Samuel - Jour 1 (2/2)
Je m'assis sur mon bureau et regardai la classe. Avec cette simple phrase, j'avais réussi à regagner le silence et créer l'anticipation chez les élèves
– C'est le Ministère de l'Éducation lui-même qui m'envoie, expliquai-je. Il m'a fait la proposition de devenir professeur à temps plein pour une durée indéterminée afin de combler la pénurie de main-d'oeuvre enseignante que notre province traverse présentement.
– Qu'est-ce que ça veut dire ? demanda Bryan, un des élèves situés au fond de la classe. Qu'il y a pas assez d'enseignants pour remplacer Madame Cossette ?
– Si cette Madame Cossette dont tu fais mention était votre ancienne professeure de français, alors la réponse est oui. De nos jours, les nouveaux élèves sont de plus en plus nombreux à arriver dans les écoles secondaires, ce qui nécessite la création de nouvelles classes et de nouveaux professeurs pour leur enseigner. Puisque l'on considère ces nouveaux élèves comme plus importants que ceux des autres niveaux, les écoles demandent aux professeurs de votre cohorte de les accueillir, ce qui fait en sorte que l'on perd des postes et des professeurs pour vous enseigner.
« De plus, pour envenimer le tout, les professeurs de votre cycle doivent, à cause de cette situation, composer avec beaucoup plus de classes qu'auparavant, ce qui peut occasionner une surcharge de travail et mener chez certain à de l'épuisement professionnel. En somme, l'offre enseignante n'arrive pas à rattraper la demande étudiante qui ne cesse de croître, en plus du fait qu'il manque de diplômés qui veulent travailler dans le domaine de l'enseignement. Vous me comprenez ?
Les élèves hochèrent leur tête.
– J'ai une question, demanda un certain Andrew Mackenzie.
– Oui ?
– Pourquoi avez-vous décider de remplacer Madame Cossette ?
– Puisque le contrat que le gouvernement m'offre comporte plusieurs avantages. Notamment, je suis rémunéré pour toutes les semaines que je vous enseigne ici au collège. Pas autant que vos vrais profs qui sont plus qualifiés que moi, mais disons que je touche à une somme qui est supérieure au salaire minimum. Les cours que je donne en ce moment sont considérés comme des cours que je reçois, donc ça me donne des crédits pour les études collégiales ou universitaires. Ça me sert aussi comme expérience de travail, et le fait que je suis professeur à mon âge vaut plus que l'or dans un curriculum vitae.
« Les employeurs recherchent aujourd'hui des jeunes comme moi, car ils savent que nous sommes extrêmement doués à l'école et que nous sommes capable de prendre de larges responsabilités, et ce même malgré notre jeune âge. Des dizaines d'opportunités d'emploi m'ont d'ailleurs déjà été proposées depuis que je suis devenu enseignant. Les employeurs, tout comme les journalistes, ne cessent de courir après nous.
Il passa dans la classe une vague de surprise et d'étonnement.
– Mais ça, ça veut dire que moi aussi je peux devenir prof !? s'exclama avec des yeux illuminés Alexandre Desjardins.
– Techniquement oui, mais ce n'est pas aussi facile que tu le croies. Pour passer d'élève à enseignant, il faut avoir d'excellentes notes dans le domaine dans lequel on compte professer. À titre d'indication, il faut être dans le 1% des meilleurs à l'échelle nationale dans la matière que l'on prévoit enseigner et avoir des notes globales remarquables pour vouloir même être près de se qualifier.
« Ensuite, il faut compléter des examens très difficiles, parfois même avec des questions de calibre universitaire, afin de vérifier que nos connaissances sont réellement hors-normes. De plus, le Ministère tient compte de notre comportement et de notre attitude en classe, et pour cela, il recueille les commentaires de nos anciens professeurs. Lorsqu'on est enfin sélectionné parmi les rares élèves qui remplaceront les postes vacants, nous devons suivre des cours pendant une année complète afin de recevoir le minimum de formation nécessaire sur l'enseignement. C'est d'ailleurs pourquoi on nous appelle les « recrues », parce que nous sommes de très jeunes enseignants inexpérimentés qui ont été recrutés seulement pour contrer la crise.
– Donc t'as appris à nous enseigner pendant un an ? demanda Élisabeth.
– Ouais. Pas le choix, sinon je serais pas ici.
– Et c'était difficile ? se fit entendre une autre élève.
– Oui, beaucoup plus que ce je m'imaginais. Je sais que je me répète, mais ce n'est absolument pas une offre destinée à tout le monde. Vous pouvez toujours tenter votre chance si vous répondez aux critères de base comme les excellents résultats scolaires, mais préparez-vous en conséquence, car, croyez-moi, ce n'est pas facile du tout.
Si certains semblaient à première vue intéressés par le contrat, tous à présent semblaient complètement dissuadés. « Tant d'effort pour un travail pareil, ça ne vaut pas la peine », devaient-ils penser.
– Et puisque ce phénomène des « élèves-professeurs » est une première ici, continuai-je en m'adressant de nouveau à la classe, je fais aussi l'objet d'une étude. Il faut comprendre que cette situation exceptionnelle sert aussi de laboratoire au Ministère : ils veulent savoir si même les meilleurs élèves sont assez matures et responsables pour enseigner de façon convenable à leurs pairs. C'est exactement pourquoi j'ai un micro dans ma poche qui enregistre tout ce qu'il se dit présentement dans le classe.
Alors que je leur montrai ledit micro, un raz-de-marée de vives réactions se déferla dans la pièce.
– Ça veut dire qu'on est écouté par le Ministère de l'Éducation en ce moment !?
– Mais c'est n'importe quoi, ils n'ont pas le droit de faire ça !
– Je comprends pas, pourquoi ils font ça ?
– Hé, ça veut dire que si on crie « gros nichons », ils vont m'entendre, les gars. (rires)
Devant l'accalmie générale, je devais encore une fois faire ce que j'aime le plus : imposer l'ordre.
– Okay, okay ! Calmez-vous maintenant et laissez-moi vous expliquer !
Je dus reprendre deux à trois fois cette formule avec quelques variances avant de ravoir l'attention de mon auditoire. J'avais vraiment l'impression de perdre de plus en plus mon autorité au sein de la classe, comme si le fait que j'étais moi-même un adolescent leur permettait de ne pas me prendre au sérieux.
– Bon, alors, oui, j'ai un micro, et oui, il enregistre tout ce que je dis en ce moment, mais il n'y a aucune raison pour vous de paniquer : ils n'écoutent pas tout ce qu'il se dit à tout moment. Vous comprendrez que le Ministère a autre chose à faire que d'écouter des cours de français, et, en plus, l'enregistrement ne vise qu'à assurer que je fais bien mon travail. Alors, ça serait fort étonnant qu'ils considèrent pour ce que vous dites.
Soupirs de soulagement dans la classe, et quelques-unes de déception dans le fond de la classe.
– Si je n'aurais pas ce micro, poursuivis-je, il faudrait alors qu'il y ait un professeur à côté de moi en tout temps pour m'évaluer sur mon enseignement, ce qui est assez contraignant, alors j'ai opté plutôt pour le micro.
– Et tu dois porter ce micro tout le temps ?
– Non, seulement lorsque je vous enseigne. Il est interdit pour le gouvernement de m'enregistrer en dehors des classes et de partager l'enregistrement à quiconque. Donc, vous pouvez être sûr que votre droit à la vie privée ne sera pas enfreint et que vous ne serez pas envoyé en prison pour avoir dit une bêtise dans mon cours.
La classe semblait avoir saisi le principe. Je me leva du bureau et m'installa derrière celui-ci, car, après tout, j'avais un cours à donner. Je dis d'une voix théâtrale :
– Prenez vos cahiers à la page 82 qui porte sur... les différents types et formes de phrase.
Quelques complaintes, grognements et soupirs fusèrent au moment même où j'évoquais le nom du sujet abordé. Le français n'avait pas l'air d'avoir particulièrement la cote dans ce groupe...
– Bon, alors, nous allons tout d'abord commencer par la phrase...
Je m'arrêtai net de parler lorsque je vis une main levée.
– Andrew ?
– Désolé, Monsieur, mais... c'est que vous ne vous avez pas présenté.
Maintenant que j'y pensais, il était vrai que j'avais oublié de dire mon nom, comme les profs le font habituellement devant leurs nouveaux étudiants en début d'année.
– Eh bien, tu as raison. Je m'appelle Samuel Lamontagne, mais, pour vous, ça sera Monsieur Lamontagne. Et je serai votre professeur de français pour les quatre prochaines semaines à venir.
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