Il y a très longtemps, les fleurs emplissaient la terre. Toutes en arabesques et courbes délicates, en explosion de pétales et d'étamines, en senteurs parfumées qui étourdissaient, elles envahissaient chaque recoin. Certaines étaient jaunes et grandes comme des arbres, servant de parasol avec leurs larges pétales rouges. D'autres ressemblaient à un essaim de gouttelettes de peinture cyan et pourpre. Dans ce paradis coloré, où les fleurs se déclinaient de toutes les manières possibles et imaginables, vivaient les hommes.

L'un d'entre eux, la peau battue par le vent et le soleil, les cheveux d'un blanc pur, était le créateur de ce trésor naturel. Il dessinait au sol avec un bâton puis décollait la nouvelle créature de la terre pour qu'elle prenne vie. Il passait ainsi sa vie à étoffer le monde de pétales colorés.

Au début, tout allait bien. Mais un jour, il eut un mot. Puis un regard de travers. Puis de la jalousie, de la colère et du ressentiment s'installèrent tout doucement. La tristesse apparut. L'envie grignota le cœur des hommes. Ruse et dissimulation étaient les mots d'ordre là où simplicité, amitié et honnêteté régnaient auparavant. Pas un homme ne put garder son cœur pur, comme contaminé par le contact des autres.

Seul, sous ses cheveux blancs, le regard perçant, le créateur des fleurs assistait, impuissant, à cette métamorphose. Il les observa longtemps, de loin. Mais quand il vit que même le cœur des enfants était gangrené par cette méchanceté, il leur tourna le dos à tout jamais, emportant avec lui toute sa création loin, bien loin des hommes. La terre, nue, frémissait et se desséchait. Le vent soufflait et soulevait des nuages de sable rouge qui venaient s'abattre sur les hommes et tout ce qu'ils faisaient. Très vite, la vie fut insoutenable et redoubla la méchanceté des hommes, les montant les uns contre les autres et les empêchant de s'unir pour trouver une solution. Alors pendant des années, rien ne s'améliora.

Une nouvelle génération se levait, qui n'avait pas connu les fleurs et qui ne les connaîtrait jamais. Devant ce constat, trois hommes aux cheveux blanchissants qui faisaient partie des vieux du village, le ton amer, regrettèrent le passé. Un jeune garçon, qui les écoutait, un sourire moqueur aux lèvres, les railla sur l'existence de ces fleurs. Les vieux ne relevèrent pas et se contentèrent de soupirer sur le passé.

« S'il y avait encore des fleurs, peut-être que les hommes retrouveraient la paix. »

Ils hochèrent la tête dans le vide, tristement. L'un des trois releva les yeux et, plantant son regard dans celui de ses pairs, il dit :

« Il faut aller en chercher. »

Les trois vieux se levèrent, prirent un bâton et un manteau puis partirent à leur recherche.

Ils marchèrent longtemps au travers du désert rougeâtre, le vent s'engouffrant dans leurs manteaux, déposant des dizaines de petits grains de sable dans leurs yeux, s'opposant à leur avancée. Leur marche devenait de plus en plus difficile. Ils ne voyaient pas leurs pieds, le sable s'élevait en brusques bourrasques qui leur cachaient le soleil, leurs forces doucement les quittaient quand tout à coup, la tempête s'arrêta autour d'eux.

Dans un large cercle, comme retenu par une barrière invisible, le vent ne pouvait pas entrer. Plus de vent sifflant dans les oreilles, juste le calme plat d'une journée trop chaude. Plus de nuit de sable rouge, mais un soleil blanc dardant ses rayons sur la terre. Et au milieu de ce cercle, un pic de pierre dont la tête se perdait dans les nuages. Une multitude de marches courraient le long de la pierre escarpée. Alors les trois vieux posèrent le pied sur la première marche et commencèrent une ascension interminable.

Ils montèrent l'escalier durant quatre jours et trois nuits. Puis un matin, l'escalier s'arrêta net. Les trois vieux levèrent les yeux et découvrirent une fleur. Leurs cœurs bondirent de joie et, oubliant leur fatigue, ils s'approchaient d'elle lorsqu'ils en virent une autre. Puis encore une et encore une. C'était une forêt de fleurs qui les accueillait, encore plus belles que celles qui emplissaient la terre pendant leur jeunesse. Ravis, émerveillés, ils riaient en s'approchant de cette forêt resplendissante.

Soudain, au milieu d'une clairière, ils aperçurent un vieillard à la longue barbe immaculée qui dessinait sur le sol avec un bâton abîmé. Puis, n'ayant toujours pas fait un seul geste envers ses visiteurs, le créateur des fleurs saisit la terre et une nouvelle œuvre vit le jour. Pas un seul des trois vieux ne se sentait la force de briser ce moment si spécial, alors ils restaient admiratifs et silencieux, quand une voix caverneuse et enrouée s'éleva :

« Que faites-vous ici ? »

L'un des trois vieux se racla la gorge, rassemblant ses idées et cherchant ses mots.

« Nous venons chercher des fleurs...

- ...Pour redonner de l'espoir, ajouta le deuxième.

- ... Et de la douceur aux hommes, compléta le troisième.

- C'est peine perdue. »

Alors qu'ils allaient protester et plaider la cause perdue des hommes, le créateur des fleurs ajouta :

« Prenez les fleurs que vous voulez, mais laissez-moi les plus belles et les plus fragiles. Les hommes pourraient les abîmer à tout jamais. Puis vous retournerez chez vous. »

Les vieux acquiescèrent et partirent chercher des trésors dans la forêt de fleurs. Ils réfléchissaient avant de cueillir chaque fleur, composant bientôt d'énormes bouquets délicatement parfumés. Leur tâche dura une semaine. Quand ils eurent parcouru toute la forêt, ils déclarèrent qu'ils avaient terminé. Aussitôt, un vent doux s'empara d'eux et de leur récolte de fleurs qui s'éparpillèrent sur la terre entière.

Depuis ce temps et jusqu'à maintenant, les fleurs n'ont plus quitté la surface de la terre. Mais le cœur des hommes a-t-il changé ? Pourront-elles encore vivre longtemps ?

Inspiré librement d'un conte australien

Texte de auclairdemaplumeclem (auclairdemaplumeclem)