais aimeriez-vous vivre là ? Il n'y a rien à manger, ni à faire ; tout n'est que silence et austérité, et il n'y a nulle beauté sinon le néant et le non-être. Il me vient à l'esprit que vous gagnerez davantage à passer votre chemin et ne pas céder à l'acceptation d'une quiétude sourde.
— J'ai rien compris, dit Sky.
— Je comprends. Je vous sais gré, Gardienne des Couleurs. Je dois dire que le jour et la nuit me manqueront, bien évidemment. Pardonnez Sky, je tente de lui confier mon amour pour les mots, mais c'est encore loin d'être gagné. Je n'abandonne cependant pas. Notre quête va continuer, et nous allons vous laisser. Vous voulez un bonbon ?
Sky accepta et avala tout rond sa friandise. La gardienne des couleurs accepta également, montrant sa gratitude d'un signe de baguette.
— Acceptez ma présence, ainsi que celle de Malibulle. Nous vous montrerons le chemin jusqu'à la lisière de nos terres.
D'un coup de baguette, la Gardienne fit apparaître une belle vache tout de noir et blanc vêtue. Chevauchant la belle Malibulle qui prit son envol, la Maîtresse des lieux se fit guide des deux compagnons. Ils partirent avec appréhension, mais aussi une joie certaine d'avoir fait une rencontre si particulière.
Chapitre 5
Les deux compagnons avaient enfin retrouvé la lumière du soleil. Le ciel était d'un bleu éclatant, et l'herbe était si verte et intense qu'elle manquait d'aveugler Sky. Plusieurs arbres au tronc au tronc gigantesque tenaient haut dans les airs des feuillages colorés.
Une grande créature au cou plutôt long était en plein repas, broutant ce que les branches avaient à lui offrir.
— Ouah une girafe !
La créature se retourna. Elle était mauve et verte, et deux petites ailes, sur chaque côté de sa tête, bougeaient lentement.
— J'suis pas une girafe, j'suis une caraffe ! s'exclama l'herbivore d'une voix très aiguë.
— C'est quoi la différence ? Les ailes ?
— Bah oui, les ailes et la couleur, p'tit singe ! J'suis une caraffe, quoi ! s'exclama la bête.
— Et moi je suis pas un singe je suis une humaine !
— C'est quoi la différence ?
— On est moins poilus et plus droits. Et toi, t'es seule, il existe d'autres girafes violettes et vertes aux p'tites ailes ridicules ?
— Je suis pas la seule Caraffe, ho ! Je suis toute seule, c'est tout ! Et mes ailes sont pas ridicules ! Ce sont tes poils sur la tête qui le sont !
— Mes poils à la tête sont pas ridicules ! Et on appelle ça des cheveux ! Et moi au moins ils sont grands et ils tiennent chaud en hiver ! Toi tes ailes sont si petites que j'suis sûre tu peux même pas voler ! Et si y'a d'autres Caraffe, ils sont où les autres ?
— Ils m'ont laissée toute seule, déclara sur un air d'indifférence la caraffe, qui se mit à voler pour contredire le « petit singe ».
— Ils sont pas gentils les gens de ton espèce !... J'ai rien dit, les miens non plus.
— Je suis mieux seule ! J'ai des arbres à volonté, personne pour m'embêter, et donc tout repousse à temps lorsque je repasse. Je peux manger presque à volonté !
— Mais t'as pas de maison ? En même temps vu ta taille ça doit être difficile à construire une maison.
— Une maison ? Pourquoi faire, je suis bien dehors ! Les choses simples, c'est les meilleures pardi !
Léa la caraffe s'ébroua, avant de s'empiffrer de feuilles.
— Mais quand il pleut, t'es toute mouillée ! Tu peux tomber malade !
— Oh non, les grands arbres du monde en couleur me protègent !
— Moui... donc t'as pas d'amis ?
— Des amis ? C'est quoi ? Est-ce que ça se mange ?
— Ce sont des gens, oiseaux, humains, autre, sur qui tu peux compter et parler de tes problèmes pour essayer de trouver une solution. Tu fais comment, toi ?
— Eh bien... je me nourris. Pour garder la forme, je dois manger beaucoup. Tellement que quand j'ai terminé, la journée est passée. Pas besoin d'amis, il n'y aurait pas assez d'arbre. Qui t'es, petite humaine ? Pourquoi t'es là ? Et c'est qui le perroquet arc-en-ciel ?
— Je suis Sky, et le "perroquet" comme tu dis, c'est mon ami, Arlequin.
— Je ne suis pas un perroquet, vous m'offusquez presque, en vérité. Mais je me suis accoutumé à de telles remarques, et je puis dire une chose, c'est que votre monde est quelque peu particulier, d'ailleurs, pas sûr que Sky aimerait picorer des feuilles, mais vous savez, mes certitudes depuis le début ne sont plus ce qu'elles étaient et...
— Léa. C'est mon nom. Il parle toujours comme ça, le perroquet ? demanda Léa la caraffe tandis qu'Arlequin continuait de parler en arrière-plan.
— Enchantée, Léa. Oui, il est comme ça. Nous sommes à la recherche d'une maison.
— Pourquoi ? Vous n'êtes pas bien dehors ? Ici, il n'y a pas de maison. Tout est haut en couleur, et j'suis la seule à des kilomètres à la ronde. Vous en trouverez peut-être plus loin !
— Je ne suis pas comme toi, je ne me nourris pas de feuilles, et même si c'était le cas, je ne pourrais pas les atteindre, elles sont trop hautes. Je cherche simplement un endroit où je me sente chez moi, un endroit où une humaine comme moi pourrait vivre sans danger. Un endroit qui me convient.
— Oh, je vois. C'est vrai que t'es petite et tu vole pas, tu pourrais pas vivre ici. J'espère que tu trouveras ta maison !
— Sans doute. Alors j'y vais, Léa !
— Mouais... bon vent !
Sky tira Arlequin par l'aile. Sa voix lançait encore pleins de mots étranges et étouffés. Elle ria en voyant Léa pousser l'oiseau du museau, tandis qu'il s'écriait : « Déjà nous partons ? Mais je n'ai pas terminé de m'exprimer ! Et les bonbons ? Vous voulez des bonbons ? »
Le duo ne resta pas ; ce monde, trop haut en couleur, où sillonnait la curieuse Léa, ne les intéressait pas davantage. Le voyage avait été épuisant ; trouveraient-ils un jour leur maison ?
Chapitre 6
Sky et Arlequin avaient beaucoup voyagé. Ils étaient fatigués et chamboulés par leur rencontre avec Léa, la Caraffe solitaire. Après avoir pris congé, ils ne s'étaient jamais réellement arrêtés, impatients de trouver la maison tant convoitée ! Mais la soif les persuada de cesser un bref instant leurs efforts.
A leur grande surprise, ils se trouvaient devant un petit bâtiment quelque peu bruyant. Il y avait une petite terrasse avec quelques tables disposées de façon ordonnée. Il y avait quelques inscriptions sur l'enseigne qui flottait au gré du vent.
— Eh Arlequin qu'est-ce qui est écrit là, en gros ?
— Il est écrit "Café Grand Espoir", ma chère Sky.
— Et ça veut dire quoi ?
— Cela veut dire qu'il faut continuer d'espérer, mon amie. Nous finirons par trouver notre maison.
Arlequin était heureux d'avoir cheminé jusqu'ici aux côtés de la jeune fille ; non, elle n'était plus une jeune fille. Elle était grande à présent, et souriante.
— Un chocolat chaud ?
Le duo sursauta. Ils n'avaient pas vu les deux silhouettes approcher d'eux. L'une était faite de lumière. On eût dit qu'elle était joyeuse d'accueillir de nouvelles âmes. L'autre, plus sombre, ressemblait à une ombre en mouvement.
— Un... quoi ? C'est quoi un chocolacho ?
— Un chocolat chaud c'est un truc suuuuuper bon c'est sucré ça tient chaud j't'aassure tu devrais goûter c'est excellent !
— Ce qu'essaie de vous dire ma collègue, c'est que ce chocolat chaud vous rendra heureux, et vous aidera à aller un peu plus loin dans votre quête bien heureuse ! Car après chaque pas et chaque gorgée, il faut toujours s'attendre à un peu plus d'espoir !
— Ça te dit, Arlequin ?
— Ma foi, pourquoi pas ? C'est si gentiment proposé et nous devons nous reposer.
Les deux serveurs installèrent les voyageurs à une table et servirent une bonne tasse de chocolat chaud bien fumante chacun. Sky fut la première à goûter le liquide foncé. Elle fut surprise de son goût sucré. Elle le sentait descendre le long de sa gorge. Appréciant ce nouveau goût, elle entreprit de vider lentement sa tasse.
L'oiseau apprécia tout autant la succulente boisson, le goût sucré avec un fond amère, lui redonna quelques couleurs. Son bec claqua involontairement de plaisir. Il remercia les deux serveurs avant qu'ils ne partent à l'encontre de nouveaux clients.
— Nous ne sommes que des clients fidèles, dirent-ils. Mais nous servons bénévolement les clients.
— D'accord ! Nous reviendrons goûter votre chocolat chaud ! N'est-ce pas Arlequin ?
— Oui, car tous les chemins qui mènent à notre destin nous mènent également vers nos moments les plus marquants ! Je ne doute pas de revenir ici !
Tout réchauffé par le chocolat chaud et la générosité des clients fidèles du café, Arlequin et Sky se décidèrent une nouvelle fois à reprendre la route. Le chemin qui les séparait de leur maison s'était raccourci. Leurs pérégrinations se rapprochaient du dénouement.
Epilogue
Le ciel était magnifique, drapé de noir avec quelques pointes lumineuses, rutilantes et lointaines, toujours présentes comme des amies fidèles. Sky observait les astres. Elle était fatiguée, et elle était certaine qu'Arlequin l'était au moins autant qu'elle. Il n'avait pas parlé. Il ne disait rien. Sans doute en train de penser avec ces mots bien à lui. A moins qu'il rêvât.
« On trouvera pas notre maison.
— Si.
— Mais t'as vu le chemin que nous avons fait ? Les méchants gens, les loups !
— Mais nous avons fait de belles rencontres, et ça, tu ne peux l'omettre : La gardienne des couleurs, la caraffe, le café !
— C'est vrai, admit Sky.
— Je n'ai peut-être pas été parfait, mon amie... non, ma sœur, et je ne sais si je pourrais tenir ma promesse, mais je veux au moins que nous y croyons : nous aurons un chez-nous. Car je ne veux qu'une chose : le meilleur pour toi, et je n'ai rien vu de tel ici. A croire que nous ne sommes pas de cette terre et...
— Oui, t'as peut-être raison, frérot. Frérot ? »
Arlequin regardait le ciel avec beaucoup de conviction, et une fascination que Sky ne lui avait jamais vu auparavant. Elle était heureuse, et réalisa qu'elle s'était blottie contre lui. Et lui prit un bonbon.
L'oiseau se redressa, et porta ses yeux sur celle qu'il avait vu grandir.
— J'ai trouvé... Sky, j'ai trouvé !
— Quoi ?
— En vérité, dit l'oiseau, je ne veux que le meilleur poi toi, comme je te l'ai dit. Regarde en haut, vois cette étoile, celle qui brille plus que les autres !
— Je la vois ! s'exclama Sky.
— C'est notre maison, car je ne veux rien d'autre que te trouver ta place légitime : là-haut, dans les cieux, au milieu des astres. C'est chez nous...
— Chez nous...
— Chez nous. »
Arlequin... Sky... Ils s'observèrent avec les yeux humides, et la certitude d'avoir accompli leur quête. A présent, se prenant main et plume... ils regardèrent leur maison... puis s'envolèrent.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro