Samuel - Jour 2 (2/3)
Je jetai un coup d'œil à la classe. Cet exercice inusité avait suscité l'intérêt des élèves, comme des morts reprenant vie. Tous commencèrent à s'agiter et à trépider d'impatience. D'ailleurs, certains n'hésitèrent pas à lancer quelques commentaires comme « Ça va mal finir... », ou « Qu'est-ce que le prof est en train de faire ? », ou même (mon préféré) « T'es dans la merde, Stanley ! »
– Mon jeu est simple, informai-je à mes deux compagnons. Je vais vous poser des questions, et si vous répondez correctement à une d'elles, je vous laisse reprendre votre place. Sinon, vous devrez faire dix pompes pour chacune des questions manquées. C'est clair ?
– Hé, mais c'est pas juste, ça, M'sieur ! gémit Stanley.
– Ouais, je suis d'accord, ajouta Bryan.
– Comment ça ?
– Vous avez pas le droit de demander à des élèves de faire ça !
– Vous m'aviez dit que vous vouliez vous amusez, me justifiai-je. La preuve est que vous vous lanciez des boules de papier pendant mes explications. Alors, n'est-ce pas le même but pour mon jeu aussi ?
Les élèves crièrent leur accord avec moi. En réalité, ils étaient seulement désespérés à voir Stanley et Bryan faire des pompes. Et pourtant, seulement par cette phrase, j'avais réussi à galvanisé la trentaine de personnes présentes dans la classe. Ils étaient complètement déchaînés ; de véritables macaques, si vous voulez avoir mon avis.
– Okay, on se calme, dis-je pour essayer de reprendre le contrôle de la classe, je vais maintenant poser ma première question.
Tous se turent et dirigèrent leur attention vers moi.
– Alors, première question pour Stanley : conjugue-moi le verbe « conquérir » au présent de l'indicatif, à la troisième personne du singulier.
Il pensa pour deux secondes, puis il répondit :
– Il conquit ?
– Raté, dis-je. Allez, dix pompes.
– Quoi !? s'étonna-t-il. Mais vous avez pas le droit de faire ça, c'est de la torture !
– Ouais, de la torture ! rajouta sur un ton puéril Bryan, ce qui ne manqua pas de me faire pouffer de rire.
Les élèves exprimèrent leur désaccord avec les deux zigotos en avant et, en chœur, ils scandaient : « Des pompes ! Des pompes ! Des pompes ! »
Sous l'insistance générale, Stanley n'eut pas le choix. Il me lança une mine faussement offusqué, se baissa et posa ses mains par terre. À ce moment-là, la foule était en délire. Tous criait et chantait leur joie, comme si voir leur camarade de classe faire un exercice physique forcé était plus jouissif que tous ce qu'ils avaient connus auparavant dans leur vie.
Je comptai les pompes de Stanley et il en fit bien dix, comme demandé. Il se releva un peu essoufflé, mais il agit comme si ce fut facile. J'attendis un peu que la classe calme ses rires avant que je poursuive :
– Maintenant, première question pour Bryan : si je dis « J'ai vingt ans », est-ce que « vingt » prend un « s » à la fin ?
– Je comprends pas, vous avez pas vingt ans ?
Les élèves se mirent à rire de plus belle. Je ne pouvais pas dire s'il était vraiment sérieux ou s'il disait seulement ça pour la blague. Les commentaires ne tardèrent pas à s'élever non plus.
– Ce n'était qu'un exemple, Bryan, dit Marguerite, roulant ses yeux en l'air.
– T'es con, Bryan ! cria Scott Latour, le capitaine de l'équipe de football de l'école.
– Alors, je vais répéter la question pour une deuxième et dernière fois : dans la phrase « J'ai vingt ans », « vingt » prend-il la marque du pluriel ?
Bryan attendit et se tourna vers les élèves qui lui lançaient des réponses en même temps, parfois mauvaises, parfois bonnes, mais pour ne pas l'influencer et pour que l'exercice soit vraiment pédagogique, je voulais tester leur connaissance sans tricherie.
– Hé, vous n'avez pas le droit de souffler des réponses, sinon c'est dix pompes pour chaque personne coupable, compris ?
Mon avertissement eut effet, car tous cessèrent subitement de partager leur réponse, et jasaient plutôt à leur amis, souriaient, se bidonnaient...
Je n'avais jamais vu une telle ambiance de classe, aussi exaltée et déjantée. Mais j'aimais cette ambiance, car je sentais les élèves beaucoup plus attentifs qu'en début de cours, où je ne faisais que vulgariser les notes de cours à la classe, ce qui semblait l'ennuyer. Je devais donc trouver un moyen de faire ce genre d'activité plus souvent, afin de stimuler les élèves à apprendre le français, mais de manière ludique et agréable.
Laissé à lui-même, Bryan avait l'air de ne pas s'avoir quoi dire. Finalement, il souleva ses épaules et dit :
– Je sais pas.
– Dix pompes.
Rire dans la classe.
– Hein ? Mais vous n'avez jamais dit qu'il fallait faire dix pompes si on ne savait pas la réponse !
– Tu as raison, mais j'ai aussi dit que si tu ne répondais pas correctement à la question, alors tu faisais dix pompes. Et « je sais pas » n'était évidemment pas la bonne réponse.
– Mais, c'est quoi cette merde...
– Allez, Bryan, implora Stanley, fais tes pompes toi aussi. T'as pas eu la question, tant pis. Assume !
La classe claqua des mains et continua de faire du bruit pour Bryan qui dût lui aussi se plier aux supplications des élèves et il fit le fameux exercice physique à dix reprises, tout comme son copain l'avait fait.
Je continuai ce petit jeu avec mes deux élèves rebelles pour les cinq minutes restantes au cours, les forçait à faire des pompes lorsqu'il avait la mauvaise réponse à mes questions de français. Au final, ni l'un, ni l'autre n'eurent une seule fois la bonne réponse et chacun fit, en tout, trente pompes.
Une fois la cloche sonnée, Stanley et Bryan furent à nouveau libres et on aurait dit qu'ils étaient accueillis en héros par leurs amis pour le plaisir si inhabituel qu'ils avaient eu dans un cours de français. J'aimais bien cette soit-disant « punition » que je leur avais donnée. Quand je me suis aperçu qu'ils se lançaient des boules de papier, j'aurais très bien pu les sortirent de la classe, mais à quoi bon cela aurait-il servi ? Ainsi, avec ce jeu, j'avais pu divertir la classe en plus de leur pratiquer leur français et de leur servir, en même temps, une sorte de leçon.
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